De même qu'il n'y a pas de moutarde dans la mayonnaise, un aïolli n'est pas une mayonnaise à l'ail.
Cicéron disait justement qu'un homme qui ne connaît que sa génération est un enfant. De fait, l'histoire de l'aïoli se trouve bien dans les livres de cuisine anciens, et c'est ainsi que la Suite des Dons de Comus, publiée sans doute par un Jésuite, en 1742, fait état d'une sauce émulsionnée qui est nommée "Beurre de Provence", et qui n'est autre de l'aïoli de haute cuisine (j'hésite à utiliser cette expression, car l'aïoli bien, c'est de la haute cuisine).
Cette sauce apparaît dans deux recettes : «Pigeons au beurre de Provence" (t.2, p.235) et "Oeufs au beurre de Provence" (t.3, p. 308). Examinons la première : « Pigeons au beurre de Provence. Faites les cuire comme ci-devant. Pour faire le beurre de Provence, vous faites cuire aux trois quarts dans de l’eau vingt gousses d’ail ou plus, selon la quantité de beurre que vous voulez faire. Etant cuites, vous les laissez refroidir, égouter, & les mettez dans un mortier avec du sel, du poivre, une poignée de capres hachées, une douzaine d’anchois bien lavés dont vous ôtez les arrêtes. Le tout étant haché & pilé, vous délayez avec de bonne huile, en sorte que cela soit épais. » Et la seconde : « Œufs au beurre de Provence. Faites durcir des œufs molets. Vous ferez ensuite du beurre de Provence de la façon qui suit. Epluchez une vingtaine de gousses d’ail ou plus. Faites les cuire dans de l’eau ; un peu de sel. Faites les égoutter. Pilez-les avec six anchois bien lavés, ; une poignée de câpres, du sel ; du poivre concassé, le tout bien pilé. Délayez avec de l’huile très-fine ».
Dans les deux cas, on produit une émulsion, à partir d'ail et d'huile. L'ail, en effet, apporte 90 pour cent de sa masse en eau, plus des protéines et des phospholipides, qui contribuent à enrober les gouttelettes d'huile que l'on obtient en pilant : dans le temps, pour faire l'aïoli, en Provence, on se mettait sur une chaire, avec mortier et pilon, et l'on pilait pendant un bon quart d'heure, jusqu'à ce que le pilon tienne dans la sauce épaissie, comme on le voit dans la recette suivante : « Pilez dans un mortier quelques gousses d’ail proportionnées au nombre des convives, deux par personne tout au plus ; réduisez-les en pâte très fine, et versez ensuite de l’huile d’olive, goutte à goutte ou par filets imperceptibles, en tournant avec le pilon et toujours dans le même sens. Quand l’aiolli a commencé à prendre, vous y ajouterez quelques gouttes d’eau tiède, et vous y presserez fortement le jus d’une moitié de citron, qui le consolidera » (Dr Jourdain Lecointe, Le cuisinier des cuisiniers, 1877, p. 80).
Bref, il n'y a pas besoin de jaune d'oeuf, pour un aïoli, qui est une sauce dont le goût n'est pas celui d'une mayonnaise à l'ail. De même que le menuisier ne fait pas de bon travail s'il confond le tournevis avec le ciseau à bois, ne confondons pas, en cuisine !
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