mercredi 25 août 2021

Pourquoi je propose d'être prudent



Pour quelqu'un qui fait la différence entre des opinions et des idées,pour quelqu'un qui sait que les affaires humaines sont compliquées et qu'il y a lieu de les regarder avec circonspection avant de prendre des décisions qui risque d'engager des collectivités, pour quelqu'un qui veut un comportement rationnel, il y a la question du raisonnement, de la déduction.

Si l'on veut être rationnel, alors il y a lieu de bien manier la logique, et, notamment, de commencer par connaître le syllogisme, cette figure logique identifiée dès l'Antiquité grecque et résumée dans "Si tous les hommes sont mortels et si Socrate est un homme, alors Socrate est mortel".

Il s'agit là de déduction logique, imparable, et non pas d'un vague sentiment. Or, comme je l'ai dit, les affaires humaines sont compliquées et j'ai senti le besoin d'expliquer à des amis pourquoi il fallait se méfier des prémisses manquantes. Au fond, cela s'apparente à reprendre la question du philosophe Alain  : "Quelle est la question à laquelle je ne pense pas ?".

Je viens de trouver  deux exemples pour expliquer ce point.

Tout d'abord, supposons que nous voulions reconnaître des champignons et que nous utilisions une clé de reconnaissance insuffisante. Par exemple, supposons que l'on dise :
- prémisse 1 : j'ai un champignon,
- prémisse 2 : il a un chapeau et un pied,
- prémisse 3 : il est décurrent,
- prémisse 4 : la couleur du chapeau est marron.
Avec cette description - qui est, je m'empresse de le dire- insuffisante,  on peut conclure soit que le champignon considéré est un bolet des bouviers, soit que c'est une girolle, soit que c'est une fausse girolle : ici, la conclusion est impossible à obtenir, parce qu'il manque des informations, des prémisses.
Ce n'est pas grave, dans ce cas précis, parce que les deux champignons sont comestibles, mais on serait fautif de conclure. Il manque, en l'occurrence, l'information de la présence soit de pores, qui dirigeraient vers le bolet des bouviers, soit de lamelles, qui orienteraient vers la girolle ou la fausse girolle.

Et l'exemple précédent n'est pas gravissime comme pourrait l'être une confusion entre un champignon comestible et un champignon vénéneux !

On voit bien que l'absence d'une information, d'une prémisse peut conduire soit à une hésitation, soit à une conclusion fausse.

Considérons maintenant un deuxième exemple,  pour lequel nous allons utiliser la théorie des ensembles.
Soit un ensemble A (par exemple celui des nombres entiers dont l'écriture commence par 1, soit 1, 10, 11, 12...), et un ensemble B (celui des nombres terminant par 3, soit 3, 13, 23...). L'ensemble A⋂B (cela se lit "intersection de A et de B") désigne les nombres qui commencent par 1 et finissent par 3, soit 13, 113, 123, etc.
Mais ajoutons une condition, une prémisse : nous considérons non seulement l'intersection de l'ensemble A et B, mais aussi avec l'ensemble C, qui sera celui des nombres dont le chiffre des dizaines est 2. Alors les nombres concernés sont 123, 1123, 1223, etc.

On voit sur ce second exemple que l'intersection A⋂B⋂C est bien plus restreinte que A⋂B :  l'ajout d'une prémisse a conduit à un résultat bien différent du résultat initial.

Ce second exemple, comme le premier, montre combien il est imprudent de tirer des conclusions avant d'avoir toutes les prémisses, et voilà pourquoi s'imposait la phrase d'Alain :
 combien il est imprudent de tirer des conclusions à partir de prémisses insuffisantes et l'on voit pourquoi la phrase d'Alain s'imposait : l'avatar de son "Quelle est la question à laquelle je ne pense pas ?" est ici "Quelle est la prémisse que j'ai oubliée pour raisonner correctement ?"

C'est une question éminemment politique !

Comment à continuer à se former quand on est déjà engagé dans la vie professionnelle ?

