mercredi 30 mars 2016

Ne confondons toujours pas

Amusant : un correspondant parle d'un industriel de la chimie, et il écrit "Oui. Il s’agit d’un ancien cadre de l’usine xxxx. Donc un chimiste, comme vous…". 

Un chimiste comme moi ?  Ma réponse : 


Un chimiste comme moi ? Disons qu'il y a des chimistes, techniciens ou ingénieurs qui mettent en oeuvre des réactions, et des gens qui font des sciences chimiques, à savoir qu'ils étudient les mécanismes des transformations. 
Je ne crois  pas que l'on puisse ranger Marie Curie avec les exploitants d'Areva, pour prendre une comparaison dans un champ différent, ni les physiologistes de la vision des couleurs avec les peintres en bâtiment, ni les biologistes de l'Inra avec les jardiniers. 
 Je ne méprise aucune catégorie professionnelles (sauf les catégories malhonnêtes par principe, bien  sûr), mais je crois que nous avons intérêt à voir les différences ! 

Vive la connaissance produite et partagée

mardi 29 mars 2016

Ce matin, un communiqué de presse où je lis "Nouveauté été 2016, dans la capitale mondiale de la gastronomie...".

Evidemment, je réponds : "La capitale mondiale de la gastronomie : Colmar ou Strasbourg ?"

Le cabinet de presse me dit alors  : "Nous faisions référence à Lyon et au titre donné par Curnonsky. Les semaines gastronomiques de xxx se déroulent à Lyon mais elles sont bien sûr dédiées à tous les gastronomes français, de Rhône-Alpes et d’ailleurs, ainsi qu’aux gourmets étrangers. Certaines semaines leur sont d’ailleurs dédiées (Chinois, Corée, Espagnol, etc.).

Ce qui attire (évidemment) de ma part le commentaire suivant :


Merci de votre retour. Mais c'est un peu comme  si le critique culinaire du Figaro (ou Monde, ou France Info, ou France Inter, ou TF1, ou M6... (je n'ai rien contre les gens honnêtes) décidait que la Capitale de la Gastronomie était Rungis, ou Tours, ou  Bordeaux, ou Dijon... Je ne cite pas ces villes au hasard : elles étaient candidates pour abriter la Cité de la gastronomie, quand la France a inscrit le repas gastronomique des Français au Patrimoine immatériel de l'humanité.
Et je maintiens que je mange mieux à Colmar, à Strasbourg ou à Paris qu'à Lyon : d'une part, la cuisine qui s'y fait est plus proche de ma culture (manger  bien, c'est manger ce que j'aime, non ?), et, d'autre part... mon ami Pierre Gagnaire n'est pas à Lyon (pas  à Colmar encore, mais attendons ;-) ).
Et puis, New York ? Tokyo ? Londres ? Curnonsky a vécu il y plus d'un demi siècle, et de l'eau est passé sous les ponts. Au lieu de nous regarder le nombril (et, pire, un nombril vieilli), nous ferions mieux de travailler, et de jeter un regard sur le vaste monde, où d'autres travaillent.
De toute façon, est-ce une bonne stratégie de communication de plaire aux Lyonnais en fâchant tous les autres, qui sont quand même bien plus nombreux ? Pas sûr...
Evidemment, s'il s'agit seulement de faire causer de la ville, pourquoi pas : j'ai quand même écrit trois fois le mot dans ce billet... mais je ne suis pas sûre  qu'elle en sorte grandie.

lundi 28 mars 2016

Quelques idées pour aider à se supporter quand on se voit dans un miroir

Sur le mur de mon bureau, il y a des phrases écrites, et mes visiteurs m'interrogent souvent sur  leur présence et leur signification.
Leur présence ? Ces phrases sont d'abord pour moi : je ne dois pas oublier de mettre en pratique les conseils qu'elles me donnent. Leur signification ? Je l'expliquerai dans des billets suivants.

