Au fond, certains étudiants qui balancent à la figure de leurs professeurs des suite de calculs dont il faut s'échiner (perdre son temps) à comprendre ce dont il s'agit sont des malappris (au sens littéral du terme) : ils n'ont pas appris que, quand on s'adresse à quelqu'un, on lui dit d'abord "bonjour", on lui dit l'objet de ce qui nous amène, on lui explique la chose...
Et c'est donc une faute hélas courante et grave que de ne pas expliquer en mots ce que l'on fait, quand on calcule.
D'ailleurs, souvent, les calculs sont faux... parce que les étudiants ne savent même pas ce qu'ils veulent calculer.
Bref, un calcul se fait avec des phrases en français (pour les Français), avec sujet, verbe, complément. Il doit commencer par l'exposé de l'objectif, et l'on doit expliquer tout le raisonnement.
Ce qui, je l'observe régulièrement, permet à ceux qui calculent de savoir ce qu'ils font !
D'ailleurs, quand je dis "calcul", je pense tout aussi bien à des programmes informatiques, et, là, cela se nomme "documenter".
Une bonne idée : penser, quand on fait des calculs, non pas à soi-même mais à quelqu'un qui ne serait pas au courant de la chose, et à qui l'on voudrait lui expliquer. Penser à un enfant qui ne saurait pas nager et à qui l'on voudrait l'enseigner. Penser à une histoire que l'on raconte, penser à une chanson que l'on chante, penser à un chemin que l'on parcourt.
Mais, surtout, DOCUMENTER !
Ce blog contient: - des réflexions scientifiques - des mécanismes, des phénomènes, à partir de la cuisine - des idées sur les "études" (ce qui est fautivement nommé "enseignement" - des idées "politiques" : pour une vie en collectivité plus rationnelle et plus harmonieuse ; des relents des Lumières ! Pour me joindre par email : herve.this@inrae.fr
mercredi 17 mars 2021
Il faut "documenter" !!!!!
Des Masterclass à l'Ecole Le Cordon bleu
TRES HEUREUX de vous annoncer une série de Masterclass enregistrées à l'Ecole Le Cordon Bleu !
Science et art culinaire 1/6 : https://www.youtube.com/watch?v=6zf666XE0Do
Science et art culinaire 2/6 :
https://www.youtube.com/watch?v=5AoQmjnFu6Q
Science et art culinaire 3/6 : https://www.youtube.com/watch?v=XX8P9z5GSlY
Science et art culinaire 4/6 : https://www.youtube.com/watch?v=Hr63mY20cKM
Science et art culinaire 5/6 : https://www.youtube.com/watch?v=H-LDhGWGE1I
Science et art culinaire 6/6 : https://www.youtube.com/watch?v=zNAshHEWoZc
dimanche 14 mars 2021
A venir
Et voici une série d'événements où la gastronomie moléculaire trouve sa place :
A l'occasion de la parution du livre, les éditeurs (Roisin Burke, Dublin; Alan Kelly, Cork ; Christophe Lavelle, MNHN et Hervé This, INRAE-AgroParisTech, membre de l'Académie d'agriculture de France) organisent une conférence scientifique pour présenter les divers aspects du livre.
jeudi 11 mars 2021
La représentation des données
Des amis en stage m'interrogent sur la représentation des données, puisqu'ils en sont à ce stade de leur travail de recherche. Doivent-ils faire des courbes ? des histogrammes ? quels textes faut-il porter sur les images ? de quelles couleurs ? dans quelle taille ?
La première réponse à faire, la plus importante, c'est celle de l'objectif : toujours commencer par l'objectif ! Que veut-on faire et pourquoi ?
Et, d'autre part, quand il est question de communication (à soi-même ou aux autres), je ne saurais trop conseiller de distinguer la composante intrinsèque de la question, de la question extrinsèque et des questions concomitantes.
J'explique en prenant une comparaison (utile par ailleurs) : l'intérêt intrinsèque d'une profession, c'est combien l'exercice de ce métier nous intéresse ; l'intérêt extrinsèque, c'est de savoir combien on va gagner ; et l'intérêt concomitant, c'est par exemple la reconnaissance sociale. A vous de transposer, maintenant, en revenant à la question des affichages de données ;-).
Ca y est ? Non ? Alors je vous invite à chercher d'abord pourquoi on affiche des données. Et cela nous impose de nous remettre dans le fil de la recherche scientifique : cette recherche consiste à suivre des étapes qui sont :
1. identifier un phénomène
2. le caractériser quantitativement
3. réunir les données en "lois", c'est-à-dire en équations
4. induire une théorie, quantitativement compatibles avec les lois, et en introduisant des concepts nouveaux
5. chercher des conséquences logiques, testables, de la théorie
6. tester expérimentalement ces prévisions théoriques.
Ici, nous en sommes au point (3), à savoir que nous avons des données, et nous voulons des équations.
