Lors du dernier séminaire de gastronomie moléculaire, j'ai signalé - en passant- que l'on pouvait très facilement rattraper une sauce mayonnaise ratée, et c'est vrai que je montrais cela à la télévision dans les années 1990 : pour moi, c'est une vieille lune !
Pourtant, une participante du séminaire me signale que des "connaisseurs disent que c'est impossible".
Des connaisseurs ? Je rigole !
Tout d'abord, la mayonnaise
Premièrement, j'espère que les fameux connaisseurs de ma correspondante savent que l'on ne doit pas confondre une sauce mayonnaise et une sauce rémoulade... même si l'on peut rattraper les deux, de la même manière.
La sauce rémoulade : c'est l'ancêtre de la mayonnaise, et elle contient de la moutarde (donc du vinaigre) et de l'huile ; le jaune d'oeuf est facultatif.
La sauce mayonnaise : un jaune d'oeuf, une cuillerée de vinaigre, du
sel, du poivre, et de l'huile que l'on ajoute en fouettant.
Dans les deux cas, le microscope montre que l'on disperse l'huile sous la forme de gouttelettes dans l'eau apportée soit par la moutarde, soit par le jaune d'oeuf, et par le vinaigre. On obtient ainsi une "émulsion".
Pourquoi ça peut rater
La mayonnaise peut effectivement rater, et la principale raison tient au fait que l'huile n'est pas bien dispersée dans l'eau.
Par exemple, en début de préparation, si l'on a trop d'huile d'un coup, alors le fouet disperse plutôt l'eau dans l'huile que l'huile dans l'eau. Mais pas de chance : les "tensioactifs", ces composés du jaune d'oeuf qui assurent l'émulsification (la dispersion de l'huile) ne font pas bien la stabilisation de l'eau dans l'huile. Et la sauce tourne.
On peut aussi faire rater exprès, ce que je faisais en direct à la télévision, en ajoutant beaucoup d'huile d'un coup, et en battant mollement.
Bref, dans tous les cas l'huile et l'eau se déparent.
Et comment on rattrape
Rattraper ? C'est un jeu d'enfant, si l'on pense seulement que toutes les molécules nécessaires à une mayonnaise sont présentes, et seulement ma réparties.
En pratique, on attend que les deux phases eau et huile se séparent, on décante l'huile dans un bol à part, puis on la remet, goutte à goutte, dans la phase eau, en fouettant.
Je crois être champion du monde de la mayonnaise le plus grand nombre de fois ratée (exprès) et rattrapée : huit fois.
Alors, les "connaisseurs" : qui battra ce record ?
Ce blog contient: - des réflexions scientifiques - des mécanismes, des phénomènes, à partir de la cuisine - des idées sur les "études" (ce qui est fautivement nommé "enseignement" - des idées "politiques" : pour une vie en collectivité plus rationnelle et plus harmonieuse ; des relents des Lumières ! Pour me joindre par email : herve.this@inrae.fr
dimanche 3 juin 2018
samedi 2 juin 2018
La finale du Sixième Concours International de Cuisine Note à Note
Les prix du Sixième Concours International de Cuisine Note à Note ont été remis le 1er juin 2018 à Paris.
Le vendredi 1 juin 2018, à AgroParisTech (Paris, France), un jury composé de
Michel Nave,
Patrick Terrien,
Michael Pontif,
Sandrine Perrin
Yolanda Rigault
a remis les prix du Sixième Concours de Cuisine Note à Note à Blandine Dallemagne, Clothilde Perez, Mathilde Renouard et Ruth Kelly, pour la catégorie Etudiants, et à Marc Saillard et Bernard Causse pour la catégorie Professionnels
Ce Sixième Concours International de Cuisine Note à Note avait pour thème « Craquants, croquants, croustillants ».
Il était organisé par Yolanda Rigault, Odile Renaudin et Hervé This, sous l'égide du Centre international de gastronomie moléculaire AgroParisTech-Inra).
Il était soutenu par la Société Iqemusu et la Société Louis Francois.
Pour cette nouvelle édition du concours, des concurrents de 9 pays ont concouru.
Les gagnants ont été :
Catégories étudiants :
Premier Prix Ex aequo :
- Blandine Dallemagne, Clothilde Perez, Mathilde Renouard, Chimie ParisTech pour leur « Gateau d'un gramme »
- Ruth Kelly, Dublin Institute of Technology, pour sa Réminisence d'un gateau de la Forêt noire
Pour la Catégorie Chefs
Les gagnants sont Bernard Causse et Marc Saillard pour leur « Craquant de pluie/Un soir d’été/Aux notes d’herbe fraichement coupée »
Le vendredi 1 juin 2018, à AgroParisTech (Paris, France), un jury composé de
Michel Nave,
Patrick Terrien,
Michael Pontif,
Sandrine Perrin
Yolanda Rigault
a remis les prix du Sixième Concours de Cuisine Note à Note à Blandine Dallemagne, Clothilde Perez, Mathilde Renouard et Ruth Kelly, pour la catégorie Etudiants, et à Marc Saillard et Bernard Causse pour la catégorie Professionnels
Ce Sixième Concours International de Cuisine Note à Note avait pour thème « Craquants, croquants, croustillants ».
Il était organisé par Yolanda Rigault, Odile Renaudin et Hervé This, sous l'égide du Centre international de gastronomie moléculaire AgroParisTech-Inra).
Il était soutenu par la Société Iqemusu et la Société Louis Francois.
Pour cette nouvelle édition du concours, des concurrents de 9 pays ont concouru.
Les gagnants ont été :
Catégories étudiants :
Premier Prix Ex aequo :
- Blandine Dallemagne, Clothilde Perez, Mathilde Renouard, Chimie ParisTech pour leur « Gateau d'un gramme »
- Ruth Kelly, Dublin Institute of Technology, pour sa Réminisence d'un gateau de la Forêt noire
Pour la Catégorie Chefs
Les gagnants sont Bernard Causse et Marc Saillard pour leur « Craquant de pluie/Un soir d’été/Aux notes d’herbe fraichement coupée »
Un article qui n'est publié qu'en grec
Ce matin, je reçois la revue Dekata, où j'ai publié un article... qui apparaît en grec. C'est au point que je ne sais donc pas ce que j'ai écrit. Sauf que j'ai (évidemment) la version en français, que voici :
De
quelques courants culinaires et des raisons historiques et
artistiques qui les sous-tendent
Hervé
This
Comment
l'art culinaire évolue-t-il, depuis la dernière guerre mondiale ?
Comment pourra-t-il évoluer, dans les prochaines décennies ?
Pourquoi l'évolution passée de cet art, et pourquoi l'évolution
future que nous décrirons plus loin est-elle probable, à défaut
d'être certaine ? Ce questionnement sera l'occasion de
contribuer à supprimer bien des confusions, des fantasmes, en même
temps que nous éclaireront les amateurs d'art (culinaire).
L'art
culinaire ? Avant de parler d'un objet, il est bon d'établir
son existence : rien de pire que ces clercs du Moyen-Age qui
voulaient compter les anges sur la tête d'une épingle, faute
intellectuelle qui renvoie à la querelle de Platon et d'Aristote sur
la réalité des idées. Or je me souviens que, il y a quelques
décennies, des intellectuels contestaient ce statut.
Partons
d'observations : l'être humain, comme ses ancêtres primates et
comme ses ancêtres plus anciens, non humains, doit se nourrir pour
se développer, puis se reproduire. Toutefois, contrairement à la
plupart des espèces animales, qui se contentent des tissus végétaux
ou animaux non préparés, notre espèce humaine a un comportement de
nature toute culturelle -la préparation des aliments- qui engendre
une différence entre les « ingrédients » et les
« aliments ». Nous ne mangeons pas le porc sur pied, ni
le poisson cru non écaillé, ni la carotte non lavée ; nous
les « cuisinons ». Mieux, même, nous sélectionnons les
espèces végétales et animales en vue d'en faire des ingrédients
mieux adaptés aux transformations que nous leur faisons subir,
transformations qu'il faut nommer « culinaires ».
