dimanche 10 décembre 2017

Une leçon de science


Pierre Gilles de Gennes, Leçon inaugurale au Collège de France, 1971 (Collège de France, Paris).
« Un autre type d’erreurs est parfois induit par un désir systématique de simplicité. 
Certes, il est vrai que, dans la plupart des cas, les lois fondamentales de la nature s’expriment par un symbolisme remarquablement concis […] Mais il y a tout de même des situations où cet axiome tombe en défaut. Ainsi, toute une génération de physiciens a admis que notre monde ne distinguait pas la droite de la gauche sans chercher vraiment à vérifier cette proposition par des expériences soigneuses, mais simplement parce que c’était la plus simple. Il a fallu vingt ans, et l’analyse pénétrante de Yang et Lee, pour remettre cette attitude en cause. Finalement, par ses lois physiques, au niveau des interactions dites faibles, notre monde diffère de son image dans un miroir : il est moins symétrique de nous ne le pensions. Lui attribuer une symétrie plus élevée correspondait à une certaine forme de confort intellectuel. […] 
Il nous faut donc garder constamment à l’esprit le précepte de Galilée : « Ne pas souhaiter que la nature s’adapte à ce que nous estimons être le mieux ordonnée ». 
Pour nous théoriciens ces exemples sont particulièrement importants : ils montrent avec quelle prudence nous devons mener le dialogue avec nos collègues expérimentateurs. C’est notre devoir de suggérer des expériences, mais c’est aussi notre devoir de ne pas imposer nos modes de pensée. Pour ma part, j’y vois un des aspects les plus difficils de notre métier.
Il y a donc une esthétique de la simplicité qui nous guide et qui parfois nous égare ; mais il faut reconnaître que cet égarement même n’est pas totalement stérile ; même s’ils sont provisoirement inadaptés, les modèles qui en résultent méritent de survivre et peuvent trouver plus tard de nouveaux terrains d’application. En schématisant à peine, on pourrait dire que l’art du théoricien en physique est de savoir jusqu’où on peut aller trop loin en matière de simplification. »






Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Un commentaire? N'hésitez pas!
Et si vous souhaitez une réponse, n'oubliez pas d'indiquer votre adresse de courriel !