vendredi 9 juin 2017

Paradoxes

Des paradoxes, il y en à foison, depuis la Grèce antique et certainement avant. Zénon d'Elée, par exemple, faisait observer que le mouvement était impossible « puisque », pour qu'une flèche atteigne son but, il fallait qu'elle parcourt d'abord la moitié de la distance, puis la moitié de la moitié restante, et ensuite la moitié de la moitié de la moitié restante, et ainsi à l'infini. De sorte que, puisqu'il restait toujours une moitié à parcourir, l'objectif n'était jamais atteint.
Un autre paradoxe célèbre par le même Zénon est celui et Achille et de la tortue, qui s'apparente au premier. Mais évidemment, on prouve le mouvement en marchant.
Il y a des paradoxes de nombreux types, et celui de Zénon diffère du célèbre « Je mens ». Cette fois, il ne s'agit plus de mouvement, mais de logique, car si je mens, alors je dis la vérité quand je dis « je mens » ; mais si je dis la vérité, alors je mens, dont ce que je dis est faux, et ainsi de suite à l'infini.

Ici il ne s'agit pas de faire une typologie des paradoxes, mais plutôt d'en évoquer un célèbre, associé à un remarquable texte de Denis Diderot. Ce texte, et ce paradoxe, c'est le  Paradoxe sur le comédien. Diderot était très intéressé par le théâtre (je m'aperçois que je ne sais pas pourquoi), pour lequel il écrivit plusieurs pièces, et il n'avait pas manqué de s'interroger sur le jeu des comédiens.
La question était de savoir si l'on est un bon comédien quand on ressent des passions l'on exprime, ou, au contraire, s'il est préférable de rester de marbre, intérieurement, afin d'avoir toute sa tête pour mieux en exprimer les passions. Comme dans tous les textes de Diderot, Le Paradoxe sur le Comédien est vivant, coloré, chatoyant, et l'on imagine bien comment un tel esprit parlant des paradoxes ait pu faire un texte remarquable. Pas un texte très long, mais simplement de longueur appropriée à la question qui était discutée. Un long article, en quelque sorte, parce que cela suffisait.
Évidemment, dans ce texte de Diderot, il y a bien plus que la description succincte que je viens de donner, mais c'est en tout cas la substance qui motive le présent document, à savoir surtout qu'un raisonnement sain ne parvient pas véritablement à trancher certaines questions épineuses. Je connais mal le théâtre, mieux la musique, pour laquelle la question de Diderot se pose de la même façon : j'ai vu des musiciens qui ressentaient les passions et cherchaient à les exprimer, et d'autres, qui, de marbre, s'efforçaient de faire sentir les passions inscrites dans la musique.

Tout ce long préambule évoque des questions artistiques, et non des questions scientifiques, qui m'intéressent davantage. Je prends la précaution de dire que je ne vois pas de véritable lien entre les sciences de la nature et l'art, sauf à reconnaître trivialement qu'il s'agit de deux activités de culture. Je ne propose pas que l'on transpose le Paradoxe du comédien aux sciences de la nature (quoique...).
Ce Paradoxe du comédien est seulement un texte dont il m'a semblé que le paradoxe de la stratégie scientifique se rapprochait d'un point de vue littéraire, une sorte de type intellectuel, qu'il convenait d'évoquer, d'une part pour des raisons de fond, mais, aussi, pour des raisons de forme, sans compter que c'était l'occasion de signaler à des amis plus jeunes l'existence du merveilleux texte de Diderot.


samedi 27 mai 2017

C'est ailleurs que j'étais actif ces jours-ci

On se souvient que je poste un billet par jour, mais il y a plusieurs sites différents.
Les jours derniers, j'ai été actif sur le site http://www.agroparistech.fr/-Les-bonnes-pratiques-scientifiques-.html, parce que je crois qu'il y a urgence à constituer un répertoire de "bonnes pratiques en science" : c'est ce que j'avais cherché il y a trente ans, que je n'ai pas trouvé, et que les revues scientifiques ne donnent pas ; d'ailleurs, elles ne sont pas habilitées à le donner, et c'est le rôle des académies, pas d'éditeurs privés, même quand les éditeurs sont des scientifiques qui travaillent (gratuitement) pour ces revues.