 


La question ne se pose pas seulement à ceux qui arrêtent leurs études au brevet, car il n'y a pas de réelle différence par rapport à ceux qui arrêtent au baccalauréat, ou à la licence, ou au master, où à la thèse, par exemple. La question est la même pour tous, et pour tous les métiers. D'ailleurs, dans mon énumération précédente, je me suis arrêté à la thèse, mais il faut évidemment poursuivre avec l'activité professionnelle : bien sûr, on peut exercer un métier et vouloir l'exercer toujours de la même façon, mais je ne parviens pas à penser que, dans nombre de cas, cela soit assez amusant pour qu'on y passe une vie. Certes on peut vouloir s'améliorer progressivement, tel le tailleur de pierre qui devient progressivement mieux capable de doser le coup de maillet, tel le peintre qui maîtrise de mieux en mieux la peinture...
Mais même ces métiers où l'habileté nécessite un entraînement constant ne peuvent échapper à un mouvement de transformation. Par exemple, le peintre ne broie plus ses couleurs, et les produits qu'il achète évoluent... sans compter des évolutions indispensables : le blanc de céruse, épouvantablement toxique, a été heureusement remplacé, interdit, et un peintre qui voudrait l'utiliser ne le pourrait plus et ne le devrais pas. Un tailleur de pierre ? Dans la mesure où il travaille en communauté, il est comme un laborantin qui expose les autres à ses propres actions, de sorte qu'il a une responsabilité : ne pas dégager des poussières comme jadis, à ne pas mettre en danger ses collègues par des pratiques ancestrales...
Bref, il y a donc la nécessité de connaître les transformations du monde, et c'est cela a minima, la formation continue.

Je sais, d'autre part, qu'il existe des personnes qui font leur travail, et cela seulement ; oui, des personnes qui travaillent, qui s'arrêtent à la fin de la journée et reprennent leur travail à l'identique le lendemain... mais que font-ils de cette citation de Brillat-Savarin "L'âme, cause toujours active de perfectibilité" ? Je ne parviens pas à penser que je puisse admirer les individus routiniers, et je préfère consacrer ce billet à la question méthodologique de la formation continuée : comment faire cette formation ?

Et là , je m'émerveille qu'au 21e siècle, le partage de l'information ne permette plus à des "castes" de préserver leur secret. Cette question des secrets techniques n'est pas ancienne, puisque Joseph Favre, auteur du Dictionnaire universel de cuisine, au 19e siècle, reçut des menaces de ses collègues parce qu'il donnait aux "ménagères" la possibilité d'évaluer le travail de leur cuisinier et d'éviter la valse de lance du panier. Il donnait de la connaissance, alors qu'une caste voulait protéger ses secrets.
Et ce que je dit d'hier demeure aujourd'hui, en cuisine notamment, comme je peux en témoigner.

Mais bref, il y a maintenant des possibilités merveilleuses de trouver de l'information... mais il y a la nécessité de savoir ce que vaut cette information à disposition de tous. Nombre de podcasts culinaires avancent des idées techniques fausses : cela va de la pincée de sel dans les blancs d'oeufs que l'on monte en neige à la réalisation de mayonnaise, et, toutes ces "précisions culinaires" que nous testons depuis des décennies. De même pour le jardinage, où n'importe qui pourra se rendre compte de la cacophonie : par exemple, à propos de bouturage de rosiers, on s'amusera de voir que certains proposent de l'hormone de bouturage, d'autres préconisent de ne pas en mettre, certains proposent d'enterrer à un oeil, d'autres à deux yeux, certains proposent de planter la tête en bas, d'autres pas, et ainsi de suite quasiment à l'infini. Comme en cuisine, chacun a sa recette... et personne ne donne de justification à l'exception d'une expérience très idiosyncratique, très limitée, sans référence, avec seulement des arguments d'autorité qui ne valent donc rien.

 

En réalité il y a lieu de prendre les choses de plus loin et de poser deux questions. Tout d'abord qu'apprendre ? Ensuite où trouver la bonne information ?

La nature de ce qu'on va apprendre est bien difficile à définir, comme je l'avais indiqué dans un billet précédent, sur les lois de la réfraction, mais on pourra quand même observer qu'il n'est peut-être pas nécessaire de refaire un travail de sélection qui a été fait par les inspecteurs de l'éducation nationale et les commissions des programmes : si l'on a arrêté ses études au brevet des collèges, alors on peut avoir l'envie d'apprendre ce qui a été donné à d'autres par la suite, au lycée. Là, la réponse à la seconde question est vite trouvée : le contenu des référentiels est public, sur le site de l'Education nationale, et la présentation des notions fait l'objet des manuels, qui ont été préparé par des équipes de professeurs qui ont longuement discuté la présentation, la façon didactique de transmettre les notions.