La
cuisine, donc, c'est bien la transformations d'ingrédients, le plus
souvent inadmissibles en l'état pour des êtres humains, en
aliments, conformément à des canons, des prescriptions, des
habitudes, des coutumes.
Cela
étant dit, nous devons aussi considérer que tous les
cuisiniers/ères du monde ne se limitent pas à des gestes
techniques, mais cherchent aussi à faire « bon ». Par
exemple, le choix de la quantité de sel que l'on ajoute à une
viande ou à un poisson que l'on cuit n'est pas un choix technique :
qu'on en mette plus ou moins ne change généralement pas le
résultat, du point de vue de la transformation qui s'opère. En
revanche, ce choix détermine le fait que l'aliment soit jugé
« bon » ou « mauvais ». Bon ? J'ai
proposé dans un de mes livres que nous reconnaissions qu'il s'agit
en réalité du « beau à manger ». Et, de ce fait, la
cuisine ajoute une composante véritablement artistique à la
composante technique. Cela a également comme conséquence de
disqualifier des idées fautives comme cette théorie fallacieuse du
« food pairing », qui se propage dans le milieu culinaire
depuis qu'une société industrielle qui vend des préparations
aromatisantes l'a promue : non, il n'y a pas plus d'associations
culinaires entre du poisson et du vin blanc, ou entre de la viande de
bœuf et du vin rouge, qu'il n'y a de nécessité à faire entendre
un do avec un fa, en musique, ou à juxtaposer du rouge avec du vert
en peinture. En matière d'art, ce qui « convient »,
c'est ce que l'artiste choisit, individuellement, et l'histoire de
l'art montre à l'envi combien les « règles » ont
toujours été abattues : que l'on souvienne de l'histoire de la
perspective, en peinture… et le cubisme ; ou la peinture
abstraite après la peinture réaliste. En cuisine, c'est pareil, et
l'histoire de l'art culinaire le démontre amplement.
La
cuisine se limite-t-elle à cela, de la technique et de l'art ?
Je ne crois pas : le plat le mieux préparé techniquement et le
plus artistiquement composé ne sera jamais bon s'il nous est jeté à
la figure ou si nous mangeons en mauvaise compagnie. Inversement il a
été mesuré que les plats sont mieux appréciés quand ils sont
consommés en groupes, ce que la socialité de l'espèce humaine
devait faire deviner. La cuisine, de ce fait, comporte une composante
technique, une composante artistique, et une composante sociale. Mais
pour en terminer avec l'art culinaire, il faut conclure qu'il existe
vraiment, que, comme tout art, il a évolué et évoluera encore.
Pour
bien comprendre, il faut savoir ce qu'est la gastronomie
Observons
que l'étude de la cuisine, de son histoire, de sa géographie, de sa
sociologie, mais aussi sa technologie et les sciences quantitatives
qui la considèrent relèvent stricto sensu de la
« gastronomie ». Bien sûr, le mot « gastronomie »
est d'étymologie grecque, mais son acception moderne, en français
puis dans toutes les langues du monde, remonte à Joseph Berchoux,
qui l'utilisa en 1801 dans un poème intitulé L'Homme des champs
à table, puis au juriste Jean-Anthelme Brillat-Savarin, qui
publia en 1825 un livre encore publié aujourd'hui dans la plupart
des langues du monde La physiologie du goût. C'est à
Brillat-Savarin que revient d'avoir défini la gastronomie, à savoir
« la connaissance raisonnée de tout ce qui se rapporte à
l'être humain qui se nourrit ». L'historien de la cuisine, par
exemple, fait de la gastronomie historique ; le géographe de la
cuisine fait de la gastronomie géographique, et ainsi de suite…
jusqu'à la science chimico-physique qui explore la cuisine, et qui a
pour nom « gastronomie moléculaire ».
Un
peu d'histoire s'impose pour bien comprendre ce qu'est cette
gastronomie moléculaire, et en quoi elle se distingue de ce que j'ai
nommé « cuisine moléculaire. En passant, nous verrons
pourquoi (1) la gastronomie moléculaire est appelée à se
développer encore davantage dans le futur ; (2) la cuisine
moléculaire va progressivement disparaître, après avoir été très
en vogue dans les restaurants artistiquement les plus modernes du
monde ; (3) un nouveau courant culinaire va apparaître,
sous le nom de « cuisine note à note ».
Campons
d'abord le tableau. Après la Seconde Guerre mondiale, quand les pays
industrialisés ont retrouvé des niveaux d'approvisionnement
alimentaire d'avant la guerre, la cuisine se faisait
traditionnellement, avec une cuisine populaire, notamment très
rurale, une cuisine bourgeoise, dans les villes, et une cuisine
d'apparat. Pour la cuisine d'apparat, quelques artistes tels que
Marie Antoine Carême (1784-1833) ou Auguste Escoffier (1846-1935),
ou encore Edouard Nignon (1865-1934) avaient fait rayonner dans le
monde la cuisine française, qui avait d'ailleurs toujours (disons au
moins depuis le Moyen Age, selon les sources écrites) eu une
particularité, à savoir que les mangeurs parlaient de ce qu'ils
mangeaient.
C'est
d'ailleurs ce qu'il faut comprendre quand on considère l'inscription
au patrimoine immatériel de l'humanité, par l'Unesco, du repas
gastronomique des Français : ce qui a été considéré comme
original, c'est une régularité, dans le pays, d'une structure de
repas, avec entrées, plats, garniture, fromage, dessert, boissons
correspondantes, plus des ajouts éventuels, mais tout cela enchâssé
dans une culture comparative, et avec une insistance générale dans
le pays.
Puis,
quand les douleurs de la Seconde Guerre mondiale se sont estompés,
l'urbanisation s'est accompagnée d'une réduction des efforts
physiques (donc de la nécessité d'une nourriture abondante et
calorique), qui est allée parallèlement à un allégement de la
cuisine. La « nouvelle cuisine », dont les figures de
proue étaient Paul Bocuse, Michel Guérard, Alain Senderens, les
frères Troisgros et quelques autres, a supprimé les sauces les plus
lourdes, les plus beurrées, les plus chargées de farine, pour
privilégier des jus, par exemple. Il est d'ailleurs tout à fait
spectaculaire de comparer un plat d'un cuisinier triplement étoilé
de la fin des années 1950 et un plat triplement étoilé des années
1970 : si demeurent des constantes (les viandes grillées, les
pommes de terre frites ou allumettes, des haricots verts avec du
beurre ou des asperges avec une sauce mousseline, les vol-au-vent
emplis de sauce béchamel disparaissent, tandis que les assiettes
reçoivent des quantités plus modérées de jus. Les cuissons aussi,
changent : alors que les cuissons étaient très longues, on
privilégie des légumes plus croquants (par exemple, pour la cuisson
des haricots verts).
Puis,
dans les années qui suivent, la cuisine s'internationalise,
poursuivant le mouvement d'acclimatation qui avait commencé depuis
longtemps en France : Carême, par exemple, avait été
cuisinier du tsar de Russie, du roi d'Angleterre, etc, et il avait
rapporté en France des plats étrangers qu'il avait adapté, selon
les règles de la cuisine classique française.
Les
débuts de la gastronomie moléculaire et de la cuisine moléculaire
Arrivent
alors les années 1980. A cette époque, mon vieil ami Nicholas Kurti
(1908-1998), professeur de physique à l'Université d'Oxford, était
déjà actif pour ce qui concerne la promotion de méthodes physiques
en cuisine : dans une conférence donnée à la Royal
Institution de Londres, il avait dit (tout cela est écrit dans
un article) que le transfert technologique de la chimie à la cuisine
était fait, mais pas celui de la physique à la cuisine. Nicholas
Kurti était spécialiste des très basses températures, des
techniques du vide, du froid, et, en conséquence, il s'était
demandé si l'on ne pouvait pas transférer ces techniques en
cuisine.
