samedi 25 mai 2019

De l'acide chlorhydrique dans les aliments ?


Parfois, certains s'étonnent que l'acide chlorhydrique puisse être accepté comme additif alimentaire, et ils font des tartines pour dénoncer ces produits. Et il est exact que même des chimistes qui n'ont pas assez réfléchi jugent une telle pratique incohérente. Pourtant, tentons de dépasser nos craintes animales, pour envisager la chose rationnellement. 



Je discute ici la question sans faire de différence entre les plats de l'industrie alimentaire ou les plats domestiques. Et je propose de considérer d'abord la question de principe avant les éventuelles d'application technique.
Il y a donc l'acide chlorhydrique : rien que le nom fait en quelque sorte frémir, car nous "savons" tous qu'il s'agit là d'un composé chimique que l'on trouve en droguerie, que c'est un acide, et pire, qu'il est  (ou semble être) extraordinairement corrosif.
Évidemment, il faudrait être insensé pour boire de l'acide chlorhydrique pur,  mais qui a jamais proposé de faire ainsi ?

Commençons par le commencement, à savoir s'interroger sur la nature de l'acide chlorhydrique : on l'obtient notamment dissolvant dans l'eau un gaz nommé chlorure d'hydrogène, que l'on forme par exemple en faisant réagir du dihydrogène (un gaz qui peut exploser quand il est en présence de dioxgène) et du dichlore (un gaz suffocant vert).
Quand on dissout beaucoup de chlorure d'hydrogène dans de l'eau, alors on obtient une solution extrêmement acide, qui peut instantannément attaquer du fer, par exemple.
On comprend donc bien il faut absolument éviter de boire de l'acide laquelle chlorhydrique concentré ou de mettre un tel acide dans les aliments.

Mais imaginons que l'on prenne un peu de cet acide chlorhydrique concentré et qu'on lui ajoute de l'eau. Alors, l'acidité de la solution diluée d'acide chlorhydrique peut devenir très faible,  et mieux encore, elle peut devenir beaucoup plus faible que celle du jus de citron, ou même que du jus de framboise. 

L'acidité, c'est-à-dire en réalité la force chimique d'un acide, se mesure sur une échelle de 7 à 0 : 7 pour l'eau pure et 0 pour un produit extrêmement acide. Pour les vinaigre, cette acidité, ce "pH", atteint environ 2,  mais pour le jus de framboise aussi ! L'acidité de certains fruits n'est pas facilement perceptible au goût quand du sucre est présent.
Et c'est ainsi que l'on peut parfaitement diluer de l'acide chlorhydrique concentré pour obtenir une solution de pH égal à 2, qui ne paraîtra pas acide si du sucre a été ajouté.

Sera-t-il dangereux de consommer une telle préparation ? Avec de l'acide chlorhydrique pur, bien dilué, il n'y a pas de risque, mais tout tient en réalité dans le mot "pur". Il est impératif, si l'on utilise de l'acide chlorhydrique en cuisine, que les inévitables impuretés présentes dans le produit initial ne soient pas toxiques, tels du cadmium ou du plomb, par exemple.  Et c'est d'ailleurs la raison pour laquelle il existe des acides chlorhydriques de "qualité alimentaire", à savoir qu'ils ont été contrôlés et que l'on est certain que les inévitables impuretés présentes ne sont pas dangereuses.



Disposant donc d'acide chlorhydrique de qualité alimentaire, il reste à s'interroger sur les raisons qui pourrait nous conduire à l'utiliser en cuisine. 


Ici, il faut répondre qu'un acide est destiné à acidifier, et que cette procédure peut avoir différents objectifs.
Tout d'abord, les produits acides sont plutôt mieux protégés du développement contre le développement des micro-organismes pathogènes. D'autre part, l'acidification permet le caillage du lait, et c'est ainsi que l'on peut obtenir un caillé en ajoutant classiquement du jus de citron dans du lait chaud.
 On peut vouloir aussi acidifier pour rectifier le goût et c'est ainsi que le jus de citron ou le vinaigre sont classiquement employés par les cuisiniers... mais si l'on a le jus de citron  ou le vinaigre, pourquoi recourir à de l'acide chlorhydrique ? Pour des raisons variées. Par exemple, on peut reprocher au jus de citron son goût citronné, ou au vinaigre le fait d'avoir détourné l'usage  du vin. Il peut y avoir aussi une raison monétaire, car l'acide chlorhydrique,  quand il est dilué correctement, coûte bien moins cher que du jus de citron ou du vinaigre.

