Ce blog contient: - des réflexions scientifiques - des mécanismes, des phénomènes, à partir de la cuisine - des idées sur les "études" (ce qui est fautivement nommé "enseignement" - des idées "politiques" : pour une vie en collectivité plus rationnelle et plus harmonieuse ; des relents des Lumières ! Pour me joindre par email : herve.this@inrae.fr
samedi 21 juin 2025
Des échanges avec un élève ingénieur qui cherche sa voie
J'avais écrit "dans une école d'ingénieurs, les étudiants qui ont fait le choix d'y aller visent quand même le métier d’ingénieur.”
Et un élève ingénieur me répond :
"Alors que j’arrive à la fin du cursus ingénieur, être ingénieur n’est encore pas clair pour moi et cela l’était encore moins quand j'ai commenc mes études d'ingénieur. De ce fait, oui, je visais le métier d’ingénieur mais j’ai surtout fait ce choix car je savais que je voulais travailler dans l’industrie agroalimentaire et développer des produits ou ingrédients en comprenant ce qu’il se passe "à l’intérieur" d’un produit.
Ce métier et ce secteur m’intéressent toujours mais lors de ma formation d’ingénieur, j’ai découvert des disciplines de recherche que j’ignorais avant. En exagérant un peu, la recherche se limitait pour moi dans les grandes lignes soit à un mathématicien qui cherche à démontrer toute sa vie durant un théorème, soit aux médecins chercheurs qui espèrent trouver des traitements pouvant soigner le plus grand nombre. Je ne pensais pas que la recherche pouvait être appliquée aux aliments et dont qu’une carrière pouvait se construire là-dessus. Celui que j'étais il y a 3 ans me rirait au nez si je lui disais que je recherche une thèse actuellement…
Ainsi, je me tourne vers une carrière scientifique parce que je ne savais pas que cela était possible dans le domaine de l’alimentaire."
Commençons par le commencement : savoir ce qu'est un ingénieur.
Le TLFi donne d'abord un sens ancien :
"elui qui construisait ou inventait des machines de guerre ou qui assurait la conception et l'exécution des ouvrages de fortification ou de siège des places fortes. "
mais aussi un sens moderne :
"Personne qui assure à un très haut niveau de technique un travail de création, d'organisation, de direction dans le domaine industriel."
Cela étant établi, je repère une incohérence dans la réponse de mon jeune ami
Cela étant établi, je repère une incohérence dans la réponse de mon jeune ami, parce qu'il vise une carrière scientifique, alors qu'il envisage une "recherche appliquée aux aliments"... c'est-à-dire un travail technologique. Bref, notre ami veux faire de la technologie... et où faire cela mieux que dans l'industrie (alimentaire dans son cas) ?
D'autre part, les thèses ne sont plus aujourd'hui des travaux seulement scientifiques. Depuis que la thèse d'état et la technique de docteur ingénieur ont fusionné, on peut très bien faire une thèse de technologie... pour travailler ensuite dans l'industrie. On dispose d'une formation qui prolonge les études en école d'ingénieur ou en mastère, et l'on peut alors mieux exercer son métier.
Bref, notre jeune ami confond science et technologie, preuve que son école d'ingénieur n'a pas suffisamment expliqué la différence, ou qu'il n'a pas bien écouté ou compris.
vendredi 20 juin 2025
Il faut le dire à ceux qui vont dans les enseignes de restauration rapide
Je vois un adolescent, près de chez moi, qui se nourrit d'Uber eats, de pizzas et de burgers (avec frites) : en un an, il est devenu obèse.
Il faut dire :
- que le taux de cancers digestifs a augmenté chez les jeunes
- que, dans une frite, il y a environ un demi gramme d'huile surchauffée.
Pour la seconde idée, il y a cette expérience, qui consiste à taille deux bâtonnets de pomme de terre de même taille ; on les pèse. Supposons qu'ils fassent tous les deux 10 grammes.
Puis on les met dans l'huile ensemble, on frit, et on les sort ensemble. L'une est épongée immédiatement, et l'autre l'est aussi, mais seulement après une minute.
On les pèse à nouveau : celle qui a été épongée plus tard pèse un demi gramme de plus que l'autre... parce qu'elle a absorbé l'huile de surface, quand elle s'est refroidie.
Conclusion : dans les restaurations rapides, chaque frite (elles ne sont pas épongées) contient un minimum de un demi gramme de graisse chauffée !
jeudi 19 juin 2025
Décidément, le mot de chlorophylle mériterait de disparaître du vocabulaire culinaire.
Plus j'y pense, plus je crois que le nom chlorophylle n'est pas à sa place en cuisine .
En effet, ce mot fut introduit par les deux chimistes Caventou et Pelletier pour désigner la matière verte que l'on extrayait des épinards : on broie des feuilles, on récupère le jus et on le chauffe doucement pour obtenir une écume verte qui est ensuite utilisée pour colorer diverses préparations culinaires.
