jeudi 9 mai 2019

Rumeurs délétères ! N'ayons pas peur de l'acide citrique !

Les rumeurs ont la vie dure. Récemment, lors d'une conférence, j'ai eu des questions à propos de l'acide citrique : la personne qui m'a interrogé était manifestement très convaincue que l'acide citrique était cancérogène. J'ai eu beau lui expliquer que ce acide est présent dans la totalité de nos aliments de façon naturelle, elle m'a rétorqué avec beaucoup d'aplomb que c'étaient "les cancérologues de Villejuif" qui le lui avaient dit (on verra que c'est donc un mensonge qu'elle m'a fait !).

Dans un tel cas, il est inutile de perdre son temps à vouloir convaincre un interlocuteur qui ne veut pas être convaincu. En revanche, de retour au laboratoire, je suis allé faire un peu de recherche... et c'est là que j'ai retrouvé l'acide citrique dans le "Tract de Villejuif".
Voici ce que j'ai notamment trouvé :

Le tract de Villejuif est une liste fantaisiste, prétendument publiée par l'« hôpital de Villejuif » en France, et signalant faussement comme cancérigènes un certain nombre d'additifs alimentaires, tout particulièrement E330 (acide citrique). Elle a d'abord circulé sous forme de photocopies dans les années 1970. Bien que l'hôpital de Villejuif (l'Institut Gustave-Roussy, de son vrai nom) ait démenti à plusieurs reprises1 être à l'origine de ce document, cette légende urbaine se remet parfois à circuler épisodiquement, y compris de nos jours par propagation électronique (Référence : https://www.gustaveroussy.fr/?p_id=12).


Historique d'une rumeur délétère

En juin 1975, les listes de la première nomenclature unifiée des additifs alimentaires pour les pays de la CEE sont publiées au Journal officiel. Les additifs y sont classés à l'aide d'un code « E plus trois chiffres ». En décembre, le magazine français Science et vie  [une revue de vulgarisation, pas toujours écrite par de bons journalistes !] publie un tableau résumant et commentant cette codification, et classant 29 additifs comme « suspects » ou « dangereux ». L'acide citrique (E330) est présenté comme « suspect ».

En 1975, la CEE interdit aussi l'utilisation de neuf colorants alimentaires, mais suspend cette interdiction pour un an. Plusieurs organisations de consommateurs protestent et, au début de 1976, organisent un boycott de tous les colorants. En avril, le numéro de Que choisir [pas certain qu'il faille faire confiance à ce journal] est intitulé « Boycottez les colorants », et le magazine publie une liste de 107 colorants, en présentant 70 comme dangereux ou suspects. L'acide citrique est à nouveau présenté comme « suspect. »

Le premier exemplaire connu du tract a été publié en février 1976 en France, sous forme d'une page dactylographiée. Son auteur est inconnu. Il fait référence à l'article de Science et vie, [bravo pour la référence scientifique !] mais pas encore à l'hôpital de Villejuif. Il classe les additifs alimentaires en « cancérigène », « suspect », ou « inoffensif ». Des versions successives indiquent « distribué à l'hôpital de Villejuif », « distribué par l'hôpital de Villejuif » et enfin « L'hôpital de Villejuif informe... » Des détails fantaisistes sur les effets des additifs apparaissent, ainsi que des noms de marques à éviter.

Des copies circulent à travers l'Europe pendant une décennie, sous la forme d'un tract ou d'un pamphlet, transmis entre amis ou collègues, citant outre l'acide citrique neuf autres additifs et une liste de produits décrits comme toxiques et cancérigènes. La Grande-Bretagne est touchée en 1984, et le Danemark en 1989. En 1990, une version allemande du texte est diffusée parmi le personnel de la Commission européenne à Bruxelles.

Le tract attire l'attention d'experts lors de sa diffusion, qui le considèrent aussitôt comme suspect, en raison de la description incorrecte de l'E330 comme toxique cancérigène « le plus dangereux ». Mais les démentis officiels n'entravent pas sa diffusion.

Le tract circule toujours en France en 2018 au travers des réseaux sociaux. Le 11 février 2018, le député MoDem du Loiret, Richard Ramos, invité par la chaîne de télévision France 5 à l’émission C Politique, brandissait encore une copie du tract pour étayer son réquisitoire véhément contre la grande distribution, en dénonçant la présence de l’additif E330 dans plusieurs échantillons qu’il avait apportés sur le plateau, sans mentionner et apparemment sans savoir qu’il s’agissait de l’acide citrique, et sans être contredit sur ce point par les invités et journalistes présents sur le plateau.


