lundi 3 avril 2023

Connaissez-vous la loi sur le commerce de 1905 ?

 Connaissez-vous la loi sur le commerce de 1905 ? 

C'est une merveilleuse loi, puisque, en substance, elle réclame que les produits alimentaires dont il est fait commerce soient sains, loyaux,  marchands. 

 

 

 Sain : cela signifie que les produits ne nous empoisonnent pas.
Loyaux : cela signifie que ce dit être vendu correspond à ce qui l'est vraiment. Marchand : cela signifie... 

 

Un  exemple simple : quand  : on achète des pommes,  le marchand  ne doit pas nous vendre des pommes tallées, abîmées, et c'est pour cette raison  que l'on voit les marchands des quatre saisons, les épiciers, les responsables de rayonnages dans les grandes surfaces, retirer progressivement, au cours de la journée, des produits endommagés. 

 

Évidemment aucun produit n'est parfaitement sain, parfaitement loyal, parfaitement marchand ! 

 

Par exemple, à propos de santé : dans les girolles, réputées saines, il y a de l'amanitoïdine, un composé toxique de l'amanite phalloïde. 

Dans l'eau de vie, il y a de l'éthanol, l'alcool commun, lequel est un poison... et aussi un peu de méthanol, qui est neurotoxique.  

Dans le pain, il y a de l'acrylamide, un composé que les chimistes redoutent. 

Dans l'estragon et le basilic, il y a de l'estragole, qui est tératogène et cancérogène. 

Dans les pommes de terre (les trois premiers millimètres sous la surface), il y a des glycoalcaloïdes toxiques (d'où le paradoxe : pour populariser la consommation de la pomme de terre, Antoine Augustin Parmentier dut combattre les préjugés de son temps et faire penser que les tubercules étaient...sains ;-) ). 

 

Toutefois c'est une bonne chose de ne pas confondre le gros et le détail. 

Le gros, cela consiste à  dire que du vin, une eau-de-vie sont sains si l'on n'en abuse pas, par exemple (luttons contre les hygiénistes qui ont le fantasme d'une vie saine !). 

Pour l'alimentation en général, cela consiste à ne pas redouter naïvement les benzopyrènes (cancérogènes) des viandes grillées quand on est fumeur, ou encore ne pas se préoccuper de l'estragole quand on n'en abuse pas. 

Pour les plus raisonnables d'entre nous, l'essentiel est de nous renseigner pour mieux savoir ce que nous mangeons, et de chercher les risques, non pas les dangers (une hache suspendue par un fin fil au-dessus de notre tête présente un risque important, parce que la hache est dangereuse ; rangée dans un placard fermé, et posée au sol, la hache ne présente presque plus de risque, alors qu'elle est toujours aussi dangereuse). 

 

Bref la loi de 1905 est merveilleuse ! Nous pouvons chercher à l'améliorer, car toute chose humaine est perfectible ; nous devons, même, chercher à l'améliorer... mais quand même, cette loi est merveilleuse, car elle protège le citoyen (observez que je ne parle pas de "consommateur", mot que je déteste parce qu'il place d'emblée l'individu en vache à lait de l'industrie).

 

Et pour ceux qui voudraient en savoir plus, il y a toujours la possibilité d'aller consulter l'Académie d'agriculture de France, où la Section VIII a organisé l'an passé une séance publique sur ce thème. Des éléments sont sur le site http://www.academie-agriculture.fr


dimanche 2 avril 2023

Droit et sciences de la nature

 Que viennent faire les sciences de la nature  dans les affaires de droit ? 

Voila la question qui se pose, quand il est question, dans le blog d'un scientifique, de droit alimentaire. 

 

D'abord, le livre dont il est question, aujourd'hui, a pour titre Traité pratique de droit alimentaire. Il est publié aux éditions Lavoisier Tec et Doc, et il a été assorti à la fois d'une revue, et d'une grande rencontre, à AgroParisTech, le 17 octobre 2013. 

