dimanche 27 avril 2025

Commentaires de texte

Un collègue (au sens de l'intérêt pour l'apprentissage ou les études, termes que je préfère à celui d'enseignement) me soumet un texte du logicien britannique Bertrand Russell, en me demandant un point de vue. 

Disons quand même que je ne suis capable que de lire les mots qui sont écrits, pour essayer de les comprendre, assez naïvement. 

Et c'est donc naïvement que je commente, en alternant le texte de Russell en italiques, et mes commentaires en romain : </b> <i>"Aucune de nos croyances n'est tout à fait vraie."

J'observe que Russell parle de croyances, quand ce qui me passionne, ce que j'essaie de connaître, c'est la science, ou, plus exactement, la recherche scientifique, dont on ne répétera jamais assez la "méthode" (le cheminement, donc, que je décris ci dessous). Donc, il est question de ce que je cherche personnellement à éviter. 

Des croyances ? Si l'on admet qu'il s'agisse d'un  processus mental expérimenté par une personne qui adhère à une thèse ou une hypothèse, de façon qu’elle les considère comme vérité, indépendamment des faits, ou de l'absence de faits, confirmant ou infirmant cette thèse ou cette hypothèse, on voit bien que je les déteste : d'abord, il y a la question de la vérité, qui n'existe pas en science, où l'on doit réfuter, plutôt que prétendre démontrer, mais, surtout, il y a la position de prendre parti indépendamment des faits ! 

Désolé, mais cela sent le soufre de l'esprit magique ! J'ajoute que les Lumières, dont je réclame que l'on prolonge l'esprit,  combattaient les croyances, en même temps qu'elles luttaient contre les tyrannies. Or prétendre à des thèses sans tenir compte des faits, n'est-ce pas le début de la fin en termes de paix sociale ? 

"Toutes recèlent au moins une ombre d'imprécision et d'erreur." 

; Dire que toutes les croyances recèlent imprécision ou erreur me semble une généralisation excessive : dans l'ensemble infini des positions arbitraires, pourquoi n'y en aurait-il pas qui soient justes ? Ou, du moins, qui ne soient pas contraires aux faits ? Et puis, il faut quand même revenir aux "croyances", puisque j'ai parlé de positions. Par exemple, si je fête la Saint Nicolas, au mépris des faits historiques, n'ai-je pas le droit de le faire, très légitimement ? Après tout, il ne tient qu'à moi, sans gêner les autres, d'organiser une jolie fête qui me permettra de réunir ceux que j'aime, non ? 

"On connaît bien les méthodes qui accroissent le degré de la vérité de nos croyances; elles consistent à écouter tous les partis, à essayer d'établir tous les faits dignes d'être relevés, à contrôler nos penchants individuels par la discussion avec des personnes qui ont des penchants opposés, et à cultiver l'habitude de rejeter toute hypothèse qui s'est montrée inadéquate."

Moi, je ne connais rien du tout, et je ne comprends pas comment Russell peut livrer une telle affirmation. D'ailleurs, pourquoi l'intuition ne pourrait-elle pas aussi jouer rôle ? Écouter tous les partis ? Ils sont en n ombre infini, de sorte que, à ce jeu, je risque de n'en prendre aucun. Essayer d'établir tous les faits ? Mais à quoi bon "accroître le degré de vérité de nos croyances", puisque le fait que les croyances soient des croyances est au mépris de faits ? Pourquoi vouloir des "croyances plus fiables", en quelque sorte, et non pas se débarrasser des croyances ? 

Mehr Licht ! Cultiver l'habitude de rejeter toute hypothèse qui s'est montrée inadéquate ? Oui, c'est la moindre des choses, mais on va là dans le chemin de la Raison, en non plus de la croyances. 

