jeudi 21 mars 2024

Les évidences... a posteriori

 
Une évidence, c'est une évidence : quelque chose qui saute à l'esprit, que l'on comprend immédiatement. 

De ce fait, une évidence {a posteriori } semble être un oxymore, une sorte de contradiction. Pourtant ces évidences{ a posteriori} existent bel et bien, comme on va le voir. 

 

Le premier exemple que j'ai rencontré est celui de la cuisine note à note, cette cuisine faite de composés, au lieu que les ingrédients des mets soient les classiques fruits, légumes, viandes, poissons, oeufs... Quand j'ai pensé cette cuisine pour la première fois, en 1994, je me suis fait peur à moi-même, alors que je suis physico-chimiste depuis l'âge de six ans, époque à laquelle je faisais déjà des "limonades chimiques" à partir d'acide citrique et de bicarbonate de sodium. Oui, quand j'ai osé envisager cette cuisine pour la première fois, je me considérais comme un provocateur quasi insensé. J'avais le très clair sentiment d'exagérer, et, d'ailleurs, j'exagérais, puisque j'ai reçu des lettres d'injures, d'une part, et puisque je me suis senti obligé de retirer cette proposition à l'aube de l'an 2000, quand le public craignait un grand bug.
Pourtant, 20 ans plus tard, la proposition me paraît absolument évidente, et je ne comprends même plus mes réticences d'alors, tant l'idée de construire des plats avec des composés me semble maintenant naturelle. Non seulement naturelle, mais indispensable du point de vue technique, social, économique, nutritionnel, etc. L'idée était évidente... mais seulement {a posteriori} ! 

Récemment j'ai retrouvé un autre cas, à propos de tests statistiques que j'expliquais à de jeunes amis. J'avais écrit un cours où j'expliquais un test. Mon explication me semblait parfaitement claire, mais l'expérience m'a montré que mes amis avaient du mal. Pour moi, la clarté était absolue, parce que tous les mots nécessaires étaient présents ; toutes les définitions étaient données, dans le bon ordre, avec des enchaînements parfaitement logiques. Pourtant mes jeunes amis ne s'y retrouvaient plus dans la série d'informations qui était donnée, et telle information élémentaire figurant en début de document échappait à leur souvenir quand ils arrivaient en fin de texte. Tout était pourtant évident, clair, logique, et quand je leur ai montré la phrase qui leur manquait (et qui, je le répète, était pourtant présente en début de document), alors tout s'est éclairé pour eux. L'information était présente ; il n'y avait pas de difficulté intellectuelle dans l'enchaînement logique des étapes, et il leur manquait seulement d'embrasser la totalité des explications, ou, au moins, de rapprocher les explications du début des explications de la fin. Une fois ce rapprochement fait, mes amis ont convenu que la question était évidente, et ils n'ont plus vu les difficultés. 

Là encore, il y avait une évidence a posteriori. Les évidences a posteriori sont des objets intellectuels fascinants, et je ne peux m'empêcher de penser que leur analyse conduirait à des progrès pédagogiques importants. C'est pourquoi j'invite tous mes collègues, et aussi tous les étudiants, à se pencher sur cette question afin que, collectivement, nous parvenions à identifier les circonstances où des explications particulières doivent être données, à imaginer des modes de présentation où d'explication qui éviteraient les évidences {a posteriori} et les remettraient à leur place : {a priori } !

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