Une rencontre où, comme pour tout ce que je fais, nous avons essayé de nous rendre utile. 

 

Car le monde "technique" de l'alimentaire a des raisons d'en vouloir au monde du droit : mon collègue Jean-Paul Branlard, de l'Université de Sceaux, ne montre-t-il pas brillamment que, en raison de diverses jurisprudences idiotes, on arrive aujourd'hui à pouvoir vendre, dans les restaurants, des "coqs au vin" sans coq ni vin ? Et le Codex alimentarius n'admet-il pas que les mayonnaises soient faites à partir de moutarde, alors que cette dernière "est le savorisme particulier de la rémoulade", comme l'explique bien le cuisinier français Philéas Gilbert, en 1934 (pour les non cuisiniers, une mayonnaise s'obtient par dispersion d'huile dans un mélange de jaune d'oeuf et de vinaigre, avec addition  de sel et de poivre ; pas de moutarde, sans quoi la mayonnaise devient une rémoulade, ce qui est aussi différent qu'un marteau d'un tournevis, étant donné que la cuisine se préoccupe d'abord, essentiellement, du goût !). 

 

Bref, il y a des raisons de s'intéresser au droit, pour le monde technique. Mais pour le monde scientifique ? 

 

Ici, je dois revenir à la première ligne de mon billet, où j'évoquais des "sciences de la nature". En ces temps de plomb où la confusion intellectuelle règne, où les science studies sont des roquets qui aboient contre les "sciences de la nature", il est plus que jamais indispensable de bien distinguer les "sciences dures" et les "sciences molles"... parce que l'on ne confond pas les tournevis et les marteaux. 

 

Les sciences de l'humain et de la société sont merveilleuses, mais elles ne se confondent pas avec les sciences de la nature, celles qui furent codifiées par des Galilée, des Bacon... 

 

Pour ces dernières, tout est dit avec : 

Le recours à l'expérience

La formalisation mathématique, qui évite les divagations théoriques.

 

D'ailleurs, les sciences de la nature se sont donné des verges pour se faire battre, en usurpant le nom de "science", car ne parle-t-on pas depuis toujours de la "science du maître d'hôtel", du cuisinier, du coordonnier ? 

 

Science, c'est savoir, et les sciences quantitatives doivent avoir un autre nom. Jadis, ce nom était philosophia naturalis, qui a été fautivement traduit en "philosophie naturelle", mais que l'on aurait mieux fait de nommer "philosophie de la nature". 

Ou "physique"... puisque la physis est le mot qui s'impose depuis Aristote, au moins. 

 

Physique ? Pourquoi pas. Mais la biologie, la chimie, par exemple ? P

 

our désigner l'ensemble de ces disciplines, la terminologie "sciences expérimentales" ne convient pas, car les sciences de la nature ne se réduisent pas à l'expérience, leur méthode étant : 

Identification d'un phénomène

Quantification de ce dernier (Bacon parlait de "nombrer")

Réunion des données quantitatives en lois synthétiques (et l'on lira avec intérêt le livre de Meyerson, à propos des "lois")

Recherche des mécanismes admissibles, correspondant à ces lois

Recherche de conséquences prédictives à partir des théories

Tests expérimentaux de ces conséquences, en vue de réfuter la théorie, insuffisante par nature.

 

Bref, il n'y a pas que l'expérience ! De sorte que l'expression "science expérimentale" est bien insuffisante. 

 

Alors pourrait-on parler de sciences de la nature ? 

 

C'est ma conclusion actuelle. Cela étant posé, pourquoi la science quantitative s'intéresserait-elle au droit, et au droit de l'alimentation ? 

 

En réalité, la science ne s'intéresse à rien, parce que la science n'est pas une personne, et je propose de ne pas tomber dans la faute intellectuelle qui consiste à confondre les activités et les êtres humains. 

Autant les derniers ont le droit de s'intéresser au droit, parce qu'il intervient dans le monde où ils vivent, autant la science quantitative n'a rien à voir avec le droit. 