J'ai poursuivi mes recherches, et voici ce que donne l'Agence nationale du médicament :

Sur la base de plusieurs études toxicologiques réalisées chez l’animal, l'acide citrique n'est pas suspecté d'être ni cancérigène (voie orale, dose testée 2 g/kg/j, rat) ni reprotoxique (espèces testées : rat, souris, lapin, hamster) ni tératogène (espèces testées : rat, lapin, hamster). Dans les études plus générales après administration répétées par voie orale (espèces testées : rat, souris, chien), les effets toxiques majeurs se limitent majoritairement à des les changements dans la formulation sanguine et à une modification de la cinétique d'absorption / excrétion des métaux.
Les valeurs des NOAELs (No Observable Adverse Effect Levels) après administration orale, sont assez élevées comme par exemple : une NOAEL de 1200 mg / kg / j (étude de cancérogénèse chez le rat), une NOAEL de 2500 mg/kg/j (étude de toxicité reproduction chez le rat), une NOAEL de 7500 mg/kg/j (étude de toxicité reproduction chez la souris)...
De plus, l’acide citrique n’a pas montré de caractère génotoxique que ce soit après des études in vitro et in vivo (doses testées allant jusqu’à 3 g/kg).
Aucune DJA (dose journalière acceptable) n'a été spécifiée pour l'acide citrique et ses sels communs par le Comité mixte FAO / OMS d'experts en additifs alimentaires ni par l’agence européenne EFSA (European Food Safety Authority).
Une « DJA non spécifiée » est l’expression employée quand il n'est pas jugé nécessaire d'attribuer une DJA chiffrée à une substance. C’est le cas d’une substance dont les données des études toxicologiques, biochimiques et cliniques réalisées permettant de conclure que la consommation d'une substance, dans un aliment dans les proportions requises pour obtenir l'effet désiré, ne présentent pas de danger pour la santé.
L'acide citrique est considéré comme un excipient «GRAS» (généralement reconnu comme sûr) par la FDA  sans restriction quant à la quantité d'utilisation dans les bonnes pratiques de fabrication. Aussi, l'acide citrique est considéré comme un additif alimentaire sans restriction de la quantité utilisée dans les bonnes pratiques de fabrication. Toutefois dans certains produits à destination des consommateurs européens, la teneur en E330 est limitée  :3000 mg/L pour les jus de fruits ; 5000 mg/L pour les nectars de fruits.


Une honte ! 

Finalement,  je suis furieux contre la personne idiote que j'ai rencontrée, parce qu'elle colportait paresseusement  des ragots imbéciles, ce qui est un facteur de dissension dans nos communautés.
En revanche, mes interactions (limitées) avec elle eu l'intérêt de me permettre de rappeler ici que cette liste de Villejuif est un faux. C'est aussi l'occasion de bien dire que le terme d'"additif" n'est en aucun cas synonyme de risque. C'est l'occasion de dire que l'usage des additifs est extrêmement encadré...  contrairement d'ailleurs à l'usage des produits traditionnels !
Je signale d'ailleurs ici des échanges nombreux et cocasses sur Twitter,  à propos de la consommation de pommes de terre avec la peau : pour des raisons que je ne comprends pas bien, certains de mes interlocuteurs refusent de considérer qu'il y a le moindre risque à consommer la peau. Mais, après tout, j'ai bien vu en vente des cigarettes bio...

mercredi 8 mai 2019

La chair est faible


J'avais pourtant promis  ici que je ne parlerais plus ni de nutrition ni de toxicologie... mais voici que, en l'espace de quelques jours, une revue m'interroge sur les "bienfaits santé", comme ils disent, des différents modes de cuisson, et que je me vois en train de discuter de toxicité de la peau des pommes de terre ou de l'acide citrique.
A la revue, j'ai quand même dit que leurs questions étaient idiotes, et, aux questions sur les pommes de terre, je ne me suis pas exprimé, me limitant à donner des abstracts de publications scientifiques... mais quand même, j'ai vacillé !
Je me refais donc à moi-même cette promesse de ne plus parler de toxicologie ou de nutrition, d'autant qu'il est complètement inutile de parler de ces sujets en public, en s'adressant à des personnes qui ne veulent pas être convaincues.
La seule excuse que je puisse me donner est tirée d'un échange avec des étudiants, qui me signalaient combien certains de mes billets à ces sujets pouvaient leur être utiles : ils avaient besoin d'informations venant de sources un peu sûres, disons rationnelles. Ah, là, s'il s'agit d'affermir l'esprit de ceux qui sont bien engagés, il y a quelque utilité à dire des faits justes, même dans des domaines où je ne suis pas parfaitement légitime (je fais quand même ma bibliographie, et certains de mes amis sont d'excellents experts).

