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jeudi 30 août 2018

L'enseignement culinaire ?

Je viens de publier, dans un  billet terminologique,  une citation de Jules Gouffé qui explique qu'il ne devrait pas y avoir de terminologie culinaire spécifique et que les mêmes mots devrait apparaître dans le dictionnaire de cuisine et dans le dictionnaire commun. Derrière cette observation, il y a la question de savoir si la cuisine professionnelle doit différer de la cuisine domestique, ce qui justifierait que quiconque veut ouvrir un restaurant doive avoir au minimum un CAP. 

Oui, en quoi un cuisinier professionnel diffère-t-il d'un cuisinier à la maison ?
Il y a d'abord la question commerciale, qui ne se pose pas, dans les foyers. Mais répondre à cette question suppose que la question technique, la question de la production, soit déjà résolue. Les techniques sont simples, même s'il y a encore beaucoup de progrès à faire... parce que les matériels n'ont pas encore assez évolué : on en reste à des casseroles, comme au Moyen-Âge ! Et les siphons ou autres sont d'apparition récente, et quand même pas d'un maniement particulier ; les fours professionnels ne sont guère mieux que les fours domestiques, et les couteaux sont dans les deux types d'endroits.
L'hygiène, avec la fameuse méthode HACCP ? Je ne vois pas pourquoi, dans un restaurant, on ferait diféremment d'à la maison :  si l'on suppose que les professionnels ne doivent pas empoisonner leurs clients, on doit évidemment considérer aussi que, à la maison, on doit servir des mets sains !
Ce qui nous conduit à nous interroger : n'est-il pas étonnant que l'Ecole ne forme pas à ces précautions d'hygiène ? Jadis, il y avait des cours de cuisine, où cela était considéré, mais ces activités on été remplacées par du plus moderne :  de la technologie... car il est exact qu'à la maison, on a besoin de cuisiner, mais  également de changer une ampoule, des plombs, d'enfoncer des vis dans les murs, etc.
Cela dit, au 21e siècle, il y a  Internet : il y a en ligne mille vidéos qui expliquent tout cela sans que l'on encombre les programmes avec ces matières ;  la question du choix des matières enseignées à l'école est entièrement renouvelé.

D'ailleurs, à la réflexion, il semble avoir judicieux, au début des années 2000, quand nous avons introduit dans les écoles les Ateliers expérimentaux du goût (http://www2.agroparistech.fr/Les-Ateliers-experimentaux-du-gout.html), de raccrocher la cuisine aux arts, notamment afin de leur donner un statut qu'elle n'avait pas suffisamment, mais aussi aux sciences, tant il est vrai que la technique a toujours été une mine de phénomènes qui ont permis le développement des sciences. Il n'est pas anodin que la métallurgie, la conception de bougies, où la cuisine aient été nommés naguère des "arts chimiques".

Mes revenons à la question savoir si les techniques culinaires professionnelles ou non, différent de la technique culinaire domestique.
Pour répondre, finalement, il y a sans doute lieu de considérer que la cuisine à trois composantes : sociale, artistique et technique. La technique est simple, à ce jour, mais la question artistique, trop négligée, s'impose absolument : en ces temps d'égalitarisme naïf (je veux dire "bête"), il faut dire énergiquement, sans démagogie,  que n'importe quel peintre de dimanche ne sera jamais Rembrandt, que n'importe quel violoncelliste amateur ne sera pas Paul Tortelier, qu'un sculpteur du dimanche ne sera pas Rodin, qu'un amateur de mots qui ne passe pas dix heures par jour, chaque jour, sur sa page, ne sera jamais Rabelais ou Flaubert. L'art culinaire, comme les autres arts, est le fruit de soins attentifs, d'une longue pratique. Au Conservatoire de musique, par exemple, on distingue bien des "niveaux", en mettant des barres à 4000 heures, par exemple, ou à 8000. Comptons réalistement combien nous en avons fait !

Mais je reviens à notre système national d'études culinaires, et je dois observer qu'il est conçu pour des étudiants bien différents. On doit imaginer qu'il y a, pour les divers groupes, des niveaux différents pour la partie technique, pour la partie artistique, pour la partie sociale. Le CAP correspond à un niveau élémentaire, où il faut  donner les connaissances générales en plus des connaissances techniques élémentaires : on ne doit pas former de la chair à canon, de l'ouvrier à patron, mais contribuer à ce que les élèves obtiennent un  faisceau de connaissances, de compétences et de savoir-être, qui leur confère une certaine adaptabilité, une certaine intelligence. En réalité, le système national ne réussit pas si mal  : toute personne qui s'y forme trouve finalement un travail, le savoir-être communiqué semblant manifestement un atout pour la vie,  et les connaissances techniques ou sociales sont une métaphore utile pour d'autres activités. Il y a manifestement une différence avec la simple technique culinaire domestique !

lundi 27 août 2018

A propos de pédagogie inversée… ou pas




Dans un billet précédent, je parlais de pédagogie inversée, que je citais comme un des exemples du fait que l' « enseignement » a changé. Il faudra discuter les termes de cette phrase, mais, auparavant, j'en reviens au fait : à signaler qu'un ami internaute, à l'expression « pédagogie inversée », commente  « Pas vous ! », en 'assortissant toutefois cette remarque d'éloges. Il y a lieu de lui répondre ici.



