mardi 28 août 2018

L'Académie d'agriculture de France ? Une institution essentielle pour notre pays !

Certains, qui ne regardent pas bien loin, ne voient dans les académies que des assemblées de vieux rassis, inactifs, dolents… Ils ont peut-être leurs raisons, mais je me demande si la première n'est pas une certaine paresse, la catégorisation hâtive étant un bon moyen de penser peu, d'éviter de se remettre en question. Cela dit, il y a tous les autres, plus ouverts, qui, me semble-t-il, méritent des explications.

Si l'Académie d'agriculture existe, sous la protection du président de la république, c'est bien que la collectivité nationale l'a missionnée pour un rôle national important, pour une utilisé sociale et politique très particulière. Notamment les académiciens sont des personnalités très sélectionnées pour leur engagement en faveur du public, et qui ont accepté la responsabilité de travailler en vue d'éclairer les débats publics.
On sait que l'on ne peut guère faire confiance à la presse ou au politique, non pas que tel journaliste ou tel homme politique soit critiquable en particulier (il y a sans doute la même proportion de gens bien que dans les autres groupes humains), mais surtout qu'une certaine cacophonie règne, laissant les citoyens bien désemparés.
C'est notamment le cas à propos de l'alimentation, et, ces derniers temps, on a vu un grand nombre de revues reprendre dans la hâte, dans la précipitation, dans la … presse, des informations relatives à un article excessivement médiocre sur la consommation d'alcool et les risques qu'elle ferait courir ; on aurait attendu quelques jours que l'on aurait eu cette analyse statistique bien sentie que l'article ne valait pas tripette, et qu'il y avait lieu de s'interroger sur les raisons pour lesquelles les auteurs l'avaient publié.
En tout cas, pour les consommateurs d'alcool modérés, il n'y a pas lieu de s'inquiéter, comme le laissait penser cette presse hâtive que j'ai dénoncée précédemment. Pour le politique, certains ont des comportements du même type que cette presse dénoncée, à savoir qu'ils utilisent des informations gauchies pour arriver à des fins idéologiques.

L’académie d'agriculture de France est là pour donner une voie raisonnable, raisonnée, argumentée. Elle est là pour rappeler des faits, parce qu'elle est constituée de personnalités qui travaillent à bien connaître ces derniers. Elle est là pour donner des informations fiables aux citoyens, afin que ces derniers ne soient pas les girouettes des démagogues.
Elle est là non pas seulement pour les citoyens individuels, mais aussi pour les groupes, que sont les industries, les agences nationales…  L’Académie d'agriculture s'auto-saisit, et, contrairement à ce corps important et utile également qu'est le CGAAER, elle n'est pas là pour répondre à la commande du ministre de l'agriculture. Elle est là pour la prospective, identifiant les questions de société, les questions politiques, les questions techniques qui vont se poser. Par exemple : le froid est-il durable ? L'Académie a organisé une séance publique pour en discuter ; en discuter du fond, sans arrière pensée corporatiste.

Bref, l’Académie d'agriculture a une fonction très essentielle, reconnue depuis longtemps par le roi, quand il s'agissait de la Société royale d'agriculture, puis par l'état depuis la révolution.
Et elle marche activement dans le chemin qui lui est dévolu !

lundi 27 août 2018

A propos de pédagogie inversée… ou pas




Dans un billet précédent, je parlais de pédagogie inversée, que je citais comme un des exemples du fait que l' « enseignement » a changé. Il faudra discuter les termes de cette phrase, mais, auparavant, j'en reviens au fait : à signaler qu'un ami internaute, à l'expression « pédagogie inversée », commente  « Pas vous ! », en 'assortissant toutefois cette remarque d'éloges. Il y a lieu de lui répondre ici.