"Dans la science, quand il ne s'agit que d'une connaissance qui ne peut qu'être approximative, l'attitude de l'homme est expérimentale et pleine de doutes."; Là, je doute de la traduction, mais, surtout, il y a ce mot "science" qui est bien ambigu, car les sciences de l'humain et de la société ne sont en aucun cas les sciences de la nature. Ces dernières sont les seules dont je puisse parler raisonnablement. Oui, l'attitude est alors expérimentale. En revanche, l'attitude est-elle dans le "doute" ? Proposer la réfutation des théories comme méthode n'est pas la même chose que douter. 

Pour mieux me faire comprendre, je reprends la méthode des sciences de la nature : 1. identifier un phénomène : là, il n'y a pas de doute

 2. le quantifier : encore un travail technique où le doute n'a pas sa place 

3. réunir les données en équations ("lois") : aucun doute non plus, même s'il y a la question de la généralisation,  que je considère maintenant sur un exemple : Mettons-nous dans la peau de Georg Ohm, qui, il y a quelques siècles, mesure l'intensité d'un courant électrique en fonction de la différence de potentiel électrique, dans un circuit très simple fait d'un générateur électrique et d'une résistance. Il applique une différence de potentiel et mesure une intensité ; puis il applique une autre différence de potentiel et mesure une autre intensité ; et ainsi de suite dix ou cent fois de suite. Quand il trace un diagramme de l'intensité en fonction de la différence de potentiel, il voit que les couples (intensité, différence de potentiel) s'alignent environ sur une droite, ce qui montre une proportionnalité... et il introduit la notion de résistance électrique. 

Dans cette proposition, il y a plusieurs idées merveilleuses : - d'une part, Ohm fait l'hypothèse que même pour des valeurs de différence de potentiel, il y aura proportionnalité ; observons qu'on n'en sait rien, mais on fait une hypothèse, que l'on se réserve le soin de tester ; et comme c'est une hypothèse, on ne sera pas désarçonné si la courbe se révèle en réalité être une oscillation, ou des marches d'escalier, par exemple, au lieu d'être une droite - d'autre part, il y a dans la proposition d'une proportionnalité des "approximations", en ce que les expériences ne montrent en réalité aucun alignement parfait de tous les points de mesure. Là, il y a non pas une croyance, mais un acte de foi, exprimé par Galilée dans la sentence  "Le monde est écrit en langage mathématique". Ce qui me conduit au troisième point - souvent, la proportionnalité s'impose, quand il y a des variations continues, en vertu de la nature même du calcul différentiel et intégral, qui a fait la physique classique : dans un petit intervalle, et notamment près de zéro, toute courbe continue et dérivable est assimilable à un segment de droite . Pour en fini avec ce point 3, il n'y a pas de doute, mais de l'ignorance que l'on combat positivement, sur la base de mesures qui ont été faites et qui valent ce qu'elles valent, à savoir ce que valent les instruments de mesure, maniés par des expérimentateurs humains, donc faillibles, d'autant qu'ils sont portés par des théories insuffisantes (mais ils ont le droit de ne pas être imbéciles, et de savoir que le diable est caché derrière tout résultat expérimental et tout calcul, par exemple). 

4. induire une théorie, en introduisant des concepts, des "objets théoriques", quantitativement compatibles avec les lois qui sont réunies dans la théorie. Ici, il y a de l'induction, et non de la déduction, mais : - d'une part, les nouveaux objets ou concepts introduits ne sont que des propositions théoriques, et pas des "vérités", surtout si l'on regarde ce qui suit (5 et 6) - les nouveaux objets et concepts doivent être quantitativement compatibles avec les lois 

5. chercher des conséquences théoriques testables : là, pas de doute non plus. 

6. tester expérimentalement les prévisions théoriques (ce que j'avais nommé les "conséquences théoriques testables") : pas de doute à avoir. Finalement, je ne comprends pas bien Russell, parce que son propos ne colle pas avec ma pratique scientifique quotidienne. 

D'ailleurs, j'ajoute une différence entre la "science" et la "recherche scientifique". Je sais bien ce qu'est la recherche scientifique : une activité que je viens de décrire. Mais la science ? Est-ce un état ? Une pratique ? Un résultat ? 