Ici, je me limite à les donner. Quand elles ne sont pas assorties d'un nom d'auteur, c'est que je me dis les choses moi-même :


# IL FAUT S’AMUSER A FAIRE DES CHOSES PASSIONNANTES

# Nous sommes ce que nous faisons : quel est ton agenda ?


# Une colonne vertébrale !

# Tout fait d'expérience gagne à être considéré comme l'émanation de généralités que nous devons inventer (abstraire et généraliser)

# Quels sont les mécanismes ?
(La science en général)

# Les mathématiques nous sauvent toujours : « que nul ne séjourne ici s’il n’est géomètre »
(Platon)

# Ne pas oublier de donner du bonheur.

# Tu fais quelque chose ? Quelle est ta méthode ? Fais le, et, en plus, fais-en la théorisation.

# Surtout ne pas manquer le moindre symptôme

# Je ne sais pas, mais je cherche !

De quoi s’agit-il ?
(Henri Cartier-Bresson, mais peut-être aussi  le Maréchal Foch)

# Puisque tout est toujours perfectible, que vais-je améliorer aujourd’hui ?

# « Dois-je croire au probable ? »

# A rapprocher de :« En doutant, nous nous mettons en recherche, et en cherchant nous trouvons la vérité ».
(Abélard)

Et de :
# "Douter de tout ou tout croire, ce sont deux solutions également commodes, qui l'une et l'autre nous dispensent de réfléchir".
(Poincaré)

Combien ?
(la science en général)

# D’r Schaffe het sussi Wurzel un Frucht

# Ni dieu ni maître
(la devise des anarchistes)

# Tout ce qui mérite d’être fait mérite d’être bien fait

# La vie est trop courte pour mettre les brouillons au net : faisons des brouillons nets !
(Jean Claude Risset)

# Se mettre un pas en arrière de soi même

# Le summum de l’intelligence, c’est la bonté (et la droiture)
(Jorge Luis Borgès)

# Regarder avec les yeux de l’esprit

# Vérifier ce que l’on nous dit
# Ne pas généraliser hâtivement
# Avoir des collaborations
# Entretenir des correspondances
# Avoir toujours sur vous un calepin pour noter les idées
# Ne pas participer à des controverses
(Michael Faraday et Isaac Watts)

# Penser avec humour des sujets sérieux (un sourire de la pensée)

# « Comme chimiste, je passai cette oeuvre à la cornue ; il n'en resta que ceci : »
# ; se dissoudre dans, infuser, macérer, décoction, cristalliser, distiller,
# sublimer, purifier, alambiquer
(Jean-Anthelme Brillat-Savarin)

« Et c’est ainsi que les sciences chimiques sont belles »
(d’après Alexandre Vialatte)

# Morgen Stund het Gold a Mund
(proverbe alsacien)

# Y penser toujours
(Louis Pasteur)

# Ne pas confondre les faits et les interprétations

# Quand les lois sont mauvaises, il faut les changer

# Ne pas faire de lois qui punissent les bons élèves, et ne pas faire des lois pour punir les mauvais si
# on ne les applique pas.
(conseil aux prétentieux qui font des lois)

# Un homme qui ne connaît que sa génération est un enfant
(Cicéron)

# Dieu vomit les tièdes
(La Bible)

# Il n’est pas vrai que « La tête guide la main », ce qui est prétendu par une
# poutre du Musée du compagnonnage, à Tours : la tête et la main sont
# indissociables

# Les calculs !!!!

# Tout changer à chaque instant (vers du mieux !)

# Chercher des cercles vertueux

# Comme le poète, le chimiste et le physicien doivent maîtriser les métaphores

# Le moi est haïssable
(Blaise Pascal)

# Quels mécanismes ?

# N’oublions pas que nos études (scientifiques) doivent être JOVIALES

# L’enthousiasme est une maladie qui se gagne
(Voltaire)

# Clarifions (Mehr Licht)
(Goethe)

# Tu viens avec une question, mais quelle est la réponse (utilise la méthode du soliloque)

# Pardon, je suis insuffisant, mais je me soigne

# Comment faire d’un petit mal un grand bien ?

# Le diable est caché derrière chaque geste expérimental, et derrière chaque calcul

# Les questions sont des promesses de réponse (faut-il tenir ces promesses). Vive les questions
# étincelles

# La méditation est si douce et l’expérience si fatigante que je ne suis point étonné que celui qui pense soit rarement celui qui expérimente
(Diderot)

# Comment pourrais-je gouverner autruy, moi qui ne me gouverne pas moi- même
(François Rabelais)

# Prouvons le mouvement en marchant !

# Comment passer du bon au très bon ? Comment donner à nos travaux un supplément d’esprit ?

# Il faut des TABLEAUX : les cases vides sont une invitation à les remplir, donc à travailler!

# Si le résultat d'une expérience est ce que l'on attendait, on a fait une mesure ; sinon, on a fait une
découverte!
(Franck Westheimer)

# Quelqu'un qui sait, c'est quelqu'un qui a appris.
(Marcel Fétyzon)

# Il n'est pas nécessaire d'être lugubre pour être sérieux (le paraître n'est pas l'être).

# Il faut tendre avec efforts vers la perfection sans y prétendre.
(Michel-Eugène Chevreul)

# Tu vois une régularité du monde ? Il devient urgent de s'interroger sur sa cause.

# Une idée dans un tiroir n'est pas une idée

samedi 26 mars 2016

Êtes-vous crème normande ou margarine ?


