Laissez-moi vous présenter les chlorophylles. Mais faisons-le dans une perspective historique.
Il y a bien longtemps, les cuisiniers qui cuisaient des légumes verts savaient bien que, parfois, le vert tendre des végétaux frais virait au brun. Ils ne savaient pas pourquoi.
Pour autant, ils avaient extraire le "vert d'épinard", par exemple en broyant des es épinards et en chauffant le liquide obtenu doucement : se séparent un liquide brun transparent, qui décante, et, par dessus, une mousse d'un verre très frais... quand les légumes le sont, bien évidemment. Cette mousse verte, très colorante fut nommée vert d'épinard, et elle fut utilisé rapidement pour colorer des sauces, par exemple notamment des mayonnaise.
Il y a un peu plus d'un siècle, des chimistes se sont intéressés à cette matière colorante est le terme de "chlorophylle" fut introduit. Là, les chimistes qui avait donné ce nom ont bien stipulé que ce n'était qu'un nom, pour désigner une matière qui avait déjà été observée par les cuisiniers.
Il fallut encore quelques décennies pour arriver à ce que d'autres chimiste puissent identifier que la matière nommée chlorophylle (au singulier) était composée de pigment variés : verts, bleus, jaunes, orange, rouges... Se dégagèrent ainsi, progressivement, des catégories de pigments que l'on nomma des chlorophylles et des caroténoïdes. Les chlorophylles étaient vertes ou bleues, et les caroténoïdes étaient jaunes orangés ou rouges.
Puis on découvrit qu'il y avait de grandes différences moléculaires entre ces deux catégories, avant que l'on finisse par identifier la structure moléculaire exacte, faite d'atomes de carbone, d'oxygène, d'hydrogène, d'azote et même de magnésium.
Puis on découvrit que le brunissement correspondait à une réaction que l'on a nommé phéophytinisation, avec la disparition d'un atome de magnésium des chlorophylles, notamment en milieu acide.
La suite sur https://www.academie-agriculture.fr/publications/encyclopedie/presentation-encyclopedie
Ce blog contient: - des réflexions scientifiques - des mécanismes, des phénomènes, à partir de la cuisine - des idées sur les "études" (ce qui est fautivement nommé "enseignement" - des idées "politiques" : pour une vie en collectivité plus rationnelle et plus harmonieuse ; des relents des Lumières ! Pour me joindre par email : herve.this@inrae.fr
jeudi 15 octobre 2020
Je vous présente les chlorophylles
mercredi 14 octobre 2020
La cuisine n'est pas l'épicerie
J'ai discuté dans un autre billet cette théorie simpliste selon laquelle les choses seraient bonnes quand elles ont le goût de ce qu'elles sont.
Ici, je veux discuter d'une idée voisine, selon laquelle les cuisiniers devraient utiliser des "bons produits".
Dans le monde culinaire professionnel, il y a cette tendance qui n'est pas nouvelle d'avoir ce que les cuisiniers nomme des "beaux produits". Et rien que cette expression est symptomatique, parce qu'elle montre que les cuisiniers considèrent les produits comme... des produits. En réalité, ces "produit" sont plutôt des ingrédients, car certes, ce sont les produits de l'élevage, de l'agriculture, de la chasse, de la pêche, mais certainement pas les produits de la cuisine.
Et, d'ailleurs, je dénonce ici une espèce de travail culinaire simpliste qui consiste à chercher ses ingrédients particuliers, ce qui conduit tous les cuisiniers à identifier les mêmes fournisseurs ; et nous, de l'autre côté, à retrouver toujours les mêmes d'huîtres, toujours le même beurre, toujours les mêmes légumes... dans tous les restaurants !
Je n'ai pas besoin de donner les noms de ces fournisseurs, car ils sont connus de tous
Mais, surtout, s'il est vrai que ces fournisseurs font des ingrédients de belle qualité, ce n'est pas là le nec plus ultra culinaire ! Car la cuisine ne consiste pas à aller chercher des ingrédients et à les traiter de façon minimale, ce que certains disent "respecter le produit", expression idiote : nous devons respecter des hommes et des femmes, pas des carottes ou des navets !
Bien sûr, il faut faire attention aux productions des bons producteurs, et ce serait du gâchis que de secouer des fruits, entre la ferme et la cuisine ; ou de mal stocker des poissons et des viandes, par exemple.
Mais c'est en cuisine que le travail de cuisine commence, et c'est là que le cuisinier doit montrer son savoir ou son art.
