Relisant un livre intitulé La connaissance objective, de Karl Popper, je comprends à la fois pourquoi il était mal considéré de certains de ses collègues et pourquoi aussi il avait raison sur beaucoup de points.
J'ajoute que m'intéressent de lui ses réflexions sur les sciences de la nature, et celles-là seulement.
Disons tout d'abord que le livre commence mal : disant qu'il a été mal compris ou insuffisamment cité, Popper n'est guère engageant, notamment pour ceux qui n'ont pas participé au débat dont il est question, et qui arrivent après coup ; l'étalage des rancœurs et loin du ciel bleu que je souhaite en toutes choses.
Mais il y a plus subtil en quelque sorte en ce sens que Popper avait bien expliqué que les théories scientifiques sont toutes fausses, disons insuffisantes.
Cette manière de me reprendre moi-même fait écho à son texte : nombre de mes collègues ne sont pas prêts d'entendre cela, alors que c'est pourtant une absolue justesse. En effet, nous n'avons stricto sensu aucune certitude que les théories scientifiques soient justes, et il vaut mieux -par principe- se mettre dans la position de chercher à les réfuter.
Le mot de "vérité" est épineux, et il y avait une certaine sagesse dans la langue alsacienne à ne pas avoir de futur : on disait "demain j'irai au marché si dieu le veut", car qui sait ce qui peut se passer d'ici demain ?
Bien sûr, on conviendra que les journées ont plutôt 24 heures que 18, et les comités éditoriaux des journaux scientifiques ont bien raison de proscrire certaines idées manifestement fausses, mais le libellé de cette proscription doit être habile et dans toute cette affaire, il y a, tapie, la question du conspirationnisme.
Je livre ici la partie d'instructions aux auteurs de la revue intitulée Notes académiques de l'Académie d'agriculture :
"Ces articles d’« opinion » font bien entendu l'objet d'une analyse critique en double anonymat par des pairs, visant non pas à livrer une bataille d’opinions, mais à garantir la solidité scientifique du raisonnement et le respect du consensus scientifique du moment.
Les « Notes d’opinion » ne doivent pas se réduire à de simples injonctions : leurs conclusions doivent se fonder sur des faits et des raisonnements présentés explicitement et très bien référencés : les textes cités doivent être publiés par des revues à comité de lecture ou par des institutions scientifiques notoires. L'utilisation de sources secondaires, telles que des productions journalistiques générales, des textes de littérature « grise » ou des données produites par des organisations partisanes n'est pas suffisante.
Une opinion reste toutefois « un avis donné sur une question », un « sentiment, idée, point de vue, jugement que l'on porte sans que l'esprit le tienne pour assuré, sur une question donnée » (Dictionnaire de l'Académie française, 2022). De ce fait, les rapporteurs ne peuvent contester cette opinion en tant que telle, ou refuser la publication d’un manuscrit soumis dans cette rubrique au seul motif que leur avis diffère de celui des auteurs : ils doivent se limiter à des demandes visant à rendre le manuscrit conforme aux critères évoqués précédemment et à améliorer sa qualité. Ainsi, au-delà de critiques factuelles (raisonnements fautifs, arguments insuffisamment clairs, contre-vérités scientifiques, etc.), ils vérifient que les auteurs ont bien exposé les prémisses nécessaires à leurs conclusions."
La Terre est-elle plate ? Quelle est la réalité pour les fous ? On voit ici les limites de la rationalité et de la logique ; on voit la nécessité du consensus ; il ne peut y avoir de démonstration qu'en mathématiques ; et l'on voit aussi la raison pour laquelle l'épistémologie semble à certains une discipline bien inutile...
Mais on devra aussi reconnaître que les meilleurs épistémologues sont aussi ceux qui posent de bonnes questions et qui, par leurs réponses, ou simplement par leurs questions, peuvent changer les pratiques scientifiques (car ce n'est pas la même chose que de chercher à réfuter une théorie ou de la corroborer).
Popper est d'une génération précédente, et il y a eu après lui des gens comme Thomas Kuhn, Imre Lakatos, Paul Feyerabend, qui ont pris le relais. Je les lis avec circonspection, mais, en tout cas, je suis bien sûr qu'il y a lieu de proposer aux étudiants du premier cycle universitaire, et aussi pour les plus avancés s'ils le souhaitent, des cours d'histoire des sciences et des cours de philosophie des sciences.
Ce blog contient: - des réflexions scientifiques - des mécanismes, des phénomènes, à partir de la cuisine - des idées sur les "études" (ce qui est fautivement nommé "enseignement" - des idées "politiques" : pour une vie en collectivité plus rationnelle et plus harmonieuse ; des relents des Lumières ! Pour me joindre par email : herve.this@inrae.fr
jeudi 5 juin 2025
La Terre n'est pas plate
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