Bref, il y a lieu de continuer à aider nos jeunes amis et nous-mêmes en explicitant les règles de notre profession !

Si d'aventure vous avez l'idée d'un billet, je suis preneur à icmg@agroparistech.fr.



dimanche 21 mai 2017

Ce matin, une étudiante qui prépare un exposé sur la cuisine note à note a des questions :

J'aimerais savoir si vous vous êtes lancé dans la recherche pour la cuisine par vocation ou par opportunité ou bien les deux ? Qui évalue vos recherches ? Comment les financez-vous (si cela n'est pas indiscret) ?

Allons y dans l'ordre :

1. J'aimerais savoir si vous vous êtes lancé dans la recherche pour la cuisine par vocation ou par opportunité ou bien les deux ?

 Pour cette question, j'ai répondu mille fois, et l'on trouvera des réponses sur https://sites.google.com/site/travauxdehervethis/Home/vive-la-connaissance-produite-et-partagee/pour-en-savoir-plus/questions-et-reponses/questions-personnelles
 Cela dit, si j'ai répondu comment j'ai versé dans la "gastronomie moléculaire" (utilisons les bons termes), je n'ai pas répondu exactement à la question posée de la "vocation" ou de l'"opportunité".
C'est là quelque chose qui mérite un peu de réflexion, et un usage correct de mots.

La vocation, c'est un appel de Dieu, puis, par extension, l'inclination, le penchant impérieux qu'un individu ressent pour une profession, une activité ou un genre de vie.
Dans mon cas, il est exact que, dès l'âge de six ans, quand j'ai reçu ma boite de chimie, j'ai immédiatement été fasciné par les sciences de la nature, la chimie mais aussi la physique, et les mathématiques ; je ne voyais pas de frontières entre les trois, même si la "chimie" m'était plus chère, parce que je trouvais (et je trouve encore) fascinant que les phénomènes macroscopiques s'expliquent en termes microscopiques, invisibles. Plus tard, j'ai été fasciné que le monde "soit écrit en langage mathématique", comme l'a dit Galilée (avec toutes les précautions nécessaires pour écrire une telle phrase, mais c'est une autre histoire).
Bref, j'étais  passionné par les sciences de la nature... mais pas par la cuisine. Bien sûr, j'étais d'une gourmandise forcenée, au point que nous nous sommes enfermés pendant deux semaines pour ne faire que manger, à l'âge de 14 ans, avec des amis, et bien sûr, j'ai toujours cuisiner, mais :
- la partie technique de la cuisine n'est que technique, donc sans intérêt pour moi
- la partie artistique est artistique, donc en dehors de mes intérêts
- la partie sociale nécessite d'être mieux inséré dans le groupe que je ne le suis.

Bref, ce sont les sciences de la nature qui m'intéressent, et c'est par sérendipité que les sciences que je pratique ont un rapport avec la cuisine. D'ailleurs, à un niveau un peu fondamental, il n'y a pas de barrières. Par exemple, un aliment qui libère un composés sapide, c'est exactement le même type de phénomènes qu'un médicament qui libère un principe actif ou qu'un parfum dont s'évapore un composé odorant.
Et pour les équations, Fick ou Fourier, même forme, par exemple, pour prendre un exemple simple.

Opportunité ? Je trouve "caractère de ce qui est opportun" (opportun : qui vient à propos, qui convient à la situation du moment) ou encore "savoir d'instinct ce qu'il convient de faire dans telle situation".
Dans mon cas, l'épisode du soufflé au roquefort qui a été ma "nuit de Pascal", toutes proportions gardées évidemment, a été d'instinct. J'ai fait ce que je devais faire sans y réfléchir, mais aussi parce que mon apprentissage avait été tel que j'étais bien dans cette ligne scientifique. Il y a cette phrase "Il faut agir en Chrétien, et non en tant que Chrétien" ; dans mon cas, j'ai agi en scientifique, et non en tant que scientifique. Face à une incompréhension, j'ai été rationnel, et c'est ainsi que j'ai été tout naturellement conduit à explorer ce soufflé.
Le pas supplémentaire, qui consistait à me lancer dans la recherche des précisions culinaires, avait été préparé par les activités de laboratoires que j'avais depuis l'âge de six ans : ayant toujours expérimenté, il était naturel d'expérimenter.
Et je n'ai pas fait de "comm" : je faisais mes recherches tout seul, sans en parler à personne, mais cela s'est su, et c'est ainsi que j'ai été invité à faire des séminaires, puis que nous avons créé la gastronomie moléculaire avec mon vieil ami Nicholas Kurti, qui faisait de même à Oxford.
Il n'y avait dans tout cela pas de "calcul", de l'opportunité mais pas d'opportunisme, pas d'envie de "carrière", rien que l'intérêt passionné (ma marque de fabrique) pour mon activité, laquelle était quasi obligatoire.

