lundi 24 août 2020

Des travaux d'orfèvres !

1. Récemment, des stagiaires m'ont fait un plaisir immense quand ils ont conclu, en retournant dans leur établissement, à la fin de leur stage, que le travail scientifique que nous faisions au laboratoire s'apparente de l'orfèvrerie.
Bien sûr c'est un terme que je leur avait soufflé... ou plus exactement asséné, car à propos de tout, expérience ou calcul, j'insiste sans relâche -pour moi et pour les autres- pour dire que nous devons viser l'infaillibilité sinon la perfection (il y a derrière cette fin de phrase une malice, comme on le verra en cherchant un peu dans d'autres billets).

2. Oui, nos travaux doivent être des travaux d'orfèvrerie :  qu'il s'agisse d'expérimentation ou de théorie, cela n'a pas de sens de produire du médiocre &, de toute façon, comment pourrions-nous nous regarder dans la glace le matin si nous faisions cela ?
En science, l'objectif est la découverte, & pas la justification de nos actions avec beaucoup de mauvaise foi. Nous n'agissons pas en fonction des autres, mais en vue de produire des descriptions du monde de plus en plus fines, en termes de mécanismes, d'adéquation de nos théories aux faits.

3. J'ai décrit dans d'autres billets le soin qu'il fallait porter aux expériences, par exemple en termes de sécurité, de qualité, de traçabilité, et je n'insisterai jamais assez : oui, nous devons porter le plus grand soin à nos travaux expérimentaux, car en dépend la qualité les résultats expérimentaux que nous cherchons à interpréter ensuite théoriquement. Et, évidemment, cela n'a pas de sens de vouloir interpréter des résultats fautifs.

4. Bien sûr, l'interprétation elle-même doit être de la plus grande qualité possible,  car pour découvrir les structures du monde, la construction du monde, alors il faut regarder le monde du mieux que nous pouvons. Cela passe par des équations, des théories, lesquelles ne sont en réalité que des ensembles d'équations assorties de concepts nouveau.

5. Chaque geste & chaque calcul que nous faisons doit être de très grande qualité. Mais ce mot de "qualité renvoie aussitôt vers la triade que j'expose sans cesse à les amis : sécurité, qualité, traçabilité.

6. Sécurité d'abord,  bien évidemment, car comment supporterions-nous d'exposer la vie ou la santé de nos amis ? Et, par "amis", je ne pense évidemment pas seulement à nos amis du laboratoire, mais à l'ensemble de l'humanité proche de nous.

7. Qualité : c'est l'objet de ce billet, et nous devons faire de l’orfèvrerie.

8. Traçabilité : souvent, quand nous examinons une question, cela nous renvoie à des travaux plus anciens, dont les résultats doivent être rapprochés des résultats plus récents. Il faut beaucoup de "mémoire", pour nos études, d'autant que les interprétations font usage de tout un corpus de faits, d'idées qu'il est impensable d'oublier.

9. Bref, avec ces trois termes, on n'est dans ces clichés que sont les termes "excellence", "collaboratif", et autre mots qu'une administration sans génie voudrait nous faire gober. Non, au contraire, nous pensons vrai, sans retentissement en terme de communication, mais bien seulement à propos de nos travaux.
La vertu est sa propre récompense, dit-on justement ; de même, la qualité de nos travaux est notre panache !

Aucun bruit dans un laboratoire

1. Dans les laboratoires de chimie, cela est une règle  : il ne doit pas y avoir de bruit. Et, de surcroît, il doit pas y avoir non plus de musique, car celle-ci empêcherait d'entendre les bruits éventuels. Pourquoi ces règles ?

2. Parce que la chimie, qui est une science des transformations moléculaires, comporte une composante expérimentale & une composante théorique.

3. Pour la composante théorique, on comprend qu'il faille du calme, pour se concentrer sur les équations, les idées, sans que des bruits, c'est-à-dire des alertes, ne viennent nous déranger.

4. Pour la composante expérimentale, il faut rappeler qu'elle comporte des dangers, de sorte que nous devons éviter les risques.