"Tout au contraire en religion et en politique : bien qu'ici il n'y ait encore rien qui approche de la connaissance scientifique, chacun considère qu'il est de rigueur d'avoir une opinion dogmatique qu'on doit soutenir en infligeant des peines de prison, la faim, la guerre, et qu'on doit soigneusement éviter d'entrer en concurrence par arguments avec n'importe quelle opinion différente."</i> &nbsp; Là, je crois reconnaître que ce texte est un extrait de <i>Two cultures </i>? Cela dit, religion, politique : n'aurions-nous pas raison de nous demander ce qu'aurait dit Denis Diderot de tout cela ? Et le "dogme" ? Et ces "arguments", qui me font immanquablement penser à cette règle numéro 5 de Michael Faraday "Ne jamais participer à une controverse"... Enfin, il y ces "opinions" que je déteste : n'importe quel imbécile aviné a des opinions. Notre humanité ne mérite-t-elle pas mieux ? 

"Si on pouvait seulement amener les hommes à avoir une attitude agnostique sur ces matières, neuf dixièmes des maux du monde moderne seraient guéris ; la guerre deviendrait impossible ; car chaque camp comprendrait que tous les deux doivent avoir tort. Les persécutions cesseraient. L'éducation tendrait à élargir les esprits et non à les rétrécir".Oh le bel idéalisme...  Mais tout cela ne me va guère : où notre homme a-t-il mesuré neuf dixièmes ? Et surtout, avec des "si", on mettrait Paris en bouteille. Je m'étonne même de la naïveté de cette phrase, qui aurait mérité une rhétorique plus affinée. Et une analyse : faut-il de l'éducation ou de l'instruction ? Et aurait-on tout d'un coup oublié les enseignements platoniciens ? Bref, la question est surtout de savoir comment promouvoir un esprit analytique, comment asseoir la Raison, comment allumer les Lumières ? Rien que réunir les hommes, les femmes, les enfants pour discuter de cette question est un pas vers l'amélioration souhaitée par Russell... et par tous les humains de bonne volonté, n'est-ce pas ?