Je répète que je peux, tout aussi bien qu'eux, me fournir chez de bons fournisseurs d'ingrédients, mais je réclame à des artistes culinaires... qu'ils fassent de l'art culinaire, qu'ils fassent du bon, à partir de ces ingrédients qui s'apparentent aux touches du piano pour le pianiste.
D'ailleurs, la comparaison est juste : oui, le piano doit être accordé, ce qui signifie que les ingrédients culinaires doivent être justes, frais, de belle qualité.
Mais, ensuite, c'est le musicien qui fait surgir la musique, et c'est sa manière particulière de jouer du piano qui fait exister une musique ! La touche seule est bête !
mardi 13 octobre 2020
Peut-on écrire avec enthousiasme sans se laisser aller à de la poésie fautive du point d vue lexical ?
J'entends et je lis des mots dont l'acception est... "originale" (oui, je veux bien dire très idiosyncratique). Arôme, flaveur, saveur, goût ? Alors que je critique l'étrange usage qui est fait de ces mots, on me rétorque que c'est bien difficile d'écrire de façon que l'enthousiasme transpire.
Écrire avec enthousiasme ? Un correspondant me dit que, parfois, l'enthousiasme et la littérature le conduisent à des confusions entre ces termes. Ces confusions sont-elles vraiment indispensables, inévitables, lui demandé-je ? Je suis certain que non et, au contraire, je crois qu'il n'y a aucune raison de ne pas avoir, pour ces termes la même précision que pour les autres mots, car au fond, si la pensée, ce sont les mots, ce ne sont pas avec des mots imprécis, approximatifs, gaucis, biaisés, tordus que l'on fera la moindre des littératures (aucun des adjectifs précédents n'est utilisé dans une acception approximative).
Viens maintenant la question de l'enthousiasme et là, je reviens de loin, car je suis le premier à être - jadis - tombé dans l'épithétisme : l'accumulation d'adjectif, d'adverbes, de superlatifs... au lieu d'avoir la force par le verbe juste, le mot juste, et surtout l'idée juste !
Oui, l'idée juste : car c'est cela la force de discours ! Il nous faut des idées étonnantes, surprenantes, remarquables, intelligentes en un mot... et précises. Ce qui fait style, c'est bien de proposer des idées qui ont une originalité si grande qu'elles s'imposeront à tous, sans ces effets de manche un peu vulgaires que sont les accumulations d'adjectifs, d'adverbes, sans les imprécisions, les gauchissements.
L'enthousiasme ? C'est comme dans tous les arts, un souci du détail, une précision incommensurable qui s'apparente à être capable de peindre des mouches sur un tableau de façon si réaliste que l'on s'y trompe.
Bien sûr, il y eut des grands auteurs de l'accumulation, et l'on pense immédiatement à François Rabelais, surtout si l'on est gourmand. Oui, mais son accumulation est en termes d'objets, car quand il évoque les boudins, les jambons, les saucisses, les andouilles, etc., c'est une image qu'il nous donne, une image extraordinairement précise.
Bref, je crois que la maîtrise littéraire résulte de la précision, d'une précision parfaite, d'une maîtrise parfaite des mots, de leur sens, de leurs connotations, de leurs sonorités...
Et c'est ainsi que nous lisons de beaux textes, qui s'apparentent à des dessins où l'encre n'a pas coulé, à des peintures où rien n'est laissé au hasard, à des musiques où tout est réglé pour faire passer un exact sentiment.
lundi 12 octobre 2020
Qu'est-ce que le "bon" ?
Le bon ?
Encore rencontré quelqu'un pour qui "les choses sont bonnes quand elles ont le goût de ce qu'elles sont". C'est trop facile !
Qu'est-ce qui est bon ? La question vaut pour tous les arts : pour la cuisine, le bon, c'est ce qui est beau à manger ; pour la musique, le beau, c'est ce qui est beau entendre ; pour la littérature, il y a le beau à lire ; pour la peinture, le beau est à voir, et ainsi de suite.
Le beau ? La question est évidemment difficile, et la théorie du beau se nomme esthétique. Car l'esthétique, ce n'est pas la beauté à voir seulement ; et, en tout cas en cuisine, le beau à voir n'est pas la question, même si on ne doit certainement pas négliger l'apparence des plats.
Mais, surtout, en cuisine, la question du bon, c'est la question du goût.
Et sont bien faibles, ceux qui appliquent des formules toutes faites comme la trilogie (trois éléments dans l'assiette), le nombre d'or, ou nombre d'idées simplistes telles que "dans une sauce à l'estragon, on doit chercher l'estragon".
