lundi 3 juillet 2023

Emerveillons-nous des sciences, émerveillons-nous de la technologie, émerveillons-nous de la technique

J'insiste : aux jeunes, nous devons offrir deux voies également passionnantes, à savoir la technologie, d'une part, et la science quantitative, d'autre part. 

Il est temps que nous apprenions à nous émerveiller des extraordinaires résultats de la technique et de la technologie. 

Nos systèmes de chauffage, de transport, nos médicaments, nos cosmétiques, nos peintures et vernis, nos systèmes électroniques et informatiques... Derrière presque chaque objet de notre quotidien, il a de l'intelligence technique, de l'intelligence technologique, et parfois des applications des sciences... 

 

Mais faut-il que je retombe dans ce travers qui consiste à mettre la science très haut, et la technologie en dessous, en position de mettre en œuvre les résultats des sciences, et seulement eux ? Après tout, le fil à couper le beurre a été inventé sans que l'inventeur ne fasse usage de résultats des sciences. 

C'est là le sens d'un changement important, que je viens de faire : dans nos rendez-vous, il n'y aura plus ce « Vive les applications des sciences », mais seulement un « Vive la technologie ». Car, au fond, un ingénieur utilise tout aussi bien la langue naturelle que les résultats des sciences, pour ses innovations. 

 

Oui, les connaissances produites par la science peuvent être utilisés, mais ce serait une erreur que la technologie se limite à ces résultats. Bref, vive la technologie ! Cela étant posé, considérons la technologie. Quelle est sa méthode ? Y en a-t-il plusieurs ? 

Pour les sciences quantitatives, j'ai exposé ailleurs la stratégie générale d'observation de phénomène, de quantification, de réunion des données en lois synthétiques, de recherche inductive de mécanismes, de recherche de conséquences de la théorie et de tests de ces conséquences, à la recherche de réfutation. 

Mais pour la technologie ? Le but étant différent, on conçoit que la méthode soit également différente. Quelle est-elle ? La question est essentielle, parce que nous avons à enseigner à des jeunes ingénieurs. Et la technologie (certains disent l’ingénierie) ferait sans doute une erreur en reprenant la méthode des sciences quantitatives, parce qu'elle serait alors conduite sur la voie scientifique, qui n'est pas la sienne . 

 

Bref, je pose la question, en la divisant : - en supposant que la technologie fasse usage de résultats des sciences, comment doit-elle chercher ces résultats ? - dans la même hypothèse, comment la technologie peut-elle choisir, parmi l'ensemble des résultats, ceux qui pourront faire l'objet d'un transfert technologique ? - comment bien faire les transferts technologiques ? 

 

Je crois que le chantier est urgent. Des idées ?

dimanche 2 juillet 2023

Antoine Augustin Parmentier : quel homme merveilleux !

 
L'histoire de Parmentier est souvent racontée avec beaucoup d'erreurs. 

La pire consiste à dire que Parmentier introduisit la pomme de terre en France. Cela n'est pas vrai, car la pomme de terre était cultivée et consommée bien avant qu'il s'y intéresse, dans l'est de la France. 

Une autre erreur consiste à dire que Parmentier fut le premier à séparer l'amidon de la pomme de terre, pour en faire divers usages. Cela était déjà fait depuis longtemps, l'amidon et le gluten ayant été séparés (du blé) dès 1728 par Jacobo Beccari, professeur de chimie à l'Université de Bologne. À ce sujet d'ailleurs, il reste  une incertitude  :  le texte  sur le blé de Beccari date de 1745, mais en 1728 il aurait fait une communication  à l'Académie des sciences de Bologne ;  or, pour l'instant, je n'ai pas trouvé trace de cette communication, pourtant décrite par quelques auteurs  qui ne donnent pas leur source... et l'Académie de Bologne n'a pas répondu à mon courrier où je demandais des précisions attestées, fiables, sûres. 

Parmentier est-il le premier à avoir cuisiné les pommes de terre ? Non plus. Alors qu'a fait Parmentier ? Dans ses Eléments chymiques des pommes de terre, Parmentier effectue diverses expérimentations  de lavage à différentes eaux, de traitements à l'acide, etc. sur des fractions de la pomme de terre,  afin de comprendre plusieurs des mécanismes observés quand on transforme les pommes de terre, et notamment des changements de couleur. 

De ce point de vue, Parmentier était bien dans la position d'explorer les mécanismes de ces phénomènes que sont, par exemple, les changements de couleur, il était bien en position de chercher à « lever un coin du grand voile ». 