Pardon de cette longue réponse très personnelle : le moi est haïssable !




2. Qui évalue vos recherches ? 
 Comme tout chercheur, mes recherches sont évaluées... d'abord par moi-même !
En effet, chaque soir, dans mon groupe de recherche, nous envoyons à tous les autres un email qui comporte un tableau :

Nature de la tâche /Tâches/Etat/Commentaire
Travail/                   /                   /
Communication/    /                   /
Administration/     /                   /
Ce qui a coincé et qu'on peut améliorer/            /              /
Nouvelles connaissances/        /                     /
Nouvelles compétences/         /                        /                /
Objectifs/             /                  /
Cadeaux/             /                  /
                        

Les petits esprits considèrent cela comme du flicage, mais ils ignorent que nous le faisons d'abord pour nous-mêmes, que des "cadeaux à soi même et aux autres" sont d'abord à soi-même : c'est l'occasion de prendre du recul, d'évaluer le travail de la journée, afin d'avoir de la traçabilité, d'augmenter la qualité, d'avoir une évaluation en vue de perfectionnements ultérieurs.              

Ce n'est pas tout : le vendredi, je fais un bilan de la semaine, puis tous les trois mois un bilan du trimestre, et, enfin, pendant l'été, je prends quelques jours pour savoir comment orienter l'année suivante.

Cela, c'est pour moi-même : le plus important, car je n'oublie jamais que je suis payé par le contribuable français, et que je lui dois une activité soutenue et intelligente, mais je n'oublie jamais non plus mon ambition, qui est celle de faire de belles découvertes.


Pour autant, l'institution organise aussi des évaluations. Par exemple, l'Inra évalue ses personnels régulièrement, et l'HCERES est l'instance nationale d'évaluation des chercheurs.
D'ailleurs, il faut dire que les chercheurs sont bien plus évalués qu'on ne le dit par ignorance, même jusqu'au niveau de la présidence (mais l'homme qui a dit cela a ipso facto perdu toute dignité)  : en 2011, par exemple, j'ai eu 7 évaluations dans l'année, à croire que l'on voulait m'empêcher de travailler, car il faut dire qu'une évaluation bien conduite prend beaucoup de temps. Je ne peux m'empêcher, à ces mot, d'inviter tous mes amis à lire cette merveilleuse petite nouvelle de Leo Szilard (The voice of Dolphins), à propos du danger de laisser les scientifiques travailler.

Mais la question est passionnante, parce qu'elle pose la question de l'évaluation : je maintiens qu'un évaluateur doit être quelqu'un qui interroge, et s'assure que son interlocuteur n'a pas laissé son activité au hasard. Cela doit être bienveillant, et conduire à des perfectionnements, souhaités des deux côtés.
Evidemment, je pense ainsi à des personnes évaluées actives, soucieuses de bien faire, en accord avec la lettre de mission qu'ils ont reçues. Parce que je suis ignorant de toutes les turpitudes auxquelles la paresse, la perversité, le goût de la domination (le "pouvoir"), etc. peuvent conduire. Détestons le noir poison de la malhonnêteté, et allons vite dans la chaude lumière de la droiture et de la bonté ! 

Pardon de cette longue réponse moralisatrice !