5. Oui, les composés que nous manipulons présentent parfois des dangers : certains sont explosifs,  d'autres sont inflammables & beaucoup sont toxiques. Il y a donc lieu d'éviter les explosions, les incendies, les intoxications, par exemple.

6. Je me répète un peu,  mais la différence entre dangers et risques et essentielle : traverser une rue est dangereux, mais si l'on regarde bien avant de traverser, à gauche & à droite, alors on réduit les risques.

7. Le problème, dans les laboratoires de chimie, c'est que les dangers sont parfois invisibles, & l'on se reportera au billet où je discute une expérience avec de l'iode qui a fait apparaître trois tâches minuscules, alors que la pratique était aussi parfaite que possible.

8. Les bruits dans toute cette affaire ? En général, un bruit résulte du choc, fût-il léger, de deux solides l'un contre l'autre ; en pratique il s'en fait entendre quand on pose un récipient sur la paillasse, dont les carreaux sont souvent en faïence ou en matériau vitrifié. D'ailleurs, au bistrot, vous vous entendrez beaucoup de bruit sur le zinc.

9. Cependant, ces bruits signalent des heurts, & des possibilités de bris ! Or si un récipient se brise,  son contenu peut se répandre...  c'est là que des risques peuvent apparaître. Imaginez un composé très toxique sorti de son flacon ! D'ailleurs, pour un composé qui peut exploser quand il y a des chocs, le bruit révèle un choc & donc une possibilité d'explosion.

10. Mais même sans tout cela, un choc indique possibilité de bris, pour des matériels coûteux, & l'on comprend que manipuler avec soin s'imposent.

11. Finalement, ceux qui manipulent avec des matériaux fragiles doivent apprendre à éviter ces  possibilités de bris, ce qui impose qu'ils s'entraînent à éviter les bruits. Manipuler sans bruit n'est pas facile ;  même poser un récipient sur la paillasse se fait difficilement sans bruit, & il y a une façon de faire qu'il faut apprendre.

12. J'ajoute qu'il y a lieu d'apprendre à manipuler dans le plus grand calme, sans précipitation, car cette dernière serait la possibilité de faire des gestes inconsidérés. La tête doit certainement précéder la main, à savoir que chaque geste doit être mesurée, anticipé, prévu, de sorte qu'on ne laisse pas de place à l'improvisation, à la hâte...

13. On comprend ainsi, finalement, que les bruits soient des signes de danger, non seulement pour soi-même mais pour les autres : entendre un bruit dans un laboratoire où quelqu'un manipule doit être signal d'alerte, qui nous conduit aller voir ce qui se passe, & notamment à nous assurer que le collègue n'a pas de problème.

14. En corollaire, on comprend qu'une musique dans le laboratoire, même si elle "égaye" un peu la pièce, supprime cette possibilité d'alerte. D'autant la musique risque de nous distraire, alors que nous devons être concentrés sur les gestes que nous faisons.

15. On le voit : nos règles ne sont pas arbitraires, mais logiques, ancrées sur l'analyse des travaux que nous faisons.
Des visiteurs qui s'étonneraient de tant de silence mériteraient d'être éclairés sur les raisons de ce dernier : il ne s'agit pas d'inactivité, mais au contraire d'activité parfaitement réglée, contrôlée.

16. J'en viens  maintenant à ce panneau qui figure sur la porte d'une de nos pièces expérimentales, dans notre laboratoire : "que nul n'entre ici si sa tête est troublée". Ce panneau a été mis après qu'un de nos amis  -qui manipule généralement très bien- avait cassé une verrerie. Il n'y avait pas prêté attention, & avait continué son travail.  Mais quelques minutes plus tard,  il avait cassé ensuite une autre verrerie ! Là, nous avons tout arrêté et nous avons cherché les causes de ce comportement étonnant. A vrai dire, la  cause était évidente : il y avait des manifestations sous nos fenêtres, avec des cris, des batailles... Comment ne pas être troublé par tout cela ?