De
mon côté, à Paris, alors que j'ignorais tout de Nicholas Kurti et
de ses propositions, j'avais fait une démarche analogue, mais en ce
qui concerne la chimie, parce que je m'étonnais que la cuisine, qui
avait les mêmes opérations que la cuisine, à savoir broyer,
chauffer, etc. , utilise des ustensiles périmés et inefficaces,
alors qu'il y avait dans les laboratoires de chimie de quoi faire
bien mieux. Dans un article de la revue de la Société française
de chimie, l'Actualité chimique, j'avais considéré un
catalogue de fourniture pour laboratoire de chimie, et page après
page, j'avais montré comment utiliser ces appareils pourraient
rénover la composante technique de la cuisine: ampoules à décanter,
évaporateurs rotatifs, sondes à ultrasons, etc.
Je
n'étais donc pas d'accord avec Nicholas Kurti, et la proposition que
je faisais démontrait que non, le transfert de la chimie à la
cuisine n'avait pas été fait. D’ailleurs, la proposition
ultérieure de la « cuisine note à note » a confirmé
que ce transfert était loin d’être fait.
Mais
n'anticipons pas.
Quand
nous nous sommes rencontrés, en 1986, nous avons commencé à
collaboré, parce que, indépendamment des propositions
technologiques, nous étions intéressés de comprendre les
phénomènes qui surviennent en cuisine. Par exemple, pourquoi les
soufflés gonflent-ils ? Pourquoi la viande grillée
brunit-elle ? Pourquoi la chair du poisson cuit devient-elle
opaque ? Pourquoi la sauce mayonnaise rate-t-elle parfois ?
Il s'agissait cette fois d'une activité strictement scientifique, et
non technologique, parallèle à nos efforts de promotion des
ustensiles modernes. Et c'est cette activité scientifique, pour des
scientifiques et non pas pour des cuisiniers, que nous avons nommée
initialement « gastronomie moléculaire et physique » (ce
qui fut le titre de ma thèse de science), nom que j'ai
ultérieurement abrégé en « gastronomie moléculaire ».
Et,
en 1992, c'est avec une idée de recherche scientifique (chercher les
mécanismes des phénomènes qui surviennent lors des transformations
culinaires), que nous avons organisé le premier congrès
international de gastronomie moléculaire et physique, en Italie. A
l'époque, nous avions invité des cuisiniers, mais c'était surtout
pour que nos explorations partent d'un corpus réaliste de phénomènes
culinaires, et non pas de nos interprétations d'amateurs de cuisine.
Hélas, une partie du monde culinaire et de la presse internationale
a confondu l'activité technique (on fait quelque chose : par
exemple, la cuisine), l'activité technologique (on améliore la
cuisine) et l'activité scientifique : chercher des mécanismes
par la méthode des sciences quantitatives). Cette confusion existe
encore dans de nombreux pays, notamment de langue anglaise.
Puis,
dans les années qui suivirent, nous avons poursuivi en parallèle
les deux activités, scientifique et technologique. Pour cette
dernière, on a vu que la rénovation technique que nous proposions
concernait principalement les ustensiles, et l'on voyait
manifestement la possibilité pour les cuisiniers de cuisinier
différemment, d'un point de vue technique. Notre activité a conduit
des cuisiniers de plus en plus nombreux à utiliser des techniques
modernes, notamment avec un projet européen (Innicon), où nous
avons réuni scientifiques, technologues et cuisiniers. Et c'est
ainsi que, en 1999, très précisément lors d'une réunion à
l'Ecole supérieure de la cuisine française, de la chambre de
Commerce de paris, au Centre Jean Ferrandi, alors que nous étions
avec les partenaires du programme européen Innicon, lequel était
centré sur les applications techniques de la gastronomie
moléculaire, le cuisinier anglais Heston Blumenthal déclara à une
télévision qu'il faisait de la gastronomie moléculaire... et
j'intervins aussitôt en disant que non, qu'il n’était pas
scientifique, qu'il ne faisait pas de gastronomie moléculaire. Dans
l'urgence de l'interview, j'eus le sentiment qu'il fallait donner un
nom pour cette activité des cuisiniers qui s'inspiraient de la
gastronomie moléculaire, et j'eus l'idée, sans doute mauvaise, de
proposer « cuisine moléculaire ».
Ultérieurement,
j'ai compris que ce nom était mal choisi, parce que le public fait
mal la différence entre la gastronome et la cuisine. Mais il était
mal choisi aussi parce qu'il y avait trop de proximité entre
« gastronomie moléculaire » et « cuisine
moléculaire » : ce fut une possibilité de confusion.
Enfin ce nom était mal choisi du point de vue de la langue, car
stricto sensu, l’expression est soit tautologique soit
fausse : les cuisiniers qui utilisent les nouvelles techniques
n'ont pas d'action moléculaire au sens des chimistes, et c'est
seulement l'usage de nouveaux outils qui était concerné.
D'ailleurs, il y eut bien quelques détracteurs idiots pour ironiser
sur le fait que l'on irait bientôt proposer de la cuisine atomique,
oubliant que « cuisine moléculaire » est une expression,
qu'il ne faut pas prendre à la lettre. Non, la cuisine moléculaire
est une expression à prendre en totalité, et dont la définition
est « cuisiner avec des ustensiles « modernes » ».
Là encore, les guillemets autour de « moderne »
signalent une difficulté : ce qui était moderne il y a trois
siècle ne l'est évidemment plus aujourd'hui, et, d'ailleurs,
l'histoire de la cuisine montre que l'on a utilisé plusieurs fois
l'expression « cuisine moderne ».
Mais
on ne refait pas l'histoire. La cuisine moléculaire, c'est donc
cette forme de cuisine, proposée dans les années 1980, qui consiste
à utiliser des ustensiles venus des laboratoires de chimie. Et si la
révolution technique n'est pas terminé, elle a considérablement
avancé. Au tout début, je me souviens que c'était un fait d'arme,
pour les cuisiniers, que d'aller acheter un thermocirculateur dans
les catalogues de matériels de chimistes, pour pratiquer la cuisson
à basse température. Je me souviens avec émotion, et surtout avec
joie, les essais des premiers cuisiniers avec les évaporateurs
rotatifs. Pour d'autres ustensiles, je n'ai pas (encore) eu le même
succès. Par exemple, je n'ai pas réussi à faire utiliser les
sondes à ultrasons pour la confection des émulsions; je n'ai pas
réussi à imposer les systèmes de filtration modernes pour la
clarification des bouillons… Mais on a déjà beaucoup progressé,
et je ne doute pas que l'on continuera.
Voilà
pour la cuisine moléculaire, au sens de molecular cooking, la
technique. Passons maintenant à la cuisine moléculaire, dite en
anglais molecular cuisine, expression qui désigne un style de
cuisine. Là, je dois avouer qu'il y a eu quelque chose d'imprévu :
je n'imaginais pas que le développement de la cuisine moléculaire
au sens de la technique conduirait à une style de cuisine
reconnaissable, parce que la technique permet de produire
différemment. Par exemple, les siphons font des mousses
reconnaissables ; par exemple l'emploi d'azote liquide permet de
faire des poudres d'huile ; par exemple, les cuisons basse
température font des viandes reconnaissables.
Bref
l'introduction de nouvelles techniques a conduit des cuisiniers
inventifs à produire des éléments de plats que l'on a
progressivement retrouvé dans de nombreux restaurants du monde. Dans
la liste précédente, je n'ai pas évoqué les perles d'alginates et
d'autres gels, ce qui me conduit à évoquer cet épisode étonnant
de 1984. J'avais proposé à une association professionnelles de
chefs français d'utiliser ces produits que l'industrie utilisait
déjà parfois: agar-agar, xanthane caroube, alginates... Je me
souviens très bien de ma déception quand on m'a répondu un « non »
catégorique, en me disant que cela allait empoisonner les clients.