Mais à ce stade, je m'arrête car mon devoir est fait. Il s'agissait de discuter de la possibilité d'utiliser de l'acide chlorhydrique en cuisine, et je n'ai pas me substituer à ceux qui en feront usage. Il fallait quand même dire clairement qu'il n'y a pas de raison de ne pas utiliser correctement l'acide chlorhydrique en cuisine, qu'il n'y a pas lieu de céder à des  peurs ou à des fantasmes. Au fond, il en va de l'acide chlorhydrique comme des couteaux : on ne doit pas confondre le danger et le risque et, si l'on fait pas cette confusion, on se sera donc interrogé sur les conditions d'utilisation d'un outil ou d'un ingrédient... et on l'utilisera correctement. 


L'Académie d'agriculture de France : une institution essentielle au service des citoyens

Alors que les marchands de cauchemar ne cessent d'exercer leur malfaisant commerce, propageant des idéologies malhonnêtes, puisque déguisées, il y a lieu de dire à nos concitoyens que leur alimentation n'a jamais été aussi bonne ! 

La première des choses à rappeler, c'est que notre génération est la première, dans l'histoire de l'humanité, à ne pas avoir souffert de la famine. La deuxième, c'est que c'est la première fois dans l'histoire de l'humanité que l'on se préoccupe autant de la qualité des ingrédients alimentaires ou des aliments... au point que, ce qui menace, c'est un excès de sûreté ! Nous en sommes au point paradoxal où l'on ne pense même plus aux risques... mais aux dangers, lesquels sont inévitables. Et l'on relira avec profit la nouvelle de Boris Vian où l'on voit une mère si inquiète de ses enfants qu'elle les met en cage... d'où ils s'échappent en mangeant des limces.
Bref, même s'il y a d'inévitables "affaires", telle la fraude sur la viande de boeuf ou la contamination de produits bio par des Datura, on n'a jamais si bien mangé. Et cela est le résultat d'efforts nationaux considérables, bien encadrés. On rappellera que, peu avant la Révolution française, alors que sévissait un mini-âge glaciaire qui abattait les récoltes de blé, il y eut des famines qui conduisirent des "savants" tels qu'Antoine Laurent de Lavoisier (le père de la chimie moderne) ou Michel Augustin Parmentier, à se préoccuper d'alimentation et d'agriculture. D'où la Société d'agriculture de la généralité de Paris, qui devint ensuite notre actuelle Académie d'agriculture de France.



Ses missions ?  

L’Académie d’Agriculture de France a pour mission de contribuer, dans les domaines scientifique, technique, économique, juridique, sociale et culturel à l’évolution de l’agriculture et du monde rural. Elle étudie sous leurs aspects nationaux et internationaux, les questions concernant :
- la production, la transformation, la commercialisation, la consommation et l’utilisation des produits de l’agriculture, de la forêt, de la pêche et de l’aquaculture en eau douce, ainsi que leur valorisation à des fins alimentaires ou autres
- la gestion des ressources naturelles, en relation avec l’aménagement de l’espace rural, dans un souci d’amélioration de l’environnement et plus généralement de la qualité de vie
- les activités de l’ensemble de la population rurale et ses rapports avec le monde urbain.
Elle donne des avis sur toutes questions relevant de sa compétence, et notamment sur celles dont elle est saisie par le gouvernement. Elle récompense par des prix et des médailles ou diplômes les auteurs de travaux qui ont contribué à l’avancement des sciences, des techniques ou de l’économie. Elle assure des liaisons avec les institutions françaises ou étrangères dont l’objet est voisin du sien. Elle apporte sa contribution à l’histoire de l’agriculture et du monde rural.

