Je trouve intéressant de me souvenir que, au début des années 1990, alors que j'avais publiquement montré à la télévision, un mélange le basilic et de jus de citron vert, j'avais été interrogé des cuisiniers (pas des moindres) qui me demandaient si ce mélange n'était pas toxique.
J'avais été étonné de cette question, mais j'avais eu la réponse suivante : la cuisine traditionnelle a sélectionné des associations comestibles d'ingrédients, et tout nouveau mélange pouvait être soupçonné d'être toxique.
À l'époque, j'avais été pris au dépourvu, et je n'avais pas très bien répondu à mes amis, pas plus que je ne l'ai fait plus tard quand il était question de toxicité, pour des mélanges de composés individuellement faiblement toxiques : le fameux "effet cocktail" qu'on nous ressort périodiquement, et dont on ne sait guère à quoi il correspond, au-delà des mots (sans compter que, dans un cocktail, le plus dangereux, c'est l'éthanol ;-)).
Mais restons à la première question. Au fond, je comprends aujourd'hui que nos amis qui n'ont pas de connaissances de chimie sont très désemparés pour traiter de telles questions.
D'ailleurs il est bon de bien distinguer la physique et la chimie : dans un mélange physique, les molécules que l'on mélange se retrouvent finalement inchangées dans le mélange ; c'est seulement quand il y a une réaction chimique que les molécules finales sont différentes des molécules initiales.
Pour prendre un exemple visuel, la physique consisterait à mélanger des balles bleues et des balles rouges : on retrouverait les mêmes balles bleues et les mêmes balles rouges.
En revanche, s'il y a une réaction, un mélange de balles bleues et de balles rouges pourrait conduire à des balles toutes orange.
Quand on mélange deux ingrédients alimentaires, tel du basilic et du citron vert, on mélange d'abord essentiellement de l'eau, puisque les aliments sont majoritairement faits d'eau : plus de 90 pour cent pour le basilic, et plus de 99 pour cent pour le jus de citron vert.
Les goûts, eux, sont dues à des quantités infimes de de composés. Et oui, ils pourraient réagir, former de nouveaux composés, mais :
- c'est très rare
- rien n'indique que les composés formés seraient toxiques, et, d'ailleurs, s'il y a réaction, c'est un peu comme quand une bille est en haut d'une montagne : elle descend, et n'est plus en mesure de le faire ensuite ; cela revient à dire que les composés formés seraient moins réactifs -avec le corps humain- que les composés initiaux, capable de réagit.
Mais on aurait doit aussi considérer que le citron vert est très apparenté aux autres agrumes, le citron ou l'orange, tandis que le basilic est apparenté au persil, au gazon, à la ciboulette, à l'estragon. Apparenté, cela signifie que les composés présents sont les mêmes, dans des proportions parfois un peu différence.
Autrement dit, mélanger du basilic et du citron vert, c'est un peu comme mélanger du basilic et du citron : s'il y a des réactions, ce sont les mêmes en nature dans les deux cas.
De surcroît, imaginons le cas -très improbable donc- de réactions : elles se feraient donc entre deux quantités très faibles de composés initiaux, de sorte qu'elles ne pourraient conduire qu'à des quantités très faibles de produits finaux.
De sorte que s'il y a toxicité des produits finaux, c'est un danger plus qu'un risque, puisqu'il y a une infime exposition au danger.
D'ailleurs, il faut comparer la dangerosité EVENTUELLE des produits EVENTUELLEMENT formés à celle des composés toxiques naturellement présents dans les ingrédients.
Or je n'ai pas pris l'exemple du basilic ou de l'estragon au hasard : ces ingrédients culinaires classiquement utilisés contiennent des quantités de méthylchavicol, composé cancérogènes et tératogènes dont la dangerosité laisse tout le monde indifférent : ne voit-on pas, tout l'été, les salades pleines de basilic et d'estragon ?
D'ailleurs, toujours pendant l'été, ne voit-on pas nos concitoyens manger répétitivement des viandes cuites au barbecue, donc chargées en benzopyrènes cancérogènes ? Et là encore, personne ne s'en émeut.
Je crois finalement que la chimie fait peur à ceux qui la connaissent trop mal, avec des peurs qui s'apparentent à la crainte des revenants, dans l'ancien temps, et aux superstitions variées, de démons qui enverraient la foudre, la peste, etc.
Bref, l'ignorance est mère de la crainte, et il faut absolument que notre Education nationale développe les enseignements de chimie plus qu'elle ne le fait aujourd'hui : non pas à la marge, mais bien plus qu'aujourd'hui.
Car la connaissance du monde matériel est indispensable pour se comporter en citoyens !
Comment nos concitoyens pourraient-ils débattre sereinement de glyphosate, par exemple, s'ils ignorent ce qu'est une molécule ? Comment nos concitoyens peuvent-ils débattre d'OGM s'ils ignorent le fonctionnement génétique moléculaire des êtres vivants ? Comme nos concitoyens peuvent-ils avoir une approche rationnelle de la toxicité s'ils n'ont aucune connaissance des composés toxiques ?
Ce que je dis pour nos concitoyens vaut évidemment pour nos députés, et ces derniers mériteraient de recevoir, quand ils sont élus, une formation suffisante pour pouvoir juger des questions qui leur sont soumises. A en entendre certains, j'ai peur soit qu'ils n'aient pas d'informations suffisantes, soit, s'ils les ont, qu'ils tiennent des discours qu'ils doivent savoir mensonger.
Mais j'ai espoir, car il y a l'Ecole, avec des professeurs merveilleux, attentifs aux enfants. Mettons-nous entièrement à leur disposition, pour les aider dans leur mission !