Commençons par cette question terminologique que j'ai vaguement esquissée, en utilisant notamment le mot « enseignement », un terme auquel fait écho le mot « pédagogie ». Ce mot-là ne me convient pas quand il s'agit d'études supérieures, parce que la pédagogie concerne les enfants ; or nos étudiants sont souvent majeurs, et ce ne sont plus des enfants. Enseignement ? Le mot ne me convient pas non plus, car il fait l'hypothèse que l'on peut enseigner, et le mot « instruire » qu'il fait également l’hypothèse que l'on peut transmettre quelque chose à quelqu'un. Je crois cela bien impossible, et je crois surtout à la vertu des « études », avec des « étudiants » qui se procurent leur propre savoir ; pour comprendre quelque chose, pour l'apprendre, il ne peut y avoir autrui, qui vous l'apprend ou vous le fait comprendre, mais un travail, un effort personnel, qui, seul, permet l'apprentissage ou la compréhension. Aristophane disait bien que, dans ces relations particulières, le professeur n'est pas en train d'emplir des cruches. Et la question terminologique est terrible, parce que si le mot « étude » me convient bien, je ne sais pas nommer en français le travail d'accompagnement que font les professeurs. Certes, ils professent, ils « parlent devant ». Professorat ? J'ai peur de mettre cet acte-là avant l'étude, ou, plutôt, non, je n'ai pas peur mais je récuse absolument l'idée qu'il y ait un professeur, un maître, un tuteur… avant l'étudiant. Dans le mot « étude », il y a les études en toute première place, et cela me convient. Et c'est ainsi que j'accepte bien volontiers de parler d'études élémentaires, d'études supérieures…



Mais revenons à la « pédagogie inversée » en oubliant cette histoire d'enfants qui figure dans l’étymologie du mot. Il y a des débats didactiques sans fin à propos des rénovations de l' « enseignement » (on devrait dire « des études »), et je sais parfaitement que la terminologie « pédagogie inversée » correspond à un type particulier d'activités qui est peut-être même breveté, comme l'a été il y a quelques années la « culinologie » : il y en a toujours qui cherchent à faire de l'argent. Mais comme je ne vends rien et que je refuse l'appropriation indue de terminologie, je vais continuer ici de parler de « pédagogie inversée » en prenant une acception un peu large qui n'entre pas dans les détails… pédagogiques. En réalité, je me moque de la pédagogie inversée, et mon discours tient tout entier dans cette idée que je mets au centre des études : l'étudiant, son activité de compréhension, d'apprentissage de savoirs, d'acquisitions de compétences, de travaux en vue d'obtenir de nouveaux « savoir-être ».

Avec ce mot « études », pas besoin d'aller très loin dans la didactique jargonnante : il suffit de penser que les étudiants sont au centre du dispositifs et que nous sommes à leur service pour les aider à obtenir connaissances, compétentes, savoir-être… Je rappelle que, naguère, mes « cours » étaient des exercices d'enthousiasme partagé où l'on discutait la question des informations (sans beaucoup d'intérêt puisqu'elles sont en ligne), des notions et concepts (qui sont des joyaux forgés par nos prédécesseurs les plus admirables), les méthodes, qui sont essentielles, les valeurs (qui sont une des principales raison d'être des professeurs) et, enfin, des anecdotes, qui font la vie plus douce, plus souriante. Rien de tout cela ne servait directement à « enseigner », mais ce professorat (au sens littéral de « parler devant ») avait pour principal objectif de donner à nos amis étudiants le goût, l'envie, l'énergie d'étudier.

On voit que mes amis internautes peuvent être rassurés : je ne verse pas dans les vétilles, mais, au contraire, je reste très proche des noyaux durs de cette activité qui revient entièrement aux étudiants : étudier !