Mais aujourd'hui, alors qu'ont été créées des institutions telles que l'Inra, le CEMAGREF, le CIRAD, la DGCCRF (la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes), l'Anses (l'Agence nationale des aliments), l'Efsa (l'agence européenne de sécurité des aliments),  le Conseil national de l'alimentation et encore d'autres, à quoi sert l'Académie d'agriculture de France ? Ce n'est pas une institution de recherche, comme l'Inra. Ce n'est pas une instance de régulation, comme la DGCCRF. Ce n'est pas une agence d'évaluation avec comités, experts, comme l'Anses ou même le CGAAER du Ministère de l'agriculture. Alors ?

Alors, jamais autant qu’aujourd’hui, des instances telles que l'Académie d'agriculture n'ont été aussi nécessaires. Tout d'abord, parce qu'elle n'est pas "aux ordres" du politique. Tout d'abord, parce que ses membres sont soigneusement sélectionnés parmi les tout meilleurs, et que, n'ayant plus rien à prouver, ils ont une liberté, une indépendance... et un jugement qui leur permet d'éclairer leurs concitoyens, dans leur champ propre. Aussi parce que l'Académie, réunion de personnalités aux talents variés, ne voit pas les choses par le petit bout de la lorgnette, mais, au contraire, est en mesure de délivrer des synthèses éclairées sur des questions difficiles. Aussi parce que ses membres n'ont plus l'âge des luttes de pouvoir : ils peuvent se consacrer entièrement au bien public. D'ailleurs, on observera que l'appartenance à l'Académie ne s'assortit d'aucun avantage financier... au contraire : il faut faire l'effort de dégager du temps, de l'énergie, voire de l'argent, pour participer aux travaux.
L'idéologie qui sous-tend tout cela ? Le souci d'aider la communauté nationale, le souci d'éclairer nos concitoyens.

Et dans le détail ? Des séances publiques, une revue scientifique gratuite en ligne, une encyclopédie en ligne gratuite, des colloques, des avis...
Toute une activité indispensable au service de la collectivité de l'alimentation, de l'agriculture et de l'environnement !




vendredi 24 mai 2019

La lécithine ?

Dans une discussion relative à la couleur de la mayonnaise,  je vois évoquée la lécithine de soja. 
Je m'en étonne, car il n'y a absolument pas besoin de ce "produit" (on verra plus loin pourquoi j'utilise le mot "produit" que le mot "composé") pour faire une mayonnaise. 

Et je rappelle  : 
1. que la loi impose 8 % de jaune d' œuf dans une mayonnaise ; des sociétés qui prétendaient faire des "mayonnaises sans oeuf" viennent de se faire épingler pour tromperie
2. qu'il y a dans le jaune d'oeuf tous les ingrédients nécessaires à la production de la sauce mayonnaise, sans qu'il soit ni nécessaire ni honnête d'ajouter de la lécithine de soja, laquelle n'a rien à faire dans une telle sauce.