17. La suite de l'histoire est encore mieux : notre ami avait finalement décidé d'arrêter ses manipulations pour faire de la rédaction et du calcul... mais ce jour-là, tous ces calculs ont été faux.



18. Oui, véritablement, pour bien travailler, Il faut éviter que la tête soit troublée. Le peintre Shitao, dans un livre, explique que, pour faire des traits de pinceaux parfaits, il faut vider sa tête de tout, éviter les "poussières du monde".
Dans plusieurs billets précédents, j'ai discuté cette question, & notamment l'idée de la poussière du monde, que je ne crois moins donnée par le monde que produite par nous-mêmes.

19. De même, on voit bien comment nos expériences & nos calculs sont perturbées par une foule d'idées que nous avons dans la tête. Ce n'est pas le monde qui nous donne ces idées, mais nous-mêmes qui les avons, qui les laissons tourner & gêner nos activités.
Bien sûr, nous pouvons avoir des ennuis d'argent, de coeur, d'administration, ou même des questions de travail que nous ne parvenons pas à résoudre...  mais pourquoi ne pas poser tout cela de côté, le temps du travail ? Ou bien résoudre les choses au lieu de les laisser traîner, de procrastiner ? D'ailleurs, même des sentiments plus positifs nous empêchent  de nous focaliser complètement sur ce que nous faisons.

20. Se focaliser, oui, se focaliser, là est la clé des expérimentations & des travaux bien faits. Dans le silence le plus complet. D'expérience, c'est toujours un manque de focalisation qui cause les erreurs, de calcul, de manipulation, d'incompréhension...

19. D'où cette merveilleuse "méthode  du soliloque", que j'ai exposée par ailleurs.

dimanche 23 août 2020

De la tendreté dans les pâtés

0. Alors que les concours de pâté en croûte s'enchaînent, il est peut-être temps de discuter la question de leur tendreté, car, bien sûr, le foie gras apporte tout ce qu'il faut, mais il coûte cher, & il est un peu lancinant. Comment varier un peu ?

1. On commencera par observer que la farce des pâté en croûte contient de la chair, & que cette chair a cuit, ce qui nous conduit immédiatement à considérer la question de la cuisson à basse température, qui évite de faire des viandes sèches & dures. Là, c'est sur la température de cuisson qu'il faut jouer, & l'on doit tenir compte du fait que l'on cuit simultanément, au moins pour des recettes classiques, la pâte & la farce. Pour la pâte, il faut certainement attendre des températures élevées, plus que 150 degrés par exemple, mais il faut absolument éviter que la viande soit aussi portée à cette température, sans quoi on durcit l'intérieur, & l'on perd en tendreté.

2. Mais ce n'est pas tout  : les viandes contiennent de la matière grasse varié, & les charcutiers qui font des terrines savent bien qu'il faut une quantité notable de graisse de porc pour faire des terrines agréables, qui vont jusqu'à ces rillettes où la quantité de gras est si considérable qu'il y en a une couche par dessus.

3. On devra également tenir compte du fait que les viandes cuites longuement, à basse température, peuvent libérer de la gélatine au cours de la cuisson, pour faire des interstices gélifiés dans la chair. Et cette gelée sera tendre s'il y a assez de liquide avec la gélatine  : du vin ? du bouillon ? un alcool (cognac, armagnac...) ?

4. S'il faut donner de la tendreté, on n'oubliera pas non plus la mie de pain trempée dans du lait, ou, plus généralement, l'usage de l'amidon qui s'empèse & qui fait un empois, c'est-à-dire encore un gel.

5. Mais, puisque nous en sommes au gel, alors pensons gel ! Et là, toute une panoplie se présente : oeuf (jaune, blanc, jaune et blanc mélangés), oeuf dilué,  agar-agar, alginates, carraghénanes. Pour les gels, on n'oubliera pas de régler la teneur en eau comme l'on désire, mais pas au-dessus du seuil fatidique des 95 pour cent de liquide, sans quoi la gélification se fait pas.