La validation est un état d'esprit


Je suis étonné a posteriori de ne jamais avoir entendu le mot "validation" lors de mes études de physico-chimie point, car c'est  la chose la plus essentielle de la science. Et d'ailleurs dire le mot validation et bien insuffisant parce que très abstrait ; avec ce mot, c'est d'un état d'esprit tout entier dont il est question. En effet, ill ne s'agit pas seulement de vérifier un calcul, mais de douter de tout ce que nous produisons. Ou, plus exactement,  de "remettre en cause" tout ce que nous produisons. Hier, par exemple, lors d'une discussion de laboratoire, j'ai entendu un de mes jeunes collègues dire que il était "sûr" que deux valeurs étaient identiques. Sûr, vraiment ? Rien que prononcer ce mot "sûr" est un symptôme qui révèle que l'état d'esprit de la validation n'est pas suffisamment implanté. En réalité, à l'analyse, il y avait la production de deux valeurs pour une même quantité, et notre notre jeune collègue voyait une égalité de ces deux valeurs obtenues à la suite de  longues expériences qui se répétaient. Or les deux valeurs n'étaient évidemment pas identiques, mais seulement très proches. Une incise rapide : les deux valeurs ne pouvaient pas être identiques, car à l'aide d'un instrument de mesure très précis, on aurait une infinité de décimales. Or la probabilité que deux mesures tombent sur les mêmes décimales (à l'infini) est nulle, stricto sensu ! C'est là un résultat élémentaire de la théorie de la mesure. Et la question était donc plutôt, étant données deux valeurs différentes, de savoir si, connaissant les incertitudes expérimentales, on peut considérer raisonnablement qu'elles correspondent à une même grandeur, ou bien à des grandeurs différentes. C'est  ici que s'introduisent les méthodes statistiques, qui permettent de dire quelle est la probabilité que les deux résultats correspondent à une même grandeur ou, inversement,  que ces deux résultats correspondent à des grandeurs différentes. Il y a une question de probabilité, ce qui exclut absolument la certitude, le "je suis sûr que". Et l'on se référa à d'autres billets qui expliquaient que tout résultat expérimental doit obligatoirement être associée à des incertitude de mesure, à des estimations des incertitudes, à des  déterminations expérimentales de ces  incertitudes,  et l'on retiendra ici que s'impose donc une comparaison statistiques... sans oublier qu'une pièce de monnaie qu'on lance en l'air peut parfaitement tomber 100 fois sur pile. <p class="separator"><a href="https://3.bp.blogspot.com/-0gKcGcKCGCs/XDhIgINv4lI/AAAAAAAABIQ/kZe36J9RztQn3wljWGALIwOar90aL7zegCLcBGAs/s1600/pile%2Bou%2Bface.jpeg"><img src="https://3.bp.blogspot.com/-0gKcGcKCGCs/XDhIgINv4lI/AAAAAAAABIQ/kZe36J9RztQn3wljWGALIwOar90aL7zegCLcBGAs/s320/pile%2Bou%2Bface.jpeg" width="320" height="166" border="0" /></a></p> Mais cette question est bien élémentaire et nous devons revenir à la validation. La validation, cela consiste à répéter les expériences, ce qui conduit donc à comparer les résultats de ces expériences. Mais, la validation, cela consiste aussi à douter du résultat des comparaisons, à imaginer et mettre en œuvre des façons différentes d'attaquer la question par des méthodes différentes. Dans un autre billet, j'ai évoqué le diable qui est caché derrière tout les calculs, derrière tous les  résultats d'expériences, derrière tous les gestes expérimentaux. Mais je veux ici évoquer les exemples. Ainsi quelqu'un qui utilise une balance de précision pour peser un objet dont la température n'est pas exactement celle de la pièce s'expose à ce que des échanges de chaleur engendrent des courants d'air par convection, ce qui faussera résultat de la mesure. Plus élaboré, quelqu'un qui enregistre des spectre de résonance magnétique nucléaire en ignorant que le pH a un effet sur la résonance de certains protons s'expose à confondre les protons lors de l'interprétation ;  de même pour la présence d'ions paramagnétique, par exemple. Notre culture scientifique toujours insuffisante et donc une menace virgule qui justifie que ce soit une bonne pratique d'être très au courant de la science qui se publie chaque jour Le diable est tapi Mais cette observation a des conséquences bien plus grave, quand on se souvient que le ou la scientifique moderne  est loin de tout savoir, et que, par conséquent, même si nous savions tout ce qui a été publié, nous serions ignorant de tout ce qui reste à découvrir. Et c'est cela qui nous menace véritablement ! Les rapporteurs, les pairs à qui nous soumettons nos manuscrits en vue de leur publication sont là pour nous aider à voir les écueils inconnus, mais il y a les autres ! Et c'est une bonne métaphore d'imaginer que les scientifiques sont comme les marins qui naviguent près des côtes, donc ils ignorent tout de la topographie des fonds. <p class="separator"><a href="https://4.bp.blogspot.com/-iPfGp9aCu0Q/XDhIwlKlU1I/AAAAAAAABIY/bhIxGj5kj6EqLLN7kWfbmc3MM6w1USDOQCLcBGAs/s1600/rochers%2Bdans%2Bla%2Bmer.jpeg"><img src="https://4.bp.blogspot.com/-iPfGp9aCu0Q/XDhIwlKlU1I/AAAAAAAABIY/bhIxGj5kj6EqLLN7kWfbmc3MM6w1USDOQCLcBGAs/s320/rochers%2Bdans%2Bla%2Bmer.jpeg" width="320" height="212" border="0" /></a></p> Bien sûr il y a les rochers qui émergent, mais il y a aussi ceux qui sont à une profondeur inférieure au tirant d'eau du navire. C'est cela, le diable qui nous menace à chaque instant. C'est cela qui justifie que nous qu'on servions en tête sans cesse ce mot de "validation". <p class="separator"><a href="https://3.bp.blogspot.com/-Lc4oy-64RkY/XDRlSb_IpEI/AAAAAAAABH0/slWbIuu6WNMiiR_jugerIIAfxYCh-rQTgCPcBGAYYCw/s1600/chimiste%2Bhansi.jpg"><img src="https://3.bp.blogspot.com/-Lc4oy-64RkY/XDRlSb_IpEI/AAAAAAAABH0/slWbIuu6WNMiiR_jugerIIAfxYCh-rQTgCPcBGAYYCw/s1600/chimiste%2Bhansi.jpg" border="0" /></a></p>