Parmentier a donc fait une oeuvre scientifique, à propos de la pomme de terre. Etait-ce une œuvre de chimie ? Dans l'oeuvre « chymique » de   Parmentier, il n'y a guère de réarrangement atomique, de  transformations moléculaires, de réactions chimiques... Il y a surtout des fractionnements, de l'analyse, et si cette analyse vise à ranger dans des catégories différentes des fractions moléculaires différentes, ces molécules ne sont pas modifiées, de sorte que cette analyse est en réalité physique et non chimique. 

Ce point devrait nous ouvrir les yeux sur  la réalité de l'analyse chimique, et de ce que l'on nomme parfois abusivement la « chimie analytique ». 

 

Pour en revenir à Parmentier, il a donc fait un travail scientifique, mais il est également juste de lui reconnaître une activité  propagande soutenue, fondée sur une stratégie intelligente dont la composante  essentielle  semble avoir été précisément... cette activité soutenue, qui a conduit un nombre croissant de Français de l'époque à survivre aux famines qui affligeaient le pays, en consommant des pommes de terre. 

Ayant précisé les conditions de la culture et de l' utilisation, Parmentier fit une oeuvre remarquablement utile : une œuvre également technologique. 

Un point de détail amusant : pour introduire la pomme de terre en France, disons plutôt pour en augmenter l'usage, Parmentier dut combattre des préjugés sur la toxicité de ces solanacées, famille de plantes qui comprend  la belladone ou la mandragore, toxiques. 

Dans ces écrits, Parmentier ne cesse de dire combien de dire que la pomme de terre est saine... mais il est intéressant de savoir que des articles scientifiques récents montrent que la cuisine de rue, au Pakistan, qui utilise des pommes de terre non pelées, conduit à des accidents, en raison de la présence abondante des alcaloïdes présents dans les trois premiers millimètres sous la surface. Les tubercules de la pomme de terre contiennent, on l'a oublié, des alcaloïdes toxiques, et ce n'est pas une bonne pratique culinaire que de manger les pommes de terre avec leur peau. Ajoutons que pour la bonne bouche que les alcaloïdes de la pommes de terre résistent à des températures élevées, jusqu'à 285° C. 

 

Pelons donc les pommes de terre, et ayons une activité culinaire raisonnée, en mémoire de Parmentier !

Cela me frappe d'un coup, en relisant la biographie de Justus von Liebig, par Brock (Justus von Liebig, the chemical gatekeeper).

 

Liebig était parti à Paris, faire ses études avec Louis Joseph Gay-Lussac, notamment, et sa thèse en Allemagne lui avait été donnée sans qu'il la passe vraiment, sur la base de ses travaux parisiens, afin de lui permettre d'enseigner la chimie, de former le corps technique et scientifique dont le Duché de Hesse-Darmstadt avait besoin. 

Brock écrit que Paris avait mis Liebig en relation avec les vraies racines de la chimie moderne :  les élèves de Lavoisier. Liebig resta toujours attaché à Gay-Lussac, et son premier élève étranger à Giessen, en 1833, fut le fils Jules de Gay-Lussac. Quand Gay-Lussac publia ses méthodes titrimétriques ou volumétriques pour l'analyse de l'argent, Liebig traduisit les textes en allemand. 

Paris donna aussi à Liebig la possibilité de fréquenter des scientifiques européens parmi les plus grands, et la thèse qui lui fut donné par l'universiité d'Erlangen, anisi que la présentation qu'il fit à son retour, devant l'Académie des sciences, le firent connaître d'autres personnages célèbres tel que Berzelius, Oersted, Döbereiner... Grace à Humbolt et à Kastner, le fils d'un commercant, âgé de 21 ans, fut transformé en professeur de chimie. 

Le coût, pour ses parents et l'état (plus de 5000 gulden) fut au bénéfice de la chimie européenne, et éleva Liebig de la classe laborieuse respectable à une intelligentsia bourgeoise. 

 

Nous y sommes : pour Brock, comme pour beaucoup dans ce monde, on s'élève par l'argent. 

Et si l'on considérait enfin, au contraire, que l'argent n'achète jamais le talent ? Laurent de Médicis pourra payer tous les artistes qu'il voudra, il ne saura jamais peindre ! Et Bill Gates pourra dépenser des millions de dollars qu'il ne maitrisera jamais la méthode des développements asymptotiques de Wong, au voisinage du point singulier d'un col ! 