dimanche 26 août 2018

Cessons de parler d'enseignant-chercheur; parlons de professeur-chercheur

Enseignant ? Avant d'analyser la fonction, parlons du mot... qui est abominable ; et, le pire, c'est qu'on ne s'en aperçoit presque plus. Pourtant, prononçons "apprenant" ou "sachant", et l'on comprend bien qu'il faut s'indigner face aux mots "enseignant" ou "enseignant-chercheur". Comment est-on venu à supporter le mot "enseignant" ? Comment a-t-on oublié la juste indignation de cet écrivain français, qui, il y a seulement quelques décennies, dénonçait avec justesse les trois maux de la langue française : le pullulement des adverbes, les excès de passif et l'inflation du participe présent ? Je crains que la Pesante Administration n'ait hélas sévi, écrasant l'élégance en même temps que la pensée.
Car la pensée va de pair avec la langue, comme le disaient justement Condillac ou Lavoisier, qui citait le premier : "Nous ne pensons qu'avec le secours des mots. L'art de raisonner se réduit à une langue bien faite ", disait Condillac ; "Comme ce sont les mots qui conservent les idées, et qui les transmettent, il en résulte qu'on ne peut perfectionner les langues sans perfectionner la science, ni la science sans le langage", ajoutait Lavoisier.
Voilà pour la forme, mais le fond est plus grave. Par définition, un "enseignant" (décidément, le mot m'arrache la plume) enseigne. Enseigne ? Je ne discute pas ici l'étymologie du mot, mais j'observe seulement qu'il s'agit de faire connaître un savoir, de le transmettre. Comme si cela était possible ! Je déteste en réalité cette idée d'un étudiant qui serait une oie que l'on gave, au gré de... l'enseignant, et j'ai assez discuté le fait qu'enseigner est bien impossible, alors que la question est l'étude, pas l'enseignement. Notre siècle, par chance, commence à comprendre cela, avec des tas de dispositifs de style "classe inversée", par exemple.
Et cela est bon, car si l'on jette aux horties cette idée d'enseignement au profit des idées d'études, nous sommes sur la bonne voie. Il restera à nommer différemment les personnes qui aident les étudiants à apprendre : pourquoi pas "tuteurs" ou "professeurs" ? En tout cas, pour trouver le bon mot, nous serons enfin mis devant la tâche de bien analyser cette fonction qui consister nos étudiants à se constituer du savoir, des compétences, des savoir-être... Et cela est bon.

samedi 25 août 2018

Quelle direction donner à la recherche d'AgroParisTech ?

Quelle recherche notre bel Institut des sciences et technologies du vivant et de l'environnement peut-il avoir l'ambition d'encourager, de promouvoir, de montrer au monde ? Pour une école d'ingénieur, la preuve est dans le gâteau, comme disent nos amis anglais, à savoir que la recherche scientifique et technologique montre mieux sa pertinence quand elle est le socle de réalisations industrielles :  n'est-il pas souhaitable d’orienter les recherches de façon à favoriser ce type de succès industriels ?

Évidemment ce serait une naïveté inconcevable que de prétendre connaître les moyens de promouvoir le développement d'une bonne recherche scientifique et technologique, mais il semble raisonnable de penser que la question du recrutement des personnels de recherche est essentielle : on peut imaginer que les succès passés soient une indication de succès futurs, de sorte que l'on serait tenté de  voler au secours du succès, afin d'en profiter. Ce n'est bien sûr pas une attitude suffisante, car on n'oubliera pas que certains individus éclosent de façon inopinée, posant les bases de théories fécondes, de développements fructueux. Qui aurait jamais pensé qu'un obscur ingénieur de l'office des brevets, en Suisse, serait à l'origine de la théorie de la relativité, de l'effet photoélectrique, etc. ? Qui aurait pensé qu'après quatre ans d'isolement, chez lui, sans venir au laboratoire, un mathématicien sans titre de gloire exagéré parviendrait à démontrer la conjecture de Fermat, pour la transformer en théorème de Wiles ? Qui aurait imaginé qu'un mathématicien de plus de soixante ans - Roger Apéry- produirait un résultat d'une importance si grande qu'on donnerait son nom à une constante, alors qu'il est largement dit que l'on ne produit de mathématiques que jeune ?

