Ce blog contient: - des réflexions scientifiques - des mécanismes, des phénomènes, à partir de la cuisine - des idées sur les "études" (ce qui est fautivement nommé "enseignement" - des idées "politiques" : pour une vie en collectivité plus rationnelle et plus harmonieuse ; des relents des Lumières ! Pour me joindre par email : herve.this@inrae.fr
mardi 4 février 2020
Galettes des rois
On me demande de parler de galette, puisque c'est environ la saison, et je réponds que j'en ai déjà parlé souvent. En revanche, je ne retrouve pas les billets où je l'ai fait, je sorte que je me vois obligé de reprendre ici l'analyse.
Et cette analyse consiste principalement à dire que la galette s'obtient simplement en soudant deux disques de pâte feuilletée après avoir mis au milieu une garniture si l'on y tient. Car on peut très bien se limiter à de la pâte feuilletée, que l'on aura évidement dorée à l'or et au sucre.
Mais en général, donc, il y a deux questions : celle de la pâte feuilletée, et celle de la garniture.
Commençons par la garniture, qui est souvent une préparation crémeuse, comme une crème pâtissière avec de la poudre d'amande. La crème pâtissière contient de l'oeuf, du sucre, du lait, de la farine. Rien que les ingrédients qui plaisent, surtout si l'on ajoute la poudre d'amande qui est un must en pâtisserie. Je n'insiste guère : il suffit de dire que cette crème est à la fois comme une crème anglaise, avec l'oeuf qui forme des grumeaux microscopiques en cuisant, et la sauce blanche, où les grains d'amidon qui s'empèsent en cuisant donnent de l'épaisseur, de la consistance.
Pour la pâte feuilletée, j'en ai également parlé souvent : le procédé classique de production des pâtes feuilletées, avec du beurre enveloppé dans de la pâte, le tout étant étendu et replié six fois, conduit à des empilements de feuillets de beurre et de feuillets de pâtes. Quand on a replié 6 fois, il y a 729 feuillets de beurre et 730 feuillets et de pâtes, qui se séparent à la cuisson parce que l'eau de la pâte s'évapore, formant une vapeur qui prend beaucoup de place. Plus exactement, les feuillets se séparent... s'ils n'ont pas été soudés, ce qui s'obtient quand le coup de rouleau est bien régulier, que le pâton a été travaillé de façon aussi délicate, régulière que possible.
Mais on le voit, tout cela est assez facile.
Facile ? Oui facile mais il y a des différences extraordinaires entre les recettes, et l'on peut s'interroger sur les qualités d'une bonne galette des rois. Là, cette question est la même que celle que j'ai posée à mon ami Charles Blanck, vigneron alsacien, pour comprendre pourquoi le vin de Zind-Humbrecht, en Alsace, était si exceptionnel. Et la réponse de mon ami Charles a été en quelque sorte évidente : tout est fait à la perfection, depuis le saut du lit au matin jusqu'au coucher le soir. Les soins de la vigne, la manipulation des raisins, la conduite de la fermentation, l'élevage des vins... Il ne s'agit pas de bio ou de biodynamie, ou que sais-je, mais de soin : a chaque étape, le vigneron veut faire quelque chose de parfait, d'aussi parfait que possible, et cela se sent finalement.
Il y a là quelque chose qui doit me faire réfléchir à mon analyse du travail technique, pour laquelle je disais que le soin était l'essentiel. J'avais analysé le soin en termes d'amour, en expliquant quel travail soigné, c'est aussi une façon de dire je t'aime parce que cela se voit. Mais dans le cas du vin, c'est plus : c'est une question d'effet sur le produit final.
Et il en va de même pour la galette !
lundi 3 février 2020
Crêpes et galettes
Ce matin, c'est de crêpes et de galettes dont je veux parler. Je fais la bien la différence, car, ayant été crêpier en Bretagne il y a bien longtemps, je sais parfaitement que la pâte à galette se fait avec du sarrasin (ou blé noir), de l'eau et du sel, alors que la pâte à crêpes se fait avec de la farine de froment, des oeufs, de l'eau ou du lait, du sel. Ces deux préparations conduisent à des produits bien différents.