3. Comment les financez-vous (si cela n'est pas indiscret) ? 
Soyons clair. Puisque le travail de ma correspondante porte sur la cuisine note à note, il faut dire que  la promotion ou le développement de cette cuisine que j'ai inventée ne sont pas dans ma mission scientifique.
Pour ce qui me concerne, j'ai une vie scientifique et une vie "politique", engagée. La vie scientifique, c'est ma passion, comme dit précédemment : la recherche en gastronomie moléculaire. Je ne devrais faire que cela, et j'y arrive d'ailleurs assez bien.
Mais, à côté, je n'oublie pas que je suis un citoyen, et je crois qu'il est de mon devoir "politique" de promouvoir la cuisine note à note. Pour mille raisons qu'il serait trop long d'exposer ici, d'autant que j'ai toujours dit que je ne réponds pas à la question "A votre avis, puisque je ne gagne pas d'argent avec la cuisine note à note, et que je ne gagne pas non plus d'une notoriété qui ne me servira à rien dans la tombe, pourquoi pensez vous que je prends de mon temps pour promouvoir la cuisine note à note ?".

Bref, j'ai besoin de financement pour ma recherche scientifique, puisque c'est mon activité, et je n'ai besoin de rien pour la cuisine note à note, puisque ce n'est pas  mon activité.

Pour la recherche scientifique, oui, il me faut des financements, et je tiens à dire que, agent de l'état, je n'ai rien à cacher, et il n'y a pas d'indiscrétion à poser la question : tout contribuable a le droit de savoir comment son argent est utilisé.
Voici :
- je reçois mon salaire de l'Inra
- l'Inra et AgroParisTech contribuent au fonctionnement du laboratoire (électricité, eau, chauffage, fluides...)
- des industriels payent parfois des étudiants ou des doctorants qui viennent apprendre auprès de moi, et ils contribuent en finançant des consommables
- parfois mes conférences dans l'industrie sont rétribuées par des dons de matériels
- parfois, des programmes nationaux ou internationaux apportent des compléments.

Mais il me faut ajouter que je refuse absolument de payer des étudiants en stage, car à ce rythme, viendra un jour où il faudra payer pour faire des cours ! Et la loi idiote qui a été édicté me conduit à refuser les étudiants pour des stages de plus de deux mois, ce que les étudiants regrettent (je ne dis pas que les étudiants ne doivent pas recevoir de bourse, mais je dis que ce n'est pas à moi, qui me charge de les aider à apprendre, à devoir, en plus, chercher leur financement. D'autre part, les thèses pour lesquelles je suis directeur de thèse sont toujours des thèses CIFRE, payées par l'industrie, donc, parce que je maintiens que des étudiants qui ne connaissent pas l'industrie sont handicapés quand ils cherchent ensuite du travail.
Mais j'ai fait de nombreux billets à ces divers propos : quand je vous disais que j'allais finir "père la morale".


Allons, il faut conclure, et toujours conclure sur une note positive. Prenons du recul sur ces questions. De quoi s'agissait-il ? D'une élève d'une école d'ingénieur qui s'intéresse à la cuisine note à note. C'est donc parfait, puisque cette cuisine va se développer, suscitant la création d'entreprises, de technique, de technologie, d'art...
C'est donc bien une application de la science nommée gastronomie moléculaire. Pas une application directe, mais une application "intellectuelle".

Bref, les sciences de la nature sont merveilleuses !





jeudi 18 mai 2017

Chers Amis

Cela fait quelque temps déjà que je vous ai présenté un professeur des Hautes Etudes du Goût.

Cette semaine : Gérard Liger-Belair

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Gérard Liger-Belair est professeur à l'Université de Reims Champagne-Ardenne.


Il y a créé l’équipe Effervescence, Champagne et Applications (GSMA – UMR CNRS 7331), dont la vocation première est l’étude des processus liés à la dynamique des bulles et des mousses dans les liquides chargés en gaz dissous (depuis les bulles de champagne, jusqu’aux mousses industrielles).

Au cours des dernières décennies, il s’est développé une science considérable des bulles et des mousses. Physiciens, chimistes et mathématiciens se sont passionnés pour ces objets fragiles aux propriétés extraordinaires.
Cependant, les processus liés à la formation des bulles dans un vin de Champagne sont restés jusqu’à peu totalement inexplorés. Pourtant, dans le petit volume de champagne circonscrit par une flûte, on retrouve toutes les étapes de la vie d’une bulle. Elle naît sur une particule immergée, elle se développe dans la flûte en rejoignant la surface, où inexorablement elle vieillit, puis finit par disparaître.
Ces petites sphères de gaz carbonique qui prennent naissance dans le vin engendrent une kyrielle de phénomènes d’une complexité insoupçonnée qui vont mettre en éveil la panoplie complète des sens du dégustateur. Depuis une quinzaine d’années maintenant, dans ses laboratoires de l’université de Reims Champagne-Ardenne, Gérard Liger-Belair et son équipe développent des outils susceptibles de mieux cerner le rôle de cette bulle, trop longtemps inexplorée.


