Depuis la publication des
Secrets de la casserole, en
1992, le monde culinaire s'est emparé des réactions de Maillard, que
j'avais alors présentées, mises à l'honneur, considérant qu'il était
indécent d'oublier ce chimiste nancéien Louis Camille Maillard, vue
l'importance de la découverte qu'il avait faite pour la gastronomie
moléculaire, en 1912.
Les réactions de Maillard se sont
donc popularisées, et je rencontre même, aujourd'hui, des cuisiniers
qui... croient pouvoir m'enseigner ce que ce sont ces réactions, quand
elles sont lieu !
On me dit qu'elles n'auraient lieu qu'à haute température...
On me dit que les brunissements des aliments sont dus à des réactions de Maillard...
Pour
réfuter la première affirmation, il suffit de savoir que les réactions
de Maillard sont à l'origine de l'opacification du cristallin des
diabétiques, le glucose étant abondant en compagnie de protéines, et le
tout à seulement 37 degrés. Comme ces réactions ont lieu à des
températures plus basses que celles de la cuisine, elles sont donc plus
lentes... heureusement.
Mais c'est surtout au brunissement que je veux me consacrer ici.
En cuisine, il y a des brunissements de toutes sortes.
Certes,
dans certains cas très particuliers, quand se trouvent réunis des
sucres réducteurs, tels le glucose, et des acides aminés, des réactions
de Maillard peuvent avoir lieu si l'on chauffe.
Toutefois il y a
bien d'autres occasions culinaires où des brunissements apparaissent.
Par exemple, quand on coupe une pomme : des enzymes de la pommes
viennent modifier des composés phénoliques également présents dans le
fruit (mais séparés, dans d'autres compartiments que les enzymes), et
former, à l'issue d'une chaîne de réactions, des composés bruns. Le
fruit brunit, mais là, pas de réaction de Maillard.
Il y a aussi
des cas tels que la caramélisation, où, cette fois, il ne s'agit pas de
réactions de Maillard, puisqu'il n'y pas de réaction entre sucres
réducteurs et acides aminés.
C'est une autre réaction, qui , d’ailleurs, conduit à la formation d'une masse très particulière, qui est celle du caramel.
La
caramélisation n'a rien à voir avec une réaction de Maillard. Lors de
la caramélisation, il y a apparition d'une couleur brune, mais cette
couleur résulte de réactions différentes de celles qui font la masse du
caramel.
Quelles réactions ? Des réaction de « pyrolyse ». Oui,
mot « pyrolyse » est un peu tautologique, puisqu'il s'agit de dire qu'il
y a décomposition à la chaleur. On n'est guère plus avancé... mais
c'est un fait que, en cuisine, les pyrolyses ont partout, bien plus
abondantes que les réactions de Maillard. D'ailleurs, avec les composés
organiques, lesquels ont des molécules formées essentiellement d'atomes
de carbone, hydrogène, oxygène, il y a presque toujours un jaunissement
ou un brunissement quand on chauffe.
Ce changement de couleur est
le premier pas vers le noircissement auquel les pryolyses conduisent
immanquablement... sauf à former de l'eau, du dioxyde de carbone.
A
ce propos, cela vaut la peine de reprendre cette expérience classique
de l'encre sympathique, cette encore qui est invisible quand on
l'emploie et qui apparaît quand on chauffe la feuille de papier. On a
parfois dit que le jus de citron aurait cette propriété, mais j'ai fait
l'expérience... et j'ai vérifié, qu'une fois de plus les on-dit méritent
d'être vérifiés. D'abord, quand on écrit avec du jus de citron sur du
papier bien blanc, l'écriture n'est pas du tout invisible : elle
apparaît. Certes, quand on chauffe, le jaune devient brun, mais on
observe les mêmes effets avec du vinaigre cristal, par exemple.
L'acidité
serait-elle en cause ? Non puisque l'usage de sirop montre un
brunissement aussi. Plus généralement, l'ensemble des solution aqueuses
de composés organiques conduit à un tel brunissement.
Rendons
donc hommage à Maillard, mais ne généralisons pas abusivement, et, si
nous voulions rester simples, nous serions bien avisés d'admettre que
les pyrolyses sont responsables de la plupart des brunissements en
cuisine.
Dans la mer des brunissements, il y a des réaction de
Maillard, des brunissements enzymatiques, mais ce sont des îles dans
l'océan des pyrolyses.
Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces
(un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes
de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la
cuisine)