Mais quand même, il vaut mieux que je me consacre à mon coeur de travail : il y a largement de quoi faire. Et notamment  :
- à expliquer, à répéter, que nous mettons en oeuvre, quand nous cuisinons, des transformations moléculaires qui ne sont que... des transformations moléculaires
- à expliquer, à répéter, qu'une molécule est une molécule, qu'elle soit produite par synthèse moléculaire ou par fermentation, ou par extraction d'un produit agricole
- à expliquer, à répéter, que les cuisiniers appliquent des températures qui feraient frémir d'effroi n'importe quel chimiste organicien bien constitué
-  à expliquer, à répéter, que le monde est fait de molécules, d'atomes, qu'il n'y a pas de "force vitale" ou d'"énergies inconnues", que les sorciers, magiciens, rebouteux, et autres sont des naïfs ou d es escrocs
- à expliquer, à répéter, que la science (de la nature) se distingue de la technologie, et a fortiori de la technique
- que oui, il y a encore beaucoup à découvrir, mais que cela ne justifie pas toutes les prétentions hurluberlues, surtout quand les études ont été faites et qu'elles ont réfuté les prétentions depuis des années, voire des siècles (Faraday avait réfuté les tables tournantes, Chevreul a réfuté les baguettes divinatoires ou autres pendules, il n'y a pas de "mémoire de l'eau", etc.
- que nous avons besoin de beaucoup de Rationalité !

mardi 7 mai 2019

S'agit-il de composés ?

Décidément, la question des "composés" n'est pas résolue, parce que la culture chimique de certains de  nos amis n'est pas considérable. Aujourd'hui, un ami cuisinier intéressé par la cuisine note à note m’envoie une coupure de presse à propos de cuisiniers qui utilisent du cannabis, et il m'interroge : s'agit-il de composés utilisables pour la cuisine note à note ?

Le cannabis (Cannabis L.) est un genre botanique qui rassemble des plantes annuelles de la famille des Cannabaceae.  Bref, il s'agit d'une plante.  Et comme toute plante, c'est un mélange de très nombreux composés ! Le premier est l'eau, puis il y a sans doute, dans l'ordre des quantités décroissantes, de la cellulose, de l'hémicellulose, des pectines, des lipides, des protéines, et une foule de composés utiles pour la vie de la plante, avec finalement des "métabolites" tels que les chlorophylles et les caroténoïdes (puisque la plante est verte, et qu'elle est capable de photosynthèse), des sucres, des acides aminés... et les composés psychotropes.
Mais la question de mon ami mérite d'être analysée : pourquoi n'a-t-il pas pu comprendre de lui-même qu'une plante n'est pas un composé pur ? Manifestement, parce qu'il ne sait pas ce qu'est un composé.

Et, aujourd'hui, je propose la méthode d'explication historique. 

Pensons donc au 18e siècle, quand les chimistes commencèrent à s'intéresser à la constitution de la matière. Pour la chimie minérale, les opérations de calcination, par exemple, montrèrent qu'il y avait des "éléments", à savoir des produits qu'on ne pouvait plus décomposer, et qui, au contraire, entraient dans la composition d'autres matières. Par exemple, quand on fait brûler du soufre (poudre jaune) avec du fer (de la limaille, ou fer broyé), on obtenait du sulfure de fer (pas ce nom là à l'époque). Inversement, quand on s'y prenait bien, on pouvait décomposer le sulfure de fer en soufre et en fer. Bref, le soufre et le fer sont des éléments, alors que le sulfure de fer n'en est pas un.
A la même époque, les chimistes s'intéressèrent à la matière organique, mais c'était beaucoup plus difficile, parce que les produits animaux ou végétaux se décomposent quand on les chauffe, et aussi parce que, à l'époque, on ignorait encore la composition des gaz, et notamment des gaz formés lors des combustion de ces matériaux. C'est seulement quand furent identifiés le dioxygène, le dioxyde de carbone, le diazote, la vapeur d'eau, etc.  que l'on  a pu analyser les gaz produit lors de distillation sèche de tissus animaux ou végétaux
Ainsi, quand on met une plante dans une cornue et que l'on chauffe, on récupère des gaz variés, à côté de carbone et d'eau. À la même époque, quelques chimiste qui comprenaient bien que la distillation décompose les matières organiques eurent l'idée de faire des extraits avec des solvants tel que l'eau, l'huile ou  l'alcool.
C'est ainsi, par exemple,  que Louis Jacques Thenard obtint des extraits de viande dans l'alcool, ce qu'il nomma "osmazôme". Ou encore que Beccari et Kesselmeyer  séparèrent de la farine une matière qu'ils nommèrent amidon et une autre matière qu'il nommèrent gluten. Ni l'amidon ni le gluten n'étaien des composés purs, puisqu'on pouvait encore les décomposer davantage. Par exemple, le gluten pouvait se séparer en une fraction soluble dans l'eau (les gliadines) et une fraction insoluble dans l'eau (les gluténines). On pouvait encore décomposer ces deux fractions,  en différentes protéines, certes apparentées, mais avec quand même des propriétés différentes. Et finalement chaque sorte de protéines est faite de molécules toutes identiques.
Autrement dit, la farine n'est pas un "composé" (disons "composé chimique" pour ceux qui  en ont besoin)  puisque l'on peut le décomposer en gluten et amidon ; et le gluten n'est pas un composé puisque l'on peut le décomposer en gliadines et gluténines ;  et la fraction gliadine n'est pas un composé puisque c'est un mélange de plusieurs gliadines particulières. A ce stade, une gliadine particulière, telle l'alpha gliadine est un composé particulier, parce que toutes ses molécules sont identiques. Tout comme l'eau est un composé : dans de l'eau, il n'y a que des molécules toutes identiques, à savoir des molécules d'eau. Et l'éthanol est un composé puisqu'il est fait de molécules toutes identiques, à savoir des molécules d'éthanol. L'huile, en revanche, n'est pas un composé puisqu'elle est faite de milliards de composés différents, certes très semblables mais différents : les "triglycérides". Dans l'huile, il y a donc des milliards de sortes de molécules différentes : on dit des milliards de triglycérides différents. Et pour chacun de tes triglycérides, il y a des milliards de milliards de molécules toutes identiques.
Le  blanc d'oeuf ? Ce n'est pas un composé non plus puisqu'il est fait d'eau et de protéines,   et il existe environ une vingtaine de protéines différentes, avec encore des milliards de milliards de molécules de chaque protéine, c'est-à-dire de chaque de chaque sorte moléculaire.