Mais commençons par le commencement, à savoir par dire ce qu'est une mayonnaise
La mayonnaise est une émulsion que l'on obtient en dispersant de l'huile sous forme de gouttelettes microscopiques dans l'eau présente dans le mélange initial que l'on fait à partir de jaune d'œuf et de vinaigre. 
Pour faire une mayonnaise, aucun autre ingrédient que le jaune d'oeuf, le vinaigre et l'huile (plus sel et poivre) n'est nécessaire, et mieux, aucun autre ingrédient ne doit être présent, sans quoi la sauce n'est plus une mayonnaise, mais une autre sauce. 
Et l'on se rappelle que je revendique absolument , pour les produits alimentaires, que ces derniers soit sains, loyaux et marchand. Loyal, cela signifie qu'une mayonnaise est une mayonnaise et non pas une autre sauce qui en aurait l'apparence. 
J'insiste enfin  pour rappeler qu'il n'y a pas de moutarde dans une mayonnaise, sans quoi ce n'est plus une mayonnaise mais une rémoulade. 
À propos de "la lécithine" maintenant.
Partons des bonnes sources, à savoir le Gold Book de l'International Union of Pure and Applied Chemistry: les lécithines sont des esters choliques d'acides phosphatidiques, à savoir que leur formule est du type :
L03494
Source:
PAC, 1995, 67, 1307 (Glossary of class names of organic compounds and reactivity intermediates based on structure (IUPAC Recommendations 1995)) on page 1347
Ces composés sont des "phospholipides", ce qui signifie qu'ils comportent un groupe phosphate, et une partie lipidique (représentée par la lettre R sur la figure). On aurait donc d'oublier le singulier de parler au pluriel des lécithines. 
Cela dit, les phospholipides composent les membranes de toutes les cellules vivantes, animales ou végétales, et ils sont abondants dans l' œuf, puisque le poussin qui se formera à partir dudit oeuf a besoin de phospholipides pour bâtir les membranes de ses cellules. 
Or,  puisqu'il y a des phospholipides dans le jaune d'œuf, pourquoi en ajouter ? De surcroît, on ajoutera que ce ne sont pas essentiellement les lécithines ou les phospholipides qui assurent la stabilité de l'émulsion, mais les protéines qui sont apportées également par le jaune d' œuf. 
Bref, avec le jaune d' œuf, on a de l'eau et des composés tensioactifs qui sont d'abord les protéines et ensuite les phospholipides, qui viennent tapisser la surface des gouttelettes d'huile que l'on disperse dans l'eau par le travail du fouet, ce qui produit émulsion. 
Dans le passé, on a pensé que les mayonnaise étaient stabilisées par les phospholipides, notamment par des lécithines, mais les progrès des sciences nous permettent aujourd'hui de dire que ce sont surtout les protéines qui sont utiles. 


Et les ollis

Je termine en signalant une de mes très anciennes inventions : les ollis. De même que l'on peut faire de l'aïoli en broyant de l'ail, puis en émulsionnant de l'huile dans l'ail broyé, j'ai montré que l'on pouvait obtenir des émulsion, par ce même procédé, à partir de n'importe quel tissu végétal ou animal : broyé, un tel tissu libère des protéines et des phospholipides, de sorte qu'une émulsion nommée "olli" peut être obtenue. Pas besoin de "lécithine", ni de lécithines, ni d'aucun autre ajout... mais les ollis ne sont pas des mayonnaises. 

Il faut revendiquer haut et fort : la mayonnaise, c'est l'émulsion que l'on obtient en émulsionnant de l'huile dans le mélange de jaune d'oeuf, vinaigre, sel et poivre !

jeudi 23 mai 2019

La mayonnaise n'est pas jaune !

A propos de la couleur de la mayonnaise

"Pourquoi la mayonnaise est-elle jaune ?", me demande-t-on ?  Immédiatement mes réflexes se déclenchent : d'une part, ne jamais répondre à une question sans avoir cherché à l'interpréter, et, d'autre part, s'arrêter chaque fois qu'il y a un adjectif ou un adverbe, qui devraient être remplacés par la réponse  à la question "Combien ?".
A propos de la première question, d'abord : les mathématiciens savent bien que l'on ne doit jamais caractériser un objet qui n'existe pas. Par exemple, combien y a-t-il d'anges sur la tête d'une épingle ? Il ne faut pas répondre tant que l'existence des anges n'est pas prouvée. Ou encore : quelle est la couleur du manteau du père Noël ? On ne répond pas, puisque le père Noël est un conte pour enfant. Et ici, pourquoi la mayonnaise est-elle jaune ? Disons d'abord : pourquoi la mayonnaise serait-elle jaune ? Ou, plus justement, la mayonnaise est-elle jaune ?
Ici, la seconde remarque prend le relais : dans notre laboratoire, nous banissons adjectifs et adverbes, parce qu'ils poussent à la faute scientifique. Car si la mayonnaise était "jaune", combien jaune le serait-elle ? On verra plus loin combien on a raison de poser la question.

La sauce mayonnaise est fait de jaune d'oeuf, de vinaigre et d'huile. Premier  sujet d'étonnement que nous disions le jaune d' œuf  jaune, alors que les Italiens l'appellent le rouge. Je signale à tout hasard que des livres de cuisine anciens mentionnent que le jaune d' œuf est même vert au printemps, quand les poules mangent des hannetons... Et quand on regarde un jaune d'oeuf, il est plutôt orange !
Et sans tarder, je signale aussi que le blanc d'oeuf n'est pas blanc mais jaune tirant vers le vert.

