Ce blog contient: - des réflexions scientifiques - des mécanismes, des phénomènes, à partir de la cuisine - des idées sur les "études" (ce qui est fautivement nommé "enseignement" - des idées "politiques" : pour une vie en collectivité plus rationnelle et plus harmonieuse ; des relents des Lumières ! Pour me joindre par email : herve.this@inrae.fr
vendredi 7 décembre 2018
Se meubler l'esprit
Je viens de subir les litaniques "ah mon pauvre monsieur, tout va mal" d'une personne angoissée... et je me suis mal comporté : après une minute de ce régime, j'ai estimé que j'avais assez perdu mon temps, et j'ai mis fin à l'entretien. Cela n'est pas convivial, pas sociable, pas sympathique (au sens littéral du terme).
En réalité, cela ne date pas d'aujourd'hui que je déteste ces discussions de café du commerce, qui sont aussi inutiles que bêtes, et j'ai résolu, il y des décennies, de ne pas le supporter. Pourquoi ?
Parce que notre esprit est comme notre appartement, à savoir un lieu que l'on meuble. Chez soi, on décide la couleur des fauteuils, des couvertures, de la peinture des murs ; on choisit ce qui est affiché aux murs, et j'ajoute que ce n'est pas toujours une question d'argent, car en réalité il ne coûte pas plus cher d'avoir des murs blancs que jaune. Pour d'éventuels "tableaux", des reproductions d'une toile de Jérôme Bosch font tout aussi bien que l'oeuvre originale. Il s'agit surtout de décider ce que l'on se met sous les yeux, de ce que l'on veut voir.
Sur notre écran d'ordinateur, même question, et voici pourquoi il est si intéressant, pour comprendre autrui, de voir son écran.
Bref, "meubler" son environnement, de travail ou de vie, c'est décider de la vie que l'on veut mener.
Il en va de même avec notre esprit, et j'aime assez voir telle lecture comparée à un tableau sur un mur. Si je lis des oeuvres intelligents, mon esprit brille intérieurement comme si l'on avait astiqué les cuivres. Et c'est d'ailleurs cet ensemble des informations que j'ai reçues - je préfère écrire : "décidé de recevoir"- qui fait mon environnement interne, qui me permet de m'y sentir bien. Certes, il me manque toujours une lecture, il me manque toujours de l'intelligence, mais j'ai bon espoir que du travail me permettra de
A contrario, écouter quelqu'un se plaindre des chiens écrasés, c'est se salir l'esprit. Lire un livre minable, regarder une série lamentable, écouter une musique médiocre, c'est aussi se mettre dans l'esprit de la boue, des ordures, de la poussière. Tout ce que je souhaite éviter.
Bien sûr, nous savons que le monde est le monde, et il suffit de lire Aristophane pour s'apercevoir que la politique n'a guère changée, avec notre lot d'autoritaires et de malhonnêtes, de malfaisants, de fous, etc... mais il y a aussi les autres, les belles personnes, qui ont une sorte d'obligation morale, de faire rayonner autour d'eau du bel or, plutôt que de l'orviétan ou pire.
Mettons les belles personnes en avant, promouvons toutes celles et tous ceux dont la pensée élève l'esprit des autres.
Et bien sûr, fermons la porte et les fenêtres de nos esprits, afin de ne pas laisser entrer n'importe qui. J'ajoute que la métaphore s'arrête là : il n'est pas interdit d'être accueillant, mais de même que l'on dit qu'il était écrit à l'entrée de l'Académie, fondée à Athènes par Platon "Que nul n'entre s'il n'est géomètre", j'aurais tendance à proposer de n'ouvrir son esprit qu'à ceux qui ont décidé d'y apporter de quoi l'embellir.
A la réflexion, je crois que j'ai déjà évoqué cela, d'une autre façon, en parlant de politesse : la politesse, puisque cela consiste à se préoccuper du bien des autres, impose de filtrer nos lamentations et, bien plutôt, de préparer des bouquets de fleurs qui viendront égayer la demeure intérieure de nos interlocuteurs.
N'est-ce pas ?
Commençons donc avec la question des légendes des figures.
Les légendes ? Il est courant d'y voir un court titre, la discussion de l'image étant reléguée dans le texte, pas toujours proche de l'image... ce qui ne facilite donc pas la lecture.
Comment comprendre l'image ? Il faut une explication. Reléguer celle ci loin de la figure est une mauvaise solution... et c'est précisément pour avoir l'explication des images que l'on fait des légendes !
