La Cuisine est une si belle activité qu'elle mérite le meilleur !
Evidemment, on n'évitera pas la publication de mauvais livres, mais, à
propos des livres anciens, la question de leur utilisation se pose. Je
propose ici une comparaison éclairante avec les livres de science.
Aucun
étudiant en chimie, par exemple, ne peut travailler aujourd'hui avec
des livres qui dateraient de plus de 50 ans, parce que la chimie a
considérablement progressé, a sans cesse réfuté les erreurs, mieux
compris les théories nouvelles...
Par exemple, dans les années
1950, le livre de Linus Pauling sur la liaison chimique a bouleversé la
discipline : l'introduction de la jeune mécanique quantique a
complètement rénové la vision que les chimistes avaient de la
molécule... alors que l'ordinateur n'était même pas encore présent.
Ultérieurement, dans les années 1980, on a pu calculer la structure des
molécules. Puis, dans les années plus récentes, la modélisation
moléculaire s'est considérablement développée. Bref, on peut mettre au
musée des livres de grands chimistes du début du XXe siècle, et même
d'après !
En cuisine, les choses ont hélas si peu
changé que, à part les parties consacrées à l'usage du feu ou des
fourneaux à charbon (encore utilisés quand nos chefs étoilés
d'aujourd'hui étaient apprentis), les recettes restent quasi valides,
disons comestibles.
Cela étant, ne serait-il pas mieux
que les livres de cuisine anciens soient relégués dans des musées, à la
disposition des historiens ? Je tombe, en relisant le Dictionnaire
universel de cuisine pratique de Joseph Favre que la crème contiendrait
du sérum, du butyrum et du caseum !
Le butyrum serait le principe du beurre, et le caséum serait celui du fromage, le serum celui du fromage blanc.
Quelle
confusion ! Le livre doit vraiment rester au musée, sous peine de
propager des idées fausses. En réalité, la crème est faite d'une
dispersion de gouttelettes de matière grasse dans une phase aqueuse. Les
gouttelettes sont, comme pour le lait, stabilisées par des "micelles de
caséine" (des protéines, des ions variés, notamment calcium et
phosphate) ; des protéines sont dissoutes dans la phase aqueuse. Pas de
"principes" dans cette affaire.
Je passe sur le fait que la crème
"pure et fraîche" serait un prophylactique de la phtisie pulmonaire, ce
qui sent sa médecine à la Molière.
Et la composante
culinaire du livre ? Restons à l'article des crèmes et lisons la formule
de la crème à la Chantilly : "Fouetter la crème dans une bassine étamée
ou dans une terrine en grès posée sur la glace ; au moment de servir,
la saupoudrer de sucre vanillé".
Ici, bien des questions. D'une
part, la nature du récipient : il sera préférable d'utiliser de l'acier
inoxydable, lequel ne cédera pas d'étain à la crème fouettée. Le grès
convient, bien sûr, mais il casse, et, de surcroît, c'est un matériau
qui conduit mal la chaleur, de sorte qu'il n'est pas approprié pour
l'usage proposé.
Posée sur glace ? Il nous suffit aujourd'hui de mettre la crème au frais avant de la fouetter.
Enfin,
le sucre vanillé n'est pas recommandé par tous. Il faut du sucre,
certes, sans quoi on fait de la crème fouettée, mais la vanille n'est
pas obligatoire.
Enfin, on oublie ici qu'une pratique ancienne
consistait à poser la crème fouettée sur un tamis, au frais, avant de
l'utiliser, afin qu'elle draine.
Et l'on doit signaler que les
crèmes actuelles sont souvent additionnées d'agents texturants divers,
qui périment les précisions culinaires de naguère (je rappelle que
"naguère" est une contraction de "il n'y a guère").
Bref,
conservons beaucoup d'admiration pour Joseph Favre, mais avertissons
ceux qui le liront qu'il s'agit d'un texte très périmé !
Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue :
Le terroir à toutes les sauces (un
traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de
recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que
nous construit la cuisine)