Cette analyse vaut tout aussi bien pour ceux qui sont arrêtés au baccalauréat et qui voudraient poursuivre : ils trouveront en ligne, sur les sites universitaires, les référentiels des licences, des masters, à savoir les informations qu'ils peuvent avoir à cœur d'apprendre, chacun selon leurs envies, leurs goûts, le temps disponible...

Dans ces formations continuées, les revues de vulgarisation sont importantes, parce qu'elle présente les notions les plus actuelles, mais assorties des informations nécessaires pour arriver à la compréhension des nouveautés.
Il y a là un travail très important et une grande responsabilité pour ces revues, et c'est la raison pour laquelle j'y ai travaillé pendant si longtemps, avec une volonté politique très ferme, très semblable à celle des philosophes des Lumières qui ont élaboré l'Encyclopédie.

À ce propos de la vulgarisation, il y en a deux sortes : celle qui vise à dire (en substance) "la fusée à décollé" et celle qui explique comment on a réussi à faire décoller une fusée.
On comprend que je préfère de beaucoup la seconde manière, car non seulement elle donne les moyens de la preuve, mais de surcroît elle donne des informations complémentaires, qui évitent de nous entraîner à supporter des faits plats et bêtes. Le fait qu'une fusée ait décollé relève surtout de la formation politique que technologique, et ne nous pas beaucoup grandir. D'ailleurs, je ne parviens pas à penser que la vulgarisation soit utile si elle ne donne pas aussi une "compétence", en plus des connaissances.

Bien sûr, toute cette réflexion doit être poursuivie !

mardi 24 août 2021

Quelle différence entre un blanc et un jaune d' œuf ?


Quelle différence entre un blanc et un jaune d' œuf ?
La question semble évidente : le blanc est blanc, et le jaune est jaune. Mais déjà cette réponse est mauvaise, car le blanc d'oeuf est en réalité transparent, et légèrement jaune verdâtre, alors que le jaune est plutôt jaune orangé (on dit qu'il peut même être vert quand les poules ont mangé des scarabées, ce que je n'ai pas encore réussi à vérifier).
Et puis, il y a une différence de consistance : le blanc est plus collant que le jaune, plus gélifié en quelques sorte. Et une différence considérable de goût  : alors que le jaune a beaucoup de goût, le blanc n'en a presque pas, quand il n'est pas cuit.

Mais, en réalité, ce n'est pas bien répondre à la question qui m'était personnellement posée : mon interlocuteur voulait que je réponde de façon "chimique". Et là, il y a des différences essentielles.
Au premier ordre, disons que le blanc est composé de  90 % d'eau et de 10 % de protéines (dont les molécules sont comme des pelotes repliées sur elle-même et dispersés parmi les molécules d'eau). Le jaune, lui, est fait de 50 % d'eau seulement, de 15 % de protéines et de 35 % de lipides. Les lipides ? Une immense catégorie de composés, qui contient aussi bien les "phospholipides", que certains nomment de façon erronée des lécithines, que des triglycérides, les composés que l'on trouve par exemple dans l'huile.

Il faut assortir cette description de précisions. Par exemple, l'eau est  toujours l'eau, composée d'une seule sorte de molécules qui sont toutes identiques : n'importe quelle molécule d'eau, est un assemblage d'un atome d'oxygène et de deux atomes d'hydrogène.
En revanche, le terme de "protéines", au pluriel, indique qu'il y a des sortes de protéines très  différentes, et mêmes si celles qui sont dans l'eau sont souvent repliées sur elles-mêmes (on parle de protéines globulaires),  elles ont des caractéristiques parfois très disparates. Il en va ainsi de la température de coagulation, par exemple  : certaines protéines coagulent dès 61 degrés et d'autres seulement à 80 degrés. Certaines transportent des atomes de fer, et d'autres pas. Certaines, tel  "lysozyme", ont des effets bactériostatiques, et d'autres pas.
Tiens, et puis je vous invite à observer un oeuf frais que l'on casse dans une assiette : le blanc forme des "marches" autour du jaune, qui montrent que le blanc est "gélifié", avec des compositions différentes selon les parties. D'ailleurs, cela ne se voit pas à l'oeil nu, mais le jaune, aussi, est structuré, avec des couches concentriques, de compositions différentes, que l'on jaune clair et jaune profond, lesquelles sont déposées le jour ou la nuit.
Et il en va de même pour les "lipides" :  nous avons vu plus haut qu'il y a donc des phospholipides et des triglycérides, mais il y a en réalité bien d'autres possibilités de variation,  et, surtout, je n'ai pas expliqué que, dans le jaune, les lipides peuvent-être dans une sorte de sérum, en solution dans l'eau,  ou bien réunis en granules, visibles au microscope.