Conclusion : la légende doit dire ce que l'on doit voir. Et elle doit le dire pour tout autre que l'auteur, le doctorant qui sait bien, lui, pourquoi l'image est intéressante. Nous, les lecteurs, qui ne sont pas spécialistes de la chose, n'en avons aucune idée. Et si nous en avions idée, cela prouverait que l'image est inutile, puisqu'elle n'apporterait pas d'information nouvelle.
Considérons un cas précis : un graphique tel celui ci :
Il y a mille choses à dire, en se limitant à "décrire" ce que l'on voit... et cela est utile, car toute caractéristique du diagramme méritera d'être interprétée, ensuite, dans le texte.
Commençons par la description : bien sûr, il est question de temps et de masse de composée, mais quelle est l'expérience effectuée, pendant laquelle la masse de glucose a varié (ou pas) ? D'autre part, pourquoi ce pointillé à 20 min, et cette droite à 80 min ? Et puis pourquoi cette droite pointillée à 0,04 g ? Il y a des données de mesure, représentées par des croix, mais si l'on suppose que l'auteur a suivi les règles de bonnes pratiques, les incertitudes ou l'écart-type des trois répétitions est-il plus petit ou plus grand que les croix rouges ? Et puis, comment les données de mesures se répartissent-elles ? Bref, on a besoin d'apprendre à lire.
Puis, une fois que l'on comprend l'image, soit le milieu scientifique y reconnaît de l'ancien, de l'établi, une confirmation, donc ; soit on y voit du nouveau, ce qui permettra de justifier ses apports personnes ou de se mettre sur la piste d'interprétations originales... et cela pourra venir avec de plus longs développements dans le corps du texte.
On voit que l'on est loin d'un simple titre !
Un dernier mot, sur un autre plan : ainsi définie, la légende qui se contente de décrire ne semble pas être le meilleur moyen de montrer de l'intelligence, ce qui est quand même l'objectif de chaque phrase que l'on pose dans le manuscrit de thèse... de sorte qu'il y a une réflexion à avoir pour ne pas faire quelque chose de "plat". Oui, dans une simple légende, il faut beaucoup d'étincelles, et cela ne s'obtient qu'au prix de beaucoup de travail. Mon motto : le génie est le fruit du labeur.
mardi 4 décembre 2018
Du sel ou du jus de citron dans les blancs en neige ?
C'est amusant de voir comment, bien souvent, nous nous focalisons sur des détails, au lieu de considérer le "premier ordre", le plus important.
Ainsi, à propos de blanc que l'on bat en neige.
Un ami me demande si le sel ou le jus de citron sont utiles "pour le blanc en neige". Pour le blanc en neige : que veut-il dire ? Pour la bonne réalisation d'un blanc en neige ? Pour l'obtention de plus de mousse ? Pour la tenue ? Pour éviter le grainage ?
Renseignement pris, je m'aperçois qu'il n'avait guère d'idée claire, à ce propos, et il me répond "pour le volume". Là, je suis en mesure de lui dire que nos expériences n'ont pas montré de différence de volume, ni avec le sel ni avec le jus de citron... et pour cause : au premier ordre, la question de faire un blanc en neige revient à celle d'accumuler des bulles d'air dans un liquide. Le volume final est limité par la quantité d'eau présente... et c'est cette analyse qui m'a permis de battre le record du monde du plus gros volume de blanc en neige à partir d'un seul blanc, soit plus de 40 litres, parce que j'ajoutais de l'eau chaque fois que le blanc était bien ferme.
Avec le sel, la quantité d'eau ne change pas. Avec le jus de citron, elle ne change notablement que si l'on ajoute beaucoup de jus de citron. Dans les deux cas, on se moque en réalité un peu de l'état des protéines, car ce n'est pas le facteur limitant.
Mon ami, à cette réponse, change de questionnement, et m'interroge sur la tenue des blancs en neige. Et je lui demande pourquoi, sachant que la tenue est en réalité assez bonne. Il me cite alors la confection de meringues... mais il ignore alors l'expérience qui consiste à diviser un blanc en neige en deux moitiés, à ajouter du sucre dans une seule des moitiés, et à battre autant, à nouveau, les deux moitiés : on voit que les bulles du blanc sucré sont bien plus petites que les bulles de l'autre moitié, non sucrée, et donc la tenue est bien supérieure avec du sucre, sans qu'il soit besoin d'invoquer l'effet du sel, ou du jus de citron, ou du cuivre.