Et c'est un fait que, de surcroît, on se repère très difficilement dans d'immenses tableaux de nombres (les résultats des mesures de caractérisations quantitatives).
Autrement dit, ce que l'on voudrait, avec cet affichage, c'est avoir une idée de la formes des équations : proportionnalité, augmentation exponentielle, que sais-je.
Et évidemment, pour cette recherche, il y a lieu de faire des représentations les plus simples possibles.
Notamment des représentations dans un espace à deux dimensions (ce qui est une "coupe" d'un espace qui aurait possiblement plus de dimensions).
Par exemple, considérons une série de spectres d'absorption UV-visible : là, les données sont des courbes... et s'il a plusieurs courbes, on peut les superposer, et regarder l'ordonnée des diverses courbes a une valeur particulière de l'abscisse (une longueur d'onde particulière, choisie pour de vraies raisons scientifiques).
On peut aussi -mais c'est plus compliqué- dessiner une sorte de paysages, avec toutes les courbes, car si ces courbes s'ordonnent, pourquoi ne pas les faire apparaître comme des coupes de l'espace ?
Après tout, les deux dimensions de l'espace des courbes, plus une dimension pour la succession des courbes, cela fait trois dimensions, n'est-ce pas ?
Ou encore, imaginons que l'on ait des données colorimétriques, par exemple dans un espace nommé L*a*b*. Pour cette mesure, on a des triplets de points, c'est-à-dire en réalité des points dans un espace à trois dimensions. Si l'on a plusieurs mesures, on aura plusieurs points dans cet espace. Comment représenter s'il y a un ordre pour les points ? Car ici, il faudrait un espace à quatre dimensions ? Une couleur peut être ajoutée, par exemple.
Et ainsi de suite : ce que l'on cherche à ce stade, ce n'est pas d'épater la galerie, de faire du "beau", de l'extrinsèque, mais de l'intrinsèque, de l'efficace du point de vue de la production scientifique.
C'est seulement plus tard, quand le travail scientifique aura été fait, que l'on pourra se préoccuper de produire de belles représentations. Là, tel le génial mathématicien Carl Friedrich Gauss, on pourra effacer les traces de ses propres hésitations, et afficher un travail d'orfèvre, superbe, ciselé... mais cela ne doit venir que quand le contenu aura été parfaitement déterminé : on ne peut pas mettre des habits mêmes superbes sur un corps inexistant.
D'abord le message, le contenu, avant sa forme.
PS. Connaissez vous le livre The quantitative display of scientific information ?
mardi 9 mars 2021
A quoi bon essayer de comprendre la science si ce n'est pas pour s'en servir ensuite ? c'est la question que je me pause.[sic]
"À quoi bon essayer de comprendre la science si ce n'est pour s'en servir ensuite ? C'est la question que je me pose" : voilà une remarque qui me vient par email et que je propose ici de bien analyser.
Il y a d'abord la question des mots, qui va d'ailleurs avec la question de l'orthographe (la faute dans la question qui m'était adressée) et de la pensée : j'ai la conviction que si les mots ne sont pas bons, la pensée n'est pas juste.
Et, d'ailleurs, ici, je suis immédiatement alerté par le mot "science"..., car je sais qu'il est miné : j'ai fini par comprendre
- que certains nomment "science" des savoirs (la science du maître d'hôtel, la science du cuisinier...)
- qu'il existe des sciences de la nature, d'une part, et des sciences de l'humain et de la société, d'autre part. Les activités de ces deux types sont bien différentes, très "étrangères les unes aux autres".
Et comme je ne connais pas suffisamment les sciences de l'humain et de la société, d'une part, et que mon interlocuteur fait en réalité référence aux sciences de la nature, je préfère réécrire sa question pour bien la comprendre sous la forme suivante : "comprendre les sciences de la nature".
Mais, là, que cela signifie-t-il ? Comprendre les sciences de la nature ? C'est bien vague ! Mon interlocuteur veut-il dire "comprendre la nature des sciences de la nature", ou "comprendre la méthode des sciences de la nature", ou "comprendre les théories des sciences de la nature ?
Et puis, de quelle science de la nature me parle-t-il ? De toutes ? Ou bien seulement de physique ? De chimie ?
Bref, je ne sais pas ce qu'il veut dire par "comprendre la science".
Plus simplement, j'ai fini par comprendre que les sciences de la nature sont des activités dont l'objectif est la recherche des mécanismes des phénomènes, à l'aide d'une méthode qui passe par :
1. l'identification d'un phénomène,
2. sa caractérisation quantitative,
3. la réunion des résultats de mesure en équations nommées lois,
4. l'induction d'une théorie, avec le regroupement de ces lois et l'introduction de nouveaux concepts,
5. la recherche de prévisions théoriques, c'est-à-dire de conséquences logiques de la théorie,
6. les tests expérimentaux de ces prévisions théoriques.