Ces explications étant données, j'ai rencontré un autre ami qui m'a interrogé sur la possibilité de diviser les molécules. 

Oui, on peut diviser une protéine et l'on obtient alors, dans certains cas, des molécules nouvelles qui sont des acides aminés (on en trouve vingt différents dans les protéines des organismes vivants). Oui, on peut diviser de l'eau, c'est-à-dire diviser des molécules d'eau, et l'on  obtient alors des atomes  :  les molécules sont des assemblage d'atomes. Pourrait-on diviser encore les atomes ? Oui, mais cette fois la puissance du feu n'est pas suffisante, et l'on passe la physique subatomique, qui a résulté de l'introduction d'énergies supérieures à celle du feu. C'était la la limite de la chimie, qui, elle,  s'intéresse aux assemblages  d'atomes.




jeudi 2 mai 2019

Du gluten dans les sauces ? Non, mais les protéines du gluten y sont... si on ne les a pas décomposées lors de la confection du roux (ce sont les protéines qui font brunir)

Ah, ce fameux gluten ! A propos d’un roux, je lis sous la plume d'un cuisinier français étoilé (et qui, on va le voir, dépasse sa compétence):

« Mélanger rapidement avec un fouet, pour obtenir, grâce à l’élasticité du gluten contenu dans la farine, une pommade lisse et homogène ».


 Commençons par cette "pommade", qui m'a choquée. Vite, je suis allé consulter le dictionnaire, et j'ai trouvé : "Cosmétique composé d'une base grasse et d'une ou plusieurs essences parfumées, servant aux soins de la peau ou des cheveux.". Un autre sens ? "Préparation médicamenteuse de consistance molle, destinée à être appliquée sur la peau ou sur les muqueuses, composée d'un excipient gras et d'un ou plusieurs principes actifs qui y sont dissous ou émulsionnés.".
Bref, une pommade est grasse, tandis que, ici, il n'y a que de l'amidon et de l'eau. On obtient effectivement une préparation de consistance molle en mêlant de la farine et de l'eau, mais ce n'est pas une pommade. Quel nom donner ? Dans la mesure où l'on disperse des grains d'amidon dans un liquide, c'est une "suspension" que l'on obtient, une pâte délayée...

Et c'est d'ailleurs la raison pour laquelle on a un système différent de celui qui se forme quand on travaille de la farine avec peu d'eau : c'est dans ce cas que le gluten se forme, réseau (filet) tridimensionnel où les grains d'amidon sont piégés. Et oui, ce gluten est "viscoélastique" : la pâte formée est visqueuse et élastique à la fois.

Mais quand on met plus d'eau, ce réseau est défait, et la suspension liquide n'est plus une suspension solide.

J'y pense : pour en savoir plus sur le gluten, je vous invite à consulter l'histoire de sa découverte dans ce  texte :
https://www.academie-agriculture.fr/publications/notes-academiques/n3af-2018-3-research-note-who-discovered-gluten-and-who-discovered-0

Et finalement, une chose est certaine : il y a tant de liquide dans un roux délayé qu'il n'y a certainement pas de réseau de gluten ! Les protéines sont là (gliadines et gluténines pour le "gluten"), mais elles ne servent à rien, du point de vue du roux. D'autre part, peu importe que l'on mélange rapidement ou pas. Et, pis, le gluten serait plutôt en défaveur de la consistance lisse.