En l'occurrence, pourquoi la gélatine aurait-elle été utilisé
plutôt que ces gélifiants ? J'ai continué à proposer cet
usage, et il s'est imposé, à cela près que je viens d'apprendre
qu'une grande institution culinaire française venait d’interdire
les siphons et l'agar-agar dans un concours qu'elle organise. Mais
pourquoi, alors, n'interdirions nous pas les casseroles et les
fourchettes ? Ou la gélatine et les œufs ? Il y a là une
position réactionnaire, et je crois que nos jeunes cuisiniers
méritent plus d'ouverture d'esprit de la part de leurs aînés un
peu irresponsables
Mais
voilà, il y a donc un style de cuisine, qui s'est introduit, tout
comme s'était introduit la nouvelle cuisine dans les années, en
1970, un courant qui faisait suite à la cuisine bourgeoise, qui
faisait suite à la cuisine classique, etc.
En
français donc, l'expression « cuisine moléculaire »
recouvre deux entités distinctes, alors qu'en anglais, pour ceux qui
manient les mots subtilement, il y a deux expression différentes
pour deux réalités différents.
Et
pour le futur, il faut avoir des faits en tête
Pourquoi
toutes ces explications ? Parce que l'on me les demande, mais
aussi parce que je ne cesse de voir, sur internet, des journalistes
de langue anglaise qui confondent tout : la gastronomie
moléculaire et la cuisine moléculaire, qu'il s'agisse de technique
ou de style. Évidemment le monde est le monde, et l'on serait Don
Quichotte à vouloir le changer, mais il n'est pas proposer des
éclaircissements, des explications, car il y aura bien quelques
esprits attentifs et intelligents qui prendront l’information au
vol et la feront peut être rayonner.
De
toute façon aujourd'hui, ces histoires de cuisine moléculaire sont
très largement dépassées par la « cuisine note à note ».
J'ajoute immédiatement que, cette fois, il y a le risque que des
individus un peu hâtifs et imprécis ne disent que la gastronomie
moléculaire est dépassée. Elle ne l'est pas, car c'est une
activité scientifique qui de développe dans le monde entier, avec
la création périodique de nouveaux laboratoires.
Non,
ce qui est dépassé, c'est la cuisine moléculaire : la
rénovation technique est proposée depuis longtemps, elle est en
partie faite, et il est largement temps de passer à autre chose, à
savoir la cuisine note à note.
De
quoi s'agit-il ?
En
1994, alors que je rédigeai la conclusion d'un article pour une
grande revue scientifique, j'eus l'idée que, puisque j'utilisais
personnellement des composés chimiques purs, pour agrémenter ma
cuisine, comme on utilise des épices pour donner du goût, on
pourrait faire le plats tout entiers à partir de composés. Sans
fruits, sans légumes, sans œufs, sans viande, sans poisson. Rien
que des composés pour construire la consistance, la couleur, la
saveur, l'odeur, etc.
Quel
intérêt ? Est-ce possible ? La faisabilité, tout
d'abord, fut démontrée avec le cuisinier français Pierre Gagnaire,
que j'ai aidé à construire le premier de cuisine note à note
jamais réalisé (à Hong Kong en 2009), mais les explorations des
pionniers sont maintenant déjà du passé, et je suis heureux de
voir que, depuis avril 2017, le cuisinier franco-italien Andrea
Camastra, à Varsovie, a entièrement fait basculer son restaurant
pour servir de la cuisine note à note : les journalistes s'y
ruent, comme ils le faisaient à la fin des années 1990 chez Ferran
Adria, en Espagne, pour la cuisine moléculaire.
L'intérêt ?
Il y a « des » intérêts : artistiques, techniques,
sociaux, politiques, nutritionnels… et ce serait trop long de les
évoquer tous.
L'intérêt
artistique se comprend facilement, notamment par une comparaison avec
la musique : il y a deux siècles, on jouait du violon, de la
flûte, de la trompette, etc. Chacun de ces instruments produisait un
son, et avec ces sons, on faisait de la musique. Puis, il y a environ
un siècle, les physiciens ont appris, après les travaux du
mathématicien Joseph Fourier (1768-1930) à analyser les sons, à
les décomposer en ondes sonores pures : fondamental,
harmoniques… Enfin, dans les années 1950, ce furent les pionniers
de la musique électro-acoustique, qui a conduit à ce que,
aujourd'hui, la majeure partie de la musique soit électronique.
Ne
peut-on imaginer une évolution analogue pour la cuisine ? Après
tout, dans le temps, on utilisait des tissus animaux et végétaux
pour cuisiner. Puis, depuis un siècle environ, la chimie a analysé
ces tissus et reconnu les composés purs qui les constituaient :
celluloses, pectines, protéines, lipides… Ce qui conduit à des
possibilités de composition à l'infini ! En réalité, la
cuisine note à note est comme un continent nouveau de mets jamais
réalisés, de goûts jamais dégustés, de consistances inédites…
qui pourront d'ailleurs être facilement obtenues par l'emploi
d'imprimantes 3D.
Mais
c'est la question de la sécurité alimentaire qui motive surtout les
explorations scientifiques ou technologiques de la cuisine note à
note. Nous ne devons pas oublier que, en 2050, les prévisions
internationales arrivent à des hypothèses de 10 milliards
d'individus sur la Terre. Comment les nourrir ? La lutte contre
le gaspillage a commencé à l'échelle internationale, et il faut
observer que ce gaspillage découle surtout du fait que nous
transportons des ingrédients frais (végétaux ou animaux) qui
s'abiment dans les transports, sans compter que nous transportons
inutilement de l'eau : une salade, c'est jusqu'à 99 pour cent
d'eau ; une tomate 95 pour cent ; une viande 75 pour cent !
Bref,
il y a lieu d'envisager des futurs possibles, sans que notre plaisir
de manger soit tué par la nécessité, bien au contraire.
Et
la gastronomie moléculaire, qui se développe dans des universités
du monde entier, au point que nous avons créé en 2014 un « Centre
international de gastronomie moléculaire AgroParisTech-Inra »,
vise notamment l'exploration des nouveaux « systèmes
physico-chimiques » réalisables par cette nouvelle forme de
cuisine, avec des libérations inédites des nutriments, des composés
gustatifs, par des structures physiques nouvelles. Peut-on, par
exemple, imaginer des plats où un goût apparaitrait en début de
dégustation, disparaîtrait, puis serait remplacé par un autre
goût, puis après quelques secondes par un troisième ? La
réponse est oui : un travail récent, d'exploration des gels, a
montré l'ensemble des possibilités réalisables. Il faut maintenant
effectuer le transfert de la science à la technologie, puis à la
technique, en même temps que les artistes explorent des voies
nouvelles.
jeudi 31 mai 2018
Questions and answers
Today, some questions are answered, in view of a trip to Singapore, at then end of June
1. In recent media reports, it was written that “note-by-note” cooking approach can “stave off energy crisis, eliminate food waste and end world hunger”. Can you please explain more about the NbN approach and its potential?
There are two different ideas: note by note cooking, which is a new
way of cooking, and the Note by Note Projects, that include note by
note cooking, but aims are improving the efficiency of our food
production systems.Let's tell the story this way: today, we are 7 billions humans, and
about 1 billion is starving. In 2050, there will be 10 billions, so
that we have to plan methods for feeding everybody.
More or less, the agreement is that spoilage is to be fought, and it
is true tht if 30% of the producted food is spoiled, avoiding this
would improve greatly the efficiency of agriculture.
One way to fight spoilage is to “fractionate” at the farm, which
means separating water, and making proteins, sugars, amino acids,
phenolics, etc.
This would avoid the transportation of fresh products that spoils...
and means transporting water (a truck full of tomatoes means a truck
full of 95 % water!).
Moreover, as the Minister of Argentina for agriculture told me, this
would have the advantage to make prices more even, which is good for
the farmers.