A défaut d’avoir des certitudes sur les conditions de développement scientifique, on peut au moins s'assurer que les scientifiques auront un environnement propice, stimulant. Cela passe des moyens qu'on leur donne ; cela passe par la réduction de la charge administrative qui pèse sur eux ; cela passe par une animation scientifique aussi énergique et efficace (pas de réunionnite) que possible ; cela passe par de nombreux contacts entre les scientifiques, des échanges d'idées, beaucoup d'encouragement, et certainement pas de coercition.

A ce dernier propos, je ne veux pas dire par là que les scientifiques ne doivent pas être encadrés ou évalués, mais je propose de faire savoir que la dose est déjà considérable... et que tout ce temps d'évaluation est pris sur le temps de recherche. Et l'on se souviendra en souriant de la nouvelle rédigée par le physicien Leo Szilard, où il est raconté avec humour que les scientifiques sont des gens dangereux (puisqu'ils ont fait la bombe atomique) et qu'il faut trouver des moyens de limiter leur activité : avec des évaluations et des appels d’offres,  les meilleurs perdent leur temps dans les jurys, et les autres sont occupés à préparer les dossiers.
Plus positivement, je crois à des  évaluations  bienveillantes, et, surtout, qui considèrent en profondeur les contenus et non les formes.  De bons évaluateurs doivent poser des questions de fond pour s'assurer que ces questions ont été considérées lors des décisions stratégiques des équipes de recherche. Il ne s'agit pas de noter, mais d'interroger et de dialoguer, en vue d'une meilleure définition stratégique des recherches, et, par là, de leur meilleure mise en œuvre. Il doit y avoir un dialogue, et ce dialogue doit être profond.

Mais revenons aux types de recherches effectuées par AgroParisTech. Si  l’institut, pour sa partie d'enseignement, est bien défini, alors s’impose de montrer aux étudiants les notions les plus modernes de notre temps à propos des sujets qui ont été retenus : il y a donc lieu de favoriser les recherches à ce propos, afin que les enseignants chercheurs soient à l'avant du mouvement. Les champs de recherche ? Dans un billet précédente, j'ai évoqué de la biologie moléculaire, de l'analyse de systèmes complexes, de la chimie et de la physique...
Et je maintiens la différence entre science et technologie, qui ne cherche pas à mettre l'un plus haut que l'autre ou l'autre plus haut que l'un, mais qui permet de bien distinguer les types de travaux recevables. Tout d'abord, il me semble important de bien distinguer les deux activités, tant il est vrai que c'est par une claire distinction que l'on pourra distinguer des stratégies pertinentes. Ce n'est pas faire de la philosophie à la petite semaine que de discuter ces questions, mais c'est au contraire une discussion parfaitement pratique que je propose. Et cela conduit à s'interroger : dans une école d'ingénieur, n'est-il pas recevable de produire des travaux scientifiques qui seront la base de développements technologiques utiles ?  Ne doit-on pas, aussi, encourager des travaux technologiques, qui pourront ensuite faire l'objet de la création de start-up, par exemple ?

J'espère vivement que le collègues répondront à ma question : quelles sont les sciences et technologies de base qu'AgroParisTech doit encourager ?

vendredi 24 août 2018

Quelle ambition pour AgroParisTech ?

Alors que l'AgroParisTech s'agite à propos du déménagement de certaines de ses composantes vers Saclay, du regroupement de certains laboratoires, de demandes ministérielles d'accueillir plus d'étudiants, alors que la rentrée des étudiants approche, il n'est pas interdit de penser que les questions de forme ne valent pas les questions de contenu, et, quand je lève le nez de ma paillasse de chimiste (façon de parler : je suis sans cesse en train de calculer ou de rédiger), je me souviens que les deux question essentielles pour une école d'ingénieur sont les suivantes : (1) quel enseignement dispense-t-on ? (2) quelle recherche scientifique et technologique fait-on ? Comment suis-je à ma place ou pas dans cette école ? Ma présence est-elle légitime ? Bien sûr, cette question ne m'est pas réservée : elle se pose à toute personne qui contribue à faire progresser ce superbe "Institut des sciences et industries du vivant et de l'environnement", qui  a résulté de la fusion de plusieurs écoles, avec des objectifs communs et des spécificités.