Bref, notre ami cuisinier a largement dépassé les limites de sa compétence. Que n'est-il resté à des phénomènes visibles, bien décrits !

mercredi 1 mai 2019

A propos du goût des bouillons

Ce matin, des questions à propos de  bouillon : un bouillon de viande ayant été préparé, l'internaute qui nous intéresse veut maintenant lui donner du goût. Et voici ses questions :

1. l'eau froide et l'eau chaude extraient-elles des composés aromatiques différents ou extraient-elles les mêmes composés, mais dans des quantités différentes ?
 

 2. certains composés aromatiques doivent-ils être extraits dans de l'eau froide alors que d'autres doivent l'être dans de l'eau chaude ? Si oui, y a-t-il des "familles" de composés aromatiques qui "préfèrent" l'eau froide, alors que d'autres "préfèrent" l'eau chaude?
 

3. y a-t-il des composés aromatiques qui sont plus à même de diffuser dans l'huile que dans l'eau ?
 

4. dans le cas d'une infusion d'anis badiane à froid, par exemple, y a-t-il un temps au bout duquel la diffusion s'arrête ?



 Je réponds successivement : 
 

 1. l'eau froide et l'eau chaude extraient-elles des composés aromatiques différents ou extraient-elles les mêmes composés, mais dans des quantités différentes ?

C'est une question difficile, parce que des conditions très différentes se rencontrent, en pratique. Mais immédiatement, la question me fait penser à un Atelier expérimental du goût, qui avait été proposé il y a quelques années. Le lien est ici :
http://www2.agroparistech.fr/IMG/pdf/GOUT__fiches_corrigees_.pdf
Cela étant, pour comprendre la question et les réponses éventuelles, pour cette question comme pour les questions suivantes, il faut d'abord une précision : on nomme "aromatique" deux types d'objets :
 - ceux qui ont le même type de nature chimique que le  benzène, je vais essayer de ne pas utiliser cette acception dans les réponses qui suivent
 - ceux qui se rapportent aux aromates. Tous les composés du thym sont donc aromatiques, qu'ils soient odorants ou sapides, par exemple. Et cette seconde acception doit mettre en garde notre ami internaute, parce que je crains qu'il ne parle de "composé aromatique" en pensant à des composés odorants. Ici, je fais donc personnellement la différence entre un composé odorant, et un composé odorant aromatique, par exemple.

Ce qui me conduit à rappeler que le goût est dû à :
- de la consistance
- de la saveur
 - de l'odeur (les molécules odorantes sont celles qui, passant de l'aliment dans l'air de la bouche lors de la mastication, remontent vers le nez par des fosses "rétronasales" (à l'arrière de la bouche) et viennent stimuler des récepteurs olfactifs du nez
- des sensations trigéminales (piquants, frais...) par des composés ayant des récepteurs sur le nerf trijumeau (dans le nez et la bouche)
- des ions calcium
- des acides gras insaturés à longue chaîne (on parle d'oléogustation)

Tout cela étant dit, une matière végétale (par exemple du poivre) libère à la fois des composés odorants, des composés sapides, des composés à action trigéminale : le poivre a une saveur, une odeur, un piquant particulier (et d'ailleurs une certaine fraîcheur, également).
Ces sensations sont donc dues à des composés variés,  et les composés sont plus ou moins solubles dans l'eau (du bouillon)... ou dans l'huile qui surnage quasi nécessairement.

Oui, pour y arriver, l'eau chaude et l'eau froide extraient des quantités différentes de composés, et des composés différents... mais tout dépend aussi de la pratique, comme l'ont montré mes expériences sur le bouillon et le poivre, en 1987 si je me souviens bien.
J'étais parti de la précision culinaire selon laquelle le poivre devait être mis dans un bouillon moins de huit minutes avant la fin de la cuisson. Pour la tester, j'avais fait un bouillon de volaille, que j'avais divisé en deux parties égales. Dans une partie, j'avais mis du poivre noir, et j'avais fait bouillir pendant 20 minutes. Dans l'autre moitié, j'avais fait bouillir sans poivre pendant 14 minutes, et j'avais ajouté le poivre (la même quantité) avant de poursuivre l'ébullition 6 minutes de plus. La différence était flagrante : dans le bouillon où le poivre avait été mis pendant six minutes seulement, on avait une fraîcheur piquante, un peu mentholée, agréable ; en revanche, dans l'autre bouillon, on avait un piquant plus lourd, avec une sensation intermédiaire entre amertume et astringence, comme pour un thé trop infusé.
Pourquoi ce résultat ? Je suppose que les composés frais et légers avaient été extraits les premiers, avant des composés de type tanins, plus difficile à décrocher des matières végétales. Or ces composés légers, odorants, sont souvent peu solubles dans l'eau, et ils avaient peut-être été évaporés. D'ailleurs, c'est une règle que s'il y a une odeur au dessus d'une casserole, c'est que des composés odorants sont évaporés.