Du sel ou du jus de citron dans les blancs en neige ?


C'est amusant de voir comment, bien souvent, nous nous focalisons sur des détails, au lieu de considérer le "premier ordre", le plus important. Ainsi, à propos de blanc que l'on bat en neige. Un ami me demande si le sel ou le jus de citron sont utiles "pour le blanc en neige". Pour le blanc en neige : que veut-il dire ? Pour la bonne réalisation d'un blanc en neige ? Pour l'obtention de plus de mousse ? Pour la tenue ? Pour éviter le grainage ? Renseignement pris, je m'aperçois qu'il n'avait guère d'idée claire, à ce propos, et il me répond "pour le volume". Là, je suis en mesure de lui dire que nos expériences n'ont pas montré de différence de volume, ni avec le sel ni avec le jus de citron... et pour cause : au premier ordre, la question de faire un blanc en neige revient à celle d'accumuler des bulles d'air dans un liquide. Le volume final est limité par la quantité d'eau présente... et c'est cette analyse qui m'a permis de battre le record du monde du plus gros volume de blanc en neige à partir d'un seul blanc, soit plus de 40 litres, parce que j'ajoutais de l'eau chaque fois que le blanc était bien ferme. Avec le sel, la quantité d'eau ne change pas. Avec le jus de citron, elle ne change notablement que si l'on ajoute beaucoup de jus de citron. Dans les deux cas, on se moque en réalité un peu de l'état des protéines, car ce n'est pas le facteur limitant. &nbsp; Mon ami, à cette réponse, change de questionnement, et m'interroge sur la tenue des blancs en neige. Et je lui demande pourquoi, sachant que la tenue est en réalité assez bonne. Il me cite alors la confection de meringues... mais il ignore alors l'expérience qui consiste à diviser un blanc en neige en deux moitiés, à ajouter du sucre dans une seule des moitiés, et à battre autant, à nouveau, les deux moitiés : on voit que les bulles du blanc sucré sont bien plus petites que les bulles de l'autre moitié, non sucrée, et donc la tenue est bien supérieure avec du sucre, sans qu'il soit besoin d'invoquer l'effet du sel, ou du jus de citron, ou du cuivre. A nouveau, la leçon est : regardons les choses au premier ordre !

jeudi 17 avril 2025

De la difficulté de dépasser la théorie régnante

Lorsque j'ai rédigé mon discours réception du prix Sonning, j'ai discuté la question des soufflés, et l'ignorance très grande où nous étions initialement à leur propos, quand j'ai commencé ses travaux. Comment se fait-il que nous ayons mis si longtemps à découvrir quelque chose de si simple, à savoir que les soufflés gonflent parce que l'eau s'évapore ? 

Étions-nous stupides ? Pour moi, j'avais l'excuse de la jeunesse, de l'inexpérience scientifique, mais Nicholas Kurti, lui, avait déjà au moins 70 ans et il était un physicien reconnu internationalement pour sa découverte de la désaimantation adiabatique nucléaire. On ne peut guère supposer qu'il était scientifiquement naïf, d'autant qu'il s'agissait d'une question de physique. 

En 1969, Nicholas avait publié dans un article, dans la revue de la Royal Institution, où il déplorait que l'on sache mieux la température à l'intérieur du soleil qu'à l'intérieur d'un soufflé. Et il avait d'ailleurs mesuré cette température, observant d'ailleurs dans la courbe de la température en fonction du temps, vers 60 °C,  une légère ondulation qui l'avait intrigué et qu'il  ne parvenait pas à s'expliquer. 