Je suis certainement crème, mais pas forcément crème normande. Je me souviens, quand j'étais petit, de la maison d'un de mes grands-pères,  dans les Vosges. Nous allions, avec un pot  en aluminium ou en fer-blanc, chez le crémier. Je vois encore la petite rue en pente où il avait sa boutique, en contrebas de la rue de l'église. Il y avait un  grand récipient où le lait reposait. La crème était ce qui surnageait. Le crémier la prenait à la louche, pour la mettre dans notre pot. C'était un goût absolument extraordinaire, très différent de celui d'une crème fermentée.
Bien sûr, il peut aussi y avoir d'excellente crèmes fermentées, mais le goût de cette crème juste recueillie, vraiment "fraîche", était superbe, aussi parce que le lait des Vosges était d'une grande qualité. Du coup, le beurre aussi était très bon. Il faut répéter que ces goûts résultent de l'herbe que mangent les vaches, d'une part, et, d'autre part, des procédés de transformation.
Je ne suis pas personnellement d'une culture de l'huile d'olive, mais je suis surtout d'une culture de l'honnêteté ! On a le droit de manger de l'huile, si l'on veut, mais pourquoi mettre en avant des arguments fallacieux, tel que "c'est meilleur la santé" ?  Au nom de la "santé", on cherche à  nous faire gober n'importe quoi !
Et puis, ne méritons-nous pas d'avoir le meilleur ? Un bon beurre, une bonne crème, et aussi une bonne huile ? J'ai un ami sicilien qui fait son huile d'olives, une huile très verte, avec un goût  marqué, brûlant, piquant un peu, une  toute petite amertume... : un régal.  Mais je me souviens aussi d'un beurre  normand mangé  au Japon, à Kyoto, chez  un chef japonais qui est un élève de Pierre Gagnaire. Là encore, un beurre remarquable.
Enfin, je n'oublie pas que le beurre, la crème, le lait... peuvent être travaillés... et je vous renvoie vers mon invention  toute récente du "beurre feuilleté", sur le site de Pierre Gagnaire.

vendredi 25 mars 2016

5. Êtes-vous brunch ou barbecue ?


Brunch :  je ne sais pas très bien ce que ça veut dire. Et puis, dois-je utiliser un mot anglais à la mode ? Contraction de breakfast, petit déjeuner, et lunch, déjeuner. Un petit déjeuner que l'on prendrait à midi ? Un déjeuner, donc. D'ailleurs, pourquoi le petit déjeuner  serait-il obligatoirement fait de café, jus d'orange, croissant ou tartines ? Pourquoi pas des mets plus engageants ?
Pour le barbecue,  je comprend mieux :  il s'agit de grillades. Et là, il peut y avoir  le meilleur comme le pire. Mettre la viande au-dessus du feu, c'est la charger de benzopyrènes  cancérogènes en grande quantité !

Oui, quand on fait un feu, même si l'on attend qu'il n'y ait plus que des braises, et pas de flammes, la viande se charge de benzopyrènes. Environ deux mille fois plus qu'il n'en est autorisé par la loi dans les produits fumés de l'industrie alimentaire. N'est pas inconséquent de critiquer les pesticides ou les additifs (sans bien connaître le dossier, en général) et, en même temps, de se bourrer des produits cancérogènes ?
D'ailleurs, il faut ajouter que même s'il n'y a que des braises, les benzopyrènes sont présents. Et, le pire, c'est que, généralement, quand on met la viande au-dessus des braises, la graisse qui fond tombe sur les braises, rallume le feu, et des flammes viennent lécher la viande, tandis que  des flammèches noires se déposent. Et l'on prétend manger sainement ? Au  Japon, où l'on entend uun discours hygiéniste au moins égal à celui des Français, j'ai  éclaté de rire en voyant, dans un restaurant de grillades, que l'on plaçait la viande wagyu sur  des briques incandescentes... et immédiatement, quand la graisse à fondu, des flammes d'un mètre de hauteur au beau milieu desquelles la viande grillait ! Ce n'est pas une critique du Japon : nous faisons de même en France tous les étés !
Surtout cela est le signe d'une grande ignorance  : les bons rôtisseurs ne mettent pas la viande sur le feu, mais devant le feu, ce qui évite des benzopyrènes et conduit à une viande bien grillée, croustillante. La cuisson se fait tout aussi bien : les rayonnements infrarouges se propagent dans toutes les directions.