Bref,  il y a beaucoup de différences entre le jaune et le blanc... sans compter que la couleur et le goût ne sont pas rien. Les protéines, les phospholipides et les triglycérides n'ont ni couleur ni goût. Pour la couleur, celle du jaune est due à de nombreux composés de la famille chimique des xanthophilles, et cette couleur change d'ailleurs selon l'alimentation des poules, tout comme change la couleur des saumons d'élevage, quand on leur ajoute du carotène bêta (un composé qui donne la couleur aux carottes) dans leur alimentation.
Pour le goût, il y a dans le jaune un très grand nombre de composés odorants, mais là il faut rentrer dans plus de détails et donner des listes de noms indigestes. J'ai peur que cela ne dépasse le cadre de ces billets, et je préfère dire à mes amis que je tiens de la bibliographie à leur disposition !
 

dimanche 22 août 2021

L'honnête homme, au 21e siècle ?



Ici, nous partirons d'une question anodine, pour arriver à un questionnement politique, donc essentiel.

1. Un jeune ami me demande si la lumière est réfléchie par les liquides, et je lui réponds en lui indiquant des expériences : d'une part, on voit les arbres se refléter sur l'eau quand on est  près d'un lac ; d'autre part, on est parfois ébloui quand on regarde la mer agitée en direction du soleil, parce qu'il y a des réflexions de la lumières solaire sur chaque vaguelette.

2. Cela dit il y a la question de réfléchir "de la lumière", une partie donc, ou de réfléchir "la lumière", c'est-à-dire toute la lumière. A préciser, donc.

3. Surtout il y a lieu de se demander mieux que vaguement ce qu'est ce phénomène de réflexion, et il y a notamment lieu de le distinguer du phénomène de réfraction... que mon jeune ami ne connait pas non plus. 

 



4. Evitons le cours d'optique pour dire simplement que c'est un fait d'expérience que certaines lumières, caractérisé par exemple par leur longueur d'onde, sont généralement réfléchies par les surfaces  des liquides, à des degrés divers.
Par exemple, un liquide noir absorbera fortement la lumière, alors qu'un liquide métallique, tel le mercure, sera beaucoup plus réfléchissant. Pour chaque cas, la quantité de lumière peut-être mesureée, dans une direction différente de celle où la lumière a été mise.

5. Mais, plus généralement, si l'on émet de la lumière vers un liquide, alors il y aura une partie réfléchie par la surface, et une partie transmise dans le liquide, dans une direction qui est d'ailleurs différente, le plus souvent, de celle de la lumière émise. C'est là le phénomène de réfraction, qui a été notamment étudié par le Néerlandais Willebrord Snell et par René Descartes, lesquels ont introduit une merveilleuse équation qui fait intervenir le sinus de l'angle de réflexion et de l'angle de réfraction.

6. Je crois savoir ça de toute éternité ou plus exactement je ne me souviens pas du moment où, enfant, j'ai découvert cette merveilleuse loi de Snell-Descartes.

7. Mais, de toute façon, c'était indépendamment de ma scolarité, parce que j'ai eu la chance d'avoir des parents qui m'ont toujours encouragé dans mes lectures de vulgarisation scientifique, quand j'étais enfant.

8. La vraie question, générale, est de savoir si cette loi de la réfraction est enseignée avant le brevet des collèges ou après. Car avant le brevet, pendant la scolarité obligatoire, cela signifie que l'on a jugé que les citoyens avaient besoin de cette notion. Si elle apparaît après, c'est donc qu'on a jugé qu'elle était superflue à l'ensemble des citoyens.

9. La question est en quelques sorte celle de la formation de l'honnête homme du 21e siècle.

10. "Honnête homme" ? Il ne s'agit pas de l'homme ou de la femme honnêtes, mais de ceux qui vivent en bon citoyens, intelligemment... au sens de l'intelligence du monde où nous vivons, de sa compréhension.

11.  C'est un fait que nous sommes dans une société très technique, avec des voitures, des ordinateurs, des vaccins, les médicaments, etc. Et on peut vouloir se comporter en conducteur de voiture ou en mécanicien, vis à vis de tous ces artefacts... mais il faut quand même observer que le conducteur de voiture ne peut pas se contenter de savoir appuyer sur les pédales et tourner le volant  : il doit savoir qu'il y a lieu de mettre de l'essence dans la voiture, il doit savoir qu'il y a lieu de mettre de l'huile sans quoi il coulera une bielle. De même, le mangeur doit savoir manger, sans quoi son "véhicule" (son corps) risque de tomber en panne.

