vendredi 2 mars 2018

A propos de caramel


La question du jour est triple :

Est-il possible de réaliser un caramel avec du beurre clarifié ?
Dans ce cas peut-on obtenir un caramel craquant ?
Et à l’opposé peut-on obtenir un caramel mou mais pas liquide ?


Tout d'abord, considérons une recette probable de mon interlocutrice :

1. Versez l'eau et le sucre dans une casserole. Faites chauffer la casserole.
2. Quand il est bien doré avec une odeur un peu âcre, ajoutez le beurre salé ou
le beurre doux hors du feu.
3. Mélangez puis ajoutez la crème fraîche.
4. Reportez votre crème à ébullition.


Je viens de tester l'idée du caramel avec du beurre clarifié... et tout s'est
bien passé, comme je m'y attendais, parce que la différence principale entre le
beurre clarifié et le beurre, c'est la présence (dans l'ordre décroissant de
quantités) d'eau, de protéines et de lactose. Mais il faut que je donne ma
théorie de la chose, en attendant d'avoir des observations qui la confirmeront
(avec l'aide d'un microscope).

Tout d'abord, on part de sucre et d'un peu d'eau : quand on chauffe, de l'eau
s'évapore, et la température reste d'abord égale à 100 °C. puis, quand la
concentration augmente, la température augmente aussi, et un brunissement
apparaît vers 140 °C. Le caramel se forme. Mais de l'eau subsiste.
Puis, quand on ajoute du beurre, ce dernier fond, libérant de l'eau qui vient
s'ajouter à celle qui restait. Où la graisse se trouve-t-elle ? Puisque nous
sommes en présence de graisse et d'eau, nous pourrions avoir une émulsion de
type eau dans huile, ou une émulsion de type huile dans l'eau : je penche pour
cette dernière, car l'ajout de crème vient se faire sans difficulté, la crème
apportant de la matière grasse sous forme de gouttelettes dispersées dans l'eau.
Puis, quand on poursuit la cuisson, on concentre encore un peu l'émulsion, et
l'on obtient la consistance voulue, qui évolue au refroidissement, dans la
mesure où la caramélisation, en plus de la couleur, engendre des "polymères",
longues molécules encombrantes qui augmentent la viscosité.

Mais je répète que ce sont des hypothèses, et qu'il faudrait une étude au
microscope. Pas difficile, mais il faudra trouver des secondes pour la faire.





 Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)  

jeudi 1 mars 2018

Comment mettre en oeuvre...


Ce matin, une question technique à propos de la cuisine note : comment mettre en oeuvre les composés odorants préparés par la Société Iqemusu pour des plats note à note ?

Pour la première gamme vendue par la société Iqemusu, les produits sont des dissolutions de composés odorants dans de l'huile. Une deuxième gamme est annoncée, avec une dissolution dans l'éthanol... mais restons à la première, puisque c'est la seule dont on dispose à ce jour.

Soit donc un composé odorant dans l'huile. Comment l'utiliser ? Il suffit de l'ajouter à une préparation, comme on utiliserait un extrait de vanille, ou de l'eau de fleur d'oranger, ou encore une huile parfumée.

Ainsi, si on l'ajoute à une poudre solide, l'huile et le composé odorant dissout s'intégreront à la poudre par capillarité, et la poudre aura alors l'odeur du composé ajouté.  Un  peu comme du sucre vanillé, mais avec un goût sur mesure, qui sera celui du composé utilisé.
Si l'on ajoute le produit odorant à de l'huile, l'huile parfumée ira se dissoudre dans l'huile, qui sera alors parfumée (mais moins que le produit initial, puis que l'on aura fait une dilution.
Si l'on ajoute le produit à une solution aqueuse, alors l'huile parfumée flottera en surface, tout comme de l'huile de table versée dans un verre d'eau reste en surface.
En revanche, on peut "émulsionner" cette huile parfumée si on fouette après avoir ajouté des "tensioactifs", soit de la lécithine, soit des protéines, par exemple.
Mais on aurait intérêt à savoir que la majorité des aliments sont des "gels", avec de l'eau dispersée dans un réseau solide. Par exemple, une viande est formellement un gel, puisqu'elle est faite de tuyaux très fins (les "fibres musculaires") groupés en faisceau, chaque tuyau contenant de l'eau et des protéines. Cette fois, l'huile parfumée restera en surface.