La raison pour laquelle je m'intéresse ici au blanc d' œuf est que ce dernier va donner la clé de la couleur de la mayonnaise. Commençons donc par utiliser un blanc d'oeuf, qui est donc transparent et jaune-vert, et ajoutons de l'huile qui elle est  transparente et jaune. Quand on fouette, l'huile se disperse dans l'eau du blanc sous la forme de gouttelettes, et progressivement, on obtient une préparation crémeuse, blanche que j'avais nommée un "geoffroy". En réalité, le blanc est resté jaune tirant vers le verre et l'huile est restée jaune, mais les phénomène de réflexion de la lumière sur les parois des gouttes fait apparaître du blanc, puisque ces réflexions sont généralement celle de la lumière blanche.

Nous pouvons donc maintenant passer à la mayonnaise, où l'on part d'une couleur orangée et on ajoute de l'huile jaune. Progressivement, cette couleur blanchit, et on obtient finalement la couleur de la mayonnaise... qui varie selon les conditions opératoire. Quand la mayonnaise été à la faite à la fourchette, il est vrai qu'elle a une couleur tirant vers le jaune, mais si l'on met un coup de mixer, alors on voit la couleur jaune blanchir, comme pour le cas du geoffroy.

Donc finalement, il est faux de dire "la mayonnaise est jaune".

mercredi 22 mai 2019

À propos de la méthode scientifique


Un collègue à qui je montre mon schéma de la méthode scientifique m'oppose une autre description où il sera question d'une hypothèse et d'un test expérimental.
Cela est bien insuffisant, car l'hypothèse... d'où sort-elle ? Je crois quand même bien plus explicite de considérer que l'on part d'un phénomène que l'on veut explorer, puis que l'on caractérise quantitativement, ce qui permet de réunir les données en lois après des "ajustements", et c'est la réunion de ces lois qui conduit à une théorie, avec l'introduction de nouveau concept, de nouvelles notions... Je suis d'accord qu'il y a là une étape d'induction, d'ailleurs bien décrite par le mathématicien et physicien Henri Poincaré, qui est le point difficile de la méthode scientifique. Une fois la théorie constituée, il n'est donc pas difficile de chercher des conséquences théoriques que l'on va tester point et c'est à cet endroit qu'il y a comme une hypothèse mais on voit que celle-ci arrive au terme d'un très long chemin et que se contenter de décrire la méthode par "faire une hypothèse" est quelque chose de bien insuffisant,  qui n'aide pas les collègues plus jeunes... ni nous-même !


mardi 21 mai 2019

A propos du séminaire de gastronomie moléculaire de mai 2019 : cuisson des artichauts et des asperges.


Lors de ce séminaire, nous sommes partis, comme d'habitude, de précisions culinaires, c'est-à-dire de données techniques qui s'ajoutent aux "définitions", dans les recettes. Par exemple, à propos des artichauts, la "définition" est la suivante :  plonger des artichauts dans l'eau chaude. À cette définition s'ajoutent donc des précisions, par exemple la durée de cuisson, le fait que l'eau doit être salée, ou bien encore que l'on doive attacher un demi citron  sur la partie où l'on a enlevé la queue...
Lors de notre séminaire, nous avons voulu  tester expérimentalement  la précision qui stipulait que la queue devrait toujours être arrachée,  et non coupée, sans quoi le fond d'artichaut aurait été plus amer.
La question essentielle, pour ce type de tests, c'est la variabilité des ingrédients, de sorte que nous avons décidé de couper en deux des artichauts, selon leur axe, afin d'avoir des moitiés qui seraient  donc plus semblables que des artichauts différents. Pour certaines moitiés, la demi queues a été arrachée, et pour les autres moitiés, la queue a été coupée au couteau. Puis les demi artichauts on été mis ensemble, dans la même casserole, donc à la même température et dans la même eau... Ils ont été cuits pendant le même temps, puis on  refroidis et préparés de la qu'on ait prépare de la même façon encore et même façon, avant que l'on fasse goûter les fonds,  par une méthodologie précise évidemment.
J'ai déjà décrit ailleurs cette méthodologie que nous utilisons constamment et qui a pour nom "test triangulaire" : il s'agit essentiellement de soumettre trois échantillons aux dégustateurs, deux échantillons étant identiques et le troisième étant différent. Les dégustateurs doivent seulement dire quels sont les deux échantillons identiques.
Le résultat a été sans appel : les trois dégustateurs, qui ont dégusté chacun plusieurs fois, ont été incapables de voir une différence d'amertume pour les artichaut à queue coupée ou à queue arrachée, de sorte que nous pouvons assez correctement réfuter la précision culinaire qui nous avait été donnée !