Pour une école d'ingénieurs telle qu'AgroParisTech, il y a des études (je me refuse, on le sait, à parler d'enseignement) et de la recherche. Et comme nous sommes dans une école d'ingénieur, cette recherche peut légitimement être scientifique ou technologique. Il y a là deux piliers, qui font l'école, et j'ai l'impression que tout le reste est accessoire. Pour mieux faire ma mission, je me propose, jour après jour, de réfléchir publiquement à ces questions, dans l'espoir que mes réflexions susciteront de fructueuses discussions amicales : la construction du savoir, la transmission...  Cela ne fait-il pas un enthousiasmant projet ?

Commençons par la question de l'enseignement. AgroParisTech se nomme en réalité « Institut des sciences et industries du vivant et de l'ennvironnement ». Certes, j'aurais préféré « Institut des sciences et technologies du vivant et de l'environnement », mais c'est un détail, et il y a surtout lieu de s'interroger sur les compétences que les ingénieurs (AgroParisTech est une école d'ingénieurs!) doivent avoir dans ces champs du vivant et de l'environnement, ce qui se dit autrement : alimentation, agronomie, environnement.
Ces compétences que nos élèves doivent obtenir, lors de leur passage dans l'école, doivent être modernes, et  si, effectivement, des connaissances classiques du vivant méritent d'être connues (faunes, flore, micro-organismes…),  par exemple, ce ne sont sans doute pas elles qui conduiront principalement vers l'innovation industrielle, si importante pour notre pays... comme on l'observe à l'envi.
D'autre part, j'ai une fâcheuse tendance à penser que la question de l'alimentation est centrale : s'il y a de l'agriculture, c'est parce que l'on doit produire des ingrédients ; et l'agriculture et l'élevage posent des questions d'environenement. Bien sûr, je n'oublie pas les valorisations non alimentaires de l'agriculture (le bois des forêts, la production de biocarburants, la chimie verte...) ni les questions non alimentaires de l'environnement, mais je vois quand même que, depuis sa création, l'Institut d'agronomie qui est devenu à ce jour AgroParisTech s'est toujours préoccupé d'alimentation, du point de vue de l'enseignement et du point de vue de la recherche.
Plus généralement, je nous vois une mission de former  des ingénieurs bien équipés pour gérer les problèmes de leur temps. Les solutions qui peuvent être apportées, soit en termes de science, soit en termes de technologie, sont toujours des solutions qui reposent sur les avancées les plus récentes des sciences. Or je me souviens d'une conclusion que j'avais publiée il y a plusieurs années : pour former des ingénieurs, j'ai  proposé que nous les rendions capables de  (1) chercher l'information scientifique la plus récente et la plus pertinente, puis (2) de conmprendre à fond ces avancées, (3) avant de les transférer soit dans l'industrie, soit dans la science. Bien sûr nos élèves ingénieurs devront recevoir des notions d'éthique, d'économie, de gestion, d'administration, etc. sans oublier qu'ils devront maîtiriser des langues (anglais, chinois, espagnol…). Mais le fond demeure : il faut des connaissances scientifiques solides, à jour.

