vendredi 5 mai 2023

Nos séminaires modifiés

  Lors d'un récent séminaire de gastronomie moléculaire (tous les troisièmes lundis du mois, de 16 à 18 heures ; public, gratuit),  les participants ont voté pour une modification du déroulement de nos rencontres : nous avons décidé de réserver un moment pour  considérer les questions d'innovation, à partir  du travail effectué lors des séminaires. 

Alors que nous mettions en œuvre à cette idée pour la première fois à propos de mousse au chocolat, j'ai proposé plusieurs  possibilités. La première consiste à généraliser l'opération de production de mousse au chocolat, laquelle est le mélange de blancs d'œufs battus en neige à une préparation un peu épaisse, qui peut figer. Et si, au lieu de chocolat, on utilisait de la viande, du poisson ? En confectionnant  par exemple un priestley, c'est-à-dire une crème anglaise  pour laquelle les protéine du  jaune d'œuf ont été remplacées par d'autres protéines. Imaginons un priestley de langoustines que l'on ferait en broyant finement des langoustines et en ajoutant un liquide, avant de faire prendre cette sauce en la chauffant ; après refroidissement, on ajoute les  blancs battus en neige, de sorte que nous obtenons un priestley foisonné... 

Une autre possibilité d'innovation ? Si  nous voulons rester dans la famille des préparations au chocolat,  je propose maintenant un «  chocolat chantilly »... mais il est vrai que cette innovation est ancienne, puisque je l'ai proposée dès 1995. Autre chose ? On m'a fait observer que le goût « riche » du jaune d'œuf manquait dans le chocolat chantilly. 

Qu'à cela ne tienne, remettons-le... en évitant toutes les difficultés de la mousse au chocolat classique. Par exemple, prenons une casserole, et mettons y de 200 g d'eau, puis 40 g de sucre (comme dans une recette classique de mousse au chocolat). Sur le feu doux, ajoutons 100 g de sucre et 125 g de chocolat. Quand l'émulsion de la matière grasse est faite, posons la casserole sur des glaçons ou dans de l'eau froide et fouettons : après un moment, on obtient une consistance de crème fouettée, qui est le chocolat chantilly. Reste alors à lui  ajouter le jaune d'œuf. 

On le voit : pas de possibilité de ratage, comme avec la mousse classique. Le chocolat chantilly contourne la difficulté, que les participants du séminaire ont vue considérable. Bref, les possibilités d'innovations sont nombreuses.

Les couverts ? A la française

 J'en parle fréquemment en privé, mais je m'aperçois que je n'en ai pas fait de billet alors qu'il s'agit de quelque chose d'important  pouf la gastronomie. 

 

La question est le placement des couverts sur la table. Il y a essentiellement deux manières pour les couverts occidentaux, à savoir la méthode à la française et la méthode à l'anglaise. 

Dans la méthode à la française, les pointes de la fourchette sont posées sur la nappe, à gauche de l'assiette, et le couteau est posé à droite de l'assiette mais la lame du côté vers la gauche. La cuillère à côté du couteau est tournée de sorte que ça pointe soit encore contre la nappe. 

À l'anglaise, la fourchette est pointe en l'air et la cuillère également, de sorte que c'est le fond bombé qui se trouve au contact de la nappe. 

On observera que les chiffres, c'est-à-dire les initiales gravées se trouve sur la partie visible du manche. 

 

Quelle placement choisir ? 

 

Il y a certainement une question de convention, peut-être une question d'hygiène mais je n'y crois guère, et, surtout,  une question de politesse. 

Mettre la lame du côté du mangeur et non pas du côté du voisin de droite, c'est se soucier de son voisin de droite, éviter de le couper. 

Mettre les pointes de la fourchette vers le bas, c'est éviter d'offrir à son vis-à-vis des pointes. 

Dans les deux cas il s'agit de vivre en communauté harmonieuse, de protéger les convives qui nous entourent et c'est la raison pour laquelle la méthode à la française me semble bien supérieure à la méthode à l'anglaise. 

Je n'ai pas encore entendu d'arguments convaincants du contraire.

jeudi 4 mai 2023

Une question à propos du concours international de cuisine de synthèse ("note à note") :

Je reçois un email d'un cuisinier qui veut s'inscrire à l'International Contest for Note by Note Cooking, et je lui réponds en l'invitant à soumettre des recettes quand il sera prêt.