A nouveau, la leçon est : regardons les choses au premier ordre !
Ainsi, à propos de blanc que l'on bat en neige.
Un ami me demande si le sel ou le jus de citron sont utiles "pour le blanc en neige". Pour le blanc en neige : que veut-il dire ? Pour la bonne réalisation d'un blanc en neige ? Pour l'obtention de plus de mousse ? Pour la tenue ? Pour éviter le grainage ?
Renseignement pris, je m'aperçois qu'il n'avait guère d'idée claire, à ce propos, et il me répond "pour le volume". Là, je suis en mesure de lui dire que nos expériences n'ont pas montré de différence de volume, ni avec le sel ni avec le jus de citron... et pour cause : au premier ordre, la question de faire un blanc en neige revient à celle d'accumuler des bulles d'air dans un liquide. Le volume final est limité par la quantité d'eau présente... et c'est cette analyse qui m'a permis de battre le record du monde du plus gros volume de blanc en neige à partir d'un seul blanc, soit plus de 40 litres, parce que j'ajoutais de l'eau chaque fois que le blanc était bien ferme.
Avec le sel, la quantité d'eau ne change pas. Avec le jus de citron, elle ne change notablement que si l'on ajoute beaucoup de jus de citron. Dans les deux cas, on se moque en réalité un peu de l'état des protéines, car ce n'est pas le facteur limitant.
Mon ami, à cette réponse, change de questionnement, et m'interroge sur la tenue des blancs en neige. Et je lui demande pourquoi, sachant que la tenue est en réalité assez bonne. Il me cite alors la confection de meringues... mais il ignore alors l'expérience qui consiste à diviser un blanc en neige en deux moitiés, à ajouter du sucre dans une seule des moitiés, et à battre autant, à nouveau, les deux moitiés : on voit que les bulles du blanc sucré sont bien plus petites que les bulles de l'autre moitié, non sucrée, et donc la tenue est bien supérieure avec du sucre, sans qu'il soit besoin d'invoquer l'effet du sel, ou du jus de citron, ou du cuivre.
A nouveau, la leçon est : regardons les choses au premier ordre !
lundi 3 décembre 2018
Pas trop de fantasme!
Je ne cesse d'entendre des étudiants me parler de science, de recherche, de recherche et développement, alors même qu'ils sont en train de postuler pour des postes dans l'industrie alimentaire. Et j'ai peur que nous ne les ayons pas assez aidés à bien comprendre le monde vers lequel ils se dirigent.
Mais, à l'inverse, je me dis aussi que des adultes qui ont le droit de vote depuis plusieurs années auraient avoir eu le temps de s'interroger, d'explorer, et de ne pas attendre que la becquée leur vienne miraculeusement ; après tout, de tels étudiants ne sont peut être pas à la hauteur de postes de responsabilités tels que ceux d'ingénieurs, car je rappelle qu'un cadre, c'est quelqu'un qui sait se donner du travail, avant de le proposer aux autres !
Bref, je crois utile de prendre l'exemple de quelques sociétés que je connais afin de montrer comment envisager une contribution à la prospérité de ces dernières, et, simultanément, à la sienne propre.
Trois exemples... concrets
Nous partirons de la plus petite que je connaisse bien : une conserverie de sardines. A l'origine, il y a un restaurateur qui faisait ses conserves en achetant les sardines à des marins bretons, puis en mettant en boites, avant de vendre sur les marchés.
Il s'y prenait bien, et ses conserves étaient bonnes, de sorte qu'il a eu la possibilité d'embaucher une, puis deux, puis trois personnes pour l'aider. Développer son entreprise ? Il a acheté des machines pour accélérer sa production, et il a commencé à avoir besoin d'un cadre pour suivre la question technique, d'un vendeur pour écouler la production, tandis qu'il gérait son équipe, mettant la main à la pâte quand il le fallait. Et, le succès venant, il a fallu un service des achats, un service de contrôle de la qualité, un service de production, un service de maintenance, un service de marketing, un service de vente, de l'administration.
D'où la question à mes amis bientôt titulaire d'un master "alimentaire" : quel service proposez-vous de rendre à cette société, et dans lequel de ses services ? En tout cas, observons qu'il n'y a là ni science, ni recherche, ni recherche et développement, en quelque sorte.