Alors "comprendre la science"... S'agit-il de se limiter à comprendre cette méthode ? Ou s'agit-il de connaître (j'insiste : connaître) les "lois" ? De connaître les concepts (j'insiste, connaître) ?
Mais un exemple s'impose. Considérons l'effet de composé phénoliques sur la constitution d'émulsions, le phénomène étant que des émulsions faites en présence de ces composés font immédiatement deux couches, alors qu'elles n'en font qu'une sans ces composés.
Un travail scientifique peut vouloir explorer ces phénomènes, et il aboutit à l'hypothèse selon laquelle les composés phénoliques puissent se mettre à l'interface eau-huile, au milieu des phospholipides. Une telle hypothèse s'établit notamment par résonance magnétique nucléaire, laquelle permet de voir des couplages, c'est-à-dire des modifications des signaux de résonance de certains atomes en fonction de leur "environnement chimique", à savoir la présence d'autres atomes. Dans un tel cas, le travail scientifique produit donc une théorie sur la répartition des composés phénoliques parmi les phospholipides, autour des masses liquides de lipides.
A quoi bon savoir cela ?
Pour un/e scientifique, avoir cette connaissance ne sert peut-être à rien, sauf à connaître le fonctionnement du monde, ou à utiliser ces résultats dans des études analogues, où l'hypothèse pourrait être "utile" pour produire une autre hypothèse : autrement dit, la connaissance de résultats scientifiques peut "servir" à poursuivre le travail scientifique.
D'ailleurs, la connaissance et la description du monde ne sont-ils pas de qui nous sépare des animaux ?
Pour un ingénieur ou un technologue, d'autre part, un tel résultat peut être utilisé pour stabiliser une émulsion, par exemple, ou éviter une déstabilisation.
Pour un enseignant, une telle connaissance peut servir à changer des mentalités (pensons à ces séismes intellectuels qui ont suivi le remplacement du géocentrisme par l'héliocentrisme, à la révolution copernicienne... on a même brûlé ceux qui soutenaient ce qui était contraire à la Bible !), mais, aussi, à enseigner de la saine méthodologie, ou de la méthode, par exemple.
Le fait que mon interlocuteur ne voit pas l'intérêt de la science pour elle-même montre bien qu'il n'est pas scientifique. Et que faisons-nous de l'honneur de l'esprit humain ?
Et j'insiste un peu, parce que, en ces temps de plomb où l'argent tient lieu de valeur morale, l'"utilité" est une notion bien difficile, qui mérite que l'on y pense un peu. Je ne dis pas qu'il soit mal de penser aux applications, mais je dis surtout que des scientifiques qui s'occuperaient à cela ne feraient pas leur "mission", à savoir produire des connaissances scientifiques.
vendredi 5 mars 2021
Comment réussir un soufflé
Comment réussir un soufflé
La question de la réussite des soufflés est aujourd'hui posée dans la culinosphère, et l'on se reportera sans hésiter au travaux de la gastronomie moléculaire.
En effet, les souffléss sont les préparations que j'ai commencé à explorer dans les années 1980 et pour lesquelles j'ai fait mes premières découvertes.
Tout tient en trois points
Pour réussir des soufflés, l'essentiel est de :
1. battre les blancs en neige très ferme
2. passer le soufflé sous le grill avant la cuisson afin d'avoir une surface non seulement d'un joli aspect mais qui de surcroît retient les bulles de vapeur et augmente le gonflement
3. troisièmement, et c'est là le plus important, chauffer le soufflé par le fond, par exemple en plaçant le ramequin sur la sole du four, sa partie inférieur, et en chauffant le four par le fond seulement si l'on peut.
Avec ça, le soufflet gonfle sans aucune difficulté, mais pourquoi ?
Pour comprendre pourquoi les soufflés gonflent, il faut abandonner l'idée fausse de naguère, selon laquelle les soufflés auraient gonflé en raison d'une dilatation des bulles d'air à la chaleur. La preuve que c'est faux, c'est que, au séminaire de gastronomie moléculaire, j'ai montré des soufflés qui gonflaient parfaitement avec des blancs d'oeufs qui n'avaient pas été battus !
Non, en réalité, j'ai découvert que les soufflés gonflent parce que l'eau de l'appareil s'évapore. Un ordre de grandeur : un soufflé de 100 grammes perd 10 grammes à la cuisson, ce qui correspond à 10 litres de vapeur ! De quoi faire largement gonfler les soufflés, non ?
Et c'est évidemment au fond que la vapeur doit se former : elle pousse alors les couches du soufflé vers le haut.
La fermeté des blancs ? Les blancs fermes retiennent mieux les bulles de vapeur. Le passage sous le grill ? Il donne un joli aspect, en même temps qu'il retient des bulles.
Après, il y a bien des détails : la préparation du moule, la convection éventuelle, la température, la durée... Mais ce sont des détails.
jeudi 4 mars 2021
La gastronomie moleculaire n'a jamais été aussi active