Et, évidemment, il m'interroge, car il est vrai que ma réponse était trop succincte :

Merci de votre réponse rapide. Avant de valider mon inscription, serait-il possible d'obtenir plus d'informations concernant le déroulé du concours, car je n'ai pu en obtenir que via un article sur le site des Nouvelles gastronomiques. J'ai vu que le concours aurait lieu en septembre, mais quel est le calendrier d'ici là ? En quoi consiste l'épreuve exactement ? (durée de l'épreuve, panier imposé ou non, pour combien de couverts, comment est composé le jury, certaines préparation comme des fermentations peuvent-elles être réalisées en avance, etc.) ?  Et qu'entendez vous par "recettes de cuisine de synthèse" celà n'était pas mentionné dans l'article que j'ai lu.

 

En réalité, j'aurais dû diriger notre ami vers  le site où les conditions de participations sont présentées :
- en anglais   : https://icmpg.hub.inrae.fr/international-activities-of-the-icmpg/note-by-note-cooking/note-by-note, et plus spécifiquement ici : https://icmpg.hub.inrae.fr/international-activities-of-the-icmpg/note-by-note-cooking/int-contests/cnan11
- en français : https://icmpg.hub.inrae.fr/travaux-en-francais/cuisine-note-a-note, et encore plus précisément ici : https://icmpg.hub.inrae.fr/travaux-en-francais/cuisine-note-a-note/cnan-11-fr


Mais tout cela peut appeler des commentaires plus développés, que voici.

Commençons par la cuisine de synthèse, que j'ai introduite en 1994 et que j'ai rapidement surnommée "cuisine note à note".
Comme pour la musique de synthèse, où l'on n'utilise ni violon, ni flûte, ni trompette et cetera, la cuisine de synthèse n'utilise ni carotte, ni oignons, ni viandes, ni poisson, et cetera.
En revanche, il s'agit d'utiliser les composés présents dans ces ingrédients alimentaires pour construire des plats.
Cela est notamment expliqué dans les pages du site du Centre international de gastronomie moléculaire, mais aussi dans de nombreuses pages internet et dans mon livre intitulé La cuisine note à note en 12 questions souriantes




À partir de composés, donc (eau, lipides, sucres, protéines, etc.), on construit la consistance, la couleur, la saveur, l'odeur, et cetera.
Pour le concours lui-même, il n'est pas obligatoire de faire des plats 100 % note à note, mais il faut quand même savoir que l'on est noté sur la proximité avec l'idée de cuisine de la note parfaitement pure, sans aucun ingrédient complexe.
Et je dois ajouter que les étudiants ont beaucoup progressé grâce notamment à nos enseignements  : ils sont aujourd'hui capables de faire des choses absolument remarquables comme on le verra par exemple en considérant les résultats du concours note à  note de l'année dernière, ou comme on le verra dans des masterclass que j'ai faites à l'Institut Cordon bleu :   https://www.youtube.com/watch?v=6zf666XE0Do
https://www.youtube.com/channel/UCbYp0JiKFB74NELb2d3KIYw


À propos du déroulé, c'est tout simple : il suffit de se mettre à chercher des recettes qui satisfont au thème de l'année, le gaspillage et les pertes. Je dois d'ailleurs ajouter que ce thème est un peu humoristique,  puisque, avec la cuisine de synthèse, il n'y a aucun gaspillage et aucune perte ! Il va donc falloir trouver une idée pour mettre en œuvre ce thème. Après, c'est tout simple :  on réalise la recette, on la photographie et on envoie ces documents à icmg@agroparistech.fr.
Il y a une présélection, fin août, et nous retenons des finalistes qui présentent leurs recettes lors de la finale. Il n'y a pas d'obligation de la réaliser lors de la finale, d'autant que certaines participants sont à l'autre bout du monde.  
Le jury est composé de personnalités qui sont soit des cuisiniers, soit des technologues, soit des scientifiques, soit des enseignants comme on le verra en regardant le jury de l'an passé.
L'épreuve donc consiste simplement en la présentation la recette, son explication avec un powerpoint ou un film. Cela dit, par le passé, certains cuisiniers ont exécuté la recette et l'on fait goûter au jury.
Pour le panier, il est libre et chacun se fournit là où il veut, des ingrédients qu'il veut, mais évidemment tout cela doit être spécifié dans la recette qui est proposée. Et de ce fait, il n'y a aucun problème à effectuer une fermentation par exemple.