Indeed, In the NbN projects, the farmers will enrich by selling new
products... but they would have to make a small fractionation step at
the farm... with hardware already existing (and cheap).
This being said, the citizens would receive powders (nowadays, you
can already buy tons of proteins from plants)... and they will have
to cook : this is exactly Note by note cooking.
By the way, a very fresh information: recent dinners by chefs in
restaurants showed that NbN dinners cost twice less and need twice
less time to prepare !
Indeed, to tell the truth, in the beginning (1994), I had only the
idea that a more rational way of cooking was possible. But more and
more, it evolved. First, I considered that a new form of culinary
style was possible, and then the many advantages of note by note
cooking appeared.
And finally, I can tell you that, being a Gourmand, I was so happy of
the Note by Note meal that my friend Pierre Gagnaire served to the
New York Times journalist, when they came to Paris to see me about
NbN: I am having meals frequently at Pierre's... but this meal was
the most exciting, because of entirely new flavours !
- Can this approach be applicable to the F&B industry in Asia? If yes, how can this approach be integrated with or adopted to Asian cuisine?
Of course, very easily. And the interesting thing is to see how
different culinary artists will produce different cuisine. Indeed we
can envision “asian NbN cuisine”, or “western NbN cuisine”,
etc. (you see, I make a difference between cooking = technique, and
cuisine=style)
- You are scheduled to give a speech to the graduating culinary and pastry batches at Singapore’s At-Sunrice Global Chef Academy this month. Can you share with us some of the advice that you will impart to these newly graduated chefs?
Of course, the main ideas are work, loyalty, kindness, care,
boldness... But I know that I shall have to explain that cooking is
first love, then art and finally technique.
The technical component of cooking is important, for sure, but it is
not difficult... if you accept to detach from tradition (I am not
saying that tradition is useless or bad, but I say that tradition is
the sum of the successes and advances of the past ; our Great
Ancestors would be angry if they saw that we did not contribute to
the advancement of culinary art).
But the question of art is most important. It is not difficult and it
is not important to grill meat or boil vegetables, but rather the
issue is to determine how to do it and why.
Indeed I realize more and more that one main issue around is that the
goals are not clear, and it has to be very clear ! Indeed, imagine
that you are in Paris ; if you don't understand clearly that your
goal is Singapore, you will perhaps arrive in Hong Kong, or Tokyo,
but not in Singapore. And it's only when the goal is clear that you
can determine the way to reach it. In Greek, the way is “methodon”,
method. Yes, when you have the goal, you can try to find the way, and
this is “strategy”. And they you can implement, and this is
tactic.
Coming back to hard “work”, or to innovation, creativity, etc. ,
the idea lies in this sentence: “Il faut tendre avec efforts vers
l'infaillibilité sans y prétendre”.
And by the way, if I have time, I shall tell them the wonderful story
of Michael Faraday. As an orphan, he was going once per week, in the
evening, in “Improvement of the mind” sessions... and he became
the one of the greatest physical chemists of all times.
But I know that I shall also have to make it very clear to explain
the difference between Molecular gastronomy, molecular cooking,
mocular cuisine, and note by note cooking/cuisine.
By the way, I would be very happy if I could stimulate the creation
of a laboratory for molecular gastronomy in a chemistry department of
Singapore
- How do you see the future of food preparation? Do you think that chefs in Asia should create more molecular gastronomy offerings in their menu?
Indeed you confluse (sorry to tell you that) molecular gastronomy
and cooking.
Molecular gastronomy is one science of nature, as physics, chemistry,
biology. It is for scientists, not for chefs. Molecular gastronomy
cannot be in a menu.
Molecular cuisine, instead, is cooking, for chefs, not for
scientists... but this is 35 years old... and this is why we should
move fast toward Nbn (like jazz is 50 years old, and new music can be
introduced).
The future of food preparation : certainly NbN for the reason given
above about 10 billions people on the earth.
Finally “should” Asian chefs offer more molecular cuisine: no,
because molecular cuisine is old.
“Should” chef offer NbN ? If they want. The question is art : an
artist does what he/she perceives, feels...
But it's true that if a chef serves NbN, this is NEW, and only the
new can attract journalists... and guests.
- What do you think chefs in Asia should do to get more diners to try molecular gastronomy offerings?
Again : confusion between molecular gastronomy (science), on one
hand, and cooking, on the other hand. But I don't see the difference
between this question and the previous ?
- What are your future plans concerning NbN approach and molecular gastronomy? Will you be participating in more events here in the region in connection with promoting these culinary disciplines?
For
molecular gastronomy, I am doing efforts to spread this science all
over the world... and it works well. More and more, in science and
technology universities, laboratories for molecular gastronoy are
created.
For
NbN : for sure, we have to be ready in 2050, and I am promoting all
over the world this new way of cooking, with about 1 new countrie per
two months. Right now, I am considering how to change the
International Contest for Note by Note Cooking (we do tomorrow the
6th).
More
events in Asia? Why not, if people in Asia are interested.
(but
remember: molecular gastronomy is not a culinary discipline, it's
science ;-) ).
dimanche 27 mai 2018
A propos de glaçons
Un correspondant m'interroge : comment faire des glaçons parfaitement transparents.
Je n'ai pas étudié la question expérimentalement, mais il me semble que les causes de trouble ne peuvent être que :
- la présence de bulles de gaz qui était dissous
- la précipitation de "sels" (disons des espèces minérales
De sorte que l'on devrait :
- utiliser de l'eau très pure
- chauffer l'eau pour chasser les gaz dissous, emprisonner l'eau ainsi chauffée dans une enveloppe hermétique aux gaz, avant de refroidir et congeler.
Qui me donnera le résultat de ces prévisions ?
Je n'ai pas étudié la question expérimentalement, mais il me semble que les causes de trouble ne peuvent être que :
- la présence de bulles de gaz qui était dissous
- la précipitation de "sels" (disons des espèces minérales
De sorte que l'on devrait :
- utiliser de l'eau très pure
- chauffer l'eau pour chasser les gaz dissous, emprisonner l'eau ainsi chauffée dans une enveloppe hermétique aux gaz, avant de refroidir et congeler.
Qui me donnera le résultat de ces prévisions ?
lundi 14 mai 2018
Faut-il encore le répéter ? La cuisine ne sera jamais une science de la nature
Vers
une science culinaire ? Oui et non : tout dépend de ce que
l'on nomme « science ».
Contrairement
à ce que certains croient (en raison de déclarations fautives de
grands cuisiniers du passé), la cuisine ne sera jamais
scientifique, au sens des sciences de la nature que sont la physique,
la biologie... En effet, les sciences de la nature cherchent les
mécanismes des phénomènes, alors que la cuisine est l'activité de
production des mets. La raison de la confusion ? Le mot
« science » a souvent été utilisé dans l'acception de
« savoir », bien plus large que le sens qui est retenu
par les sciences de la nature, et l'on confond bien trop souvent la
rigueur avec la science.
Régulièrement,
certains répètent une citation d'Auguste Escoffier, surtout quand
ils sont accueillis dans l'Association des Disciples d'Escofffier :
la cuisine deviendrait un jour une science.
Une
science ? Le mot « science » a plusieurs acceptions,
mais, pour notre discussion, il faut en retenir trois, avant de
commencer la discussion:
- le
savoir, comme dans des expressions « la science du
coordonnier »
-
les sciences de la nature : chimie, physique, biologie
-
les sciences de l'humain et de la société
Escoffier
a donc écrit que la cuisine deviendrait une science. Soit, mais
quelle « science » ?
Si
c'est un simple savoir, certainement : d'ailleurs, de ce point
de vue, la cuisine ne deviendra pas une science, mais elle l'est
déjà, car tout cuisinier a un savoir.