12. Bref, il y a lieu d'avoir une connaissance minimale du monde où nous vivons,  pour ne pas être démuni faces aux circonstances variées que nous rencontrons.

13. D'autant qu'il y a de l'imprévu : pensons, par exemple, à cette pandémie de covid qui nous est tombée dessus. Pour survivre, au sens littéral du terme, il faut avoir des connaissances sur les virus, la physiologie humaine, la prophylaxie...

14. Bien sûr, on ne peut pas tout connaître, mais tout ce temps passé "au bistrot" (une métaphore qui regroupe tous les moments où nous cédons à la poussière du monde) pourrait, tellement plus utilement, être employé à découvrir les phénomènes de notre environnement.

15. Et cette connaissance nous permet de mieux vivre, et de mieux vivre en citoyen, car on ne doit pas oublier que nos sociétés ne fonctionnent bien que si chacun d'entre nous a un comportement raisonnable, rationnel... en pljus d'être honnête, juste, social.



samedi 21 août 2021

La cuisson des "oeufs parfaits"

Un ami, excellent scientifique, m'avoue ne pas bien comprendre la cuisson des oeufs à basse température, ce que j'avais jadis inventé sous le nom d'"oeufs parfaits", mais que je propose de nommer plutôt "oeuf à 65 degrés" quand ils sont cuits à 65 degrés, ou "oeufs à 67 degrés" quand ils sont cuits à 67 degrés, etc.


Il me faut lui expliquer le mécanisme de la constitution de ces oeufs, puisque si lui ne comprend pas, bien d'autres, aussi, risquent de ne pas comprendre.


1. Commençons simplement par considérer le blanc d'oeuf, parce qu'il est plus simple chimiquement que le jaune.
Ce blanc d'oeuf, c'est 90 % d'eau et 10 % de protéines. Ce qui correspond à 20 000 fois plus de molécules d'eau que de molécules de protéines.

2. Pour comprendre l'effet de la cuisson, il faut savoir que quand on chauffe un matériau,  les molécules du matériau s'agitent plus vite.
Or les molécules de protéines sont comme des pelote repliées sur elles-mêmes, dispersés parmi les molécules d'eau.

3. Quand on chauffe au-delà d'une certaine température, alors les protéines se déroulent, exposant la partie centrale qui, pour les protéines du blanc d'oeuf,  contient un atome de soufre lié à un atome d'hydrogène.

4. Et quand deux molécules de protéines voisines sont ainsi déroulées, alors les atome de soufre peuvent se lier et former des liaisons que l'on nomme des "ponts disulfures". 


5. L'ensemble des protéines attachées  les unes aux autres forme une sorte d'échafaudage dans toute la masse du blanc d'oeuf, une sorte de filet où les molécules d'eau sont piégées, comme des poissons dans un filet.
Et comme l'eau est piégée, elle ne coule plus, de sorte que l'on obtient un solide mou, qui est ce que l'on nomme un gel.

6. À ce point , on ne comprends pas pourquoi la coagulation de l'œuf peut être différente à différentes température, mais c'est cela que j'ai découvert, proposant la théorie améliorée suivante : dans la précédente description, j'ai évoqué des "protéines" sans plus de précisions, mais, en réalité, dans le blanc d'oeuf, il y a plusieurs sortes de protéines, et ces dernières coagulent à des températures différentes.

7. Vers 62 degrés, il y a une sorte de protéines qui coagule et qui forme donc un réseau, le filet dont je parlais.
Avec un seul filet et beaucoup de choses à l'intérieur, on comprend que le gel formé soit très délicat, très fragile. Cela correspond d'ailleurs à la cuisson que l'on observe entre 62 et 65 degrés : le blanc devient à peine laiteux et encore presque liquide ; plus ou moins fragile en tout cas.

8. Puis, si l'on chauffe à 65 degrés, alors un deuxième filet se forme, avec une autre sorte de protéines. Ce deuxième filet s'ajoute au premier, et l'ensemble est mieux tenu  : le gel est  un peu plus opaque et un peu plus solide.

9. Et si l'on porte maintenant la température à 68 degrés, alors c'est un troisième gel qui s'ajoute et le blanc devient un peu plus ferme et un peu plus blanc.