Je propose de considérer que le talent soit la véritable échelle sociale. Cela nous évitera beaucoup de vulgarité !

vendredi 30 juin 2023

L'épaississement des sauces

 L'épaississement des sauces

Les sauces ? Une montagne intellectuelle, tant il y en a, tant il y a à dire de leur constitution, de leur histoire, de leur évolution...
Ce matin, on m'interroge sur la liaison des sauces par de la gomme xanthane, et j'ai tendance à renvoyer mes interlocuteurs vers mon  livre Mon histoire de cuisine (Editions Belin), où cela est expliqué. Cependant, je m'aperçois que la question, générale pour les sauces liées à ce qui est fautivement nommé des "hydrocolloïdes", peut recevoir une explication différente. 




D'abord, il y a ce mot "hydrocolloïdes" : c'est un mot que je n'aime pas, parce que les colloïdes sont des systèmes dispersés tels que gels, mousses, suspensions, aérosols... Or on désigne par "hydrocolloïde" non pas de tels systèmes où de l'eau serait présente, mais des polysaccharides gélifiants ou épaississants, tels que les gommes de guar, caroube, xanthane, ou encore l'amidon (en réalité, un mélange d'amylose et d'amylopectine)...
Tous les polysaccharides, en effet, sont des molécules de type polymère, à savoir que ce sont des enchaînements linéaires ou ramifiés de motifs élémentaires qui, dans ce cas, sont des saccharides.

Trop compliqué : je reprends donc dans un sens inverse. Partons de D-glucose, un petit "saccharide" qui se présente, chez les pâtissiers, sous la forme d'une poudre blanche de saveur douce. Le glucose est un "composé", à savoir qu'un tas de D-glucose est constitué d'objets tous identiques  : les molécules de D-glucose.
Et c'est un monosaccharide, chaque molécule n'étant faite que d'atomes de carbone (six, attachés en un cycle hexagonal), d'atomes d'oxygène et d'atomes d'hydrogène.
Le D-glucose est un saccharide, c'est-à-dire un composé "polyhydroxylé" : dans la molécule, plusieurs atomes d'oxygène  liés à des atomes de carbone sont liés, de l'autre côté, à un atome d'hydrogène, de sorte que les chimistes voient bien le motif "-O-H", que l'on note plutôt -OH et que l'on nomme groupe hydroxyle.
Quand il y a plusieurs groupes hydroxyle, la molécule est polyhydroxylée ; simple, non ?

Bref, nous partons de D-glucose, poudre blanche où chaque grain est un cristal, formé par l'empilement régulier (pensons à un tas de cubes) de molécules de D-glucose. Et ajoutons que si l'on ajoute de l'eau à du D-glucose (souvent, en poudre, il est dit "atomisé"), on obtient un sirop de D-glucose.
Un tel liquide est effectivement sirupeux... parce que l'eau aussi, formée d'un atome d'oxygène lié à deux atomes d'hydrogène, comporte en quelque sorte ces motifs OH.
Information supplémentaire : quand une molécule porte un groupe hydroxyle (je répète : -OH) et qu'une molécule voisine comporte un atome d'oxygène, alors, pour des raisons que je n'explique pas aujourd'hui, se forme une sorte d'attraction entre l'atome d'hydrogène du groupe hydroxyle -OH et l'atome d'oxygène voisin. C'est ce que l'on nomme une liaison hydrogène. Cette liaison ajoute de la cohérence au milieu fait de l'ensemble des molécules : pensons à des mouches qui auraient envie de se coller, et qui formeront un essaim plus cohésif que si elles n'avaient pas envie de se coller. C'est pour cette raison que le sirop a plus de cohésion que l'eau pure !

Si nous lions maintenant des molécules de D-glucose par des liaisons chimiques, comme dans de nombreux polysaccharides, alors nous obtenons des polymères du D-glucose, molécules bien plus grosses que le simple D-glucose, quand elles sont composées de centaines ou milliers de résidus de D-glucose élémentaires.
Et ces molécules portent alors un très grand nombre de groupes -hydroxyle. De sorte que, quand on les met dans l'eau, elles assurent une forte cohésion à l'eau : cette dernière est "épaissie".

Et c'est ainsi que les polysaccharides lient les sauces. Et c'est ainsi que la physico-chimie est une science merveilleuse !

PS. J'ai oublié de signaler que la gomme xanthane est réglementairement considérée comme un additif de code E 415. Elle est produite par un micro-organisme... mais le vin, le fromage, le saucisson aussi sont faits par des micro-organismes. Donc rien de très inquiétant (je dis cela pour les naïfs qui croient que l'industrie est mauvaise et la nature bonne, oubliant l'amanite phalloïde et la ciguë, sans parler du lion, du typhus, du choléra, de la foudre, de la grêle...)

jeudi 29 juin 2023

Vous avez dit "désenchantement" ? Impoli !