Finalement, l'eau chaude et l'eau froide extraient-ils des composés différents ? Oui, mais les conditions opératoires font tout, parce que l'équilibre n'est que rarement atteint, en cuisine.

Encore une information importante à avoir : des composés odorants qui seraient en proportions différentes pourraient faire des odeurs aussi différentes que le camembert et la framboise !


 2. certains composés aromatiques doivent-ils être extraits dans de l'eau froide alors que d'autres doivent l'être dans de l'eau chaude ? Si oui, y a-t-il des "familles" de composés aromatiques qui "préfèrent" l'eau froide, alors que d'autres "préfèrent" l'eau chaude ?

Ici, il y a le "doivent" qui me heurte. Disons plus justement que certains composés sont très solubles dans l'eau (les polyphénols, classe à laquelle appartiennent les tanins, mais aussi de nombreux colorants rouges à bleu des fruits. Et que d'autres composés, tel le méthylchavicol, qui sont très peu solubles dans l'eau, mais beaucoup dans l'huile, ou dans l'alcool.
Mais il faut tenir d'un autre phénomène, à savoir que les seuils de perception diffèrent beaucoup selon les composés. Ainsi, certains composés sont très odorants quand ils sont en très faibles concentrations, alors que d'autres le sont quand ils sont plus abondants. Et là, pas de règle théorique : il faut être empirique. Certes, les composés de type alcool ou aldéhydes seront plus solubles dans l'eau que d'autres de type terpènes... mais à quoi bon le savoir, en pratique, sachant que les produits végétaux apportent des composés odorants par centaines, tous différents ?


 3. y a-t-il des composés aromatiques qui sont plus à même de diffuser dans l'huile que dans l'eau ?

Ici, il y a la "diffusion", où mon interlocuteur n'a peut-être pas la même idée que les physico-chimistes. La diffusion, c'est ce phénomène par lequel les molécules migrent dans un milieu. Mais, ici, peu importe, et je crois que mon ami internaute pense plutôt à de l'extraction qu'à de la diffusion. Y a-t-il des composés odorants qui s'extrairaient plus dans l'huile que dans l'eau ? Oui  les composés odorants "hydrophobes" passeront plus facilement dans l'huile que dans l'eau, et, inversement, les composés hydrophiles passeront plus dans l'eau que dans l'huile... à condition qu'ils soient extraits : rappelons-nous l'expérience du  poivre et du bouillon.

Bref, finalement, je crains qu'il n'y ait pas de possibilité de prévision théorique très utile. Certes, savoir tout ce que j'ai dit plus haut n'est pas inutile, mais comment prévoir le résultat que vous obtiendrez en macérant du thé dans de l'eau froide ? Je crains que ce ne soit bien difficile, car il y a "loin de la coupe aux lèvres", de la matière au bouillon. Pour récupérer des composés, il faut les détacher de leur matrice végétale, leur permettre des migrer vers le bouillon, leur permettre d'y séjourner.


4. dans le cas d'une infusion d'anis badiane à froid, par exemple, y a-t-il un temps au bout duquel la diffusion s'arrête ?

Oui, pour tous les composés, il y a une phase d'extraction rapide, puis une saturation quand un équilibre est atteint.
Par exemple, pour l'extraction à partir de café, il faut une heure et demie dans l'eau bouillante, pour extraire tous les composés sapides.


J'y pense : dans les phénomènes utiles à connaître, encore deux deux idées :
 - il y a une différence entre macération, à froid, infusion comme pour le thé, ou décoction comme le poivre qui bouillait
- attention aux "entraînements à la vapeur d'eau", qui font partir les composés odorants et autres, pour peu qu'ils aient une certaine volatilité : c'est ainsi que l'on récupère des composés odorants des végétaux dans l'industrie des parfums (voir mon livre Mon histoire de cuisine, où je donne des détails".



dimanche 28 avril 2019

A propos d'acide citrique

Parfois, il n'est pas utile d'ajouter grand chose à Wikipedia :




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Tract de Villejuif
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Une version du « tract de Villejuif »

Le tract de Villejuif est une liste fantaisiste, prétendument publiée par l'« hôpital de Villejuif » en France, et signalant faussement comme cancérigènes un certain nombre d'additifs alimentaires, tout particulièrement E330 (acide citrique). Elle a d'abord circulé sous forme de photocopies dans les années 1970. Bien que l'hôpital de Villejuif (l'Institut Gustave-Roussy, de son vrai nom) ait démenti à plusieurs reprises1 être à l'origine de ce document, cette légende urbaine se remet parfois à circuler épisodiquement, y compris de nos jours par propagation électronique2.
Historique

En juin 1975, les listes de la première nomenclature unifiée des additifs alimentaires pour les pays de la CEE sont publiées au Journal officiel. Les additifs y sont classés à l'aide d'un code « E plus trois chiffres ». En décembre, le magazine français Science et vie publie un tableau résumant et commentant cette codification, et classant 29 additifs comme « suspects » ou « dangereux3 ». L'acide citrique (E330) est présenté comme « suspect ».