Pour la pâte à galette, pour laquelle il n'y a pas d'oeufs, ce sont les grains d'amidon de la farine qui, chauffés dans l'eau, vont s'empeser, c'est-à-dire gonfler en absorbant de l'eau, et se souder, libérant aussi dans leur environnement des composés qui augmentent la viscosité et qui facilitent la soudure. La cohésion n'est pas considérable, et il faut soit des épaisseurs très faibles pour que tout se tienne, soit une belle épaisseur pour que la galette supporte d'être retournée.
,Pour la pâte à crêpes, il y a l'oeuf qui, en coagulant, assure de la cohésion, ce qui permet de faire des crêpes bien plus minces, des crêpes dentelles
Tout cela étant dit, on peut entrer maintenant plus dans les détails pour ceux qui le souhaitent. La farine, donc, est essentiellement composée de petits grains, qui sont des grains d'amidon. L'amidon n'est pas une matière chimique pure : c'est le nom donné à ces grains qui sont faits de couches concentriques, avec deux sortes de molécules, à savoir des molécules d'amylose et des molécules d'amylopectine. Dans les deux cas, ces molécules sont des enchaînements d'un même motif qui est un "résidu de glucose", ce qui ne signifie pas que ce soit formé par dégradation du glucose, mais seulement que c'en est une partie. Et ces résidus de glucose forment comme les maillons d'une chaîne. L'amylose est comme une chaîne habituelle, linéaire, tandis que l'amylopectine est ramifiée, comme un arbre.
Ce qu'il faut considérer, c'est que ces molécules s'enchevêtrent, et aussi que, si l'on poursuit la cuisson, l'eau s'évapore comme on le voit à la fumée qui s'élève au-dessus des bilics ou des poêles. De sorte que toute l'eau est évaporée, on a soudure des grains d'amidon mais, aussi, formation d'une feuille croustillante.
Ce qui me donne l'occasion de répéter deux de mes commandements édictés dans mon livre Mon histoire de cuisine :
- les aliments qui contiennent un liquide sont souples, tendres, moelleux,
- tandis que les aliments où l'on a éliminé les liquides sont croquants, craquants, croustillants
dimanche 2 février 2020
Améliorons le koulibiac... pour faire des poissons en croûte feuilletée
Le koulibiac est un plat qui est dit d'origine russe, avec une pâte qui enferme du poisson, du riz, des oeufs dur, des épinards, des échalotes.
J'ai toujours trouvé que ce plat était lourd, et d'ailleurs, je ne peux m'empêcher d'observer qu'il y a comme une redondance entre le riz et la pâte : deux ingrédients qui apportent le même type d'effet, ce que mon ami Pierre Gagnaire dirait sans doute "le pain avec le pain". De surcroît, le riz dans l'intérieur du plat ne vient pas faire de contraste avec la pâte.
Pourtant, on pressent qu'il y a quelque chose d'intéressant dans ce plat, avec une bonne pâte feuilletée, et un poisson pas trop cuit, sans oublier qu'il faudra ajouter une belle sauce (au vin et à la crème).
L'analyse d'un défaut courant des koulibiac révèle des pistes d'amélioration. Souvent le poisson est trop cuit, donc sec, et ce n'est pas l'oeuf dur ni le riz qui peuvent venir contrebalancer cela. En revanche, on peut analyser la question et comprendre qu'il faut protéger le poisson d'une cuisson excessive en amincissant la pâte, ce qui permet de raccourcir la cuisson, et aussi en enveloppant le poisson dans des matières qui ralentirons les transferts de chaleur. Par exemple, on peut très bien faire un lit de champignons de Paris à peine cuits et une couverture d'épinard juste tombés au beurre, avec bien sûr des échalotes hachées préalablement passées au beurres : fondantes, elles viendront apporter du moelleux à tout cela.
Et c'est ainsi que je vous propose de faire un plat qui n'est plus un koulibiac, mais dont je peux vous garantir qu'il est absolument délicieux :
1. on abaisse une pâte feuilletée très mince
2. au centre, on pose un lit de champignons de Paris crus en lamelles assez épaisses
3. sur ce lit de lamelles de champignons de Paris, on dépose le filet de poisson (cru)
4. on met par-dessus les échalote émincées et passées au beurre, fondantes
5. on couvre d'épinards cuis très légèrement, juste tombés à la vapeur
6. on referme la pâte
7. on dore évidement au jaune d'oeuf
8. on cuit jusqu'à ce que le mince feuilletage soit doré
9. et je vous invite à accompagner préparation de la sauce alsacienne que j'ai décrite ailleurs.
samedi 1 février 2020
La véritable et merveilleuse sauce au vin d'Alsace
En Alsace, coq au riesling, avec, donc, une merveilleuse sauce au riesling ; il y a des poissons avec une sauce un régal, encore au vin...