Mais il est amusant d'observer qu'il ne parlait pas de mécanisme à l'époque. Au fond, Nicholas avait fait l'erreur d'admettre la théorie qui avait alors cours, selon laquelle les bulles d'air du blanc en neige utilisé dans l'appareil se seraient dilaté à la chaleur.  

Pour moi, c'est par la bande que je suis arrivé à réviser cette théorie, et notamment parce que je voyais des avis contradictoires sur la fermeté des blancs, certains chefs triplement étoilés recommandant de les battre très fermes, et d'autres chefs, également triplement étoilés, conseillant  de ne pas serrer trop les blancs. 

C'est cela que j'ai comparé initialement dans mon article pour la revue de chime Angewandte Chemie. Mais, devant rédiger une partie de discussion pour mon article, et ne me contentant pas de mots pour interpréter les phénomènes, je fus conduit à calculer le gonflement (à l'aide de la loi des gaz parfait), de sorte que  je vis la contradiction entre les 30 % prédits par le calcul et les 200 % obtenus par l'expérience. 

Le second déclic fut la pesée d'un soufflé avant et après la cuisson et l'observation de 10 g qui disparaissaenit pour 100 g de préparation de soufflé. 
Ces 10 g, manifestement ne pouvaient être que de l'eau, et c'est ainsi que j'ai ensuite vu les bulles de vapeur se former et reconnu le véritable mécanisme : les soufflés  gonflent parce que l'eau s'évapore à la base du soufflé, au fond du ramequin et cela n'a rien à voir avec les blancs d'oeufs battus en neige. 

Finalement, je comprends que nous étions éblouis, au sens littéral, par la théorie d'alors et que nous avons été sauvés   :
- premièrement par l'emploi d'une saine méthode scientifique, notamment en ce qui concerne la rédaction des publications ;
- deuxièmement par par le calcul,
- troisièmement par la mesure. 

De de fait, aujourd'hui je vois bien combien l'enseignement aux étudiants de la méthode scientifique, avec cette nécessité de toujours réfuter des théories, est salvateur.


mercredi 16 avril 2025

Et la toxicité ? Elle s'évapore avec la mauvaise foi ?

 Revenant de Copenhague, je reste étonné que les personnes  que j'ai rencontrées engagées dans des travaux de fermentation, quand je les interrogeais sur des toxicités éventuelles de leurs productions, étaient incapables de me répondre...  parce qu'en réalité ces personnes ne s'était pas interrogées et  n'avaient pas fait de bibliographie. 

Les questions essentielles que je posais étaient : 

Quand on fait une fermentation, quels composés nutritionnels initialement présents ont-ils disparus ? Et en quels composés ont-ils été transformés (avec éventuellement des valeurs nutritionnelles ou antinutritionnelles) ? 

Quels composés nutritionnels sont-ils apparus ? 

Quand on fait une fermentation, quels composés toxiques initialement présent sont-ils détruits ? 

S'ils sont détruits, en quels composés sont-ils transformés (sous entendu : avec quelle toxicité éventuelle pour les nouveaux composés) ? 

Quels composés toxiques sont-ils formés ? 

 

Dans de nombreux cas, j'ai vu des fermentations qui n'étaient pas traditionnelles, de sorte que les produits formés devraient être considérés  comme nouveaux, selon la réglementation des novel food, qui impose notamment un examen des toxicités. 

Avec tout cela, je ne parle pas de la naïveté de celles et ceux qui croient aux bienfaits de la fermentation, dans une vague un peu New Age qui se gargarise de kombucha et de kéfir. 

Je sais que l'État français a récemment lancé un grand plan de recherche "ferments du futur", avec un financement considérable, et je vois là l'influence des biologistes mais aussi une forme de démagogie qui veut croire  aux "méthodes douces", naturelles, oubliant que la ciguë est parfaitement naturelles, par exemple. 