Il est l'auteur d'une centaine d'articles scientifiques et d'une dizaine d'ouvrage universitaires et à destination du grand public, parmi lesquels:


- Effervescence ! la science du champagne, Odile Jacob, 2009
- Voyage au cœur d’une bulle de champagne, Odile Jacob, 2011
- Champagne, la vie secrète des bulles,Cherche-Midi,2014


Il a reçu une quinzaine de prix scientifiques dans le cadre de ses activités de recherche (dont le prix coup de cœur de l’Académie Amorim en 2003, et le prix de la photographie scientifique Biopicture, en 2004, le Prix de l’OIV 2009 pour l’ouvrage “Les vins effervescents, du terroir à la bulle” aux éditions Dunod, et le Prix de l’Innovation au Viteff 2013 (catégorie laboratoire de recherche), pour un travail de recherche intitulé « Le service du champagne revisité ».

dimanche 14 mai 2017

Le style, en science


Dans le jury de ma thèse, dont j'étais moi-même le directeur (pas administrativement : ce n'était pas possible, et il a fallu un prête nom... qui fut mon ami Pierre Potier), il y avait des personnalités scientifiques remarquables : Jean-Marie Lehn, prix Nobel de chimie ; Pierre-Gilles de Gennes, prix Nobel de physique ; Nicholas Kurti ; Georges Bram  ; Pierre Potier, que j'ai déjà évoqué ; et d'autres qui ne sont pas moins que les premiers, mais qui sont moins utiles pour la discussion que je propose ici.
Jean-Marie Lehn : il suffit de lire ses publications pour voir une façon de faire très particulière, conceptuelle. Jean-Marie pense les objets, les abstrait, avant de les réaliser ou de les faire réaliser en laboratoire. Il y a de la règle formelle, dans sa manière.
Pierre-Gilles de Gennes : une discipline différente, certes, mais surtout une tout autre méthode, où l'ordre de grandeur est premier. Certes, des capacités de calcul étonnantes, appliquées à des données expérimentales très élégantes, une sorte de pureté du travail.
Pierre Potier ? Il a assez dit lui-même combien il était content d'être à la fois pharmacien et chimiste, capable de considérer le vivant pour en faire une chimie intelligente.
Georges Bram : sa chimie organique était nourrie de son amour de l'histoire de la chimie.
Nicholas Kurti : un physicien à l'ancienne, expérimental, mais avec un maniement du formalisme tout à fait dans l'idée de la physique que l'on m'a enseignée.

On le voit, des personnalités toutes différentes, qui avaient toutes un style particulier. Un style qui concernait aussi bien le choix des thèmes d'études, que des méthodes de travail, la pratique de la science...

Et si le succès scientifique était ainsi fondé sur la bonne définition du style en science ?

Est-il vraiment utile que les professeurs rédigent des éléments de cours ?

Souvent, les professeurs des universités ou des écoles d'ingénieur écrivent des cours. Ils en font des livres, des polycopiés, des documents en ligne.
Est-ce utile ?

Nous partons ici de l'hypothèse selon laquelle il est inutile que les enseignants enseignent, et qu'il faut, en revanche, que les étudiants apprennent, étudient.

Une conséquence de cette hypothèse semble être que les professeurs ont pour mission principale d'aider les étudiants à identifier les connaissances et les compétences dont ils auront besoin, afin que ces derniers aillent apprendre, tout en apprenant à apprendre, surtout dans les études supérieures : bientôt autonomes, je propose que ce soit à eux d'aller chercher le savoir et de transformer les connaissances en compétences.