Se pose donc une question de méthode : comment rendre nos élèves capables au mieux d'assurer ces trois tâches de recherche de l'information, de sélection de cette information et de transfert scientifique ou technologique ? Et se pose en corollaire une question d'identification des champs scientifiques modernes.
En matière de biologie, il est devenu certain que les avancées sont de nature « moléculaire ». En nutrition, par exemple,  la révolution du microbiote est venue du séquencage génétique. En matière de technologies du vivant, les techniques de découpe précise de l'ADN ont fait une révolution, aussi bien dans le domaine animal que dans le domaine végétal. Dans tous les champs, on observe que la biologie, qui donc est devenue moléculaire, s'est rapprochée de la chimie et de la physique. Mais pas de la chimie ou de la physique du 19e siècle,  non ! De la chimie et de la physique modernes.
Que sont ces dernières ? En physique, la question de la matière molle a été une vague de fond qui n'est pas éteinte. En chimie, la mécanique quantique et le numérique se sont imposés, au point qu'IBM propose depuis quelques jours un site gratuit où chacun peut tester des réactions chimiques in silico : on est loin de cette méthode chimique du « lasso » que j'ai subie au début de mes études et qui  consistait à entourer un atome d'oxygène et deux atomes d'hydrogène  dans des molécules voisines, afin de prévoir (en se trompant généralement) la production d'une molécule d'eau et la condensation des molécules privées de ces atomes partis sous la forme d'eau. Non, l'ordinateur a considérablement modifié les choses, dans tous ces champs. Se sont imposées des modélisations, de la dynamique moléculaire, des calculs orbitalaires...
On observera aussi que, dans  beaucoup de travaux effectués dans les champs qui concernent notre école, l'analyse chimique est prépondérante, ce qui nous fait retrouver une vision proposée par Charles Adolphe Würtz, un des créateurs d'AgroParisTech : ce dernier avait bien compris que la chimie était la question essentielle de l'agronomie, à son époque où les engrais étaient le nerf de la guerre. Aujourd'hui, alors que l'on cherche à réduire les intrants pour des questions de durabilité et d'environnement, il y a lieu de sélectionner des plantes capables de produire des aliments qui consomment le moins d'eau possible, qui supportent le réchauffement climatique, qui ont besoin de peu  d'engrais, qui résistent aux agresseurs sans imposer l'emploi de trop de pesticides… Mais il ne faut pas non plus tomber dans de l'écologisme naïf : il y a également lieu de chercher des méthodes modernes de lutte chimique, par exemple, avec des pesticides aussi sélectifs que possible, sans oublier les méthodes de biocontrôle, par exemple… ce qui impose encore la bonne connaissance des réseaux hormonaux, par exemple.

Bref, il faut des connaissances fondamentales solides, à partir desquelles nos élèves bâtiront leur socle unique… et utile à la collectivité.

jeudi 23 août 2018

Quelle chance ! Quelle responsabilité !