Tiens, je vous livre un extrait trouvé en ligne : 

 

L'expression désenchantement du monde renvoie, dans son sens strict, à un "Phénomène social"  : le recul des croyances religieuses ou magiques comme mode d’explication des phénomènes. Dans une acception plus large, l'expression recouvre le sentiment diffus d'une perte de sens, voire d'un déclin des valeurs censées participer à l'unité harmonique du monde des êtres humains (religion, idéaux politiques et moraux, etc.). Suivant les auteurs, le désenchantement peut être connoté positivement comme une sortie du monde de la superstition, ou bien négativement comme constituant une rupture avec un passé harmonieux. L'expression, dont la paternité est attribuée au sociologue allemand Max Weber a une histoire lointaine qui prend sa source dans la littérature. L'idée de « monde enchanté » renvoie en effet à l'espace du conte c'est-à-dire à un monde dans lequel la magie et le surnaturel sont régulièrement présents. Parler de désenchantement, cela suppose de faire le constat d'une disparition d'un monde enchanté. Les premiers à utiliser l'expression de désenchantement estimaient que l'entrée dans le monde moderne n'était pas seulement un progrès mais également la destruction d'une harmonie séculaire. On retrouve une telle posture chez les Antilumières et, au XIXe siècle, dans le rejet de la modernité par le Romantisme, rejet qui s'accompagne du regret d'un paradis perdu. On peut voir dans la Philosophie des Lumières un des acteurs du désenchantement : le projet rationaliste qui consistait à « déniaiser le peuple » (l'expression est de Voltaire) s'est voulu un combat contre l'obscurantisme et la superstition, souvent associés au rôle d'éducateur assumé par la religion sous l'Ancien Régime. Mais ce n'est qu'au vingtième siècle que l'expression de « désenchantement du monde », en partie vidée de son contenu polémique, entre dans le vocabulaire des sciences humaines. Les travaux de Max Weber puis, plus tard, en France, ceux de Marcel Gauchet, posent les bases d'une réflexion sociologique et philosophique sur la question. Popularisée par les sciences humaines et par leurs relais médiatiques, l'expression est progressivement passée dans le vocabulaire courant.

 

Pour moi qui propage l'idée que c'est la moindre des politesses (envers autrui, donc) que de voir le verre plus qu'à moitié plein, cette idée d'un prétendu désenchantement du monde par les sciences de la nature est une imbécillité parfaite ! 

Rien que parce qu'un contre-exemple suffit à annihiler une loi générale (ou prétendu telle) : or plus j'explore la physico-chimie du monde, plus j'aime cette discipline, plus je m'émerveille des beautés du monde. 

D'ailleurs, alors même que j'écris, je m'observe écrire "je m'émerveille" : c'est en moi que se trouve la ressource de voir du merveilleux, et non dans une pensée magique idiote, dans un attachement à une sorte d'enfance niaise, dans une croyance à un âge d'or... qui n'a jamais existé. 

Non, les sciences de la nature, l'étude, le travail, la recherche des connaissances ne désenchantent pas, bien au contraire ! Elles révèlent des beautés insoupçonnées, des mécanismes extraordinaires, et, mieux encore, la constitution réfutable des sciences quantitatives est porteuse d'un immense espoir, puisque nous savons d'emblée que nos théories sont des modèles, des réductions simplistes du réel. 

Bref, le monde est beau ! Ne laissons pas des philosophes pessimistes (par constitution, il en existe aussi de plus positifs) gâcher notre bonheur de vivre. 

Vive les sciences de  la nature, qui enchantent le monde ! 



PS. Et je ne méconnais évidemment pas la définition du désenchantement. Je rappelle qu'il y a une sorte d'acte de foi à penser que le monde puisse être décrit par le calcul. Et, d'ailleurs, une illusion sue comme telle, puisque nous savons a priori que les théories sont insuffisantes !

mercredi 28 juin 2023

Des sciences absolument nécessaires ?

 Chers Amis 

Je reprends notre discussion sur la technologie (terme défini précédemment), et je cherche ici à savoir s'il est vrai qu'elle fait usage des sciences de la nature. 