6. D'ailleurs, "gels"... On n'oublie pas que les tissus végétaux ou animaux sont formellement des gels, susceptibles d'apporter de la jutosité ou de la tendreté. Les deux sensations ne sont pas analogues, comme je l'ai expliqué ici :
https://hervethis.blogspot.com/2019/01/les-deux-dimensions-de-la-cuisson-de-la.html
Et, à ce sujet, on se souvient que la salade contient 99 pour cent d'eau, et que la teneur en eau varie selon les chairs : pensons au foie de porc, par exemple. 

7. On n'oubliera pas non plus la physiologie, et ce fait que notre appareil gustatif repère les contrastes : on sent mieux le mou s'il est à côté du dur. Ce qui est intéressant, ce n'est pas d'avoir partout du moelleux. C'est d'ailleurs ce qui arrive avec le foie gras, qui vient souvent s'opposer à une chaire plus sèche. Bref, il faut  organiser la consistance, "structurer la tendreté et la dureté" et c'est notamment la raison pour laquelle certains pâtés en croûte où l'on voit une sorte de damier de différentes chairs sont intéressants. Gardons donc cette idée en sachant que l'on peut faire à l'intérieur d'un pâté comme un Rubik's Cube ou comme des couches successives empilés avec des épaisseurs que l'on peut varier.

8. Oui, même s'il y a des progrès récents,   on a souvent peu construit  classiquement, alors que c'est la clé du "beau à manger". Construisons, construisons...


samedi 22 août 2020

A propos d'oignons glacés

1. On m'interroge sur une recette d'oignons glacés, où, après avoir mis les oignons avec eau (à mi hauteur des oignons), beurre & sucre, le cuisinier couvre les oignons d'une feuille de papier sulfurisé, sans expliquer pourquoi.

2. Le papier sulfurisé agit comme un mauvais couvercle, qui laisse partir de la vapeur d'eau, mais moins qu'un couvercle, maintenant les oignons dans de la vapeur à 100 °C, de sorte qu'ils cuisent  de toutes parts pendant tout le temps que le papier sulfurisé est présent. Puis on retire le couvercle, afin que l'eau s'évapore et que la graisse & le sucre viennent enrober les oignons.

3. A noter tout d'abord que nous avons fait un séminaire de gastronomie moléculaire (en juin 2016) sur le thème analogue des navets glacés... en montrant notamment que ce que disent certains cuisiniers est faux : le glaçage n'entre pas dans les navets.







4. A noter aussi que le juriste Jean-Anthelme Brillat-Savarin, célèbre pour avoir popularisé le terme de gastronomie (la connaissance raisonnée à propos de l'alimentation humaine), a écrit des tas de choses fausses à ce propos : on consultera mon billet https://hervethis.blogspot.com/2017/12/les-epinards-absorbent-ils-le-beurre-non.html.

5. Et pour terminer : pourquoi s'ennuyer avec un papier sulfurisé, alors qu'un couvercle fait l'effet, associé à un bon réglage de la puissance de chauffage ? On n'est plus au Moyen-Âge, quand même ?

Soyons rationnels : déterminons l'objectif, puis choisissons les moyens techniques pour y arriver... en se souvenant que nous avons des fusées, des avions, des voitures, et que le char à bœufs est périmé !


vendredi 21 août 2020

À propos de merveilleux étudiants

1. Le ciel est bleu et il suffit de le regarder pour le voir ainsi. À propos des étudiants, pourquoi ne pas examiner les caractéristiques des "meilleurs" de nos jeunes amis ? C'est à la fois permettre aux autres de viser ce "bleu du ciel", &, pour moi, avoir le bonheur de souvenirs heureux.

2. Je me souviens d'un étudiant qui, quand les autres étaient partis, restait pour m'interroger sur les points scientifique qui le tracassaient. Jamais je n'ai eu des questions si difficile, de sorte que je devais travailler le soir, chez moi, pour être en mesure de lui répondre le lendemain matin... quand je le pouvais. Et, quand je ne le pouvais pas, j'avais le bonheur de lui dire que je ne savais pas répondre à sa question & qu'il y avait des pistes qu'il pouvait creuser par lui-même.
Quel bonheur !