 

Autrement dit, le scientifique (de la nature) perd un peu son temps quand il considère le droit de l'alimentation (avec "droit alimentaire", on tombe dans la même faute du partitif qu'avec "philosophie naturelle"), mais peut-il vraiment éviter d'être "dans la cité" ? 

 

Ouf, cela fait un gros billet ! Il faudra revenir sur bien des points particuliers. Mais luttons contre un certain "droit", que l'industrie utilise pour faire admettre sous le nom de "sauce béarnaise" des sauces qui ne sont pas exclusivement faites d'une réduction d'échalotes dans du vinaigre, avec émulsion de beurre, le jaune d'oeuf apportant les tensioactifs nécessaires à la liaison, et l'estragon donnant son goût très particulier à la sauce. 

 

La loi de 1905 veut que les produits alimentaires soit "sains, loyaux, marchands". Aujourd'hui, il suffit de regarder un peu le monde de l'alimentation pour s'apercevoir que nous avons beaucoup de ménage à faire en matière de loyauté, c'est-à-dire en réalité d'honnêteté des transactions, à propos d'alimentation !

samedi 1 avril 2023

Pas d'adjectifs, pas d'adverbes

La mauvaise littérature fait un usage déraisonnable des adjectifs et des adverbes, tombant facilement dans le cliché ou la périssologie (la forme fautive du pléonasme) : « le blanc manteau immaculé de la neige », « un terrible drame »… 

L'épithétisme non voulu est redoutable, et les auteurs naïfs ne doivent pas s'étonner que leurs manuscrits soient si facilement refusés : une lecture d'un paragraphe suffit souvent à se faire une idée de la médiocrité des textes médiocres.

 Evidemment, en écrivant ce qui précède, je me surveille : n'ai-je pas écrit « mauvaise », « déraisonnable », « facilement », « redoutable », « naïfs », etc. ?
Oui, je m'en suis amusé, et l'on me connaît assez pour bien comprendre que cet amusement est pure joie de vivre, et non ironie caustique. Il s'agit d'aider mes amis à vivre mieux, et, en l'occurrence, à mieux maîtriser l'usage de la langue. 

Pourquoi cet accès soudain ? Parce que je viens de commencer la lecture critique d'un manuscrit scientifique soumis à une revue de chimie, et que je ne cesse d'écrire dans le rapport : « précis », combien ? « grande sensibilité analytique », combien ? « bien connu », de qui ? « forte proportion », combien ? 

La méthode des sciences de la nature faisant usage de la caractérisation quantitative des phénomènes, puis imposant que les mécanismes proposés pour les phénomènes soient « encadrés » par les lois quantitatives, on comprend que les adjectifs et les adverbes soient des mots difficiles à manier. 

Petit ? Jolitorax venu voir Astérix et Obélix disait que son canot était plus grand que le casque de son neveu mais plus petit que le jardin de son oncle. Et si l'on riait d'une telle déclaration, vu la différence important de taille des trois objets, il y avait le germe d'une saine pratique de la description scientifique. 

Oui, une gouttelette d'huile dans une sauce mayonnaise, avec un diamètre compris entre 0,001 et 0,1 millimètre est « petite » (sous-entendu, par rapport à nous), mais elle est énorme par rapport aux lipoprotéines qui sont dispersées dans le plasma d'un jaune d'oeuf, et, a fortiori, dans la sauce mayonnaise. 

 

Il faut répéter que la description scientifique n'est pas de la littérature, de la poésie ; l'information doit être aussi précise que possible, mais aussi succincte… et c'est la raison pour laquelle notre Groupe de gastronomie moléculaire s'est fait une règle de ne pas utiliser adjectifs et adverbes. 

 

Bien sûr, parfois, ils s'imposent, surtout quand la question est la communication, mais chaque fois que nous rédigeons un rapport, un article…, nous faisons, en fin de travail de rédaction, un balayage pour éliminer ces mots épineux. Et si cette règle que j'ai introduite il y a quelques décennies à mon usage était imposée à tous ? 