C'est à dire partout : on devrait peut-être interdire les barbecues  les plus communs, ceux  où la viande est au-dessus du feu, et qui conduisent le public à s'empoisonner. Il y a un effort de santé publique à faire : on ne peut pas à la fois lutter contre les pesticides et s'intoxiquer avec les benzopyrènes cancérogènes.

jeudi 24 mars 2016

4. Êtes-vous déjeuner ou dîner ?

C'est pour moi, non pas une question de goût personnel, mais une question de contingence, car on doit d'abord se souvenir que je travaille beaucoup, peut-être excessivement. Ayant bien diné, je n'ai pas faim le matin, et, à midi, il m'arrive souvent, au laboratoire, de ne pas déjeuner, parce que je n'ai pas le temps, que j'ai beaucoup de choses à faire.  Cela m'arrange un peu, parce que j'ai quelques kilos en trop, mais il faut alors que je dîne. Dîner se fait alors en famille ; c'est un bon moment, on se détend, on parle, on fait des efforts pour s'intéresser à ceux que l'on aime.  Et puis, après les repas, on est un peu assoupi. Autant cela serait gênant après  le déjeuner, autant je ne fait de tort à personne en dormant pendant la nuit ! D'ailleurs, j'ajoute que  des moralisateurs nous signalent qu'il faut manger peu le soir, sans  quoi  le  sommeil est perturbé... mais je me demande si nous n'avons pas ce travers terrible de toujours ériger en loi générale ce qui ne vaut que pour nous.

Ce qui me conduit à prendre du recul sur ce paragraphe : en répondant à la question, j'ai indiqué un choix qui n'a aucun intérêt général, et j'ai donné des raisons qui ne valent que pour moi. Laissons faire chacun, d'une part, et, d'autre part, pourquoi  me pose-t-on des questions dont je crois qu'elles ne conduisent pas à des réponses éclairantes ? A moins que je n'en sois maintenant à faire le constat de mon insuffisance  : je n'ai pas réussi à faire quelque chose d'intéressant à partir d'une question un peu faible  !
Allons, il est temps de se reprendre... par exemple, en m'interrogeant sur la raison pour laquelle une telle question est posée. Je ne vais pas refaire le coup de l'alternative où l'on veut m'enfermer et dont je veux  sortir (en parlant du petit déjeuner, du goûter, du souper...). En revanche, je vois que la question veut mettre mon interlocuteur dans une certaine intimité, que, au fond, je refuse, parce que je ne crois pas ma petite personne suffisante pour mériter cet intếret. Il y a quelques années, quand Marie-Odile Monchichourt m'avait interrogée, en vue d'un livre sur mes rapports personnels avec la science, j'avais réécrit les réponses données pour leur conférer plus de généralité. C'était la même difficulté, et, au fond, le même mécanisme de réponse : au lieu  de donner un détail idiosyncratique, je m'étais  efforcé de trouver un peu de généralité dans l'affaire.
A contrario, pourquoi refuserait-on d'ouvrir sa porte à des amis ? En réalité, je ne refuse pas, mais j'aimerais tant qu'ils ne soient pas déçus, une fois entrés !

lundi 21 mars 2016

3. Êtes-vous cru ou cuit ?



 Je suis certainement cuit, parce que le cru  est dangereux. On doit rappeler que l'humanité a inventé la fermentation et le feu pour se prémunir des micro-organismes pathogènes. Il y en a  partout autour de nous, et la cuisine permet d'abord de tuer les micro-organismes qui nous intoxiqueraient. Les "cuissons douces" ou autres crus, dont certains tentent de faire des modes, sont dangereux. La cuisson basse température est merveilleuse... quand elle est bien conduite : il faut éviter les séjours prolongés des aliments à des températures où les micro-organismes prolifèrent, et ne pas oublier que la toxine botulique, par exemple, est mortelle. La cuisson, c'est comme un couteau : indispensable... mais il faut apprendre à s'en servir pour éviter les risques de cet objet qui est dangereux. Idem pour  la fermentation, qui peut faire le meilleur (fromages, saucissons, vins, etc.) et le pire.