En 1975, la CEE interdit aussi l'utilisation de neuf colorants alimentaires, mais suspend cette interdiction pour un an. Plusieurs organisations de consommateurs protestent et, au début de 1976, organisent un boycott de tous les colorants. En avril, le numéro de Que choisir est intitulé « Boycottez les colorants », et le magazine publie une liste de 107 colorants, en présentant 70 comme dangereux ou suspects3. L'acide citrique est à nouveau présenté comme « suspect. »
Une des premières versions, mentionnant Science et vie

Le premier exemplaire connu du tract a été publié en février 1976 en France, sous forme d'une page dactylographiée. Son auteur est inconnu. Il fait référence à l'article de Science et vie, mais pas encore à l'hôpital de Villejuif. Il classe les additifs alimentaires en « cancérigène », « suspect », ou « inoffensif ». Des versions successives indiquent « distribué à l'hôpital de Villejuif », « distribué par l'hôpital de Villejuif » et enfin « L'hôpital de Villejuif informe3... » Des détails fantaisistes sur les effets des additifs apparaissent, ainsi que des noms de marques à éviter. Lors d'un sondage de 150 ménagères, 19 % indiquent qu'elles ont arrêté d'acheter les marques en question, et 69 % envisagent de le faire4.

Des copies circulent à travers l'Europe pendant une décennie, sous la forme d'un tract ou d'un pamphlet, transmis entre amis ou collègues, citant outre l'acide citrique neuf autres additifs et une liste de produits décrits comme toxiques et cancérigènes5,6. La Grande-Bretagne est touchée en 1984, et le Danemark en 1989. En 1990, une version allemande du texte est diffusée parmi le personnel de la Commission européenne à Bruxelles3.

D'après Jean-Noël Kapferer, le tract attire l'attention d'experts lors de sa diffusion, qui le considèrent aussitôt comme suspect, en raison de la description incorrecte de l'E330 comme toxique cancérigène « le plus dangereux6 ». Mais les démentis officiels n'entravent pas sa diffusion7.

Le tract circule toujours en France en 2018 au travers des réseaux sociaux. Le 11 février 2018, le député MoDem du Loiret, Richard Ramos, invité par la chaîne de télévision France 5 à l’émission C Politique, brandissait encore une copie du tract pour étayer son réquisitoire véhément contre la grande distribution, en dénonçant la présence de l’additif E330 dans plusieurs échantillons qu’il avait apportés sur le plateau, sans mentionner et apparemment sans savoir qu’il s’agissait de l’acide citrique, et sans être contredit sur ce point par les invités et journalistes présents sur le plateau8.
Liste des éléments

Plusieurs versions de cette liste ont circulé, et les éléments varient entre le statut de suspect à dangereux selon les versions. La liste actuelle a été incluse dans au moins plusieurs versions9,10 :

    Toxique: E102, E110, E120, E123, E124, E127, E211, E220, E225, E230, E239, E250, E251, E252, E311, E312, E320, E321, E330 (Acide citrique, listé en tant que "très dangereux"), E407, E450
    Suspect: E125, E131, E141 , E142, E150, E153, E171, E172, E173 (Aluminium), E210, E212, E213, E214/E215, E216/E217, E221, E222, E223, E224, E226, E231, E232, E233, E240, E338, E339, E340, E341, E460 (Cellulose), E461, E462, E463, E464, E465, E466