Chercher le savoir ? Aujourd'hui, ce savoir est en ligne, et n'importe qui trouve des cours à foison sur n'importe quel sujet, mais c'est un fait, aussi, que tous les cours en ligne ne se valent pas, et, mieux encore, il y a beaucoup de très mauvais.
Récemment, par exemple, alors que j'explorais (pour répondre à des étudiants dans l'optique que je discute ici) la méthode d'analyse chimique des ajouts dosés, j'ai vu apparaître en première ligne des documents très mal faits, et l'on peut donc imaginer qu'un professeur soucieux d'éviter aux étudiants de perdre du temps sur de tels documents veuille préparer lui-même des documents qu'il pourrait remettre.
Ce faisant, il y aurait donc une transformation du système d'éducation : les professeurs ne devraient plus passer oralement du temps sur ces documents préparés, mais plutôt préparer ces documents, afin que les étudiants passent ensuite du temps à bien les comprendre. Dans la foulée, comme il faut une transformation des connaissances en compétences, on peut imaginer que le professeurs qui rédigent des éléments de cours aient la volonté de donner des compétences, ce qu'ils pourraient faire en incluant des exercices des problèmes bien gradués.
A ce propos, on n'oubliera pas d'évoquer ici la collection de livre {Schaum} (MacGraw Hill), où précisément les cours étaient faits d'exercices. On observera d'ailleurs aussi que ces livres ont été très inégaux... ce qui est en quelque sorte rassurant : cela montre que tous les professeurs ne se valent pas, et que leur travail fait la différence. Oui, il y a de bons livres, et de mauvais livres ; de bons professeurs et de mauvais professeurs, et je ne parviens pas à penser que cela ne soit pas corrélé à leur travail.

Mais revenons à la question : faut-il vraiment que les professeurs préparent ces éléments de cours avec exercices et problèmes ? Après tout, à propos de cette méthode des ajouts dosés, j'ai effectivement passé du temps à chercher (moins que si j'étais allé au cinéma), et, en éliminant les documents mal faits, j'ai réussi à trouver de quoi apprendre. Les étudiants ne devraient-ils pas être capables d'arriver au même résultat ?  Car, au fond, quelle capacité personnelle ai-je mise en œuvre pour y parvenir ? Celle de m'accrocher, de ne pas supporter de ne pas comprendre quelque chose qui m'était dit dans un document. Au fond, on devrait dire très tôt aux étudiants que s'ils lisent un document et qu'ils ne le comprennent pas, alors qu'ils ont lu lentement tous les mots, c'est que le document n'est pas fait pour eux, et qu'il faut vite qu'ils en changent.
J'ajoute que les étudiants doivent pouvoir  revenir vers les professeurs pour poser des questions. D'ailleurs, les professeurs qui auraient ainsi un rôle de tuteur pourraient guider vers des documents plus spécifiques : soit les étudiants sont autonomes, soit on les aide, au début, et je ne doute pas que des étudiants attentifs apprennent à se débrouiller rapidement.

Se débrouiller, autonomie  : voilà au fond un des objectifs des études, car il n'est pas suffisant d'apprendre, et il faut aussi, surtout, en vue d'une activité professionnelle, apprendre à être autonome, car viendra le temps où les étudiants ayant grandi n'auront plus de professeur.
Ma méthode me semble donc bonne. Mais en pratique ? Les étudiants disposent-ils d'assez de temps pour la mettre en œuvre ?  Je pressens l'argument qui me dira que les recherches en ligne prennent beaucoup de temps et que l'on risque un éparpillement néfaste qui empêchera d'arriver au but. Je le récuse absolument, pour plusieurs raisons. D'abord, je vois quand même que, avec le système classique, les étudiants ont beaucoup de temps dans les jardins, les bistrots, les soirées... D'autre part, je l'ai dit précédemment à propos des ajouts dosés : cela n'est pas si long que l'on pourrait le craindre.

Surtout j'ai beaucoup plus appris en mettant en œuvre cette méthode qu'en lisant un cours tout fait, tout mâché, et, de surcroît, j'ai perdu beaucoup moins de temps que dans un cours où, soit j'aurais décroché, soit je me serais ennuyé. De surcroît, si le professeur s'assure que les étudiants n'ont pas lâché prise à un moment particulier, le savoir ainsi obtenu est solide, et le socle affermi, de sorte que finalement, bâtissant sur du solide, les étudiants ont plus de facilité à augmenter leur savoir et leurs compétences.
Finalement je n'oublie pas que tout cela peut se mesurer. Au delà des modes, de pédagogie inversée ou autre, nous devons quantifier les effets de méthodes variées, car il est temps, au 21e siècle, d'arriver à un peu d'efficacité !  Technique, lien social, etc.  Il faut d'abord éclaircir la mission que nous nous sommes donnée. Mais j'y reviendrai...

