Dans des billets précédents, j'ai discuté la question de la micro-chimie, dont je crois l'enseignement indispensable pour l'enseignement de la chimie, dès le début des études.
Je rappelle que j'ai reçu en stage des étudiants qui, si je ne les avais pas arrêtés, auraient fait des expériences sur un litre de lait, ce qui aurait nécessité quatre litres d'acétone ! Quatre litres d'acétone qui auraient dû ensuite être recyclés. Quatre litres d'acétone de qualité analytique qu'il fallait payer ! Manifestement nos étudiants n'avaient pas été bien formés.
Évidemment, je les ai interrogés pour savoir s'ils avaient entendu parler de micro-chimie, et j'ai eu la confirmation, par plusieurs d'entre eux, que jamais ce mot n'avait été prononcé devant eux. Il faut militer pour changer tout cela, sans quoi nos étudiants seront formés à de la chimie périmée, celle du siècle passé.
L'idée est la suivante : alors qu'il fallait des milliers de litres d'urine de jument gravide pour en extraire quelques milligrammes d'hormones, il y a un siècle, nos nouveaux appareils d'analyse ont faits de tels progrès que nous pouvons aujourd'hui détecter facilement des quantités de produits de l'ordre de nanogramme (milliardième de gramme), des picogrammes (millionièmes de millionièmes de gramme).
Avec ces appareils, la quantité de matériau de départ se réduit considérablement, ce qui a de nombreux avantages. D'abord, si le lait est peu coûteux, bien d'autres réactifs de laboratoire sont, au contraire, achetés à prix d'or, voire plus. D'autre part, on a évoqué la question des solvants, de leur coût, de leur recyclage. Dans cette affaire, il faut également considérer la question du danger, car si le lait n'est pas dangereux, bien d'autres réactifs le sont... et l'on se souvient de tragiques accidents qui ont eu lieu dans des laboratoires d’enseignement, où il y a eu mort d'homme.
On le voit il y a toutes les raisons de chercher à réduire la quantité des produits que l'on utilise dans un laboratoire où l'on fait de l'analyse chimique, et l'enseignement de la microchimie s'impose absolument.
Pour autant, ce billet est métaphorique, à savoir que c'est surtout un état d'esprit que je propose.
Par exemple, une étudiante d'un pays en développement est venue examiner en stage comment l'ajout de l'hydrogénocarbonate modifie le pH des tomates. Dans un tel cas, on ne peut pas utiliser moins qu'un quart ou un huitième de rondelles. Qu'importe ! Ce qui compte, c'est de ne pas avoir acheté un kilo de tomates pour faire l'expérience et de s'être interrogé sur la quantité minimale de produits qu'il fallait utiliser. Avec un huitième de rondelles de tomates, on n'est pas dans la micro-chimie, mais on est dans le même état d'esprit.
Conservons cet exemple des tomates pour voir le raisonnement que nous devons mettre en œuvre quand nous faisons des expériences. A propos de ces tomate, l'étudiante en question s'interroge sur la couleur, et l'on comprend qu'il faudra une quantité de matière qui puisse être analysée à un appareil qui mesure la couleur, tel un colorimètre. Dans un tel cas il faut une épaisseur de matériaux et une masse suffisante.
Mais on peut aussi se demander si un colorimètre est vraiment nécessaire, et si nous ne pourrions pas plutôt utiliser des pixels d'une image ! Auquel cas la taille des éléments à analyser est bien plus petite que les quelque 5 cm de diamètre sur 1 cm d'épaisseur nécessaire pour la colorimétrie. Pour l'acidité, on a besoin d'un pH-mètre, et là, on pressent que 1 cm³ de tissu s'impose avec les sondes de pH des plus classiques, celle qu'on a dans les établissements d'enseignement. Mais on peut aussi considérer que si l'enjeu est suffisant, alors ça vaut la peine d'utiliser des microsondes, voire un appareil de résonance magnétique nucléaire avec une mesure du phosphore 31 !
Dans tous les cas, je propose de considérer que : (1) nous devons chercher quelle est la plus petite quantité de matériau à utiliser pour faire les expériences ; et (2) nous devons chercher quel matériel pour réduire ces quantités. Et c'est l'application de de ces raisonnement qui nous permettra de faire de la chimie sans danger, avec précisions, avec peu de risque, avec le moins de coûts possible, avec le moins de pollution possible, mais avec toujours plus de précision !