Commençons par cette question terminologique que j'ai vaguement esquissée, en utilisant notamment le mot « enseignement », un terme auquel fait écho le mot « pédagogie ». Ce mot-là ne me convient pas quand il s'agit d'études supérieures, parce que la pédagogie concerne les enfants ; or nos étudiants sont souvent majeurs, et ce ne sont plus des enfants. Enseignement ? Le mot ne me convient pas non plus, car il fait l'hypothèse que l'on peut enseigner, et le mot « instruire » qu'il fait également l’hypothèse que l'on peut transmettre quelque chose à quelqu'un. Je crois cela bien impossible, et je crois surtout à la vertu des « études », avec des « étudiants » qui se procurent leur propre savoir ; pour comprendre quelque chose, pour l'apprendre, il ne peut y avoir autrui, qui vous l'apprend ou vous le fait comprendre, mais un travail, un effort personnel, qui, seul, permet l'apprentissage ou la compréhension. Aristophane disait bien que, dans ces relations particulières, le professeur n'est pas en train d'emplir des cruches. Et la question terminologique est terrible, parce que si le mot « étude » me convient bien, je ne sais pas nommer en français le travail d'accompagnement que font les professeurs. Certes, ils professent, ils « parlent devant ». Professorat ? J'ai peur de mettre cet acte-là avant l'étude, ou, plutôt, non, je n'ai pas peur mais je récuse absolument l'idée qu'il y ait un professeur, un maître, un tuteur… avant l'étudiant. Dans le mot « étude », il y a les études en toute première place, et cela me convient. Et c'est ainsi que j'accepte bien volontiers de parler d'études élémentaires, d'études supérieures…



Mais revenons à la « pédagogie inversée » en oubliant cette histoire d'enfants qui figure dans l’étymologie du mot. Il y a des débats didactiques sans fin à propos des rénovations de l' « enseignement » (on devrait dire « des études »), et je sais parfaitement que la terminologie « pédagogie inversée » correspond à un type particulier d'activités qui est peut-être même breveté, comme l'a été il y a quelques années la « culinologie » : il y en a toujours qui cherchent à faire de l'argent. Mais comme je ne vends rien et que je refuse l'appropriation indue de terminologie, je vais continuer ici de parler de « pédagogie inversée » en prenant une acception un peu large qui n'entre pas dans les détails… pédagogiques. En réalité, je me moque de la pédagogie inversée, et mon discours tient tout entier dans cette idée que je mets au centre des études : l'étudiant, son activité de compréhension, d'apprentissage de savoirs, d'acquisitions de compétences, de travaux en vue d'obtenir de nouveaux « savoir-être ».

Avec ce mot « études », pas besoin d'aller très loin dans la didactique jargonnante : il suffit de penser que les étudiants sont au centre du dispositifs et que nous sommes à leur service pour les aider à obtenir connaissances, compétentes, savoir-être… Je rappelle que, naguère, mes « cours » étaient des exercices d'enthousiasme partagé où l'on discutait la question des informations (sans beaucoup d'intérêt puisqu'elles sont en ligne), des notions et concepts (qui sont des joyaux forgés par nos prédécesseurs les plus admirables), les méthodes, qui sont essentielles, les valeurs (qui sont une des principales raison d'être des professeurs) et, enfin, des anecdotes, qui font la vie plus douce, plus souriante. Rien de tout cela ne servait directement à « enseigner », mais ce professorat (au sens littéral de « parler devant ») avait pour principal objectif de donner à nos amis étudiants le goût, l'envie, l'énergie d'étudier.

On voit que mes amis internautes peuvent être rassurés : je ne verse pas dans les vétilles, mais, au contraire, je reste très proche des noyaux durs de cette activité qui revient entièrement aux étudiants : étudier !

dimanche 26 août 2018

Cessons de parler d'enseignant-chercheur; parlons de professeur-chercheur

Enseignant ? Avant d'analyser la fonction, parlons du mot... qui est abominable ; et, le pire, c'est qu'on ne s'en aperçoit presque plus. Pourtant, prononçons "apprenant" ou "sachant", et l'on comprend bien qu'il faut s'indigner face aux mots "enseignant" ou "enseignant-chercheur". Comment est-on venu à supporter le mot "enseignant" ? Comment a-t-on oublié la juste indignation de cet écrivain français, qui, il y a seulement quelques décennies, dénonçait avec justesse les trois maux de la langue française : le pullulement des adverbes, les excès de passif et l'inflation du participe présent ? Je crains que la Pesante Administration n'ait hélas sévi, écrasant l'élégance en même temps que la pensée.
Car la pensée va de pair avec la langue, comme le disaient justement Condillac ou Lavoisier, qui citait le premier : "Nous ne pensons qu'avec le secours des mots. L'art de raisonner se réduit à une langue bien faite ", disait Condillac ; "Comme ce sont les mots qui conservent les idées, et qui les transmettent, il en résulte qu'on ne peut perfectionner les langues sans perfectionner la science, ni la science sans le langage", ajoutait Lavoisier.
Voilà pour la forme, mais le fond est plus grave. Par définition, un "enseignant" (décidément, le mot m'arrache la plume) enseigne. Enseigne ? Je ne discute pas ici l'étymologie du mot, mais j'observe seulement qu'il s'agit de faire connaître un savoir, de le transmettre. Comme si cela était possible ! Je déteste en réalité cette idée d'un étudiant qui serait une oie que l'on gave, au gré de... l'enseignant, et j'ai assez discuté le fait qu'enseigner est bien impossible, alors que la question est l'étude, pas l'enseignement. Notre siècle, par chance, commence à comprendre cela, avec des tas de dispositifs de style "classe inversée", par exemple.
Et cela est bon, car si l'on jette aux horties cette idée d'enseignement au profit des idées d'études, nous sommes sur la bonne voie. Il restera à nommer différemment les personnes qui aident les étudiants à apprendre : pourquoi pas "tuteurs" ou "professeurs" ? En tout cas, pour trouver le bon mot, nous serons enfin mis devant la tâche de bien analyser cette fonction qui consister nos étudiants à se constituer du savoir, des compétences, des savoir-être... Et cela est bon.