Et si elle figurait dans les « conseils aux auteurs » ? Merci de m'aider à penser que ma proposition est insensée.

vendredi 31 mars 2023

L'enseignement continué

L'enseignement continué ? 

 

On aura observé que j'ai utilisé le mot « enseignement », et non le mot « éducation », ex ducere, faire sortir du chemin. 

 

Oui, je propose de bien parler d'enseignement, avec un enseignant et un enseigné, même si la mode n'est pas à de telles distinctions, en ces temps d'égalitarisme idiot où l'on voudrait naïvement gommer les différences. 

Tant que les faits ne m'auront pas montré que tous les étudiants sont capables d'obtenir leur savoir en parfaite autonomie, la conclusion s'impose : il subsistera de l’enseignement. 

 

Cela étant posé, je reviens sur un billet précédent où je montrais la nécessité de discuter les notions de molécules et de composés. Cette nécessité découle de ce que nombre de nos concitoyens, soit n'ont pas fait d'études très avancées, soit n'ont pas parfaitement retenu toutes les notions au programme des études qu'ils ont suivies, soit n'ont pas prêté attention aux notions qu'on leur présentait, soit bien d'autres causes encore. 

 

Dans tous les cas, demeure la nécessité de transmettre des informations qui permettent à tous de décider de la vie que, collectivement, ils veulent avoir. Dans notre monde, où les téléphones portables sont des ordinateurs extrêmement puissants dont disposent même les enfants, des connaissances produites par la science et par la technologie s'imposent. 

 

Pour autant, nos concitoyens ne supporteraient pas d’être remis sur les bancs de l'école et il faut donc trouver des moyens de leur chanter les beautés des réalisations technologiques et scientifiques. 

 

Qui doit « chanter » ? Puisque cet enseignement continué n'est pas donné par l'université, sauf de façon très marginale, c'est sans doute la presse qui doit s'en charger... et qui s'en charge. 

 

Oui, je sais le merveilleux travail des CCSTI (centres de culture scientifique, technologique et industrielle) dans les régions, mais je sais aussi qu'une poignée de vulgarisateurs ne suffit pas pour dispenser toute l'information qui est nécessaire. 

 

D'ailleurs, nos concitoyens ne s'y sont pas trompés, puisqu'ils plébiscitent les page « science et technologie » des journaux, radios, télévisions, internet... 

 

Et c'est là que des progrès peuvent être faits, puisque les grands quotidiens ont un discours scientifique et technologique réservé à une élite. C'est à eux que je m'adresse : enseignons de façon continuée des notions extrêmement simples. Ce n'est pas une morale que je fais, mais la conclusion que je tire du billet précédent où j'observais que la notion de molécule était inconnue de nombre de nos amis.

jeudi 30 mars 2023

La gastronomie moléculaire est la discipline scientifique qui explore les phénomènes qui surviennent lors de la préparation des mets. De la préparation, ou bien de la préparation et de la consommation ?

 La gastronomie moléculaire est la discipline scientifique qui explore les phénomènes qui surviennent lors de la préparation des mets. 

 

De la préparation, ou bien de la préparation et de la consommation ? La question est souvent discutée, et il y lieu de bien s'interroger, avant de trancher définitivement. 

 

Souvent, l'histoire des sciences donne des clés, et c'est un fait que, en 1786, Benjamin Thompson, devenu plus tard comte Rumford, identifia (« découvrit ») le phénomène de convection en se brûlant avec une soupe de pois. 

L'histoire est plus ou moins la suivante. Rumford dînait souvent de bouillon, et il était habitué à ce que ce dernier refroidisse rapidement. Un jour, alors qu'il avait dans son assiette une préparation épaisse, il se brûla la bouche et s’interrogea. 