Caventou et Pelletier avaient introduit ce mot parce qu'ils avaient le sentiment que la matière verte était la même dans les différents végétaux verts.
Il apparut progressivement, avec les progrès de l'analyse chimique, que ce n'était pas le cas et l'on sait aujourd'hui que les pigments présents dans des épinards, par exemple sont de nombreux types : il y a DES chlorophylles, mais aussi des phéophytines, et des pigments caroténoïdes.
Si les chlorophylles correspondent bien à la couleur verte, les phéophytines sont plutôt bleues, tandis que les caroténoïdes sont jaunes, orange ou rouges.
Bref, le monde de la chimie a depuis longtemps abandonné le mot de chlorophylle au singulier pour parler des chlorophylles, et c'est ainsi que, dans les végétaux verts, on distingue des chlorophylle a, a', b'.
Autant il est légitime de parler de "verre d'épinard", pour désigner la matière verte colorante que l'on obtient par le procédé précédemment décrit, autant le mot doit être évité pour d'autres végétaux verts.
D'autre part, avec le même procédé que l'on applique maintenant à des carottes, ou des poivrons, on a des couleurs qui ne sont pas vertes, de sorte que l'on ne peut pas parler du vert de carottes ou du vert de poivrons et c'est pour cette raison que j'avais introduit le nom de "caventou".
Avec ce terme, il devient cohérent de parler de caventou de carotte, de caventou d'épinard, etc. : cela désigne seulement l'extrait obtenu dans les divers cas.
Et dans mon prochain livre à paraître à la rentrée aux éditions Odile Jacob, je donne des recettes qui font usage de ces matières.
Les progrès de la chimie
J'essaie de discerner des bouleversements de la chimie et je vois successivement
:
- entre le premier et le 4e tome de parution de l'encyclopédie de Diderot,
d'Alembert et leurs amis, la transformation de l'alchimie qui est devenu
l'alchimie, science quantitative de statut identique à celui de la physique
point,
- puis, avec Lavoisier, (1) l'abandon de la théorie du logistique, (2) la
réforme de la nomenclature, (3) l'introduction du formalis chimique en 1791
- à partir de 1860 l'idée de molécule et la théorie atomique,
- au 19e siècle, le développement de la synthèse organique, fondée sur le développement de l'analyse chimique, qui commença notamment avec Lavoisier mais fut développée ensuite par Gay-Lussac ou Justus Liebig ;
- dans les années 1970, l'apparition des calculateurs, - dans les années 1990, les ordinateurs et, notamment, les logiciels de calcul formel,
- dans les années 1920 et suivantes, la mécanique quantique, puis la chimie quantique
- à partir des années 2010, l'utilisation de calculateurs pour résoudre l'équation de schrödinger ;
- à partir des années 2020, l'intelligence artificielle
J'en oublie, mais quelle belle aventure !
Une recette rénovée de "mousse au chocolat" : le chocolat chantilly
Je réponds ici à un commentaire ancien, qui me demandait ma recette "rénovée" de mousse au chocolat.
Mais d'abord, quelques précisions :
- une mousse au chocolat, c'est une mousse... au chocolat : une mousse, à laquelle on a ajouté du chocolat
- une mousse "de" chocolat, c'est le chocolat qui mousse
- une recette rénovée, c'est une recette ancienne, qui a été changée
- ici, je vais donner plutôt une recette nouvelle, de mousse de chocolat, qu'une recette rénovée
- et puisqu'il y a nouveauté, il faut un nom différent : "chocolat chantilly"
- pour autant, cela ne signifie pas qu'il y ait de la crème chantilly (de la crème de lait fouettée) ; c'est seulement le nom que j'ai choisi, parce que le procédé s'apparente à celui de la crème chantilly (à savoir : fouetter une émulsion que l'on refroidit).
Et la recette, toute simple :
1. dans une casserole, mettre 200 grammes d'eau ou de n'importe quelle "solution aqueuse"
2. ajouter 225 grammes de chocolat à croquer
3. chauffer afin que le chocolat fonde et s'émulsionn (on obtient un liquide épais comme de la crème
4. poser la casserole sur des glaçons ou dans un bac d'eau froide et fouetter comme une crème chantilly classique (s'arrêter quand la couleur s'éclaircit et que le fouet laisse des traces permanentes dans la préparation)
On obtient une mousse de chocolat qui a la consistance d'une crème chantilly.
mercredi 18 juin 2025
Inventions culinaires, gastronomie moléculaire
Ça y est : je relis les épreuves les épreuves de mon livre Inventions culinaires, gastronomie moléculaire.
Dans ce livre publié par les éditions Odile Jacob, et qui paraît à la rentrée, je donne quelques-unes des nombreuses inventions que j'ai faites depuis des années, en les illustrant par de véritables recettes.
Chaque geste est analysé, chaque choix artistique est discuté, et je n'oublie pas d'utiliser la grille d'analyse qui tient dans cette phrase : la cuisine, c'est de l'amour, de l'art, de la technique, que j'avais proposée initialement dans le Cours de gastronomie moléculaire numéro 1 et que j'avais ensuite développé dans le livre dont le titre est précisément cette phrase (Editions Odile Jacob).