Pour discuter la question du "bon", j'ai fait un livre entier qui s'intitule La cuisine, c'est de l'amour, de l'art de la technique. A ma connaissance, c'est le premier traité d'esthétique culinaire de l'histoire, et j'y discute notamment cette théorie que je crois très fausse selon laquelle les choses seraient bonnes quand elles ont le goût de ce qu'elles sont.
À ce compte, le poulet serait-il bon quand il est cru et qu'il a le goût de poulet cru ? Supposons que l'on me dise que non, puisque l'on annonce un poulet rôti, et que c'est le goût de poulet rôti qu'il faut donner. Mais "le" goût de poulet rôti : lequel ? Il y a mille goûts de poulet rôti, et tous seraient légitimes, donc !
D'ailleurs, je ferais observer que le poulet rôti, c'est un peu comme une représentation en peinture de la Vierge à l'Enfant : il y a mille peintres, et mille représentations, qu'elles soit réalistes ou non. Une Vierge à l'Enfant par Picasso n'a rien à voir avec une Vierge à l'Enfant par Rembrandt. Et, même, pourquoi voudrait-on voir même la Vierge et l'Enfant dans un tel tableau ? Car un tableau où la Vierge et l'Enfant seraient évoqués, à défaut d'être représentés, pourrait être même supérieur... s'il est beau !
Mais revenons à la cuisine : j'ai donc le poulet rôti... Mais ai-je besoin d'un cuisinier pour me faire un bon poulet rôti ? Qu'apporte ce professionnel, s'il se limite à rôtir un poulet ?
Au fond je m'ennuie terriblement avec ces cuisiniers professionnels qui me font des poulets rôtis qui ne sont autres que des poulets rôtis, conformément à la théorie très faible que je discute ici ; je n'ai pas besoin d'un professionnel pour me le donner.
Non, je demande aux cuisiniers de dépasser cette théorie simpliste selon laquelle les choses auraient le goût de ce qu'elles sont. Je leur demande d'interpréter le poulet rôti, de créer des goûts qui soient bien différents. Je veux que le poulet rôti soit une partition dans l'orchestre des goûts ; pourquoi pas un soliste, mais dans l'orchestre, se fondant avec lui, répondant. Et pourquoi pas, aussi, un instrumentiste qui ne serait pas un soliste ?
De sorte que se reprennent en pleine figure ceux qui soutiennent la théorie simpliste que je discute ici.
Qu'est-ce qui est bon ?
Et, pour répondre, il y faut de la culture, de l'intelligence, du talent... mais pas du simplisme, en tout cas.
samedi 10 octobre 2020
Pourquoi il n'y a pas d'acides gras dans les triglycérides ni d'acides aminés dans les protéines
On rencontre décidément parfois des personnes étranges : là, des scientifiques (pas chimistes) ne veulent pas admettre, sans avoir à m'opposer d'arguments autres que des usages anciens (et fautifs), que les protéines ne sont pas faites d'acides aminés, ou que les triglycérides ne sont pas faits d'acides gras.
Expliquons, aussi simplement que possible, et en prenant des exemples.
Si l'on regardait de l'huile à l'aide d'une sorte de super-microscope, on verrait un grouillement d'objets ressemblant à des pieuvres à trois tentacules. Ces objets ont pour nom "triglycérides", et ils sont faits d'atomes de carbone, d'oxygène et d'hydrogène.
La "tête des pieuvres" est faite de trois atomes de carbone, d'où partent les trois "tentacules". Or il y a un composé à trois atomes de carbone qui a pour nom glycérol, et les "tentacules" ressemblent beaucoup à des composés que l'on nomme des acides gras. De plus, on peut effectivement partir de glycérol et d'acides gras pour produire des triglycérides, mais au prix d'une réaction chimique, avec l'élimination de certains atomes d'oxygène et d'hydrogène. Bref, une fois que le triglycéride est fait, il n'y a plus de glycérol ni d'acides gras, même si un chimiste en retrouve la marque.
D'où ma conclusion : il n'y a pas d'acides gras dans l'huile, puisqu'il n'y a que des triglycérides. Et, d'autre part, il n'y a pas d'acides gras dans les triglycérides, mais seulement des résidus d'acides gras.
Ce que je viens d'expliquer se retrouve avec les protéines, qui ne "contiennent" pas d'acides aminés, mais sont des enchaînements de résidus d'acides aminés". Là encore, le mot "résidu" permet de bien comprendre que des atomes ont été éliminés des acides aminés.