Cela dit, la cuisson a d'autres avantages, et notamment qu'elle change la consistance. Quand nos ancêtres n'avaient plus de dents (on doit se souvenir que, sans dentiste ni dentifrice, nos aïeux avaient des dents dans un état déplorable),  il leur fallait des aliments suffisamment mous pour subsister. Quand on n'a plus de dents, une carotte crue n'est pas mangeable. D'où le fait de râper ou de cuire. Il y a d'ailleurs une parenté, entre les procédés : quand on râpe une carotte, le couteau déclenche des réactions enzymatiques qui s'apparentent à celles de la cuisson.
A noter que la cuisson fut sans doute, aussi, un facteur de développement de l'espèce humaine, parce qu'elle augmente la biodisponibilité des nutriments. Avec moins de temps à mâcher, on a plus de temps pour le reste !

Et puis, il y a le fait que la cuisson fait apparaître des goûts nouveaux ! Et cela est essentiel, pour l'espèce humaine comme pour des espèces animales. Les chats, chiens, singes... préfèrent les aliments cuits aux aliments crus. Ah, l'odeur envoûtante d'une belle cuisson, d'un beau rôtissage, d'un fromage grillé... Décidément, je me vois mal condamné aux crudités, même si, parfois, cela est agréable. Une salade, d'accord, mais... en plus !


dimanche 20 mars 2016

2. Êtes-vous poisson ou viande ?

Ces questions sont analogues à celles que me posaient mes enfants quant ils étaient petits :  ils me demandaient si je préférais les framboises ou les cassis, et je répondais que je préférais les fraises des bois. Ils étaient furieux, parce que ce n'était pas le jeu auquel ils invitaient, mais il y avait (évidemment) plusieurs raisons pour lesquelles je répondais ainsi. D'une part, on devient sans doute plus malin si l'on apprend à ne pas "rester dans la boîte". D'autre part, les choix sont intransitifs et non ordonnables, de sorte qu'il n'est pas bon de répondre à une question mal posée.
Pour la question sur les poissons ou les viandes, il en va de même. Avec l'alternative proposée, il manque les crustacé, les huitres, les oursins... D'autre part,  il y a poisson  et poisson, viande et viande. Comment comparer un turbot à un faisan ? Egalement, il  y  le fait que nos choix sont changeants : si l'on a mangé beaucoup de turbot, on rêve de faisan !
Surtout il y a la façon de préparer les "ingrédients culinaires" pour les transformer en aliments. Par exemple, à propos du modeste maquereau, que l'on ne cesse de pêcher sur les côtes bretonnes au point de ne plus le considérer : j'en ai vu un chez Pierre Gagnaire qui était absolument éblouissant, un plat martien, merveilleux, inimaginable. Inversement la bavette que j'ai eu à déjeuner hier dans un bistrot près de la Gare Saint-Lazare n'étais pas extraordinaire... mais j'ai également vu, parfois, de très  belles bavettes sauce marchand de vin.
 "La" viande : cela n'existe pas ; "le" poisson n'existe pas ; il y a les poissons, les viandes, et les différentes façons de les préparer.

 Du coup, faut-il vraiment choisir ? Moi je ne suis pas difficile, je me contente de meilleur, et le meilleur, c'est toujours la même question, ce n'est pas une question d'ingrédients, ce n'est pas une question de préparation. C'est une question de compagnie, avec qui nous mangeons.
Donc finalement je ne suis pas poisson ou viandes sauf  si on prend le "ou" comme celui dela logique, à les deux à la fois. Moi je veux les poissons, les viandes, bien cuisinés, par des amis, et mangés en superbe compagnie.