A la réflexion, il est très enthousiasmant de travailler dans une école comme AgroParisTech et cela pour deux raisons principales. Premièrement il y a une responsabilité essentielle à y faire de la recherche, et, deuxièmement, il y a tous les étudiants, et la possibilité de contribuer à les aider à développer des compétences utiles pour nos collectivités.
J'ai énoncé les deux activités dans l'ordre précédent parce que je suis payé par l'Inra pour être chercheur, et non d'abord professeur-chercheur (on observe que je m'interdis de parler d' "enseignant-chercheur", comme je le dirai dans un billet suivant), ce qui serait le cas si j'étais payé par AgroParisTech. Toutefois je ne mets pas une activité au dessus de l'autre, et c'est seulement l'énonciation qui m'impose un ordre.
Faire une recherche dans ce cadre particulier ? On pourrait observer que ma recherche scientifique n'a pas dévié depuis le temps où je la faisais dans mon laboratoire à la maison, pas plus qu'elle n'avait changé quand mon laboratoire était venu au Collège de France. Je fais ce que je dois, c'est-à-dire de la recherche scientifique de qualité dans ce champ de la gastronomie moléculaire qui est très essentiel pour nos collectivités. Mais il y a une logique certaine à ce que ma recherche soit précisément dans le cadre d'AgroParisTech, et rétrospectivement je remercie ceux qui m'ont conduit ici, puisque c'est sans doute l'endroit où je suis le plus à ma place.
En effet, AgroParisTech étant un institut des sciences et industries du vivant et de l'environnement, l'alimentation est un des trois champs essentiels de l'école (comme pour l'Académie d'agriculture de France), de sorte que je ne pense pas avoir à gauchir ma recherche pour mieux l'inscrire dans le cadre général des recherches de l'école, et, au contraire, je crois tout à fait bon qu'AgroParisTech affiche des travaux de gastronomie moléculaire.
Bien sûr, je ne suis pas en train de dire que la recherche à AgroParisTech doive se résumer à la gastronomie moléculaire, car nous devons former aussi des ingénieurs pour l'industrie alimentaire, ce qui passe notamment par une connaissance des procédés industriels, de la nutrition, etc. Toutefois je maintiens que la science est un socle indispensable au développement de la technologie, et la gastronomie moléculaire, à ce titre, trouve absolument sa place, comme elle trouve sa place dans le master européen «Food innovation and product design » (FIPDES), où nos étudiants ont des cours de théorie de la chaleur, de génie génétique, de sciences de la consommation, d'emballage, de statistiques et de mathématiques…
Tout cela concerne l'alimentation, alors qu'AgroParisTech a un intérêt plus large, avec de l'agronomie, des préoccupations d'environnement… Je fais confiance à mes collègues de ces champs-là pour bien identifier les recherches particulières qui permettent d'élaborer des enseignements modernes, lesquels feront un socle pour les développements scientifiques et technologiques de nos étudiants.
Car je rappelle quand même ma métaphore de la montagne du savoir. Quand la science moderne a été créée, disons pour simplifier par Galilée à la fin du 16e siècle, le savoir scientifique s'est enrichi d'une couche : l'inertie, la mécanique… Puis Newton a contribué à déposer une couche supplémentaire, avec la gravitation universelle, et la mécanique s'est développée davantage, tandis que la chimie commençait à se constituer, avec la chimie pneumatique, la découverte d'éléments tels que le phosphore... Puis, au siècle suivant, des couches supplémentaires se sont ajoutées, et ainsi de suite jusqu'à aujourd'hui.
Pour faire progresser les sciences, d'une part, nos étudiants doivent connaître les idées et concepts anciens quand ils sont justes, pour en trouver des prolongements. Ils ont donc à gravir cette montagne pour atteindre le sommet, afin, de là, de faire croître la montagne. Et les professeurs ont le devoir de les aider à ne pas perdre de temps avec toutes les idées erronées du passé. Mais le fait reste : c'est à partir des idées actuelles, les plus modernes, que nos étudiants pourront trouver ds prolongements, ce qui impose que les études que nous leurs proposons fassent état des théories les plus actuelles.
D'autre part, en matière de technologie, j'ai l'impression qu'il n'est pas faux de proposer que l'innovation se fonde sur les résultats les plus modernes des sciences, car les innovateurs du passé ont déjà largement utilisé les idées plus anciennes. De sorte que, là encore, nos étudiants doivent recevoir le savoir le plus moderne. Et cela justifie que les professeurs-chercheurs fassent de la recherche, afin de bien connaître, en profondeur, ce savoir moderne, en vue d'en faciliter la transmission. On observe que je n'ai pas écrit « en vue de l'enseigner », et je renvoie vers des billets précédents pour expliquer pourquoi je partage les avis d'Albert Einstein et de Feynman, qui n'étaient pas les premiers imbéciles venus.
Du premier, je retiens notamment : "Je n’enseigne rien à mes élèves, j’essaie seulement de créer des conditions dans lesquelles ils peuvent apprendre ".
Et du second : " The question, of course, is how well this experiment has succeeded. My own point of view which however does not seem to be shared by most of the people who worked with the students- is pessimistic. I don't think I did very well by the students. When I look at the way the majority of the students handled the problems on the examinations, I think that the system is a failure. Of course, my friends point out to me that there were one or two dozens of students who -very surprisingly- understood almost everything in all of the lectures, and who were very active in working with the material and worrying about the many points in an excited and interested way. These people have now, I believe, a first-rate background in physics and they are, after all, the ones that I was trying to get at. But then, "The power of instruction is seldom of much efficacy except in those happy dispositions where it is almost superfluous." (Gibbons).".
Je reviens donc maintenant sur la question de la responsabilité que j'ai évoquée initialement : on voit que cette responsabilité s'accompagne du devoir très clair de produire et d'aider à transmettre les connaissances scientifiques les plus modernes, les plus avancées.
Il y a d'autres responsabilités aussi, et la première est que nous devons être des inspirateurs, et non des étouffoirs. L'enthousiasme étant exemplaire, nous avons l'obligation de faire nos travaux de recherche et d'organiser les études dans le plus grand des enthousiasmes. On aurait pu ajouter : « que nous soyons nous-mêmes enthousiastes ou pas », mais cela n'est pas nécessaire, car comment ne pas s'enthousiasmer des résultats scientifiques modernes ? Comment ne pas être enthousiaste à l'idée que les étudiants puissent découvrir des idées superbes ? Des idées scientifiques modernes : j'en prends une, à savoir la découverte du graphène, cette couche monoatomique d'atomes de carbone organisés en nid d'abeille et que l'on produit en tirant sur un morceau de scotch qui a été initialement posé sur du graphite. Rien que le procédé est extraordinaire, mais, de surcroît, on obtient ainsi un matériau supraconducteur, c'est-à-dire où le courant électrique circule sans atténuation ! Quant aux études, j'aime l’exemple du calcul tout simple d'une expression comme x1 y2 - x2 y1, dont un peu de culture scientifique permet de voir qu'il s'agit du déterminant d'une matrice, donc d'une caractérisation d'une transformation géométrique, par exemple : les études qui permettent ainsi de voir derrière la banalité d'une expression mathématique sont quelque chose de merveilleux, d'enthousiasmant !
Quel belle école nous avons !