C'est ainsi qu'il en vint à reconnaître, qualitativement, que les liquides peu visqueux, quand ils sont chauds et placés dans un environnement plus froid, sont animés de mouvements de convection qui accélèrent les échanges de chaleur. Les couches les plus chaudes montent vers la surface, s'y refroidissent par échange d'énergie avec l'air, et, devenues plus denses, redescendent vers le fond, tandis que des couches plus chaudes, montent, et ainsi de suite.
Au contraire, quand la viscosité est importante, les mouvements sont ralentis, voire interdits. 

 

Il s'agissait là non pas de cuisine proprement dite (la préparation des mets), mais de consommation, et l'on a été tenté de suivre l'exemple de ce grand ancien, parce qu'il est tentant d'imaginer que l'on puisse faire des découvertes scientifiques en examinant non seulement les phénomènes qui surviennent lors de la production des mets, mais aussi de phénomènes qui ont lieu lors de la consommation. D'où la question évidente : devons nous limiter la gastronomie moléculaire aux phénomènes survenant lors des transformations culinaires, ou devons-nous étendre le champ à cette chimie physique des phénomènes de la consommation ? 

 

A cette question, il y a deux réponses : l'une de contenu, et l'autre de communication. 

 

Pour la question du contenu, il n'y pas de réelle difficulté à étendre le champ de la discipline, même s'il y a une difficulté à définir précisément ce champ.
Du point de vue de la communication, c'est plus épineux, car on voit bien les sciences de la consommation des aliments rejeter cette incursion sur leur territoire, de sorte qu'il ne serait guère habile de vouloir étendre à la consommation le champ disciplinaire de la gastronomie moléculaire. Nos sociétés étant humaines, nécessairement humaines, la question de la communication ne peut pas être balayée d'un revers de main, et il faut donc, en l'absence de meilleure solution, se résoudre sans doute à limiter le champ de la discipline à la préparation des mets... sans s'interdire d'aller y voir plus loin : après tout, les hommes et les femmes ne se confondent pas avec les disciplines !

mercredi 29 mars 2023

Comment aider les étudiants à atteindre le sommet du savoir, en vue de leur permettre de poursuivre l'entreprise de production de connaissances ?

 Oui, comment permettre aux étudiants de nous dépasser ? Comment leur permettre d'arriver directement aux limites de la connaissances, afin qu'ils puissent poursuivre l'exploration de l'inconnu, afin qu'ils soient mesure de faire des découvertes ? 

 

La question est importante, et l'université a répondu (au moins en principe ; dans les faits, on sait que c'est... plus compliqué) en sélectionnant les enseignants-chercheurs parmi les bons producteurs de connaissances plutôt que parmi les bons transmetteurs. 

 

Il est notoire que les enseignants sont sélectionnés et promus sur la base de leurs recherches. Cela est-il justifié ? 

Pour nous déterminer, je propose la métaphore suivante. Soit la montagne des connaissances : à la base, il y a les connaissances du Moyen Âge ; puis, dessus, les connaissances de la Renaissance, puis les connaissances des 17e, 18e, 19e, 20e ; et les connaissances du 21e siècle sont au sommet. 

Les connaissances s'empilent les unes sur les autres, et, si nous voulons mettre les étudiants en position de produire de nouvelles connaissances, il faudra qu'ils aient les connaissances de leur temps. 

S'ils partaient de connaissances anciennes, périmées, il ne seraient pas en mesure de le faire, parce qu'ils devraient réinventer la poudre. 

 

Or qui peut conduire les étudiants au sommet, sinon ceux qui font le savoir nouveau ou qui le connaissent bien ? C'est-à-dire ceux qui ont une activité de recherche, ou ceux qui sont si au courant des productions scientifiques qu'ils serait bien dommage qu'ils ne contribuent pas à la production de savoir. Finalement, on en arrive à conclure que l'on doit mettre les bons chercheurs en position d'enseigner à l'université. 

 

Evidemment, cette conclusion a ses inconvénients, à savoir qu'un bon chercheur peut ignorer tout des questions de transmission du savoir. C'est là un argument régulièrement opposé par ceux qui, à l'université, privilégient l'enseignement sur la recherche... mais est-ce justifié ? 