Oui, il est certain  que l'on peut former des  ingénieurs à 

(1) comprendre les résultats les plus récents des sciences quantitatives ; 

(2) filtrer ces résultats pour ne retenir que les plus intéressants dans son champ ; 

(3) faire un transfert technologique, vers le champ technique. 

 

De la sorte, on est certain que ces ingénieurs produiront de l'innovation : puisque les résultats scientifiques qu'ils considéreront seront récents, ils n'auront probablement pas été déjà appliqués. 


 Cela étant, la question demeure : peut-on faire de la technologie sans faire de la science ? 

Je vous propose de tirer sur les deux bords opposés de votre mouchoir, et vous verrez l'apparition d'un réseau périodique : un bon ingénieur pourrait utiliser l'idée pour fabriquer des réseaux ! De même, un ingénieur qui examinerait des peaux de serpent et verrait qu'elles sont formées par des écailles en chevrons couchées les unes sur les autres pourrait penser en faire des chaussures anti-dérapantes. Pas besoin de science de la nature là non plus. 


 Ainsi, au total, si les sciences de la nature ne nuisent pas (une litote, bien sur) à la technologie, elles ne semblent pas exclusivement indispensables.  Votre avis ?

mardi 27 juin 2023

Vive la technique, vive la technologie, vive les sciences

Relisant une biographie de Justus von Liebig, je vois que celui-ci critiqua vigoureusement le gouvernement autrichien, en 1840, pour sa « mauvaise organisation universitaire » ; il s'agissait notamment de préparer le lancement de son livre sur l'Agricultural Chemistry (la chimie de l'agriculture), lequel montrait que la chimie était au cœur de l'agriculture, de l'agronomie, de la physiologie végétale. 

Le livre montrait l'importance de l'enseignement de la chimie, mais il avait peut être aussi des raisons plus personnelles, à savoir que Liebig voulait se venger d'un gouvernement qui, pensait-il, voulait éviter que les étudiants n'aillent apprendre à Giessen, avec lui.
Avec sa manière coutumière, Liebig noircissait le tableau de tous les points de vue, disant qu'il n'y avait pas de laboratoire de chimie en Autriche, et qu'on y mettait trop d'emphase sur les études littéraires et philosophiques, notamment cette « fausse déesse », cette « mort noire » qu'était la Naturphilosophie

 

Voilà un exemple très intéressant pour notre discussion du mot « chimie », et ce n'est pas le seul, dans l'histoire de Liebig. Plus tard, Liebig participera à une autre controverse, avec les Anglais cette fois, à propos de Bacon, dont il critiquait les spéculations, l'absence de travail expérimental.
On ne manquera, bien sûr, de lui opposer Isaac Newton, qui publia une œuvre bien plus grande que celle de Liebig, intitulée « philosophie de la nature ». Dans toute cette affaire, il y a la question de la science, d'une part, et de la technologie+technique d'autre part. 

 

Liebig proposait une étude technique et technologique. A bien regarder son œuvre, il y a sans cesse des questions techniques, notamment d'analyse chimique, et la multiplicité des travaux exploratoires, en vue d'identifier des composés nouveaux, ne lui a pas permis de découvrir le brome, par exemple, ni d'autres concepts importants. A passer son temps à faire de la technique, on ne fait pas de science. 

 

Il est amusant de voir que nous sommes aujourd'hui dans cette même dialectique, avec des « stratèges » qui poussent sans cesse pour plus de technologie. On se lamente sur le médiocre état de la France, en termes d' « entrepenariat », on réclame plus de technologie, moins de science. 

J'y pense : si, au lieu de dire qu'il y a trop de science, on disait surtout qu'il manque cette relation entre la science et la technique ? Si les élève ingénieurs étaient dirigés vers la technologie, au lieu d'être aspirés vers la science ? Il s'agit moins, ne croyez vous pas, de faire faire de la technologie à des scientifiques, que de bâtir durablement une nation plus « équilibrée », où les jeunes auraient le goût des « grands ouvrages » : ponts, fusées, ordinateurs... 

A cette fin, les mathématiques doivent être remplacées par le calcul (utilitaire, de quasi même nature dans le contenu), et, surtout, on doit cesser de faire croire que la technologie est une sous science ! 

Ma proposition n'est donc pas celle de Liebig, parce qu'il n'est pas nécessaire d'abaisser les uns pour rehausser les autres. Plutôt, il s'agit de clamer « vive la technologie », « vive la technique », et de montrer les beautés de ces activités. Quand même, Ariane espace fait des lancers réussis coup sur coup, depuis des années, c'est extraordinaire, merveilleux, n'est-ce pas ?