3. Je me souviens d'un étudiant extrêmement ponctuel, rigoureux, attentif... Pas le meilleur de sa promotion, mais certainement en passe de le devenir : sa ponctualité n'avait d'égal que  sa régularité, le soin qu'il portait à son travail, son souci de bien faire les choses, du mieux qu'il pouvait, sans négligence.
Quel bonheur !

4. Très récemment, alors que j'ai envoyé une lecture à toute une promotion, il y a eu un  étudiant qui a répondu de façon extraordinairement détaillée, montrant sans prétention, simplement, qu'il avait bien lu le document, le commentant, posant des questions, proposant des réponses à des questions que je posais...
Évidemment, je lui ai répondu aussitôt, avec tout les autres en copie, afin qu'il serve d'exemple, & il a encore répondu, faisant état de nouvelles incompréhensions, donnant des arguments, posant de nouvelles questions...
Quel bonheur !

5. Je me souviens d'un étudiant qui, habitant pourtant loin, était le premier au laboratoire le matin & le dernier le soir. Celui-là était tout à fait remarquable, parce que non seulement il s'intéressait aux sciences, mais, de surcroît, il faisait du pain, du fromage, du yaourt, du miel, de la bière, du vin, du fromage...
Quel bonheur !

6. Je me souviens d'une étudiante qui semblait un peu "simple", parce qu'elle s'interrogeait sans cesse sur des points qui nous paraissaient être élémentaires, mais qui, en réalité, fixait ainsi ses idées de façon définitive, solide.
Quel bonheur !

7. Je me souviens d'un étudiant qui avait le chic pour mobiliser les connaissances qu'il avait eues auparavant. Et cela est essentiel, parce que, les études de chimie communiquant des "outils intellectuels", il était bien équipé... comme nous pouvions le voir. Il n'avait pas une grande "culture générale" scientifique, mais les bases pour explorer les questions qu'il se posait. J'oublie de dire qu'il était modeste, attentif et soigneux.
Quel bonheur !

8. Je me souviens d'une étudiante qui a commencé par tout ranger dans le laboratoire  :  à la fois le laboratoire lui-même, mais aussi les ordinateurs ! Elle entraînait les autres dans cette direction, & comme elle mettait le même enthousiasme dans ses apprentissages, il n'est pas étonnant qu'elle ait été une des meilleures de tous ceux qui sont venus depuis des décennies pour apprendre à mes côtés.
Quel bonheur !

9. Je me souviens d'un étudiant honnête : bien sûr, les autres l'étaient aussi, mais celui-ci avait une honnêteté intellectuelle très particulière, en ce sens qu'il ne cachait jamais ses ignorances au groupe ou à lui-même, &, au contraire qu'il se posait des questions, sur la base de ses ignorances avouées ; il osait s'afficher en retard sur le groupe de celles & ceux qui étaient avec lui, mais en réalité, il ne balayait pas la poussière sous le tapis. Non, au  contraire, il questionnait, questionnaire questionnaire & j'espère lui avoir montré que cette voie était la bonne, surtout quand on apprenait soi-même à répondre aux questions que l'on se posait.
Quel bonheur !

10. Je me souviens d'un étudiant, indien, qui savait apprendre pour se souvenir et non pas pour oublier, et cela fait évidemment toute la différence, parce qu'il se souvenait ! Il lui restait à apprendre, notamment de la méthodologie, mais sur un socle si solide que cela était facile.
Quel bonheur !

11. Je me souviens d'un étudiant, russe celui-là, qui avait des compétences mathématiques telles que le reste pouvait s'élaborer facilement.
Quel bonheur !

12. Évidemment, à côté de ceux-là, il y a tous les autres,  qui n'ont pas nécessairement démérité, mais qui n'avaient pas toujours ces caractéristiques extraordinaires, si extraordinaires que l'on voit clairement en quoi elles contribuent  à des formations réussies.  Souvent, il y a une question de focalisation, & c'est la raison pour laquelle je m'efforce tant de transmettre une passion brûlante à tous mes amis. Beaucoup arrivent déjà très intéressés, mais quand on parvient à porter cet intérêt à un niveau encore supérieur, alors c'est gagné.
Il y a , pour tous de toute façon, à montrer la beauté des choses  :  des gestes expérimentaux, des calculs, des acquis scientifiques, technologiques, techniques, artistiques, humanistes... du passé, des questions ouvertes pour le futur, des voies que l'on peut explorer...