En
revanche, la cuisine ne sera jamais une science de la nature, même
si elle devient plus rigoureuse. En effet, les sciences de la nature
ne sont pas simplement des activités précises, comme on le croit
souvent, mais des activités entièrement « spéculatives »
(Louis Pasteur a bien distingué les sciences -de la nature- et les
applications des sciences), qui ont une méthode qui consiste en :
(1)
observer un phénomène ;
(2)
le caractériser quantitativement (ici, quantitativement est le
mot essentiel : il faut des mesures, des nombres);
(3)
réunir les données quantitatives en « lois »,
c'est-à-dire en équations ;
(4)
chercher des théories quantitativement compatibles avec des lois
(par « théorie », il faut entendre « système
d'équations »);
(5)
chercher des conséquences des théories en vue de les réfuter par
des expériences
On
le voit, cette activité entièrement différente de la cuisine, que
cette dernière soit précise ou pas. Il ne s'agit pas, il ne peut
pas s'agir de produire des aliments, mais d'étudier.
La
cuisine pourrait-elle devenir alors une science de l'humain et de la
société ? Non, car la cuisine n'est pas une étude, mais une
production. Ne confondons pas le spéculatif et l'opératif… en
précisant que je ne mets pas l'un plus haut que l'autre. Ce ne sont
pas des activités comparables.
Quelques
grands anciens… qui n'ont pas toujours eu raison
Mais
avant Escoffier, il y avait eu Carême : « La cuisine se
veut également une science ». Que cela signifie-t-il ?
Manifestement, oui, la cuisine est associée à un savoir, et il y a
beaucoup de connaissance empirique dans la production d'aliments. Par
exemple, le cuisinier sait bien apprécier des consistances, des à
point de cuisson, ces moments où les émulsions sont sur le point de
tourner, etc.
De
sorte qu'il faut conclure que l'acception de Carême doit donc être :
un savoir.
Et
oui, l'activité culinaire est évidemment pleine de savoirs
techniques. Autrement dit, quand Carême dit que la cuisine est une
science, c'est une évidence.
Puis,
quand Carême indique « La science culinaire est plus
salubre à la santé des hommes que tous les doctes préceptes de
ceux qui prolongent les maladies par spéculation », c'est
bien, à nouveau, l'acception de savoir qu'il retient, pas celle de
science de la nature.
Les
cuisiniers français Urbain Dubois, Emile Bernard, Jules Gouffé ou
Joseph Favre poursuivent l'idée, mais quand ils disent utiliser des
mesures précises, ils ne font pas des sciences de la nature pour
autant, parce que la production, d'un côté, et la recherche
scientifique, de l'autre, n'ont rien de commun. La production
produit, alors que la science de la nature analyse en équations. On
gagnera à relire Louis Pasteur, qui a bien expliqué les
différences. Et l'on se contentera d'observer que oui, certains
cuisiniers sont précis, rigoureux.
Favre,
lui, évoque une « cuisine scientifique », qui serait,
de toutes les sciences, celle qui s'attache à l'art de bien préparer
les aliments ». Cuisine scientifique ? J'aimerais bien que
l'on me dise ce que cela signifie : quel est ici le sens de
scientifique ? Scientifique au sens de savoir ? Ou de
science de la nature ? Je propose de penser que, à nouveau,
cette citation est confuse. D'ailleurs, ce n'est pas le fait d'être
précis qui fait d'une activité une science de la nature ; une
cuisine précise est une activité technique précise, qui,
d'ailleurs, se double d'une composante artistique et d'une composante
sociale.
Passons
à cette citation d'Escoffier qui est reprise partout, et qui est
parfaitement fausse : « La cuisine, sans cesser d'être un art,
deviendra scientifique et devra soumettre ses formules, empiriques
trop souvent encore, à une méthode et à une précision qui ne
laisseront rien au hasard ».
Là
encore, je propose de penser que cette proposition est soit fausse,
soit tautologique. La cuisine ne deviendra jamais scientifique,
au sens des sciences de la nature, parce que, je le répète, la
cuisine est une production, et pas une recherche des mécanismes des
phénomènes. Et ce n'est pas parce qu'Escoffier était un grand
restaurateur que nous devons gober ses élucubrations pour autant.
D'autant qu'Escoffier, à ma connaissance, n'a jamais manié
d'équations, lesquelles, on le répète, sont l'essence même des
sciences de la nature.
Mais,
pour ne pas lasser, je propose de laisser de côté le sens de savoir
pour science, et d'introduire une nouvelle distinction, entre
technique, technologie, et science (de la nature).
La
cuisine, puisqu'elle est une production de mets, sera toujours une
activité technique et artistique (le bon, c'est le beau à manger),
assortie d'une composante sociale. Jamais, par principe, elle ne
pourra devenir scientifique, sans quoi elle ne serait plus une
activité de production de mets, mais une science de la nature, qui,
alors, ne serait précisément plus de la cuisine.
Et
c'est là la raison pour laquelle nous avons été conduit à créer
une discipline scientifique, au sens des sciences de la nature, sous
le nom de gastronomie moléculaire (à ne pas confondre avec
la cuisine moléculaire). Pour le reste des temps, il y aura donc la
cuisine, activité de production de mets, qui ne sera jamais une
science de la nature, et la gastronomie moléculaire, science de la
nature, qui ne produira jamais de mets.
Parfois,
certains citent Edouard de Pomiane, qui avait introduit le mot
« gastrotechnie » dans les années 1950, mais on trouvera
dans « Pourquoi
la cuisine n’est pas une science ?” (Sciences
des aliments,
2006, 26 (3), 201-210) une analyse de la
confusion intellectuelle qui conduisit à cette proposition.
Microbiologiste à l'Institut Pasteur, Pomiane fut célèbre de son
temps… mais ses ouvrages ne sont en réalité que des livres de
recette par un amateur (éclairé) qui, quand il évoque des
phénomènes physico-chimiques, écrit des absurdités.
Je
ne prends qu'un exemple parmi mille : Pomiane dit avec beaucoup
d'autorité qu'il faut un fouet en fil de fer, et un cul de poule en
cuivre, pour monter des blancs d'oeufs en neige, parce que cela
ferait un effet pile… mais n'importe qui peut s'amuser à monter
des blancs en neige avec un fouet en plastique dans un bol en
plastique, système où il n'y aura aucun « effet pile ».
Je tiens à la disposition de qui veut les réfutations des
prétentions scientifiques de Pomiane (pas à propos de
microbiologie, discipline où je ne suis pas compétent).
Plus
récemment Jean-Pierre Poulain propose que l'expression « cuisine
moléculaire » désigne l'application des connaissances de la
chimie et de la physique modernes à la cuisine. Puisque je suis
moi-même celui qui introduisit l'expression « cuisine
moléculaire », je peux témoigner que cela n'est pas
complètement faux, bien que, en réalité, j'ai défini la
cuisine moléculaire comme la forme de cuisine qui utilise des
ustensiles rénovés (par rapport à ceux de Paul Bocuse, dans la
Cuisine du Marché). Passer des ustensiles à l'application des
connaissances, il n'y pas grande différence, même si je propose de
conservation ma définition plutôt que celle de J.-P. Poulain.
Tout
cela étant posé, ayant j'espère avoir bien séparé la science (de
la nature) et la cuisine, il faut discuter une phrase que j'ai dite,
et qui prend un autre sens quand elle est sortie de son contexte.
Oui, la cuisine n'évoluera que si les cuisiniers la font évoluer.
J'aurais beau faire toutes les propositions de nouveautés que je
veux, la cuisine ne changera que si ces nouveautés sont mises en
œuvre. Mieux encore, il faudra poursuivre l'inlassable œuvre
d'explication, de présentation, de collaboration, afin que le monde
culinaire s'empare des nouvelles techniques proposées, notamment
dans la cuisine note à note.
Des faits
Les
faits
Hervé
This
Introduction.
Il se dit beaucoup de choses à propos
de la gastronomie moléculaire et de la cuisine moléculaire, il se
publie beaucoup de choses à propos des rapports entre la science et
la cuisine, et je vois une immense confusion.