Références

    ↑ Voir communiqué de l'IGR : http://www.igr.fr/?p_id=12 [archive]
    ↑ Florian Gouthière, Santé, science, doit-on tout gober ?, Paris, éditions Belin, novembre 2017 (ISBN 2410009301), chapitre 11.
    ↑ a b c et d Véronique Campion-Vincent et Jean-Bruno Renard, Légendes urbaines - rumeurs d'aujourd'hui, documents Payot, (ISBN 2-228-88604-1), pages 264-267
    ↑ Anthony Pratkanis, Elliot Aronson, Age of propaganda: the everyday use and abuse of persuasion, Mcmillan, 2001, (ISBN 0-8050-7403-1), pages 111-112
    ↑ (en) J. N. Kapferer, « A Mass Poisoning Rumor in Europe », Public Opinion Quarterly, Oxford University Press on behalf of the American Association for Public Opinion Research, vol. 53, no 4,‎ winter, 1989, p. 467–481 (DOI 10.1086/269167, lire en ligne [archive])
    ↑ a et b (en) Jean-Noël Kapferer, Rumors: uses, interpretations, and images, New Brunswick (U, Transaction Publishers, 1990 (ISBN 978-0-88738-325-0, LCCN 89020413, lire en ligne [archive]), p. 35
    ↑ « Le retour du « tract de Villejuif » sur le Web » [archive], sur INC 60 millions de consommateurs, 25 février 2011
    ↑ Un député MoDem relaie en direct une fake news sur un additif «cancérigène» [archive], Le Parisien, 12 février 2018.
    ↑ https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Tract_de_Villejuif_1.jpg
    ↑ http://penserclasser.files.wordpress.com/2011/02/capture-d_c3a9cran-2011-02-21-c3a0-16-26-50.png [archive]

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mardi 23 avril 2019

About the toxicity of potato peels, I was asked to give references, and here are some, with abstracts :


Regulatory Toxicology and Pharmacology 41 (2005) 66–72Potato glycoalkaloids and adverse eVects in humans: an ascending dose study, par Tjeert T. Mensinga et al. :

Glycoalkaloids in potatoes may induce gastro-intestinal and systemic eVects, by cell membrane disruption and acetylcholinesterase inhibition, respectively. The present single dose study was designed to evaluate the toxicity and pharmacokinetics of orally administered potato glycoalkaloids ( -chaconine and -solanine). It is the Wrst published human volunteer study were pharmacokinetic data were obtained for more than 24 h post-dose. Subjects (2–3 per treatment) received one of the following six treatments: (1–3) solutions with total glycoalkaloid (TGA) doses of 0.30, 0.50 or 0.70 mg/kg body weight (BW), or (4–6) mashed potatoes with TGA doses of 0.95, 1.10 or 1.25 mg/kg BW. The mashed potatoes had a TGA concentration of nearly 200 mg/kg fresh weight (the presently recognised upper limit of safety). None of these treatments induced acute systemic eVects. One subject who received the highest dose of TGA (1.25 mg/kg BW) became nauseous and started vomiting about 4 h post dose, possibly due to local glycoalkaloid toxicity (although the dosis is lower than generally reported in the literature to cause gastro-intestinal disturbances). Most relevant, the clearance of glycoalkaloids usually takes more than 24 h, which implicates that the toxicants may accumulate in case of daily consumption.


Perishables Handling Newsletter Issue No. 87, August 06,
A Review of Important Facts about Potato Glycoalkaloids
by Marita Cantwell
I give only the conclusion :
To avoid toxic levels of glycoalkaloids, potato cultivar selection is very important. However, improper postharvest handling conditions are the main cause of toxic levels in potatoes. To keep glycoalkaloid content low, store potatoes at lower temperatures, such as 7°C(45°F), keep potatoes away from light, market in opaque plastics films and paper bags, and rotate frequently on retail displays.


And also :
Current Research in Nutrition and Food Science   
A Review of Occurrence of Glycoalkaloids in Potato and Potato Products
DUKE GEKONGE OMAYIO et al

There has been increasing consumption of potato products such as French fries and crisps in most countries as a result of lifestyle change in both developed and developing countries. Due to their generally pleasurable taste and texture, they are appreciated by a high number of consumers  across the world, with the younger members of the population mostly those in the urban areas having
a higher preference. The hard economic situations have also driven many people to their consumption as they are affordable. Moreover, these products are convenient for the younger generation who do not prepare their own food. However, there have been food safety concerns that have been linked
in the past to glycoalkaloids in the raw potatoes that are used for processing. Potatoes are known to accumulate glycoalkaloids (GAs) during growth and postharvest storage. Some potato varieties have been shown to have high glycoalkaloids. These toxicants have been found to bioaccumulate
in the body especially if daily consumption of foods containing the glycoalkaloids are consumed. Glycoalkaloids lead to intestinal discomfort, vomiting, fever, diarrhea and neurological problems and can lead to human or animal deaths in cases of acute toxicity. Transportation, handling, poor
storage and exposure to sunlight during marketing of potatoes exposes consumers to potential risk of glycoalkaloids due to injury and greening which lead to increased levels of glycoalkaloids. Glycoalkaloids are quite stable and therefore, freeze-drying, boiling, dehydration or microwaving have got limited effect and thus persist through the processing conditions into the final products with the levels being proportional to the concentrations in the raw materials used. This current review focuses on the occurrence of glycoalkakloids in potato and potato products that are commonly consumed.


And there are hundreds of others saying the same !