Je ne compte plus le nombre de messages que je reçois de personnes qui croient qu'une analyse d'une odeur par chromatographie en phase gazeuse suivi de spectrométrie de masse permet ensuite, facilement, de reconstruire l'odeur analysée.
Expliquons pourquoi cela est une compétence merveilleuse, que l'on n'acquiert pas d'un claquement de doigt, même si elle n'est pas inaccessible.
Signalons d'abord qu'une odeur résulte de la fixation de molécules odorantes sur les récepteurs olfactifs dans du nez.
Quand on hume une fleur, par exemple, on ne le voit pas, mais des molécules variées, et très nombreuses (des milliards de milliards) s'évaporent de la fleur, et quand l'air qui les porte arrive dans le nez, certaines d'entre elles peuvent être "perçues", à savoir que ce sont comme des clés qui vont activer des molécules du nez (des "récepteurs") : quand une clé trouve la serrure qui va bien, alors un message électrique est envoyé au cerveau, et nous sentons quelque chose.
L'odeur de la fleur, ce sont de très nombreuses stimulations élémentaires de ce type, avec parfois des molécules olfactivement très actives. Et, d'ailleurs, il y a des molécules évaporées qui ne sont pas perçues, parce que le nez n'a pas de récepteur correspondant.
Ayant dit cela, revenons à l'analyse d'une odeur : on peut très bien, effectivement, capter une odeur, la faire passer dans un très long tuyau ayant un diamètre égal à celui d'un cheveu, poussée par un gaz inerte. Dans leur cheminement dans le tuyau, les molécules odorantes se séparent en fonction de leur taille, par exemple (les petites molécules qui interagissent peu vont plus vite que les grosses molécules).
Bref, après des mètres et des mètres de transit dans ces "colonnes de chromatographie", on recueille à la sortie une fraction moléculaire, puis une autre fraction, puis une troisième fraction, etc., chaque fraction étant un groupe de molécules odorantes d'une seule sorte.
On peut alors, avec un appareil nommé spectromètre de masse, identifier ces molécules, savoir quelle est leur constitution atomique, voire leur quantité dans l'odeur initiale.
Et c'est ainsi que, par une telle analyse, on obtient une quantité d'informations considérable, à propos de la nature des composés de l'odeur et de leurs quantités.
Le problème, c'est que le rendement d'analyse n'est pas constant pour toutes les molécules : on n'a peut-être pas bien tout capté initialement, pas bien tout séparé, et ainsi de suite.
Bref, on a beaucoup d'informations, mais ces informations sont à la fois excessives et insuffisantes.
Car j'ai dit plus haut que le nombre de composés odorants est de 500, mais, en réalité, il y a des milliards de fractions, parfois en très petites quantité...
Avec ce fait terrible que certains composés "traces" sont essentiels pour l'odeur alors qu'ils sont indétectables par nos moyens d'analyse !
Bref, quand on se met maintenant en position de synthèse, il est naïf de penser qu'il suffise de réunir les composés qui sont principaux en terme de quantité, sans compter que certains composés analysés n'ont pas d'odeur (quand le nez humain n'a pas de récepteur olfactif qui leur corresponde).
Il faut ainsi une excellente connaissance du monde des composés odorants, quand on veut reproduire les odeurs, sans compter que la tâche peut-être très fastidieuse : autant il est facile de préparer un mélange de quatre ou cinq composé odorants à seuil olfactif faible (il faut faire les bonnes dilutions dans un solvant qui les laissera s'évaporer), autant la réunion de centaines de composés peut être fastidieuse.
Et, pour certains composés, le dosage est difficile : par exemple, quand les composés sont actifs à des teneurs en parties par milliard, il faut faire une première dilution, qu'on dilue ensuite et ensuite, toujours avec grande précision.
Par exemple, le paraéthylphénol, qui contribue à l'odeur de cuir des vins vieux, se présente à l'état pur sous la forme de cristaux noir qui ont une effroyable odeur de caoutchoux brûlé. Il faut mettre un cristal dans un litre d'alcool pur, puis prendre une goutte que l'on met dans un litre d'alcool pur, et utiliser ensuite une goutte de cette dilution, pour obtenir, dans un litre de liquide, une odeur admissible : imaginons faire cela pour 500 composés !
Bref, il y a une immense compétence à se forger, pour faire de la belle formulation odorante, et c'est la raison pour laquelle quelques grosses sociétés font des ponts d'or à des spécialistes compétents. Ces spécialistes sont excellents techniquement, et, à leur propos, on gagnera à se souvenir du peintre japonais Hokusai, qui disait à l'âge de 70 ans qu'il allait pouvoir commencer à apprendre à peindre.
Ce blog contient: - des réflexions scientifiques - des mécanismes, des phénomènes, à partir de la cuisine - des idées sur les "études" (ce qui est fautivement nommé "enseignement" - des idées "politiques" : pour une vie en collectivité plus rationnelle et plus harmonieuse ; des relents des Lumières ! Pour me joindre par email : herve.this@inrae.fr
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mardi 26 avril 2022
Pourquoi la formulation odorante est une activité difficile
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