S'émerveiller de tout ce qui est merveilleux : il s'agit d'une façon de vivre la science qui me semble essentielle, et en tout cas idiosyncratique.


jeudi 20 août 2020

Pas d'équation pour l'empesage de l'amidon



On m'interroge à propos de l'empesage de l'amidon, et l'on me demande quelle en est l' "équation chimique". La réponse est : puisqu'il n'y a pas de modifications moléculaire, il n'y a pas de modification chimique ; les produits sont identiques aux réactifs.
Expliquons

Considérons une pâte, telle une pâte à pain ou une pâte à tarte. Il y a principalement : des "polysaccharides", des protéines, de la matière grasse, de l'eau.

Les polysaccharides sont initialement dans des granules d'amidon, avec des couches concentriques faites de deux sortes de composés :
- des amyloses : polymères linéaires du glucose
- des amylopectines : polymères ramifiés du glucose
Ici, je ne stipule pas la forme du glucose, ni plein d'autres caractéristiques, parce que cela ne sera pas utile pour la discussion, mais si l'on voulait aller plus loin, on le pourrait largement.
Puis il y a des protéines, notamment ce que l'on nomme le "gluten", mais également bien d'autres sortes. Les protéines, on le sait, sont des polymères dont les monomères sont des résidus d'acides aminés. Et ces protéines ont pour nom gliadines, ou gluténines, par exemple.
La "matière grasse" : en réalité, on utilise souvent du beurre, lequel apporte jusqu'à 18 % d'eau, plus des protéines et d'autres composés (tel ce sucre élémentaire qu'est le lactose), et, enfin et surtout, des "triglycérides", composés faits d'un résidu de glycérol (un "manche de peigne") et de trois résidus d'acides gras. Il y a environ 400 sortes de résidus d'acides gras, d'où un très grand nombre de combinaisons, pour engendrer une foule de triglycérides différents, tous mêlés.

Quand on chauffe, que se passe-t-il ?

Initialement, les granules d'amidons sont secs, mais quand l'amidon est chauffé en présence d'eau, l'amylose s'en échappe, se dissolvant dans l'eau, tandis que les molécules d'eau s'insèrent entre les molécules d'amylopectines et font gonfler les granules d'amidon. Il est souvent dit que des températures supérieures à 80 °C sont nécessaires pour cela.

Pour les triglycérides, ces molécules sont assez résistances. Certes, elles s'oxydent dans les huiles chauffées, mais -dans les conditions culinaire- cela ne change guère le comportement physique des graisses.

L'eau ? Elle s'évapore en partie, d'autant plus que la cuisson est plus longue. Son évaporation se fait à toute température (même à la température ambiante), mais l'ébullition a lieu à 100 °C dans les conditions habituelles de pression (niveau de la mer), plus bas quand on va en altitude. Surtout, sa présence limite la température des pâtes cuites : dans les conditions de pression où la température d'ébullition de l'eau est de 72 °C, la température des pâtes ne dépasse pas 72 °C.

Les protéines : il y a en a plusieurs sortes, qui peuvent ou non coaguler selon leur composition moléculaire. Dans le lait, par exemple, certaines coagulent (la "peau"), et d'autres (les caséines) non, en tout cas quand on chauffe.

L'eau ? C'est de l'eau, qu'elle soit ou non chauffée.


La chimie de l'affaire ?

Pour les polymères, il peut y avoir des "hydrolyses", et il y en a d'ailleurs, comme on s'en aperçoit en utilisant de la liqueur de Fehling (bleue) ajoutée à de l'eau de cuisson des nouilles : après une longue cuisson, le changement de couleur, du bleu au rouge, indique l'apparition de glucose libre. Pour les protéines, aussi, il peut y avoir des hydrolyses, mais il faut savoir que l'attaque des protéines par des acides très vigoureux prend des journées. Et les chimistes ont un ordre de grandeur en tête : chaque diminution de 10 °C correspond à un doublement du temps de réaction.