 

Avant de répondre, j'insiste un peu : oui, je pose des questions iconoclastes, mais je n'ai que des questions, et celles-ci ne sont pas des réponses déguisées. Bref, est-il grave que les enseignants-chercheurs puissent être de bons chercheurs et de mauvais enseignants ? 

 

Cela pose la question du "bon" enseignant, surtout à une époque où nous allons jusqu'à border les étudiants dans leur lit, au lieu de leur demander de simplement travailler. Ne peut-on imaginer que les étudiants travaillent, si le chemin est tant soit peu balisé ? 

 

La question est parallèle de la suivante : comment organiser l'enseignement universitaire ? La métaphore précédente indiquait que l'objectif est le suivant : à la fin du mastère, les étudiants ne sont plus étudiants (c'est la loi), mais jeunes chercheurs, et en conséquence, ils doivent être en position de produire des connaissances. Autrement dit, ils doivent être au sommet de la montagne. Où trouve-t-on ce sommet de la montagne ? Dans les publications scientifiques récentes ! De sorte que l'objectif devient le suivant : un étudiant en fin de mastère doit être :
- capable de savoir où sont publiés les bons articles scientifiques de son domaine
- capable de les lire. 

 

Capables de lire ? D'abord, comme les publications scientifiques sont en anglais, les étudiants de fin de mastère doivent maîtriser l'anglais. Ce n'est pas le plus difficile de l'affaire. 

Le plus difficile, c'est quand même de "lire", car, dans ce contexte, lire ne signifie pas être capable de comprendre le sens des mots inviduels, mais plutôt comprendre les résultats qui sont exposés, être capable d'évaluer la qualité des publications, et de ce fait, être presque capable de produire du savoir qui se fonde sur les résultats exposés.

mardi 28 mars 2023

L'ambiguité Duhem

 Quand on explore la vie de Pierre Duhem, extraordinaire physico-chimiste français du siècle dernier, on ne peut manquer de retenir quelques faits saillants. 

 

Tout d'abord Duhem était très opposé à  Marcellin Berthelot, lequel s'était posé en chimiste du parti laïque et, à  une époque où cela était bien porté (Jules Ferry, Renan...), avait réussi à s'imposer comme un mandarin absolu. 

 

Duhem, opposé puisque fervent catholique et aussi bon scientifique, fut broyé par le système. Il n'eut pas de poste à  Paris, fut envoyé à Lille, puis à  Rennes, et enfin à Bordeaux, où il finit sa carrière, mourant jeune. On lui avait dit que Bordeaux était une étape pour Paris, mais il n'en fut rien. 

 

Duhem était un fervent catholique, et d'un caractère qui n'était pas facile. Par exemple, à Lille, il avait été jusqu'à  vouloir faire renvoyer un préparateur qui ne l'avait pas salué, et alla jusqu'à  se brouiller avec le doyen de l'université pour cette raison, considérant qu'une lettre d'excuses était insuffisante. Scientifiquement, aussi, il était dogmatique : il s'opposa à  l'existence des atomes (comme Berthelot), à  la relativité d'Einstein, et ainsi de suite. Un homme extraordinairement intelligent et cultivé, bloqué par son dogmatisme. 

 

A un moment de son existence, voulant créer une revue de combat pro-religion, il avait discuté les questions de l'opposition entre science et religion, et avait été jusqu'à  conclure que tous les progrès de la science étaient dus à  la religion catholique ! Pour un historien des sciences, c'était borné : si le monde chrétien peut effectivement s'enorgueillir que des penseurs catholiques aient développé les sciences modernes, Duhem oubliait que le savoir des Grecs (mathématique, notamment) était passé à l'Islam avant de revenir en Europe, après le Moyen-Âge ! Et il oubliait aussi de dire que l'Europe avait une pensée unique, et que l'inquisition envoyait au bûcher quiconque osait discuter la Bible et les Evangiles. On sait ce qu'il advint de Giordano Bruno ou de Galilée, et l'on peut imaginer que des individus intelligents aient été prudents et se soient dits catholiques pour éviter de finir au bûcher ! De tout cela, Duhem ne disait rien. 