Tout cela me semble simple et clair, mais je compte sur vous pour me signaler des obscurités.
En tout cas, je ne comprends pas pourquoi des collègues d'autres disciplines rechignent à utiliser des terminologies correctes... à moins qu'ils n'aient d'idées que de simples mots, comme des manteaux sans personne dedans ?
Pourquoi de telles âneries ?
Entendu dans la bouche d'un bon professionnel "Le sel attaque la molécule de matière grasse".
Je sais bien qu'un ministre a déclaré, ces dernières années, que la molécule d'éthanol n'était pas la même dans le vin et dans les alcools (une ineptie), et je sais aussi que notre homme parlait à une télévision, et qu'il devait paraître savant, mais je vois deux possibilités :
- soit notre homme a dans l'idée ce qu'il dit
- soit il dit cela pour faire bien.
Dans le second cas, c'est quelqu'un de prétentieux, ou de fragile. Mais, dans le premier cas, cela m'intrigue beaucoup, car quelle idée a-t-il d'une "molécule" ?
Décrivons lentement le système que notre homme considérait : le beurre. C'est une matière qui, comme on le voit en le clarifiant, est composés du petit lait et du beurre clarifié, avec parfois un peu d'écume. Pour le petit lait, c'est principalement de l'eau et des protéines, mais avec un sucre nommé lactose en solution, ainsi que des sels minéraux. Pour la matière grasse, elle est faite de molécules nommées triglycérides, avec, dissous, des colorants (naturels), des composés odorant.
Dans le beurre, à la température ambiante, il y a une partie de la matière grasse qui est sous forme solide, formant une sorte d'armature, d'échaffaudage, avec, dans le "réseau", des gouttes de la solution aqueuse et de la matière grasse à l'état liquide.
La "molécule de matière grasse" ? Cette expression n'a aucun sens, parce que la matière grasse d'une motte de beurre est faite de centaines de milliers de milliards de milliards de molécules de triglycérides. Et le sel n'a aucune action sur ces molécules.
Que notre homme veut-il dire, alors ?
jeudi 8 octobre 2020
Les sciences de la nature, c'est du calcul, et non pas de vagues "histoires" !
Je m'évertue, depuis des années, à expliquer que les sciences de la nature moderne marchent par quantification des phénomènes, expériences et théorisations... mais pas n'importe comment.
D'abord, l'objectif est de chercher les mécanismes des phénomènes, ce qui va de pair avec l'exploration du monde, la découverte d'objets, de concepts...
Cette recherche se fait de façon très coordonnée, de la façon suivante :
1. identification du phénomène que l'on va étudier
2. caractérisation quantitatives (des mesures, des mesures, des mesures) des divers aspects des phénomènes retenus
3. réunion des données de mesure en "lois", c'est-à-dire en équations
4. recherche de "théories", par l'intégration de plusieurs lois et l'introduction de concepts nouveaux (l'électron, le neutrino, la tétravalence du carbone, l'aromaticité...)
5. recherche de conséquences testables des théories
6. tests expérimentaux de ces "prévisions"
7. et ainsi de suite à l'infini, parce que toute théorie, étant un modèle réduit de la réalité, est nécessairement insuffisante, et doit être améliorée.
Tout cela étant dit, on arrive, à une époque donnée, à un "récit", du type "L'eau liquide est faite d'objets identiques, les molécules d'eau, entre lesquelles il n'y a rien (du vide)".
Et quelqu'un qui étudie les sciences doit évidemment apprendre un tel "récit", au lieu de "L'eau est une substance élastique", comme au Moyen Âge. D'ailleurs, j'ajoute immédiatement que cela ne suffit pas d'apprendre la phrase "L'eau liquide est faite d'objets identiques, les molécules d'eau, entre lesquelles il n'y a rien (du vide)" : cela est un récit de vulgarisation, mais, quand on apprend les sciences de la nature, on doit apprendre les quantifications qui vont avec cette idée, à savoir que une mole d'eau (18 g) contient 600000000000000000000000 molécules d'eau, que ces molécules contiennent un atome d'oxygène et deux atomes d'hydrogène, et ainsi de suite. Sinon, on n'apprend pas les sciences ; on reste à de la vulgarisation qui ne donne pas une compétence, pas un métier.
D'où un twitt que j'avais fait, et où je m'étonnais d'avoir rencontré des étudiants de sciences des aliments qui croyaient qu'il y avait de l'air entre les molécules d'eau.