Lors de notre dernier séminaire, nous avons également considéré la cuisson des asperges vertes ou blanches. Nous disposions d'une précision culinaire qui stipulait que les asperges vertes allaient jaunir si on les laissait cuire plus longtemps, et nous avions également une précision culinaire disant que les asperges blanches serait plus fermes si, une fois cuites, nous les replongions dans l'eau chaude.
À noter qu'une des deux précisions datait du 4e siècle de notre ère tandis que l'autre provenait d'un cuisinier contemporain. Et les deux précisions ont été expérimentalement réfutées ! Il est amusant d'observer que sur des millénaires donc, la fiabilité des prescriptions culinaires a peu changé et l'on pourra donc s'en étonner. Comment est-il possible que l'on puisse ainsi transmettre des idées fausses sans vergogne, et jusque dans l'enseignement culinaire ? Il y a encore du travail devant nous pour améliorer tout cela !

samedi 18 mai 2019

De la fissuration des petits choux


Les choux ?




 Il y a le petit chou, la chouquette, le chou, le chou de religieuse, le chou de Paris-Brest, la gougère... Il  a la particularité de gonfler à la cuisson... mais, parfois, son gonflement est irrégulier, et il y a des fissurations, et la formation de boursouflures.
Comment interpréter tout cela ? Comment éviter les catastrophes ? La chose est simple  : la pâte à choux contient de l'eau, soit apporté lors de la préparation de l'appareil par de l'eau pure, soit qu'elle soit apportée par du lait. Or les choux sont cuits dans un four qui est souvent à une température comprise entre 150 et 200 degrés, en tout cas supérieure à la température d'ébullition de l'eau,  qui est de 100 degrés.
Pour analyser  la cuisson, on distinguera deux parties, à savoir la base, qui est la partie de pâte au contact du support de cuisson, et la partie supérieure, au contact de l'air chaud. Quand le chou  est chauffé par la base, la chaleur commence par faire évaporer l'eau de la base. Or il est utile de savoir qu'une toute petite quantité d'eau liquide engendre un gros volume de vapeur d'eau : par exemple, un gramme d'eau liquide fait un litre de vapeur.
Lors de la cuisson par la base, les bulles de vapeur n'ont d'autre solution que de monter dans l'intérieur du chou, d'où le gonflement. Mais vient un moment où l'eau s'est largement évaporée de la partie supérieure, ce qui fait une croûte. Or si croûte il y a, l'eau et la vapeur ne peuvent plus s'échapper, de sorte que la pression augmente dans le choux... et vient un moment où cette pression est supérieure à la résistance de la croûte... qui se fissure.
A ce stade, le choux boursoufle, parce que le gonflement se fait alors latéralement, de part et d'autre de la fissure, tandis que de la préparation de l'intérieur peut gonfler, venir faire un boursouflure centrale.



Comment, donc, éviter les boursouflures ? On comprend que l'on aura intérêt à éviter des gonflements qui interviendraient après que la croue se soit formée. Autrement dit, il ne faut pas un four trop chaud, qui croûterait rapidement. Préférons un four pas trop chaud.
Mais aussi, privilégions un contact de la base qui se fasse bien d'emblée, soit que les choux ont été posés sur une plaque bien conductrice, soit même que la plaque ait été rapidement chauffée, parce qu'elle a été placée sur la "sole" (la partie inférieure) du four, laquelle sole aura été chauffée.

Et c'est ainsi que nos choux seront réguliers !