Mais finalement, 72 °C ?

Evidemment la question a été étudiée, comme on s'en aperçoit en quelques clics sur Google Scholar, avec les bons mots clés. Et, par exemple, dans Olkku (1978), on lit que la température initiale de gélatinisation d'amidon de blé est de 58 °C, avec une fin de transition à 64 °C. L'hydrolyse, elle, est décrite par Goni et al. (1997), par exemple.
L'oxydation des lipides ? Elle est rapide à haute température, mais elle a lieu même à la température ambiante, quand il y a de la lumière : c'est le rancissement, qui dépend des conditions, et s'accroît notamment en présence de fer.
Bref, il faut y regarder de plus près.


Goni I, Garcia-Alonso A, Saura-Calixto F. 1997. A starch hydrolysis procedure to estimate glycemic index, Nutrition Research, 17(3), 427-437.

Olkku H. 1978. Gelatinisation of starch and wheat flour starch-a review, Fd. Chem. (3), 293-317.

Le paradoxe artistique

1. Dans mon livre intitulé "La cuisine c'est de l'amour de l'art de la technique",  je fais état du "paradoxe artistique de la Grèce antique" : l'art était (évidemment ?) porté aux nues par les Grecs, qui s'émerveillaient notamment que des dessins de grappes de raisins aient été si bien rendues que des oiseaux s'y faisaient prendre, mais ils récusaient l'art, parce que c'était un double éloignement du réel (je ne redonne pas toute la discussion qui est dans mon livre).



2. Là, aujourd'hui, la discussion est différente,  mais je retrouve un paradoxe : d'un côté, je m'émerveille que des artistes (même étymologie qu'artisan) puissent créer des choses aussi remarquables, aussi subtiles, aussi fines, aussi merveilleuses que les mélodies de Jean-Sébastien Bach, les peintures de Martin Schongauer, les textes de Gustave Flaubert...  ; de l'autre, je vois dans ce qui nous émeut un mouvement animal tel que celui qui fait dire "C'est beau" à des milliards d'humains qui observent un rond rouge (le soleil couchant) dans le ciel.

3. Cela me gêne, non pas d'être comme tous les humains, mais que ce "c'est beau" soit si analogue au "c'est bon" que l'on dit quand on mange du gras et du sucre : je ne peux m'empêcher de voir là un diktat de mon corps, au détriment de mon esprit. Et pourtant, je le répète, quel superbe travail que celui des plus grands artistes ! 

4. D'ailleurs, je ne suis pas méprisant de la composante animale de l'humain, puisque, de toute façon, elle est constitutive, mais comment ne pas être plus heureux qu'on puisse la maîtriser ! D'ailleurs, c'est bien cela que je reconnais aux grands artistes : cette capacité de recréer de la "beauté", que ceux qui la perçoivent soit manipulés ou non par leur composante animale.

5. Du côté de la réception, j'entends qu'il peut y avoir de la culture, et que, précisément, il ne soit pas inné d'aimer certaines perspectives, certains courants qui, précisément, échappent vers le haut à de l'art "primitif". Et il y a cette discussion à propos de sensiblerie et de sensibilité... mais je propose plutôt que l'on me parle de culture, du travail d'apprentissage de l'appréciation artistique. Aimer l'art ? Et si cela revenait à l'apprendre afin de le connaître ?

6. Dans le doute, je me réfugie dans ma passion pour les sciences, qui, elles, ne me semblent en rien "animales". A propos de mathématiques, par exemple, on parle de l' "honneur de l'esprit humain". A quoi servent-elles ? A quoi servent les sciences de la nature ? A obtenir un peu d'honneur, quand notre animalité nous tire vers l'animal. Et là, je n'y vois pas de paradoxe qui me mettrait en danger. M'aidera-t-on en me réfutant ?