Vers une certification des compétences

Je reprends maintenant la question des "études", ayant éradiqué le mot "enseignement" puisque je crois avoir donné assez d'argument pour reconnaître qu'il était mauvais.


Nous avons donc les professeurs,  qui ont pour mission de donner aux étudiants l'envie d'étudier, d'apprendre, et des étudiants qui ne savent pas toujours ce qu'ils doivent apprendre. Les professeurs ont donc pour première mission d'identifier les matières qui peuvent faire l'objet de travaux par les étudiants.
Cela étant, dans les travaux initiaux, l'impulsion initiale est essentielle : oui, il faut savoir convaincre qu'étudier est un objectif souhaitable. En plus des explications du champ considéré, il faut très certainement donner beaucoup d'enthousiasme, beaucoup d'envie, créer beaucoup de "contexte". Si l'on a fait, comme moi, l'hypothèse que la question essentielle de l'étude est la capacité d'étudier, alors il devient évident que l'envie est motrice : si l'étudiant ne comprend pas  pourquoi l'étude est essentielle, il n'étudiera pas.

Dans ces présentations initiales, comme par la suite, quand les étudiants étudieront, je propose de structurer les connaissances. Naguère, je proposais aux étudiants de diviser mes cours en informations, notions, concepts, méthodes, valeurs, anecdotes. Cette liste est-elle légitime ? Suffisante ? Bien ordonnée ? Pour les deux premières questions, je n'ai hélas jamais trouvé quelqu'un qui me donne des idées supplémentaires. En revanche, pour l'ordre, je crois que les valeurs sont premières. Puis on pourrait penser qu'il vaut mieux aller du plus abstrait au moins abstrait... mais je crois qu'il vaut mieux partir d'un objectif, tel celui d'un métier ou d'une compétence particulière, et ensuite seulement arriver aux informations, notions, concepts, etc. dont les étudiants auront besoin, et qui s'imposeront donc.

Je vois donc maintenant plus clairement un professorat comme fait de trois segments : (1) des cours de contexte initiaux, qui conduiront à identifier les notions que les étudiants devront apprendre; (3) une partie de travail personnelle, d'étude, d'apprentissage ; (3) puis un segment de transformation de connaissances en compétences, assorti d'une évaluation.
A propos de cette dernière, j'observe qu'une évaluation des connaissances est inutile, puisque ce n'est pas l'objectif, qui est en réalité la compétence. J'ai vu à l'université trop d'étudiants qui savaient réciter le cours par coeur le jour de l'examen, l'oubliaient le lendemain, et étaient incapables de faire des problèmes. Je maintiens qu'un tel savoir est quasi nul.
Je propose surtout de penser que le système professoral sert à certifier des connaissances, ou plutôt des compétences, puisqu'on ne vise pas des perroquets. De sorte qu'il y a lieu d'organiser ces parcours d'évaluation, soit avec des examens finaux, soit avec des contrôles plus continus. Aurement dit, les professeurs doivent concevoir des objets professoraux qui viendront à l'appui de ces évaluations.

 Considérons l'étudiant qui apprend. Avec le professeur, un but a été fixé, et il doit maintenant l'atteindre. Il doit donc faire ses recherches (en ligne, en bibliothèque ou ailleurs) et il doit en faire une synthèse "efficaces". Toutois il est improbable qu'il trouve en ligne de quoi transformer ses connaissances en compétences, de sorte que c'est plutôt là que le travail professoral s'impose sans doute. En pratique, cela signifie : organiser des séries graduées d'exercices et de problèmes, créer des situations qui conduisent à s'assurer que les connaissances (dont on fait l'hypothsèe qu'elles ont été obstenues) se transforment en compétences. C'est un objectif parfaitement clair.

 Evidemment, toute cette mécanique ne peut fonctionner que si elle est bien expliquer aux étudiants, et, d'autre part, si l'on a bien identifié les connaissances que les étudiants devront obtenir par eux-mêmes. C'est sur la base de ces connaissances que seront élaborés les dispositifs de compétence que nous venons d'évoquer.