Je reste à la disposition de tous les concurrents pour répondre à leurs questions : icmg@agroparistech.fr

De retour de Strasbourg où nous avons fêté les 20 ans d'Isis autour de Jean-Marie Lehn

 Isis ? C'est l'Institut des sciences et ingénierie supramoléculaires, ce que l'on peut se représenter comme un bâtiment de cinq étages avec deux moitiés :  à gauche, des laboratoires de recherche scientifique et, à droite, des laboratoires loués à des industriels (en réalité, c'est plus compliqué, donc plus intéressant, mais faisons simple pour commencer). 

Dedans, des chercheurs, des deux côtés, qui se parlent : il y a de la science et de la technologie (ici nommé ingénierie pour les besoins de l'acronyme Isis). Et, surtout, il y a de la chimie "supramoléculaire", cette chimie qui s'intéresse aux assemblages moléculaires tenus par des forces moins fortes que les habituelles liaisons de la chimie organique (les "liaisons covalentes").

 

Créé après un prix Nobel

 

Cet institut a été créé après que Jean-Marie Lehn, chimiste alsacien, a reçu le prix Nobel de chimie pour ses travaux de chimie supramoléculaire et ses études de l'auto-organisation. C'était il y a vingt ans. Et, pendant vingt ans, l'institution a invité et abrité  des scientifiques  de talent, qui ont ensuite essaimé dans le monde. Isis leur a donné (et donne encore)  des moyens pour développer une recherche scientifique, mettre en oeuvre des idées scientifiques, avec la plus grande liberté, et la plus grande énergie. Ce qui est merveilleux, quand on discute avec un collègue qui travaille à Isis, c'est de voir la passion pour la chimie, l'engagement dans la recherche scientifique, la capacité d'échange...

 

Une célébration

 

Et, 3 au 5 mai, nous avons fêté les 20 ans d'Isis : cela fait 20 ans qu'a été créée cette institution tout à fait remarquable, soutenue par le CNRS,  par l'Alsace, par Strasbourg, ville et université, et, aussi, par des sociétés industrielles variées : BASF, Solvay, et cetera.

Pendant ces 3 jours, des chimistes du monde entier ont été invités à venir entourer leur ami Jean-Marie Lehn pour fêter les 20 ans d'Isis. Jean-Marie a bien insisté pour dire que ce n'était pas son anniversaire, mais l'anniversaire d'Isis...  mais nous étions tous bien conscients que, au cœur de l'affaire, il y avait Jean-Marie et  sa passion indéboulonnable pour la chimie.

Ce qui a été merveilleux, c'est que les discours institutionnels ont été réduits au strict minimum. Bien sûr, on n'a pas échappé aux discours des bailleurs de fond, qui ont pris  un engagement renouvelé pour les vingt prochaines années au moins, mais nous étions tous heureux, surtout d'avoir ensuite de merveilleuses histoires de chimie, racontées par des chimistes exceptionnels du monde entier. Ceux-ci avaient été choisis pour discuter les avancées de la chimie, qu'elle fasse un pont avec la médecine et la physiologie, ou qu'elle rejoigne plutôt la physique. Toujours, il y avait des molécules au cœur de l'affaire et c'est bien cela, la chimie.

Jean-Marie Lehn,  dans sa présentation, a une diapositive que je connais par cœur et qui montre la chimie comme un pont entre la physique et la biologie. Oui, il existe un tel pont, mais je préfère penser que la chimie est science à part entière et qu'elle n'est pas seulement un des deux piliers du pont.
D'ailleurs, comme souvent, je prends les diapositives de Jean-Marie comme des manières d'améliorer ce qu'il me dit, car après tout, ni dieu ni maître n'est-ce pas ?

 

 Rafraîchis

 

Ce qui est important, au-delà de ces métaphores, c'est surtout que nos amis qui ont accepté de venir présenter leurs travaux ont ouvert leur cœur à ceux qui les écoutaient.
Pour ma part, j'ai pris d'innombrables notes, non pas  à propos ce qu'ils ont raconté : j'ai plutôt noté des idées que j'ai eues en entendant ce qu'ils présentaient. Je ne pense pas que ces intervenants aient même l'idée de ce que contiennent mes notes, mais je peux témoigner que les notes sont abondantes et, surtout, je peux dire qu'après ces présentations, on sort extraordinairement "rafraîchi".

Oui, rafraîchi, parce que, pendant ces célébrations, rien n'existe plus que la chimie ;  et comme cela est une passion, on imagine le bonheur qui a été le mien.

De retour au laboratoire, il s'agit de passer à la mise en œuvre des notes que j'avais prises. Je ne doute pas que mes amis qui étaient réunis à Strasbourg avec moi, autour de Jean-Marie, ne soient dans le même état d'esprit.
Nous sortons de cette aventure chauffée à blanc, et nous allons maintenant poursuivre le travail.