Mais pour fixer les idées, examinons une recette de gibbs : on part de 3 cuillerées à soupe d'eau, on ajoute 1 cuillerée à soupe de protéines, on ajoute une ou deux cuillerées à soupe de sucre, puis 1 verre d'huile en fouettant. On obtient ainsi une émulsion blanche, comme une mayonnaise sans goût, blanche. On met alors une pointe de couteau de colorant, une pointe de couteau d'acide citrique, puis un quart de cuillerée à café de produit Iqemusi. Puis 30 secondes au four à micro-ondes, et l'on obtient un "soufflé" de dessert.
Tout simple, non ?
Et avoir quelques idées sur les proportions entre extraits/composés + odeurs-goûts-couleur + liant pour avoir une correspondance avec la cuisine classique.

Est-ce la bonne démarche pour une analphabète de la chimie ?

More questions and answers

Désolé, c'est en anglais... mais :
1. une fois n'est pas coutume
2.  il y a Google translate (ou d'autres) pour ceux qui veulent



Today, I have to answer to some questions, about Note by Note Cooking. I share the answers :


How did you come out to invent Note by Note Cooking ? 
It was in 1994, as I was writing the draft of an article to be published in Scientific American. The article was to be co-signed with Nicholas Kurti, but I did generally the first draft, and Nicholas was adding additions and making corrections. Indeed the text was finished, but the conclusion was missing, and we had a discussion with Nicholas. He said (and had wrote) that chemistry was already in the kitchen, and I told him that no, on the contrary, it was not there.
And indeed, at that time, I was playing by adding pure compounds in wine, whiskies, etc., so that I proposed to add this sentence in the text: "I dream of the time when recipe will include "add two drops of a dilute solution of mercaptan". Nicholas accepted my idea, but indeed I wanted more than simply adding kind of seasonings, and the years after, after Nicholas was dead, I proposed to make the whole dishes, compound by compound. And because I was unhappy of the confusion of molecular gastronomy with molecular cooking, I decided to create a name with a reference with art, not with chemistry of science.
I lectured for some years on it, between 1998 and 1999, but I stopped for a while, because the public was upset by the possibility of the Bug of the year 2000... and I resumed lecturing on it in 2004. In 2006, I asked Pierre Gagnaire to show a note by note dish, and this was shown to the press in Hong Kong in April 2006.


 What are the future plans for Note by Note Cooking ?  
Since 2006, I am lecturing all around the world about Note by Note Cooking, because I am sure that this new trend is the future of food, both because of art reasons and also because there will be 10 billions people to feed in 2050. Indeed, Note by Note Cooking is part the Note by Note Project, that includes rural development, regulation, technique for farmers, and more generally the whole chain from the farm to the plate. We have to convince farmers to accept fractionating and cracking raw products at the farm, or if they don't want to do this, we have to convince cooperative groupings to do it. We have to convince the public to cook Note by Note, and this will come after chefs have produced recipes. Indeed the new move at Senses will be internationally important, in this promotion of the food of the future. And of course, we have to develop education program around all this.


How do you see Note by Note Cooking now and where do you want to arrive ? 
 I see that :
- the idea is given
- we see clearly the works to be done, in the various aspects of the Project
- some chefs tested various possibilities for about 10 years
- a very important recent move was the new direction at Senses
- a startup was created for selling products for Note by Note Cooking
- more and more lectures, in profesional circles, are invited  on Note by Note Cooking
- a very important TV (Iron chef) in Japan included recently Note by Note Cooking
- etc.
But the goal is clear: I want the public to be able to cook note by note daily.


 What are the connections between  molecular gastronomy and Note by Note Cooking ? 
Indeed there are few. Of course, the fundamental studies of molecular gastronomy can help the chefs cooking note by note to make new textures, new colors, new tastes or new odors, etc. but the question is not there. Indeed I published a long time ago a book saying that cooking is love, art and technique. The Note by note technique is easy, and we have to develop the art. The  main barrier is the acceptability of the idea... but we have in front of us a whole continent of food that was never produced. The issue is: do we want to stay in the old world, or do we want to innovate really? This means crossing the ocean, i.e. working, making new recipes, testing new flavours.

Se former à la cuisine note à note

La question commence à m'arriver : comment un chef peut-il apprendre la cuisine note à note ?