Il y a trois parties dans le nouveau livre : une première partie avec des recettes d'une simplicité déroutante, une deuxième partie qui demande un peu plus de travail mais toujours sans aucun matériel spécial aucun ingrédient particulier, et une troisième partie qui fait appel à des ingrédients ou à des matériels un peu plus avancés, mais que l'on trouve maintenant en ligne facilement.
Mes inventions sont nommées d'après des chimistes : de même que la cuisine classique a produit la mayonnaise, le lièvre à la royale, et cetera, j'ai proposé au fil des ans des debye, des diracs, des lavoisiers, des priestley, etc. Il y a des nons nouveaux pour des recettes nouvelles, mais quand je dis recettes, il y a une ambiguïté puisqu'il s'agit plutôt de principes généraux dont on fait ensuite des recettes, tout comme la mayonnaise peut être agrémentée ou non d'herbes, de sauce tomate, et cetera, mais l'objet mayonnaise fut une nouveauté au début du 19e siècle, largement utilisé par Marie-Antoine Carême, le cuisinier des empereurs qui la nommait alors magnonnaise.
Allons, relisons soigneusement les épreuves pour faire un beau livre !
Etre "bon" scientifique ?
L'histoire est exacte : un jour, il y a longtemps, discutant avec un "directeur de recherche", ce dernier m'a dit "Il faut faire de la bonne science". Et je lui ai répondu : "C'est quoi ?".
A l'époque, il n'avait pas su me répondre, et j'avais évidemment été narquois... mais c'est sans doute parce que j'ai un assez mauvais fond, n'est-ce pas ?
Toutefois le pêcheur peut se racheter, et c'est ce que je propose de faire ici, en livrant quelques "Règles pour un bon scientifique".
J'en donne aujourd'hui trois :
(1) dire combien,
(2) citer de (bonnes références),
(3) réclamer les moyens de la preuve pour chercher à comprendre.
Dire combien, combien, combien ?
La première règle se fonde sur la méthode des sciences de la nature, que j'ai discutée dans nombre de billets. Cette quantification intervient dans le deuxième étape de la démarche, à savoir que le phénomène identifié dans la première étape doit être quantifié, de tous les points de vue utiles. Ce seront ces données qui seront réunies en "lois", c'est-à-dire en équations, lesquelles permettront l'établissement d'une théorie, ou ensemble d'équations assorties de concepts quantitatifs, avant les tests de réfutation (quantitative) des conséquences de la théorie. Bref, du nombre, du nombre, du nombre... Et voici pourquoi nous devons nous interdire d'utiliser des adjectifs ou des adverbes : la question, l'unique question, c'est "Combien ?".
Les références
En science, rien ne doit être donné ou fait sans justification ! Et c'est là que s'impose la bibliographie, et, de ce fait, la donnée de références. Les mauvais scientifiques se contentent de trouver des références et de les donner sans justification, sans analyse critique. En revanche, les bons scientifiques savent évaluer les publications, et ne donner de références qu'avec une appréciation critique.
Par exemple, on comprend facilement qu'on n'établit pas un fait si l'on cite une publication dont les méthodes sont défaillantes ! Et l'on comprend que l'on n'ira jamais donner des sources non scientifiques.
Mais la question est donc de savoir bien juger un travail publié, car il serait naïf de croire que toutes les publications sont bonnes, et je peux l'attester, moi qui ai vu mille fois publier des articles que j'avais refusé (pour cause de graves insuffisances méthodologiques), en tant que rapporteur ! Reste qu'il faut citer ses sources.
Les "moyens de la preuve"
Si l'on met dit qu'une fusée a décollé, je reste aussi bête qu'avant. Si l'on met dit qu'il y a une bataille en 1515, l'information est vide de sens, sans informations complémentaires.
Si l'on me donne un dosage d'un produit dans une matrice, je doute, car je sais que les dosages imposent souvent des extractions, lesquelles sont bien souvent incomplètes.
Et ainsi de suite. C'est la raison pour laquelle, pour chaque donnée qui m'est délivrée, j'ai besoin des "besoins de la preuve", des détails de la procédure. Comment la fusée a-t-elle décollé ? Quels étaient les combustibles ? Et s'est-elle élevé de deux mètres ou a-t-elle atteint l'altitude de libération du champ gravitationnel terrestre ? Et à Marignan : étaient-ils une poignée, ou des milliers ? Et combien de temps cela a-t-il duré ? Combien de morts ? Et pour le dosage : quelle précision ? Comment s'est-on assuré que l'on a fait un bon dosage ? Et ainsi de suite. Bref, avant d'admettre une information, il me faut mille détails, mille circonstances. L'énoncé précis des matériels et des méthodes employés par les personnes qui ont été à l'origine des résultats donnés. Avec cela, on a un (tout) petit début, mais au moins, on sait ce qu'il y a à faire.
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