Après ce twitt, un correspondant a pris la "défense" des étudiants ignorants :
" Je viens de lire votre tweet sur votre étudiant de master qui pense qu'il y a de l'air entre les molécules d'eau liquide. D'une certaine manière je le comprends : je me pose moi-même beaucoup de questions depuis que j'ai regardé les vidéos (donnant une modélisation visuelle de l'eau) que vous aviez un jour mises en lien."
Ici, pour ceux qui ne sont pas au courant, il faut expliquer que j'avais donc déjà présenté la constitution de l'eau, et j'avais expliqué (récit de vulgarisation) que l'eau était fait de d'objets tous identiques que l'on nomme des molécules d'eau. Il est d'usage, dans l'enseignement, de "représenter" ces molécules et il y a plusieurs représentation :
- soit simplement des lettres pour dénommer la nature des atomes qu'on relie par des bâtons pour figurer les liaisons chimiques (qui sont en réalité en réalité des nuages d'électrons),
- soit des boules qui sont censées correspondre à des parties de l'espace où les électrons se répartissent autour des atomes
- soit des surfaces où les molécules voisines n'entrent pas (dans des conditions physiques particulières)
- etc.
Oui, "etc.", car on pourrait tout aussi bien représenter les molécules par des tableaux de nombres, ce qui est fait d'ailleurs en modélisation moléculaire. Ou encore par des fonctions d'onde, quand on fait de la mécanique quantique...
Dans tous les cas, il s'agit de représentation, c'est-à-dire de donner à voir mais on aurait bien tort de croire que les objets que l'on représente sont effectivement les objets tels qu'ils sont. Et je prends souvent comme exemple, pour expliquer cela, celui d'un cylindre : quand on le regarde selon son axe, on voit un disque, mais quand on le regarde par le côté, on voit un rectangle. Pour autant, le cylindre n'est ni un disque ni un rectangle, mais bien un cylindre, et d'ailleurs, on peut tout aussi bien ne pas le voir avec les yeux mais avec une équation, celle du cylindre.
Oui, j'avais donc moi-même fourni à mes amis des vidéos qui montraient des modélisations moléculaire de molécules d'eau. Il y avait donc quelque chose à voir... sur un fond noir. On aurait pu le faire blanc, mais il était plus juste de le faire noir, car il n'y a rien entre les molécules d'eau : du vide.
Et cela m'amène à une autre réponse fausse que font les étudiants, quand on dessine des molécules d'eau dans de l'eau liquide : interrogé sur ce qu'il y a entre les molécules d'eau, certains disent "des liaisons hydrogène".
Sur les modélisations moléculaires que j'avais données, on voit effectivement des pointillés, sur certaines, et il est vrai que les molécules d'eau s'attirent, raison d'ailleurs pour laquelle l'eau liquide reste liquide, au lieu que les molécules se dispersent partout. Oui, les molécules (qui bougent) sont déviées d'une trajectoire initiale par les "interactions" entre les molécules, tout comme la Terre ne part pas en ligne droite dans l'espace, mais est attirée par le Soleil.
Dire qu'il y a des liaisons hydrogène entre les molécules d'eau, ce serait comme dire qu'il y a des forces de gravitation entre la Terre et le Soleil, ou comme dire qu'il y a des forces magnétiques entre deux aimants séparés de quelques centimètres.
Ces forces ? Nous en avons les expressions quantitatives, les équations, et c'est précisément cela, l'apport des sciences de la nature : au lieu de tenir un discours vague, nous avons des équations qui s'appliquent avec une précision parfois extraordinaire. Et c'est d'ailleurs une raison pour laquelle je me lève le matin : quelle extraordinaire correspondance entre les équations et ce que nous mesurons !
Mais, hélas, ces équations sont bien difficiles à communiquer à un public qui n'a pas de compétences mathématiques... de sorte que nous faisons des récits, qui n'ont, par rapport à des récits mythiques (les dieux grecs, les feux follets, les fées, etc.) que le bénéfice d'être réfutables... et de correspondre à des équations, des calculs, qui correspondent très précisément aux faits expérimentaux.
Mon interlocuteurs continue :
Je me pose des questions en particulier sur les interactions entre molécules, interactions qui expliquent leurs mouvements. J'ai bien compris qu'il y avait des liens hydrogènes (donc des forces électrostatiques si je ne m'abuse). Ces forces-là sont les plus faciles à comprendre. Elles sont marquées par des traits dans les vidéos. Je me doute qu'il y a des forces de gravitation. Mais j'imagine également qu'il y a des chocs. Et ces chocs ne sont absolument pas notés dans les vidéos. On a l'impression que les molécules ne se touchent pas. Or avant de voir ces vidéos, pour moi c'étaient ces interactions qui expliquaient le mouvement des molécules.