Je vois surtout beaucoup d'idées
erronées à partir desquels s'élaborent des discours parfaitement
fumeux. Les âmes simples et honnêtes ne s'y retrouvent plus,
d'autant que les « marchands » ont généralement tout intérêt à
entretenir la confusion.
Par exemple, sur Internet, je vois la
gastronomie moléculaire, et même mes biographies ou ma
photographie, insérée au milieu de réclames pour des produits
variés. Je ne dis pas que ces produits sont mauvais, mais je dis
simplement que ni la gastronomie moléculaire ni moi-même n'avons
notre place à ces endroits.
Je manque de temps pour combattre
l'infinité des théories fausses, notamment entre cuisine
moléculaire et gastronomie moléculaire. Je manque de temps pour
combattre efficacement les petites et grandes malhonnêtetés de ce
monde : par exemple, j'ai vu des personnes organiser des
conférences et annoncer que je viendrai... alors que je n'avais pas
été invité ! Par exemple, je me suis vu à la télévision
répondre à un journaliste (très connu) que je n'avais jamais
rencontré ! Par exemple, je me suis vu affilié à un parti
politique auquel je n'appartiens pas !
Je manque de temps pour envoyer des
messages à toutes les personnes qui entretiennent malhonnêtement la
confusion, et je crois que les rectifications seraient inutiles :
l'hydre de Lerne repoussait ses têtes à mesure qu'on les coupait.
Ce qui me gêne plus, c'est que je ne
peux pas non plus rectifier les confusions auprès des personnes
honnêtes, ayant honnêtement cherché l'information et ayant trouvé
des descriptions que je sais douteuses.
Il faut donc que je m'y mette, et que
je produise ici des descriptions aussi propres que possible.
Une histoire :
Pour moi, tout a commencé le 16 mars
1980, un dimanche soir, alors que je me préparais à recevoir des
amis à dîner. À l'époque, j'étais encore étudiant à l'Ecole de
physique et chimie industrielle de Paris, (aujourd'hui l'ESPCI
ParisTech), et nous avions pris l'habitude, avec la « bande des
quatre du radiateur », de réviser nos examens chez moi tandis que
je cuisinais.
Ce dimanche soir là, était-ce un de
ces dîners ou bien un des innombrables autres dîners organisés
avec des amis ? Je m'en souviens pas. Ce dont je me souviens,
c'est que je disposais de bien peu de livres de cuisine. J'avais
notamment le livre de la cocotte-minute Seb et quelques livres de
poche peu coûteux comme les fiches recettes du magazine Elle. Et ce
soir-là, c'est l'affiche de soufflé au roquefort que j'ai utilisée.
Cette fiche conseillait de cuire du
beurre, du roquefort, de la farine, de faire ainsi un roux, et
d'ajouter « les jaunes deux par deux ».
Pour un esprit rationnel et
systématique, cette recommandation semblait bizarre : pourquoi
l'ajout des jaunes deux par deux aurait-il été préférable à
l'ajout de tous les jaunes ensemble ? Ne voyant aucune raison à
ce conseil, j'ai décidé d'ajouter les jaunes tous ensembles … Et
le soufflé fut raté. Pas raté complètement, évidemment, mais pas
énormément gonflé. Je n'y prêtais pas une grande attention, mais
il est évident que j'ai dû être vexé.
Le dimanche suivant, le 23 mars 1980,
donc, de nouveaux amis sont venus dîner, et, en panne d'inspiration
culinaire, je décidai de refaire ce même soufflé. A l'époque,
j'avais encore besoin dont une recette, ce qui ne ni de retomber sur
cette phrase bizarre : « ajouter les jaunes de deux parts de ».
Comme j'avais été échaudés par le demi-succès précédent, j'y
prête à une attention toute particulière, et je me vois encore me
dire que si le soufflé était d'ailleurs avec des jaunes de deux par
deux, alors ils devaient encore plus réussi avec des jaunes ajoutées
un par un. C'est ce que je décidai de faire : à la béchamel
au fromage initialement réalisé, j'ajoutais les jaunes d'oeufs un
par un. Le soufflé fut meilleur ! Comme j'avais été alerté
par ce point de détail, je décidai à la fois de rester chez moi
le lendemain et de commencer une collection de ce que j'appelai à
l'époque des dictons culinaires (je sais maintenant que le terme est
inapproprié, et j'ai proposé le terme de « précision
culinaire »).
Pour ce travail de recueil des
précisions culinaires, assorti de tests expérimentaux, j'étais
bien équipé, puisque, depuis l'âge de six ans, quand on m'a offert
une boîte de chimie, je m'étais passionné pour la chimie au point
de dépenser mon argent de poche en produits et en matériel,
constituant ainsi un assez beau laboratoire personnel.
Ce laboratoire ne servait plus depuis
1976, quand j'étais entré à l'Ecole supérieure de physique et
chimie de la Ville de Paris, où les laboratoires étaient bien mieux
équipés que le mien. Toutefois, pour ces tests expérimentaux, il
retrouvait l'utilité dont je me souviens m'être réjoui.
Et c'est ainsi que, dans des cahiers
que je possède encore, j'ai noté des dictons culinaires les uns
après les autres, à mesure que je lisais les livres de cuisine, non
plus cette fois pour y trouver des recettes, mais pour un objectif
très particulier : recueillir ces étranges informations qui
sont transmises par les cuisiniers ou par les livres, à propos des
opérations culinaires. Pour mes tests, la verrerie était utile,
mais les principaux instruments utilisés étaient le microscope, la
balance, le papier pH et les thermocouples.
Vers cette même époque, j'étais
embauché d'abord aux éditions Belin et ensuite à la revue Pour la
science, dont je profitais pour me former une culture en sciences
des aliments, au détour de la rédaction d'articles relatifs à ce
type de sujet. Cette position particulière dans le monde
scientifique, au contact des meilleurs scientifiques français, avec
la possibilité de m'intéresser au sujet de mon choix et la quasi
obligation de consulter des scientifiques parmi les meilleurs, à
des fins professionnelles, me permit de mener une double vie qui fut
bien fut bientôt connu publiquement. Je n'ai plus d'informations
exactes, mais je crois c'est à cette époque que je fus invité à
faire un séminaire des physiciens à l'École normale supérieure de
Paris, c'est en tout cas certainement à cette époque que je
commençais à réunir l'ensemble du matériel intellectuel
nécessaire à la production d'un livre qui fut publié en 1992 sous
le titre Les secrets de la casserole.
1986 : rencontre de Nicholas
Kurti. La chef de publicité, Susan Mackie, venait d'Europhysics
Letters, où Nicholas était rédacteur en chef. A l'époque, si je
compte bien, il était déjà âgé de 78 ans. Il n'était plus au
Clarendon Laboratory, qu'il avait dirigé pendant longtemps, à
Oxford, mais « déplacé » à plus de 400 mètres de son
lieu initial (une règle, à Oxford), dans le Department of
Engineering Science. Là, il s'intéressait surtout à l'application
des outils et concepts de la cuisine en physique. Observons qu'il
s'agit là de technologie, même si Nicholas effectuait quelques
études scientifiques des phénomènes culinaires. Quand Susan apprit
que je m'intéressais à la cuisine en chimiste, elle me signala
l'existence de Nicholas, et dès qu'elle m'eut donné son numéro de
téléphone, je l'appelai (dans la minute même ; à l'époque,
j'étais en entrant à gauche du grand bureau de Pour la Science,
rédacteur en chef adjoint).
Au téléphone, Nicholas fut
enthousiaste, et nous devinmes amis en quelques secondes. Un vrai
coup de foudre. Il me proposa de venir à Paris la semaine d'après,
et nous nous donnâmes rendez vous chez Maitre Paul, un restaurant de
la rue Racine, qu'il me fit connaître.