10. Et ainsi de suite jusqu'à 100 degrés où l'on a un empilement de réseaux qui fait le blanc que l'on reconnaît comme être caoutchouteux dans les oeufs durs.

11. Il faut ajouter que tout cela se fait "immédiatement" : dès qu'une température de coagulation est atteinte, la coagulation se fait. Et une fois une coagulation faite, elle ne bouge plus. Autrement dit, si l'on a porté l'oeuf à une certaine température, on peut le refroidir et le réchauffer sans avoir de changement... tant que la température ne dépasse pas celle qui avait été atteinte.

vendredi 20 août 2021

Gravité et pesanteur


On m'interroge sur la différence entre gravité et pesanteur.  La différence entre les deux ?

 

La pesanteur, c'est le phénomène qui correspond au poids. Sur la terre, un objet qui a une masse est "pesant", il a un poids,  ce qui signifie que,  lâché, il tombe.
 

Pour la gravité, c'est une révolution intellectuelle extraordinaire due à Isaac Newton, qui a compris que ce phénomène de pesanteur était universel, et qu'il correspondait à une attraction mutuelle des corps qui ont une masse. Il en a fait  la théorie de la gravitation universelle, avec une force entre les corps qu'il a proposé être proportionnelle aux deux corps massifs en interactions, et inversement proportionnelle au carré de la distance entre ces deux masses.
Autrement dit, entre la gravitation et la pesanteur, il y a une des plus grandes découvertes scientifiques de tous les temps.


On doit s'émerveiller de la proposition de Newton, même si la loi proposée n'est probablement qu'approchée. À l'époque, l'idée d'action à distance été quelque chose aussi étrange que la notion de vide, par exemple. Et c'est seulement en 1798 que Henry Cavendish a utilisé des boules suspendues à un fil (comme une haltère) pour mesurer la constante de gravitation à partir de la torsion du fil où l'haltère était suspendue. L'expérience a été refaite à l'université d'Orsay il y a quelques décennies, et elle nécessite un savoir-faire expérimental tout à fait remarquables.


Emerveillons-nous de l'audace  intellectuelle extraordinaire de Newton, de l'intelligence et du savoir-faire expérimentaux de Cavendish !


jeudi 19 août 2021

La chimie peut-elle être "de synthèse" ou "analytique" ? Non !


Il y a bien longtemps, quand j'ai déménagé le Groupe de gastronomie moléculaire, du Laboratoire de chimie des interactions moléculaires du Collège de France vers AgroParisTech, nous avons été accueilli par le "Laboratoire de chimie analytique". J'étais heureux de rencontrer des collègues intelligents, sympathiques, accueillants, mais... chimie analytique ? De quoi s'agit-il ? 



D'abord, je pars de l'hypothèse que la chimie est une science de la nature, et non pas une technologie ou une technique. C'est ainsi qu'elle a été rénovée par des Lavoisier, par exemple : il s'agit d'utiliser la méthode scientifique pour explorer les phénomènes de la nature, et, notamment, les transformations de la matière. 


Et, pour tous les travaux de chimie, il y a de l'analyse (il faut savoir de quoi l'on parle, connaître les objets que l'on explore), et il y a parfois de la synthèse moléculaire, pour explorer des mécanismes réactionnels.
 

Cela dit, c'est une faute de langage que de parler de chimie synthétique ou de chimie analytique ! D'autant, pour cette seconde expression, qu'il y a une confusion entre l'analyse chimique, l'étude -technologique- de mise au point de nouvelles méthodes d'analyse, et la chimie. 


Bien sûr, je n'ai pas ennuyé mes amis avec ces déclarations, et j'ai fait le dos rond, avec un Groupe de gastronomie moléculaire et physique proprement nommé, dans un laboratoire de "chimie" : ce n'était pas si mal.
D'autant que, à l'époque, mon idée n'était pas si claire qu'aujourd'hui : j'avais hésité quant au statut de la chimie, qui aurait tout aussi bien pu être soit une technique, soit une technologie.
 

Mais on verra que, depuis quelques années, tout est clair : la chimie est une science de la nature, qui ne se confond pas avec ses applications. Il n'y a donc pas de "chimie analytique" ! Et même si l'on a fait, et si l'on fait encore des analyses, il est bien rare que l'on ait à identifier des nouveaux composés, aussi mystérieux que le benzène à l'époque de Michael Faraday, ou que les pectines à l'époque de Braconnot.