Je tire aussi comme conclusion de cet événement (une fois de plus) qu'il est merveilleux de se consacrer à l'intrinsèque et non pas à l'extrinsèque. Le contenu plutôt que la communication, le fond plutôt que la forme.
Bien sûr c'est là quelque chose que j'ai déjà discuté dans de nombreux billets, mais la rencontre d'Isis me monte en réalité que l'ensemble des communications était comme un joli bouquet confectionné par les organisateurs : nous leur sommes reconnaissants de cette confection, de ce cadeau qu'ils nous ont offert.  

 

Vive la chimie !

Les méthodes structurent

Les règles de vie du merveilleux Michael Faraday étaient :
1. prendre des notes,
2. vérifier ce que l'on nous dit,
3. entretenir des correspondances,
4. avoir des collaborations,
5. ne pas participer à des controverses,
6. ne pas généraliser hâtivement
Avec cela, on va quand même bien mieux !

Oui, je retrouve ce matin, dans des notes,  les règles de Michael Faraday et je me dis, vu la manière de vivre de nombreuses personnes que je le rencontre, qu'il y a quand même lieu de commencer par cela ;  le reste viendra plus tard.

Ces règles me sont devenues si familières que j'oublie de les propager,  mais c'est une erreur :  à chaque génération, il faut répéter qu'il y a des moyens simples d'amélioration... à condition évidemment que l'on cherche à s'améliorer. Pour les autres... laissons tomber.

Reprenons donc l'histoire : il y avait un jeune homme d'une famille extraordinairement pauvre, à Londres, au début du 19e siècle, si pauvre que, enfant, il n'avait qu'un morceau de pain pour toute la semaine. Cet homme, Michael Faraday, était dans une communauté très religieuse nommée sandémaniens.
L'enfant vivait en étant saute ruisseau, ce qui signifie qu'il portait les journaux d'abonnés à abonné, puisqu'à l'époque c'est le même journal qui servait à plusieurs.
Un librairie éditeur, immigré français, Georges Riébault, pris pitié de l'enfant et l'embaucha comme  apprenti relieur.
Et c'est ainsi que  le jeune homme  eut entre les mains un livre d'un clergyman, Isaac Watts, qui donnait les règles ci dessus.
Il eut aussi à relier le livre de vulgarisation scientifique d'une femme, Jeanne Marcet,  qui proposait des expériences de chimie. Le jeune homme fut fasciné par les expériences décrites, et ils les reproduisit avec les moyens du bord.
Puis il fit partie d'un club d'amélioration de l'esprit, qui se réunissait un soir par semaine en plein cœur de Londres et où les participants apprenaient à parler, à écrire...
 

Et c'est ainsi que Faraday mit en oeuvre les six conseils d'Isaac Watts ;  toute sa vie.
Le premier conseil était d'avoir un petit calepin pour noter des idées  :  aujourd'hui, nous avons un téléphone sur lequel nous pouvons dicter afin de récupérer des textes.
Il y avait un conseil qui était de d'entretenir des correspondances car ainsi, on apprend à formuler ses idées, à les organiser pour autrui, pour ceux à qui on s'adresse.
Il y avait un conseil qui stipulait de vérifier ce qu'on nous dit.
Un autre de ne pas généraliser activement.
Un autre d'avoir des collaborations...
 

Et c'est ainsi que, avec ces six conseils, Michael Faraday devint le plus grand chimiste de tous les temps. Je passe sur le détail de l'histoire que j'ai déjà raconté ailleurs, et je me concentre ici sur ce fait que nombre de nos jeunes amis devraient bien faire leur ces méthodes qui permirent à Faraday de faire mieux que beaucoup. Chers amis et cher moi-même, commençons donc par avoir un calepin sur vous pour noter nos idées, par entretenir des correspondances, non pas pour parler dans le vide mais au contraire pour apprendre à formuler nos pensées ; apprenons à ne pas généraliser activement, à vérifier ce qu'on nous dit, apprenons à avoir des collaborations... 


Ce sera un bon début pour faire ensuite mieux.

Jeux de couleur

Je vous recommande vivement cette expérience qui consiste à broyer les pétales d'une rose rose avec un peu d'eau, dans un mortier de cuisine, à l'aide d'un pilon. 

On obtient une pâte un peu molle, toujours rose, que l'on peut filtrer. À ce stade, il est bon de considérer le matériel expérimental : le mortier et le pilon se trouvent cuisine, mais le filtre  aussi, puisqu'il sert à préparer le café. Les roses, elle, se trouvent sur le balcon. Donc aucune « débauche » expérimentale. 