 

En revanche, Duhem avait raison de signaler que religion et sciences parlent des langages différents entre lesquels il n'y a pas de "correspondances". Les deux champs de savoir sont strictement "perpendiculaires". D'autre part, Duhem aurait même pu ajouter que la foi n'est pas en contradiction avec l'étude scientifique : par le passé, des gens de foi, tel le grand physico-chimiste britannique Michael Faraday, considéraient que la science permettait de déchiffrer l'un des deux livres que Dieu nous a donnés, le premier étant la Bible et le second la nature. Explorer la nature par la méthode scientifique, c'est bien essayer de comprendre le langage divin, au moins pour ceux qui font l'hypothèse de l'existence de Dieu. 

 

Que faire face à un personnage aussi ambigu que Duhem ? Comment l'aimer ? Comment le détester ? 

 

La question est ancienne, et elle vaut pour la plupart des scientifiques : Faraday, Lavoisier, Einstein, Planck, Heisenberg¦. 

Tous ont eu leurs bons et leurs mauvais côtés, même si les hagiographies n'en disent évidemment que du bien. Tous ont eu cette capacité remarquable de pousser les limites des connaissances humaines plus loin que leurs contemporains, et tous ont contribué à  la montagne des connaissances. 

 

On disait dans le temps, que, des morts, on disait du bien ou rien. Je ne suis pas sûr que cette idée soit bonne, parce que l'on est finalement déçu quand on finit par découvrir le pot aux roses ! Et puis, l'hagiographie est un mensonge. Pour les "enfants" tels que moi, et les autres, il y a malaise à découvrir les fautes des grands anciens. Je me souviens avoir été désespéré d'apprendre que Jean Perrin avait eu des maîtresses. Quoi, ce Jean Perrin qui avait fait le Palais de la découverte que j'aime tant ! Il trompait sa femme ! De surcroît, son attitude avait été vraiment contestable face à Breton, qui distinguait bien mieux science et technologie. Faraday était bien plus vertueux, mais également en contradiction avec ses paroles. Par exemple, quand il mettait en avant les collaborations, alors qu'il n'en avait pas. Einstein abandonna sa première épouse, enfant compris, et ainsi de suite. 

 

L'observation des grands scientifiques contemporains montre aussi que ce serait une erreur d'idéaliser le souvenir que nous avons des grands anciens. Hommes et femmes de science n'ont pas changé, et de même que les panacées n'existent pas, je doute de l'existence de "parfaits scientifique", fussent-il scientifiques. 

 

Parmi les innombrables théories que j'ai, il y en a une qui stipule que nous avons peut être tous les défauts de nos qualités, et vice versa, ce qui conduit à  penser que nous avons tous des qualités et des défauts, mais, pis encore, que de grandes qualités sont peut-être associées à de grands défauts ? Finalement, comment se positionner face à cette question de l'hagiographie et du devoir de mémoire+reconnaissance que nous devons avoir (pour plein de raisons, mais je n'entre pas dans les détails) ? 

 

Ma proposition est la suivante : peut-être devrions nous cesser d'avoir de l'admiration pour les grands scientifiques, et réserver notre admiration pour un couple personne-travail. On ne dissocierait pas le résultat de la personne, et l'on éviterait ainsi de se focaliser soit sur des résultats désincarnés, soit sur des personnes imparfaites. Et c'est ainsi que la réfutation du phlogistique par Lavoisier est belle, que la relativité d'Einstein est extraordinaire, et ainsi de suite. Ayons de l'admiration pour des couples travaux+personnes, sans oublier que "personnes" peut être au pluriel : plusieurs individus peuvent avoir contribué à  un travail extraordinaire, et il est bon et juste de le reconnaître.