Nous nous rencontrâmes ainsi, devant
une merveilleuse poule au vin jaune et aux morilles, Chez Maître
Paul, arrosant notre déjeuner de vin jaune du Jura. Je ne sais pas
comment cela se fit, mais tout naturellement, nous en vinmes à
collaborer, et nous nous téléphonions quotidiennement, l'un
poussant l'autre chaque jour. Je me souviens que Philippe Boulanger
trouvait parfois que j'exagérais, et que les coups de téléphone
étaient excessifs, mais comment les éviter ? Et puis il eut la
grande « qualité » de ne jamais me faire de reproche
explicite. D'ailleurs, je travaillais quand même dur, pour « ma »
revue (disons « notre » revue).
Quoi qu'il en soit, nous en vinmes avec
Nicholas à une sorte de modus vivendi, où il répétait à Oxford
mes expériences de Paris, et inversement. Evidemment, quand on me
proposais de faire quelque chose, j'associais Nicholas, et
inversement. Par exemple, invité à parrainer une promotion de
l'ENSBANA, à Dijon, je proposais à Nicholas d'être parrain avec
moi, et quand la maison d'édition BBC Books proposa à Nicholas de
faire des « scientists notes » du livre Blanc Mange, il
me proposa de le faire avec lui. Nous étions deux doigts d'une main.
Il faudrait, ici, que je fasse un état
de tous nos travaux communs. A venir.
1988 : Rapidement, nos discussions
nous conduisirent à évoquer l'activité qui était la nôtre. Un
jour, quand je lui proposais de faire une Société internationale de
… quelque chose à définir (j'occupais alors mon bureau du premier
étage), il me répondit qu'il était trop tôt. Mais nous fûmes
d'accord pour dire qu'il fallait que les quelques personnes qui,
comme nous, s'intéressaient au thème « science et cuisine »,
pourraient utilement se rencontrer. Nicholas avait -semble-t-il, mais
je n'en ai pas de preuve personnelle- déjà discuté de ce type de
choses avec diverses personnes, comme Elizabeth Thomas, aux USA, mais
c'est dans mon bureau que prit naissance l'idée d'un International
Workshop. Il fallait un nom. Je proposais « molecular
gastronomy », pour faire comme pour « molecular
biology », mais Nicholas, physicien, avait le sentiment que le
nom serait trop « chimique », et il insista pour que nous
ajoutions « et physical ». Je respectais sa demande, et
ce fut les « International Workshop on Molecular Gastronomy ».
Où les tenir ? Nicholas
connaissait Antonino Zichichi, qui dirigeait le Centre de culture
scientifique d'Erice, en Sicile. Nous l'appelâmes, et Zichichi nous
demanda de montrer l'intérêt de la chose. Je proposais à Nicholas
d'inviter des lauréats du prix Nobel, tels que Jean-Marie Lehn et
Pierre Gilles de Gennes. Pierre-Gilles nous donna son accord, de
sorte que Zichichi nous donna le sien. C'était lancé.
De ce point là, il fallut tout
composer. Nous savions qu'il s'agissait de sciences, que nous
définissions une nouvelle discipline scientifique, et nous prévoyons
de réunir des cuisiniers (qui apportent des faits) et des
scientifiques. Nous pensons attirer les cuisiniers en leur donnant de
nouveaux ustensiles, ingrédients, méthodes. De la technologie
afin : (1) d'être utiles ; (2) de faire une réunion bien
vivante ; (3) de disposer de savoirs culinaires que nous
pourrions explorer.
Nous voulûmes avoir des gens du monde
entier, et il nous parut opportun de demander à Harold McGee d'être
un « directeur invité » pour le premier congrès.
Harold accepta.
Le plus souvent, tout cela se fit par
téléphone, par lettre ou par fax. J'ai encore bien des courriers,
souvent sur des papiers thermosensibles qui ont mal vieilli.
Nous cherchâmes également des
sponsors. Par exemple, Nicholas nous fit envoyer des biscuits, tandis
que LVMH nous procurait du champagne (il y en avait à toutes les
pauses!).
1992 : premier colloque, un
succès, la presse s'en fit un large écho
1992 : Les secrets de la
casseroles est publié au retour du congrès. Immédiatement le livre
fut un succès de librairie, tout l'été présent dans les
meilleures ventes.
1993 : pour mes dix ans de
mariage, je décidais de tester une précision culinaire relative à
la cuisson des cochons de lait, devant une centaine de personnes.
Jeffrey Steingarten, de Vogue New York, était présent pour le
reportage.
1994 : Scientific American me
demande (j'associe Nicholas, évidemment) un article, et nous
publions « Chemistry and Physics in the Kitchen ». Dans
la conclusion, je pose les bases de la « cuisine note à
note ».
1995 : Révélations
gastronomiques, autre colloque à Erice ; laboratoire au Collège
de France à l'invitation de Jean-Marie Lehn
J'invente le chocolat chantilly.
1996 : Thèse « La
gastronomie moléculaire et physique » (voir fichier
spécifique, car croustillant!)
1997 : publication du Traité
élémentaire de cuisine
1998 : Libération fait un numéro
de Noël où nous faisons le reportage chez Pierre Gagnaire. Passant
devant Ledoyen, je pense à la bière, et j'en viens à proposer à
Pierre, la première fois que je le rencontre, de faire une émulsion
de bière, qui marche parfaitement.
1999 : voyant que mes conférences,
où je parle de cuisine note à note, sont moins sollicitées (la
chimie faisait peur, à l'aube de l'an 2000), je fais machine
arrière, et j'introduis le constructivisme culinaire.
Chantal, deuxième épouse de Pierre
Gagnaire, le pousse à me demander une collaboration... la même
semaine où Guy Ourisson me demande une conférence pour le Cercle de
l'Académie des sciences. Nous décidons de faire un repas pendant la
conférence. C'est le début d'une collaboration amicale
merveilleuse.
2000 : Le diner fait, nous
décidons de faire un site, pour continuer à « jouer »
ensemble.
Habilitation à diriger des recherches, à l'Université Paris Sud, Orsay, à la demande de Guy Ourisson, alors président de l'Académie des sciences. Au jury, Pierre Gagnaire, Etienne Guyon (alors directeur de l'Ecole normale supérieure), Xavier Chapuisat, président de l'université, mon ami Georges Bram et Alain Fuchs, aujourd'hui président du CNRS.
Habilitation à diriger des recherches, à l'Université Paris Sud, Orsay, à la demande de Guy Ourisson, alors président de l'Académie des sciences. Au jury, Pierre Gagnaire, Etienne Guyon (alors directeur de l'Ecole normale supérieure), Xavier Chapuisat, président de l'université, mon ami Georges Bram et Alain Fuchs, aujourd'hui président du CNRS.
J'entre à l'INRA à plein temps, en
quittant la revue Pour la Science.
Heston Blumenthal passe un jour au laboratoire, au Collège de France, et je lui montre plein de choses
Heston Blumenthal passe un jour au laboratoire, au Collège de France, et je lui montre plein de choses
2000 : projet européen Innicon,
construit autour de mon groupe du Collège de France. Heston et sa
famille viennent dans le Tarn, où nous faisons une expérience sur
la couleur verte des haricots verts.
2001 : lors d'une réunion
d'Innicon, à Paris, je dis à Heston qu'il ne fait pas de
gastronomie moléculaire, mais de la cuisine moléculaire.
Publication d'un texte pour expliquer la différence dans Les
sciences des aliments.
2004 :
Création de la Fondation science et
culture alimentaire
Création de l'Institut des Hautes
Etudes du goût, de la gastronomie et des arts de la table
Création des Cours de gastronomie
moléculaire d'AgroParisTech : publics, gratuits, non
diplômants, à l'image de ceux du Collège de France.
2006 : Qualification de professeur
des universités, déménagement du laboratoire à l'INA P-G (devenu
AgroParisTech)
2011 : Chaire Francqui, au titre
national belge, élu professeur consultant à AgroParisTech, élu
membre de l'Académie d'agriculture de France et président de la
Section VIII (alimentation humaine).
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