Une série de question. La première

1. EŠtes-vous plutôt sucré ou salé ?

Ca commence dur,  parce que,  au fond,  je suis certainement beaucoup plus salé que sucré, mais je suis surtout  acide : ah, une quetsche au vinaigre au milieu de l'après-midi, un cornichon...
Cela dit, la question est compliquée,  à de nombreux titres.
D'abord, parce que je comprends mal l'intérêt d'y répondre. Je suis salé, ou sucré, ou acide, ou amer, ou les autres saveurs, mais qu'est-ce que cela peut bien faire à mes interlocuteurs ? En quoi le fait de répondre aura-t-il la moindre utilité ?
Et voilà pourquoi mes réponse ne peut s'arrêter à un goût personnel : il faut que j'y mette de quoi intéresser un peu.
Par exemple, il n'est pas inintéressant de savoir, je crois, que l'on a longtemps dit que la cuisine française ne faisait pas de salé-sucré, mais les analyses que nous faisons au laboratoire montrent que c'est complètement faux. Dans un bouillon de carottes, ce que l'on voit en premier, à  l'analyse, c'est du sucre, puis des acides aminés (qui ont des saveurs originales). De même pour l'oignon, par exemple. Et l'on sait bien que si l'on cuit des carottes ou des oignons,  il y a un goût sucré, qui est dûu aux glucose, fructose, saccharose, abondants dans tous les tissus végétaux. Par conséquent, il est faux de dire qu'il  n'y a pas de sucre est dans le salé.
C'est encore plus faux quand on voit E‰mile Jung, merveilleux chef alsacien, faire des sauces (il est considéré comme un des meilleurs sauciers) :  il ajoute toujours du sucre à la fin de son travail.
Pour ce qui me concerne, j'utilise beaucoup de glucose en cuisine, parce que le glucose n'est pas sucré comme le saccharose, le sucre de table, mais il est doux et donne de la longueur en bouche. J'ai toujours, à côté de ma cuisinière  un gros sac de plusieurs kilogrammes de glucose et j'en mets une cuillère, deux cuillères, etc. dans mes préparations. C'est doux, pas exactement sucré.
Enfin le mot sucré ne veut rien dire: il y a des sucrés, il y a d'ailleurs des salés, des acides, des amers, des piquants.

samedi 19 mars 2016

Si le résultat d'une expérience est ce que l'on attendait, on a fait une mesure ; sinon, on a (peut-être) fait une découverte !

Cette phrase est du chimiste Frank Westheimer (https://en.wikipedia.org/wiki/Frank_Westheimer).
Je ne suis pas certain que le « peut-être » soit de lui, et, d'autre part, je n'ai pas l'origine de la citation, qui m'a été donnée par mon ami Jean-Marie Lehn. Mais la phrase a beaucoup d'intérêt scientifique, parce qu'elle résonne avec toutes les parties du travail scientifique.
# Par exemple, quand on fait une expérience pour tester une conséquence d'une théorie, on espère...

La suite sur http://www.agroparistech.fr/Si-le-resultat-d-une-experience-est-ce-que-l-on-attendait-on-a-fait-une-mesure.html

vendredi 18 mars 2016

Faisons des tableaux : les cases vides sont une invitation à les remplir, donc à travailler !

 Quand on parle  de tableaux à un physico-chimique, il pense immédiatement à Dimitri Mendeleïev, ce chimiste russe qui fit une classification des éléments dans un tableau dit "périodique" et qui parvint ainsi à prédire l'existence de nouveaux éléments ayant des propriétés qu'il avait calculées, prédites par le calcul. D'autre part, si l'on parle de tableaux  à un Alsacien, il pense à ce psychophysiologiste strasbourgeois, Abraham Moles, qui avait érigé les tableaux en système, ce qu'il nommait des matrices d'inventivité. Si l'on parle de tableaux à une personne un peu systématique, elle réagit immédiatement de façon très positive, parce que l'on sait bien qu'un tableau, c'est une façon d'organiser des données, de mettre de l'ordre, et d'y voir plus clair, là où régnait le chaos, les ténèbres.
Oui, les tableaux ont ceci de merveilleux qu'ils permettent d'organiser les données, et de voir des groupes. Pour commencer, on pose les données les unes au dessous des autres ; puis on transforme chaque entrée en ligne : on obtient ainsi un tableau avec de nombreuses lignes,  mais avec une seule colonne.
Déjà, on peut s'amuser à changer l'ordre des lignes selon des critères structurants, afin de voir apparaître des groupes, des catégories.
Mais on peut aussi ajouter des  colonnes qui seront initialement vides,  et l'on aura ainsi produit des cases vides que l'on pourra chercher à remplir. C'est un principe que nous mettons en oeuvre systématiquement dans notre groupe de gastronomie moléculaire : systématiquement,  nous ajoutons au moins une ligne vide et une colonne vide à tous les tableaux que nous créons,  parce que c'est une façon de nous pousser à travailler, et non pas de découvrir  (par exemple,  des éléments chimiques), mais d'inventer.