Pour les cuisiniers, notamment, j'avait fait mon livre "La cuisine note à note en 12 questions souriantes" :






Il n'est pas dépassé, mais, depuis sa publication, j'ai ajouté des recettes et des tas d'informations à divers endroits.

Il y a d'abord mes billets de blogs,  sur https://hervethis.blogspot.fr/.
Si l'on remonte ou si l'on cherche "note à note", on trouve de très nombreuses pages.


Mais il y a aussi mille choses sur mon site :
Cette fois, c'est plus ou moins regroupé dans la partie de site qui décrit les "applications techniques ou technologiques" de la gastronomie moléculaire : https://sites.google.com/site/travauxdehervethis/Home/applications/des-applications-de-deux-types/applications-technologiques/cuisine-note-a-note
 
Mais il y a aussi  le site d'AgroParistech :
Par exemple, des podcasts, des adresses de fournisseurs, etc.

D'accord, je sais bien que tout cela est théorique, et il reste la question de la pratique. Comment faire ?
Il y a la possibilité de demander à la société www.iqemusu.com, qui vend des produits note à note, ou bien aux chefs qui ont déjà fait cela : Julien Binz à Ammerschwihr (il a mis deux mois à préparer un repas étoilé tout seul), ou bien Andrea Camastra à Varsovie (qui fait cela tous les jours). Dans le temps, le Cordon bleu faisait cela aussi, et pourquoi ne pas les interroger, également.

mercredi 28 février 2018

Drôles de pratiques

Je reçois ce matin, ce message, preuves à l'appui, et je vous laisse juger :




Bonjour Mr This, 
Nous avions beaucoup apprécié votre pris de parole en fin d’année 2017 suite aux divers articles des revues consuméristes sur le thé …

Je me permets de vous écrire un mot à la suite des 2 enquêtes : de « 60 millions de consommateurs » d’une part & de » Que choisir » d’autre part ….
Nous avons eu le bonheur de participer aux 2 , avec 2 résultats très différents – donc que conclure ? ou plutôt que peut conclure le consommateur ?
Nous ne nous étendrons pas sur le sujet de « comment faire & défaire les réputations » ! ni sur celui de la crédibilité scientifique des études menées …

Nous venons de recevoir un courrier du bureau Véritas , que je vous fais suivre – de la part de « Que Choisir » pour nous proposer de nous vendre le logo « Sélection que choisir » suivi de la note obtenue ?!?...
Ceci appelle quelques questions :
  • Quelle est la partialité d’un organisme qui vend ses « distinctions » de cette façon ?
  • Comment sont choisies les sociétés participant aux tests ? sur leurs capacités futures à  payer la tranche supérieure de prestation (utilisation du logo sur les documents commerciaux, les parutions & les packs … pour la modique somme de 24’000€)
  • Le fait de payer une fois impliquerait d’être mieux noté la fois d’après ?
Etc etc etc …

Même si l’ »indépendance » de UFC- Que Choisir est bien soulignée dans cette communication , même s’il faut financer Bureau Veritas , même si aucun organisme, ni personne n’est vacciné contre la fièvre mercantile …
il y a de quoi se poser des questions & nous trouvons la démarche sinon scandaleuse – du moins complètement déplacée .
Vous pouvez faire circuler !
C’était notre « coup de gueule » du jour !

Bien cordialement

mardi 27 février 2018

Beurre feuilleté

J'ai inventé il y a plus d'un an le "beurre feuilleté", que j'ai "donné" en premier à mon ami Pierre Gagnaire, comme je le fais depuis maintenant dix sept ans chaque mois : http://www.pierre-gagnaire.com/pierre_gagnaire/pierre_et_herve. On le fait avec du beurre, mais avec toute autre matière grasse qui se comporte comme lui : le fromage, le foie gras, le beurre noisette, le chocolat.
Le chocolat ? Oui, le chocolat... à condition de comprendre que le beurre de cacao n'a pas le même comportement de fusion que le beurre, parce que sa composition est différente. Analysons.