Revenons à   notre le liquide parfaitement transparent, (parfaitement ?), coloré en rose. 

Nous  ajoutons une goutte de vinaigre cristal, incolore et transparent... et soudain la coloration change complètement. Allons chez le droguiste, demandons lui un peu de soude, et ajoutons-la :  la coloration change encore (vous voyez : je fais exprès de ne pas dire comment, afin de ne pas vous gâcher le plaisir de l'expérience, tout comme il est malséant de raconter la chute d'un roman à un ami). 

Ce  même type de changements peut s'observer avec des framboises que l'on trempe  dans de  l'acide chlorhydrique ou dans une solution de soude. Ne mangez évidemment pas les framboises ainsi traitées... à moins de les avoir bien neutralisées (acide chlorhydrique plus soude, cela fait du sel!) et que les produits utilisés soient de qualité alimentaire (pas d'impuretés toxiques). 

Tous ces changements de couleur sont dus à des composés phénoliques, tels qu'il en existe dans les tissus végétaux colorés en rouge, en bleu, en violet, en noir : fraises, groseille, framboises, cassis, myrtilles... Selon l'acidité des milieux qui contiennent ces composés, ces derniers ont des couleurs  différentes, de sorte que les plantes peuvent « décider » de certaines couleurs, en ajustant leur acidité. 

D'ailleurs, si vous ajoutez des ions (fer, aluminium, étain, cuivre...) vous verrez d'autres changements de couleur. Plus généralement, les couleurs de ces composés phénoliques changent avec l'environnement des molécules. 

Mais il y a mieux : un  chimiste nommé Raymond Brouillard, qui travaillait à l'université de Strasbourg, a effectué des travaux remarquables  sur ces composés phénoliques. Il a notamment montré que certains végétaux, certaines fleurs, contiennent des composés phénoliques qui sont liés par paires, à l'aide d'une sorte de charnière moléculaire. Selon les circonstances,  ces paires  peuvent se replier sur elles-mêmes, comme on ferme livre, et chaque moitié change la couleur de l'autre, parce que l'environnement moléculaire des éléments des paies change. Remarquable mécanisme donc que celui qui fut mis au point par l'évolution biologique...

mercredi 3 mai 2023

La question de la couleur, pour la cuisine de synthèse

 Dans la série des questions relatives à la cuisine note à note, je propose aujourd'hui d'examiner les questions de couleur. 

 

Pour l'instant, avec la cuisine classique, le problème était assez simple : on prenait un ingrédient alimentaire qui avait une couleur, et l'on se limitait à essayer de conserver cette couleur, ou à la modifier de  façon un peu (très peu, en réalité) contrôlée. 

Il faut bien avouer  que la cuisine classique  n'a pas merveilleusement réussi, de ce point de vue, puisque  la question de conserver le beau vert des légumes vert reste toujours posée, sans véritable solution, que la couleur des betteraves et des choux rouges change  inéluctablement quand  on les cuit ou quand on varie l'acidité du milieu, que l'on ne contrôle pas les changements de couleur des fruits rouges, que les cornichons jaunissent dans leur bocal de vinaigre... 

Soyons honnêtes :  les compétences du monde alimentaire en matière de couleur ne sont pas épatantes. 

Pour preuve, cette demande qui est arrivée dans notre groupe de recherches il y a quelques années d'un très gros industriel de l'alimentaire pour étudier la couleur verte des légumes verts. Évidemment, on sait des choses, et la chimie a considérablement exploré les chlorophylles, les caroténoïdes, les composés phénoliques de la famille des anthocyanes, les bétalaïnes... 

 

Toutefois la question demeure : dans des environnements chimiques complexes, en présence d'acides, de métaux,  par exemple, ces composés réagissent quand ils sont chauffés, lors de la cuisson, et des réactions ont lieu, que l'on ne sait pas bloquer. 

Avec la cuisine note à note, le problème se pose différemment, parce que, si la cuisson sert à faire  apparaître des composés nouveaux, pourquoi ne pas utiliser ces composés nouveaux d'emblée, et éviter cette cuisson qui va changer la couleur des pigments initialement présents ? Ce type d'idées (je dis bien ce type d'idées et non pas cette idée, parce que je généralise immédiatement)  mérite d'être testé. Testé expérimentalement, théoriquement,  mais il y a un travail à faire. La question est donc posée : comment déterminerons-nous la couleur des de mets note à note ?