Oui, les cases vides sont des invitations à les remplir,  à imaginer, à faire mieux, à faire plus. Et si l'on part du principe que nous sommes ce que nous faisons, cette pratique est merveilleuse :  si nous faisons mieux, c'est que nous sommes mieux. 

mercredi 9 mars 2016

Quand Pasteur était chimiste, une expérience pédagogique sur la scène de la Reine Blanche

Mes amis Ludovic Jullien et Clotilde Policar décrivent des mises en scène : 

1848. Pasteur, jeune chimiste à l’Ecole Normale Supérieure, fait une découverte inattendue sur les cristaux d’acide tartrique. Elle va contribuer à transformer la représentation que l’on a des molécules, qui deviennent des objets dotés d’une forme.
2016. Quatre étudiants de l’ENS se penchent sur ces travaux à partir d’un récit de Pasteur : reproduire les expériences, comprendre le contexte mais aussi retracer le moment particulier de la découverte. Biot, illustre chimiste, confiera son émotion au jeune Pasteur : « Mon cher enfant, j'ai tant aimé les sciences dans ma vie que cela me fait battre le cœur ».
Cette présentation des travaux novateurs du jeune Pasteur aura lieu le 20 mars à 11h au Théâtre de la Reine Blanche (2bis Passage Ruelle, 75018 Paris) dans le cadre du cycle "Scènes de sciences" (http://www.reineblanche.com/portfolio_page/scenes-de-science).
Ce spectacle marque l’aboutissement d’une activité pédagogique menée avec un groupe d’étudiants de L3 autour de l’émergence de la représentation tridimensionnelle des molécules à partir de textes historiques de Louis Pasteur. Cette activité répartie sur un semestre a amené à produire le texte de la pièce (qui verra jouer en particulier Eric Ruf, administrateur de la Comédie Française, mais aussi étudiants et encadrants), le diaporama et les expériences associées...

Ludovic Jullien et Clotilde Policar

dimanche 6 mars 2016

Je ne sais plus sous quelle plume j'ai lu ce paragraphe très faux

Habituellement, je note scrupuleusement l'origine des citations que je relève, mais je ne fais cela que lorsque cela en vaut la peine. Pour des textes moins intéressants, je ne prends pas cette peine... et c'est la raison pour laquelle je ne retrouve pas l'origine de ce paragraphe : "Je ne pense pas que la modélisation mathématique prédictive soit de nature scientifique. Je crois que c'est une prophétie moderne tout comme l'a été l'astrologie, utilisant les données de l'astrophysique. Elles sont invérifiables, ne se confirment jamais, et on ne peut jamais les contredire, car les données scientifiques contradictoires sont cachées ou alors elles génèrent la création de nouveaux modèles."

Pourquoi s'y arrêter ? Pourquoi commenter un tel texte s'il est si faux ? Parce qu'il pose une question lancinante, en science de la nature : celle de la modélisation. Son analyse permet, j'espère, de mieux travailler, à l'avenir.

Commençons par le début : "Je ne pense pas que...". Notre auteur ne le pense pas ? On se moque de ce qu'il pense ou qu'il ne pense pas (en science, pas de gourou, par d'argument d'autorité !), et la question n'est pas là. Elle est de savoir si la modélisation mathématique prédictive est ou non de nature scientifique... ce qui impose d'abord de savoir ce qu'est la modélisation, puis la modélisation mathématique, puis la modélisation mathématique prédictive, et, ensuite, de se demander si un tel objet peut être de nature scientifique.
La modélisation ? C'est l'activité de la science tout entière. Si nous identifions les phénomènes, si nous les quantifions, si nous réunissons les données en lois, et si nous faisons de ces lois des théories, aussi nommées des modèles, c'est pour identifier des mécanismes d'une autre façon que par pur arbitraire, et, d'ailleurs, les mécanismes identifiés se confondent avec les modèles.  Au coeur de la science, il  y a donc le modèle.
Mieux encore, au coeur des sciences quantitatives, que  l'on nomme aussi des sciences de la nature, il y a des modèles mathématiques, tant il est juste que, au coeur de l'activité scientifique, il y a cet éblouissement/hypothèse selon lequel "le monde est écrit en langage mathématique".
Modèle mathématique prédictif ? Tout modèle, dans la mesure où il est fait d'équations qui s'appliquent (voir les billets consacrés aux ajustements) dans des cas où l'expérience n'a pas été faite (un nombre réellement infini, donc), est donc nécessairement prédictif... et c'est précisément cette exposition à la réfutation qui fait qu'il est scientifique. Un modèle mathématique non prédictif serait tautologique, et non scientifique !
Mais, en réalité, je finasse, parce que notre auteur visait surtout les modèles de climat, et nous devons nous intéresser à ces derniers, plus spécifiquement. Nos collègues climatologues sont face à des questions très compliquées, parce que les paramètres sont innombrables. De ce fait, ils doivent faire de nombreuses approximations pour obtenir des modèles approchés. Approchés, pour comme dans n'importe quelle science !
La capacité prédictive de ces modèles ? Elle est la même que pour n'importe quel autre modèle, mais là n'est pas la question. Ce que l'on sous-entend souvent, c'est que ces modèles sont moins bons que d'autres. Peut-être, je ne suis pas spécialiste. En revanche, ils sont tout autant "scientifiques", précisément parce qu'ils sont prédictifs.