La différence entre le beurre et le chocolat, cela tient à deux aspects essentiels, à savoir la composition en composés odorants ou sapides, d'une part, et la composition en triglycérides, d'autre part.
D'abord, le beurre. Il est principalement fait de lipides (matière grasse), d'eau, d'un sucre nommé lactose, de protéines. Lors de la clarification d'un beurre, l'eau chargée de lactose et de certaines protéines tombe au fond de la casserole, tandis que surnage la matière grasse, et une écume faite de protéines, notamment.
Le chocolat ? Du beurre de cacao, du sucre, des matières végétales, avec de nombreux composés qui donnent du goût, formés lors de la fermentation ou de la torréfaction.

Cela étant, pour nos affaires de beurre feuilleté, la question essentielle est le comportement mécanique, qui découle principalement de la constitution en molécules de "triglycérides". Oui, les matières grasses sont faites de composés que l'on nomme de triglycérides, dont les molécules sont comme des peignes à trois dents. Selon la longueur des "dents", les triglycérides fondent à froid ou à chaud.
Pour le beurre, il y a des triglycérides d'innombrables sortes (des dizaines de millions), de sorte que le beurre commence à  fondre vers -10 degrés, et finit de fondre vers 50 degrés. A la température de 20 degrés, il y a environ 70 pour cent de triglycérides fondus dans le beure, ce qui lui donne son comportement mou, tartinable.
En revanche, pour le chocolat, la fusion commence vers 30 degrés, et elle est achevée vers 40 degrés, ce qui  explique que, à la température de 20 degrés, le chocolat soit dur.
Autrement dit, sans précautions particulières (notamment une pièce à une température précise), on ne pourra pas faire du "beurre de cacao feuilleté", ni même utiliser du beurre de cacao ou du chocolat pour faire une couche de feuilletage.

 Comment faire, alors, pour produire ces deux résultats ? On peut tout d'abord observer que le chocolat, c'est du beurre et du chocolat, pour faire simple : pourquoi ne pas ajouter du sucre (glace) à du beurre (du vrai, pas du beurre de cacao) ou à de la margarine, avant d'y mettre de la poudre de cacao ? Autre solution simple : ajouter du beurre ou de l'huile, ou dela margarine à du chocolat fondu, pour en changer le comportement de fusion. Combien ? Tout dépend de la matière grasse ajoutée, mais la proportion sera entre 20 et 70 pour cent en masse. Cela n'empêchera pas qu'il faudra surveiller la température, mais les pâtissiers ont l'habitude.






Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)   

lundi 26 février 2018

Le travail du mois

Chers Amis

Vous savez que, chaque mois, je fais une proposition "technologique" à mon ami Pierre Gagnaire, qui introduit cette nouvelle technique dans sa cuisine : il met au point entre une et quatre recettes qui utilisent la technique, met la recette en ligne... et l'utilise évidemment dans l'un ou l'autre de ses restaurants.

Cela se poursuit depuis 17 ans : n'est-ce pas la preuve que les sciences de la nature -en l'occurrence la gastronomie moléculaire- irriguent merveilleusement la technologie, la technique et l'art ?
Et n'est-ce pas, aussi la démonstration que la France est LE pays de l'innovation alimentaire  ?

Pour ce mois, vous trouverez nos travaux sur http://www.pierre-gagnaire.com/pierre_gagnaire/travaux_detail/118

Vive la Gourmandise éclairée !











Lors de notre dernier séminaire, je montrais cette photographie d'un plat servi par Andrea Camastra, dans son restaurant Senses, à Varsovie :



 On y voit de la viande... de sorte que mes amis m'ont fait observer que les plats n'étaient pas 100 % note à note. L'observation était légitime, mais la raison est la suivante :

Le menu est en quatre actes.

Le premier est un jeu 100 % note à note.

Puis il y a un mélange de cuisine classique, cuisine moléculaire, avec des "agréments" note à note... qui tiennent la place gustative principale. Ce second acte veut également rappeler que les cuisiniers de Senses maîtrisent parfaitement toutes les techniques, anciennes ou modernes. Par exemple, il y a des cuissons inédites des viandes, mais en l'occurrence, le goût des plats est un goût note à note.

Les troisième et quatrième acte sont la partie sucrée, entièrement note à note. Bien sûr, les techniques peuvent être classiques ou moléculaires, mais elles sont au service d'un goût entièrement nouveau.

Pas d'inquiétude, donc !  Et n'hésitez pas à aller à Varsovie avant qu'il ne soit trop tard, et que le monde entier de la cuisine ait réservé les places trois ans  à l'avance, comme chez Ferran Adria





Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)