mercredi 22 août 2018

Les scientifiques publieraient trop ? (suite)

J'avais prévu une suite à mon billet précédent, à propos de la publication possiblement (selon des interlocuteurs) excessive des scientifiques... et je reçois un amical commentaire qui me conduit à modifier le texte que j'avais prévu.

Voici donc ce que m'envoie un ami internaute :
"De ce que je lis souvent, il est quand même considéré comme problématique la pression à la publication, le "publish or perish". Cela aboutirait à des publications de qualité médiocre, aboutissant à plus de "bruits" qu'autre chose, voir à des publications plus médiatiques que scientifiques (Séralini and co). De plus, c'est souvent une pression à la publication de résultats positifs, les négatifs (qui sont utiles pour connaître une voie qui mène à un échec) passant souvent à la trappe. Qu'en pensez-vous ?"
 

Oui, mille fois oui ! Il n'était pas dans mon idée d'avoir la naïveté de certains "mesureurs d'activités scientifique" à qui l'on doit des publications excessives et médiocres. Oui, il me semble inapproprié (terme politiquement correct) d'imposer aux doctorants un certain nombre de publications pour la fin de leur thèse, ou aux scientifiques un certain nombre de publications par année. D'ailleurs, l'Académie des sciences a très justement pointé cette question, et l'on ne cesse, ces temps-ci, de voir débouler des articles qui font état des dégâts du "facteur d'impact", que certains tordent à leur avantage en publiant trop et  mal. D'ailleurs, j'avais moi-même fait plusieurs billets à propos de ces questions, et notamment https://hervethis.blogspot.com/2018/07/a-propos-de-revues-predatrices.html.

Mais quand même, avec intelligence, nous devons publier nos résultats... en nous interrogeant de surcroît sur les nouvelles formes de publication permises par l'internet.
Ainsi, dans le temps, on a alterné entre de gros articles, ou au contraire de petits textes bien ciblés. Il va de soi que l'on ne fait pas un gros et bon article par an, parce que cela signifierait que l'on a produit un gros travail théorique dans l'année : les meilleurs (Einstein, Faraday, etc.) sont des hommes ou des femmes de deux ou trois idées dans une vie, et cela est déjà bien, si les résultats sont importants. Mais inversement, on ne peut plus supporter une dispersion de trop nombreux petits articles par trop de chercheurs. La vraie question est donc de réinventer la publication scientifique... Et, quand même, on n'enlèvera pas le bon principe qu'une idée dans un tiroir n'est pas une idée : nous devons publier les résultats de nos travaux !