Notre auteur de continuer : "Je crois qu'il s'agit d'une prophétie moderne comme l'a été l'astrologie à un moment donné, utilisant les données de l'astrophysique".
En réalité, il confond les modèles de climat et leurs prévisions. Pour un modélisateur scientifique, la prévision donnée par un modèle est une prévision qu'il faut tester par confrontation avec l'expérience. Un point c'est tout. C'est donc une critique infondée qui est faite.
D'ailleurs, il y a confusion entre les modèles et ceux qui les utilisent. Et une différence avec les prophéties, dont la définition est : "Annonce d'événements futurs par une personne sous l'inspiration divine". Les climatologues n'ont pas d'inspiration divine : ils font leur travail de modélisation mathématique, parfaitement scientifique.

Enfin "Elles sont invérifiables, ne se confirment jamais, et on ne peut jamais les contredire, car les données scientifiques contradictoires sont cachées ou alors elles génèrent la création de nouveaux modèles." Au fait, à quoi se rapporte ce "Elles" ? Dans le texte de l'auteur, le seul féminin pluriel est "les données astrophysiques". Quoi, les données astrophysiques seraient invérifiables ? Allons, un peu de sérieux ! Quand un satellite ou un télescope enregistre des rayonnements, cela est parfaitement vérifiable, au contraire, parfaitement vérifié, même. Contredire une donnée ? Allons : on peut contredire une personne, pas une donnée. On peut montrer qu'une mesure est fausse (les mesures sont d'ailleurs toujours fausses par principe, puisque la valeur mesurée est approchée, aussi près que le permet la précision de l'instrument, mais pas plus), mais on ne la contredira pas.  Ce que montre cette phrase, donc, c'est combien l'auteur du paragraphe est approximatif... d'autant que son "Elles" aurait dû être sans doute un "Elle", pour faire référence à la modélisation mathématique, ou un "aux" s'il avait évoqué explicitement les "modèles de climat". La fin de la phrase ici discutée est également intéressante : en science, la réfutation conduit toujours  à de nouveaux modèles, et c'est même là l'objectif que l'on vise : remplacer une théorie, un modèle, par une théorie "meilleure", en ce sens qu'elle décrit mieux (mais toujours de façon insuffisante, par principe) les phénomènes.

En cours d'article, on lit aussi "tous les modèles se sont révélés faux". Et oui, en science, tous les modèles sont "faux", disons insuffisants ou approchés si l'on préfère, mais la question n'est pas de faire des modèles "justes", ce qui serait un fantasme au moins aussi grand que de croire qu'une mesure puisse être juste. En science, d'ailleurs, les adjectifs sont interdits, et l'on doit répondre à la question "combien ?". Combien faux ? Combien juste ? Là est la seule question.
D'ailleurs, ne confondons pas l'activité scientifique, et l'utilisation de la science à des fins que je propose de qualifier de technologique.  C'est bien souvent l'utilisation de la science qui engendre des discussions, et pas la science elle-même. Ce qui pose la question des "experts" et du détournement trop fréquent de leur discours par les agences d'état en charge des champs techniques : l'aliment, le médicament, le climat...  Mais c'est là une question différente, politique, épineuse. Et je repars à mes études... de modèles insuffisants que nous devrons perfectionner.

mercredi 2 mars 2016

Ne pas confondre

Ce matin, je suis un peu désolé, parce que des élèves qui préparent un TPE, alors qu'ils me disent être au bout de leur travail, confondent cuisine moléculaire et gastronomie moléculaire.

Moi qui croyais être clair !

J'avais préparé un document, mais, du coup, j'ai préparé une image, pour ceux qui ne comprennent pas bien ce qu'ils lisent (j'ai repris mon document : les mots sont pourtant clairs) :