J'ai cherché longtemps comment les faire, j'ai tourné autour des recettes des uns et des autres, orales ou écrites, et j'ai vu des liaisons à l'oeuf, des liaisons à la farine... Mais, finalement, l'amitié de quelques cuisiniers alsaciens m'a donné la cé du mystère : ces sauces merveilleuses sont des réductions de fond de poisson (ou de volaille), de vin et de crème.
Évidemment, tout tient dans la qualité des trois ingrédients : le fond de poisson (ou de volaille, ou le fumet de champignons), le vin et la crème.
Ainsi, plus d'une sauce que j'ai testée était un peu vulgaire parce que le fond était médiocre. Non, il faut un beau fond de poisson, à partir d'un poisson pas trop gras ; il faut que le fonds soit dégraissé.
Pour le vin, aussi, il faut aussi un bon vin, qui apporte de la structure à la sauce, qui viennent équilibrer la puissance du fond de poisson. Enfin il faut la crème, et là, il faut quand même dire qu'il y a toute la différence du monde entre la crème des Vosges et des crèmes plus standard telles qu'on les trouve trop souvent en région parisienne. Pour preuve, d'ailleurs, la crème Alsace lait monte en chantilly en 22 secondes montre en main ! Alors qu'avec la crème de supermarché que je trouve à Paris, il me faut plusieurs minutes...
Finalement, quand les ingrédients sont bons, on produit une sauce nappante, onctueuse, délicieuse, qui n'a pas la lourdeur d'une sauce liée à la farine, qui garde un chant bien clair sans que l'exubérance du jaune d'œuf ne vienne s'imposer, comme dans les sauces liées à l'oeuf. La recette ?
1. faire un fond de poisson
2. le dégraisser
3. ajouter autant de vin que de fond
4. réduire beaucoup
5. ajouter beaucoup de crème
6. réduire jusqu'à consistance nappante
7. rectifier l'assaisonnement
Mais surtout, n'hésitons pas : choisissons les bons ingrédients pour faire une bonne sauce.
vendredi 31 janvier 2020
Tout compte
Dans un billet précédent, j'ai évoqué la confection du vin, et plus exactement l'obtention de vins de très grande qualité par « serrage de tous les boulons ».
Oui, c'est à chaque instant que l'on peut perfectionner le procédé pour arriver à des produits aussi merveilleux que possible : en sélectionnant les sols, en plantant correctement les poteaux, en taillant bien la vigne, en travaillant correctement le sol, en palissant, en surveillant, en récoltant quasi grain par grain à parfaite maturité, en soignant le transfert vers les chais, en pressant sans attendre dans des matériels propres, en chouchoutant le moult, en mettant en bouteille, en stockant les bouteilles... Tout compte !
Et là, passant dans une pâtisserie, j'ai bien vu sur une tartelette au chocolat et aux framboises que les framboises étaient parfaitement mûres et choisies, que l'aspect de la pâte était lisse, régulier, bien abaisse et entonné, qu'il y avait eu du soin. Sur la pâte, il y avait une belle ganache de chocolat : je n'ai pas eu l'occasion de goûter cette tartelette, mais, quand même, vu les framboises et la pâte, je me doute que le pâtissier avait apporté beaucoup d'attention à la qualité de son chocolat, à la réalisation de sa ganache...
Ce qui est vrai pour la confection du vin l'est aussi pour la cuisine, pour la pâtisserie, pour la charcuterie, etc., et ce n'est pas seulement l'aspect visuel qui compte mais le goût, bien sûr, l'organisation des saveurs, des odeurs, des couleurs...
D'ailleurs cela n'est pas l'apanage des métiers de bouche, car quand on écrit un texte, tout compte aussi : l'orthographe, la grammaire, la rhétorique, l'originalité des sujets traités, le traitement, la mise en page...