Il y a une immense naïveté à ignorer que l'acide acétylsalicylique est bien plus efficace que l'acide acide salicylique, dans l'aspirine, et que l'éthilvanilline à un goût de vanille bien plus puissant que la vanille. 

Je ne suis d'ailleurs pas de ceux qui opposent biologie et chimie, et, pragmatiquement, je me dis qu'il vaut mieux faire de la biosynthèse quand elle est efficace, et de la synthèse moléculaire quand elle l'est avantage. D'ailleurs, parfois, c'est une simple extraction qui s'impose comme par exemple par simple pressage des peaux d'agrumes pour la production du limonène.

Mais je reviens aux questions de toxicité : mes interlocuteurs, avec beaucoup de prétention, croient pouvoir répondre résoudre des problèmes alimentaires très difficiles. 

Et c'est ainsi que j'ai mangé des raviolis fait de peaux de pommes de terre, et pleins de glycoalcaloïdes toxiques puisque ces derniers résistent à des températures de 285 degrés. Le cuisinier-américain qui a servi cela l'avait nommé bolognaise, mais croyez-moi, je ne change pas sa préparation contre des spaghettis à la bolognaise classiques. D'autant que je tiens à la vie ! 

Ce n'est pas la première fois que je vois des cuisiniers faire des choses dangereuses : par le passé, j'ai vu de la lavande, qui est pourtant à perturbateur endocrinien, dans du chocolat ;  j'ai vu des haricots crus, qui contiennent pourtant des lectines hématoagglutinantes, j'ai vu des infusions de tomates grappes, j'ai vu des concentrations de méthylchavicol... 

Cela est d'une naïveté navrante, un manque de professionnalisme terrible et en réalité, il faut s'étonner qu'il n'y ait pas plus d'accidents. 

M'interrogeant sur cette question, je crois comprendre que, heureusement, nos concitoyens, selon des réflexes humains biologiquement bien ancrés, mangent plus ou moins de tout. Certes, ils doivent davantage diversifier leur la alimentation, mais le fait que ne nous lassions de manger tout toujours la même chose nous permet d'éviter de le faire et si nous sommes en quelque sorte empoisonnés par un cuisinier un jour, nous ne nous exposerons pas de nouveau le lendemain au même composé toxique. 

Reste quand même qu'il vaut mieux éviter les composés plus dangereux, n'est-ce pas ?

mardi 15 avril 2025

Le goût de brioche

 

Connaissez-vous le sotolon ? C'est un petit furanone qui, à concentration notable, à une odeur extrêmement puissante de curry, de noix, et qui a une odeur de brioche quand il est plus dilué. 

Lorsque les levures meurent, par exemple dans les tonneaux de vin jaune, ce vin du Jura qu'on laisse vieillir sous un gros voile de micro-organismes, le goût de jaune est notamment dû au sotolon. Dans les tonneaux, il y a un gradient de sotolon du bas, où les levures sont mortes, vers  le haut. 

Dans le champagne aussi, du sotolon appraît, quand on le prépare, la bouteille la tête en bas, tournant la bouteille, d'un quart de tour chaque jour pour faire venir les levures déposées vers le boulot, ce que l'on dégorge.
Ce goût de brioche est notamment dû au sotolon. 

Et évidemment, on trouve le sotolon dans la brioche ou dans le Kugelhopf. En effet, ces pâtisseries se font par pétrissage de la pâte enlevurée  : la fermentation conduit au gonflement de la pâte, mais ce gonflement s'arrête bientôt, signe que les levures sont soit mortes soit en manque de substrat. On rabat alors la pâte et on la met dans un moule pour la laisser lever une seconde fois avant de cuire.
Mais pourquoi ne pas rabattre encore et encore afin d'obtenir plus de sotolon ? Faites l'expérience et vous vous verrez que le goût obtenu est absolument merveilleux. 