Des "chocs" ? La question à se poser est "qu'est-ce qu'un choc, pour des molécules" ? De même, la "surface de l'eau" n'est pas une ligne que l'on trace, puisqu'il y a des molécules qui partent, d'autres qui reviennent, et tout cela est en mouvement. La ligne que l'on peut dessiner est notre perception à l'oeil nu... mais n'oublions pas que la physique sonde jusqu'aux quarks qui constituent les particules qui constituent les noyaux des atomes qui eux même entrent dans la constitution des molécules. Et tout cela avec des caractéristiques quantitativement décrites par des équations. J'insiste : des équations qui sont ce que les étudiants en sciences doivent apprendre !
D'ailleurs, j'ajoute que les forces de gravitation dont parle notre ami sont TRES faibles par rapport aux liaisons hydrogène. Et cette extrême faiblesse relative est une composante essentielle de la description... sans quoi on devrait voir les molécules "tomber".
Oui, comme dit notre ami : "Comme quoi réussir à donner un modèle suffisamment parlant et en même temps suffisamment précis pour avoir une idée juste d'un phénomène physique ou chimique est bien compliqué.". Oui, absolument, cela est bien compliqué, et voilà pourquoi j'ai la plus grande admiration pour mes prédécesseurs et pour les meilleurs de mes collègues : la science ne s'apprend pas, et ne se fait pas en claquant des doigts à la terrasse d'un bistrot, mais, au contraire, par de l'étude ! Seul dans un cabinet de travail, à apprendre, apprendre et apprendre encore !
On me dit ensuite "L'erreur commise par votre élève n'est pas une erreur totalement déraisonnable. Pourquoi n'y aurait-il pas de l'air entre les molécules d'eau liquide. Il y en a bien entre les molécules d'eau gazeuse dans l'atmosphère. Bien sûr les physiciens et les chimistes savent qu'il n'y en a pas. Mais a priori rien n'empêcherait qu'il en fût autrement. Comment savent-ils qu'il n'y a pas d'air d'ailleurs ? Il y a eu des expériences faites en ce sens dans l'histoire des sciences ? Le modèle de l'eau liquide qu'ils ont en tête ne le permet pas ?"
En réalité, oui, il peut y avoir de l'air "dissous" dans l'eau, mais c'est trompeur et un peu fautif de le dire ainsi : il y a des molécules de diazote ou de dioxygène dissoutes dans l'eau, dispersées au milieu des molécules d'eau, et on connaît même depuis plus d'un siècle une "loi" qui décrit la relation entre la pression du gaz au dessus du liquide et la quantité de molécules de ce gaz en solution.
Mais je vous assure que, en Master, soit après 5 années d'études supérieures avec de la chimie, de la physique, des mathématiques, ce n'est vraiment pas merveilleux de ne pas avoir de bon "modèle" de l'eau !
Et notre correspondant de conclure "Cela montre en tout cas que dans la conscience que nous avons de la physique comme dans celle des autres sciences rien n'est inné tout est acquis."
Mais oui, mille fois oui ! Les sciences de la nature sont une conquête extraordinaire, l'honneur de l'esprit humain. Oui, sans connaissance scientifique, nous serions comme au Moyen Âge, et nos ordinateurs, aliments, vaccins, médicaments, peintures, fusées, électricité dans les foyers, eau potable, etc. sont des résultats d'applications techniques des sciences. De ces sciences qu'il faut apprendre, longuement, patiemment, avant de pouvoir contribuer à leur avancement.
Et, je le répète, cela ne se fait pas en claquant des doigts. Je rappelle d'ailleurs ma métaphore de la balance, avec le travail d'un côté et les prétentions de l'autre : s'il y a plus de prétentions que de travail, on est prétentieux, mais si l'on a plus de travail que de prétentions, on est travailleur... et l'on n'a d'ailleurs pas de temps pour être prétentieux. Ajoutez à cela que quelqu'un qui sait quelque chose est quelqu'un qui l'a appris, et vous verrez pourquoi je préfère voir, en Master, des étudiants qui savent qu'il y a du vide entre les molécules d'eau.
Oui, les connaissances scientifiques s'apprennent ! Et ce ne sont pas des récits comme on en fait aux enfants le soir à la veillée : tout est équations !