Et quand on fait de la science, également : il faut que les expériences soient aussi parfaites que possibles, et que les calculs ne soient pas seulement justes, mais aussi élégants !
Je le répète : tout compte !
jeudi 30 janvier 2020
Il n'y a pas de cuisson "juste", mais il y a des cuissons conformes à des objectifs
Je reçois la question :
Monsieur,
Simple, non ?
Et pour des raisons toxicologiques, je serais partisan de ne pas descendre sous 60 °C, surtout quand le milieu n'est pas acide, et avec la réserve que, pour le porc, sanglier, cheval, il faut sans doute être au-dessus de 82,5 °C.
Et je ferais également attention à bien choisir les poches où je ferais la cuisson : hors de question d'empoisonner mes convives avec des poches plastiques qui libéreraient des perturbateurs endocriniens, notamment. Si c'est dans un autre matériau, je le choisirais bien, surtout quand les cuissons sont très longues ;-)
Mais je ne suis ni toxicologue, ni nutritionniste.
Monsieur,
Je souhaiterais savoir comment je fais pour avoir la cuisson juste.
La cuisson juste ? Je ne sais pas ce que c'est.
Moi, je sais que les cuissons longues à basse température permettent :
- de ne pas durcir les poissons : il faut alors choisir la température selon ce que l'on aime
- d'avoir des oeufs 6X°C : on choisit la température et on cuit plus d'une heure
- d'attendrir des viandes dures : on fait basse température, comme on aime, et le plus longtemps possibles
Simple, non ?
Et pour des raisons toxicologiques, je serais partisan de ne pas descendre sous 60 °C, surtout quand le milieu n'est pas acide, et avec la réserve que, pour le porc, sanglier, cheval, il faut sans doute être au-dessus de 82,5 °C.
Et je ferais également attention à bien choisir les poches où je ferais la cuisson : hors de question d'empoisonner mes convives avec des poches plastiques qui libéreraient des perturbateurs endocriniens, notamment. Si c'est dans un autre matériau, je le choisirais bien, surtout quand les cuissons sont très longues ;-)
Mais je ne suis ni toxicologue, ni nutritionniste.
mercredi 29 janvier 2020
Modernisons la tradition pour l'améliorer
Il existe un plat alsacien célèbre nommé Baeckahofa, qu'il est très difficile de trouver bon, car c'est un de ces plats où il faut à la fois de remarquables ingrédients et beaucoup d'intelligence culinaire.
Le plat est fait dans une espèce de terrine vernissée, et il comprend un mélange de plusieurs viandes : porc, agneau, veau ou bœuf, avec un pied de veau ou de porc, des pommes de terre, des oignons, du vin blanc et des aromates. On couvre et l'on cuit longuement, jadis dans le four du boulanger.
Souvent, c'est l'analyse des défauts qui nous met sur la voie des améliorations. En l'occurrence, les défauts courants sont :
- trop de liquide au lieu d'une sauce nappante,
- des pommes de terre qui se défont,
- de la viande qui reste dure.
Pour autant, qui nous dit que la technique traditionnelle de préparation de ce plat est bonne ?
Car si on veut attendrir de la viande, par exemple, autant le faire spécifiquement. Ou si l'on veut éviter que les pommes de terre se défassent, choisissons les pommes de terre qui ne se défont pas, et évitons de les cuire trop longtemps. Si l'on veut éviter d'avoir trop de liquide, réduisons-le.
Et c'est ainsi que je propose une recette modernisée, qui consiste à faire d'abord cuire le pied dans le vin, afin de faire passer de la gélatine en solution tandis que la chair s'amollit.
En fin de cuisson (deux jours à tout petit feu), on désosse les pieds, et on coupe la chair en petits morceaux, que l'on met tans la terrine avec le liquide de cuisson, la viande et les aromates.
Une longue cuisson à basse température (un jour, par exemple) permet alors d'attendrir les viandes, de les avoir fondantes.
Enfin, on ajoute les rondelles de pommes de terre, et l'on cuit une heure ou deux au four, terrine couverte, pour que les pommes de terre soient fondantes sans se défaire.
Finalement, si le liquide est trop abondant, on le réduira à part, dans une casserole.
Vous m'en direz des nouvelles !
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