Mais, de retour de Copenhague où j'ai vu des fermentations dans tous les restaurants, je ne peux m'empêcher de me demander pourquoi nos amis ne mettent pas directement du sotolon dans leur pâte à brioche : c'est si simple, si efficace, si rapide...

lundi 14 avril 2025

Un grand merci à tous

De retour d'une semaine à Copenhague, où j'ai eu l'honneur de me voir attribuer le prix Sonning, j'ai le plaisir d'adresser de très vif remerciements à toutes celles et tous ceux qui m'ont accueilli.  

A commencer par le Recteur David Dreyer Lassen, qui a pris la suite de Henryk C. Wegener, sous la direction duquel le comité Sonning s'était initialement réuni pour décider de l'attribution du prix.

Le prix Sonning relève de la Fondation Sonning, avec un conseil d'administration de collègues de l'Université de Copenhague et de personnalités extérieures. Il est sous la direction du recteur.

 Les membres du Comité sont : 

    Rector Henrik C. Wegener (chair)
    Prorector for Research David Dreyer Lassen
    Associate Professor Gitte Buch-Hansen, Faculty of Theology
    Dean, professor, PhD Jacob Graff Nielsen, Faculty of Law
    Professor Hans H. Wandall, Faculty of Health and Medical Sciences
    Professor Mette Sandbye, Faculty of Humanities
    Professor Hanne Andersen, Faculty of Science
    Professor Dorte Sindbjerg Martinsen, Faculty of Social Sciences

Et les membres de la Fondation Sonning sont :

    Rector Henrik C. Wegener
    University Director Søren Munk Skydsgaard
    Ex. Permanent Secretary Uffe Toudal Pedersen
    Appointed by the Ministry of Higher Education and Science
    Peter Lodahl
    Appointed by the Ministry of Culture
    Professor MSO Tine Damsholt, the Saxo-Institute
    Professor Michael Fjeldsøe, Department of Arts and Cultural Studies
    HK joint union representative Ingrid Kryhlmand
 

J'ai eu le grand plaisir de rencontrer beaucoup d'entre eux, lors de diverses manifestations organisées par Lucas Emil Zukunft, du Cabinet du Recteur, et qui s'est dépensé sans compter pour que tout soit une réussite. 

 

Il y a eu des conférences, des visites, et notamment  dans les restaurants L'Alchemist, et Noma, respectivement dirigés par mes amis Rasmus Munk et René Redzépi. 

Il y a eu une conférence faite à Spora, la société qui gère la recherche du restaurant l'Alchemist,  où j'ai eu le plaisir de rencontrer toute une série de chef danois ainsi qu'une partie de l'équipe de L'Alchemist. D'ailleurs, le dîner là-bas a été absolument merveilleux et je suis bien d'accord avec le critique gastronomique Ole Troelsen, que c'est une expérience inoubliable. 

D'ailleurs, c'est Rasmus Monk qui, après la remise du prix Sonning, pour le banquet qui a suivi, a proposé des bouchées tirées de sa carte. Il a collaboré, pour les réaliser, avec des étudiants de l'Université de Copenhague, et plus exactement du département de Food Science. 

Et j'en viens donc à remercier toutes celles et tous ceux, dans ce département, qui m'ont permis de le découvrir avant que je fasse à leur attention une conférence dans leurs merveilleux locaux de l'ancien Institut vétérinaire, entièrement rénové. 

Je pense en particulier à  : 

Nanna Viereck
Nele Hogsbro
Nena Sue Thomassen
Jens Risbo, à qui j'adresse des remerciements tout particuliers, puisqu'il a fait ma présentation pendant la cérémonie du prix
Karsten Olsen
Sanne Sansolios
Dennis Sandris Nielsen
Michael Bom Frost
Nikolai Baastrup Nordsborg
Lise Arleth


J'ai également des remerciements appuyé à faire à l'ambassadeur Christophe Parisot et à toute son équipe, qui a notamment organisé une conférence que j'ai faite à l'Institut français, adossé au lycée Prinz Philip de Copenhague. Remerciements au  proviseur et aux collègues qui ont organisé ma visite.

Et j'oublie beaucoup de mes nouveaux amis, mais ma reconnaissance est entière, pour toutes et tous.