Un autre exemple, d'une société un peu différente, qui produit des pâtisseries surgelées. Là, l'investissement initial a été important, et une usine a été immédiatement créée. Il a fallu embaucher des pâtissiers, un ingénieur pour s'occuper des machines et des procédés, du personnel pour les achats, la vente, l'administration. Puis, quand le succès est venu, il a fallu agrandir le service de production, et l'ingénieur formé dans une école du type d'AgroParisTech a embauché de jeunes collègues pour l'aider. Sans cesse, il y avait des discussions entre lui et le propriétaire de l'usine (sorti de la même école d'ingénieurs) pour des nouvelles recettes, et les nécessaires adaptations des équipements aux nouvelles productions.
Pas de science, mais beaucoup de travail technologique que l'on fait mieux si l'on a des bases théoriques pour comprendre ce que l'on fait, ce qui fait la différence avec beaucoup de travaux techniques. Par exemple, quand on pompe de la mousse au chocolat, elle retombe : comment éviter cet écueil pour conserver un système foisonné ? Par exemple, l'ajout de certains ingrédients fait "tourner" les crèmes : comment éviter cette inversion d'émulsion ? Par exemple, des gels ne prennent pas : comment les faire prendre ? Quels ingrédients choisir pour y parvenir plus facilement ? Par exemple, des pâtisseries ont une surface qui "cloque" : comment éviter ces défauts ?
Il faut dire et redire que c'est la compréhension des phénomènes qui est la clé du succès industriel.
Troisième et dernier exemple : celui d'une grosse société qui transforme du lait. Cette fois, il n'y a plus de "recette", à la base de la production, mais des procédés modernes, de filtration moderne, de séchage, de dispersion, et il y a bien une équipe d'ingénieurs qui met au point des nouveaux produits. Mais cette fois, on est bien loin de la cuisine, et nos amis qui sont fascinés par les émissions de télévision à la Master chef ou Top chef n'y trouveront pas leur compte.
Assez de mots creux !
Bref, je propose d'éviter les mots pompeux, pour poser la question : au lieu de chercher une entreprise qui acceptera les fantasmes, ne vaut-il pas mieux chercher une entreprise à laquelle on pourra efficacement contribuer, dans un poste bien précis, qui permettra à ladite entreprise d'augmenter sa production ou ses marges ? Nos sociétés ont besoin d'ingénieurs actifs, intelligents, soucieux d'être concrètement utiles. Des bâtisseurs, et pas des oisillons qui confondent la théorie et la pratique.
Pour les plus théoriciens, il y a lieu de dire, également, que la science, elle, n'est pas expérimentations de techniciens, mais bien au contraire calculs théoriques : équations aux dérivées partielles, algèbre linéaire évolué, statistiques de points, etc. Et là, la lecture de revue de vulgarisation n'est pas au niveau : la recherche scientifique a besoin des meilleurs théoriciens.
Bref, pour l'industrie comme pour la science, des individus actifs peuvent contribuer, à condition de ne pas se tromper de cible !
Mais, à l'inverse, je me dis aussi que des adultes qui ont le droit de vote depuis plusieurs années auraient avoir eu le temps de s'interroger, d'explorer, et de ne pas attendre que la becquée leur vienne miraculeusement ; après tout, de tels étudiants ne sont peut être pas à la hauteur de postes de responsabilités tels que ceux d'ingénieurs, car je rappelle qu'un cadre, c'est quelqu'un qui sait se donner du travail, avant de le proposer aux autres !
Bref, je crois utile de prendre l'exemple de quelques sociétés que je connais afin de montrer comment envisager une contribution à la prospérité de ces dernières, et, simultanément, à la sienne propre.
Trois exemples... concrets
Nous partirons de la plus petite que je connaisse bien : une conserverie de sardines. A l'origine, il y a un restaurateur qui faisait ses conserves en achetant les sardines à des marins bretons, puis en mettant en boites, avant de vendre sur les marchés.
Il s'y prenait bien, et ses conserves étaient bonnes, de sorte qu'il a eu la possibilité d'embaucher une, puis deux, puis trois personnes pour l'aider. Développer son entreprise ? Il a acheté des machines pour accélérer sa production, et il a commencé à avoir besoin d'un cadre pour suivre la question technique, d'un vendeur pour écouler la production, tandis qu'il gérait son équipe, mettant la main à la pâte quand il le fallait. Et, le succès venant, il a fallu un service des achats, un service de contrôle de la qualité, un service de production, un service de maintenance, un service de marketing, un service de vente, de l'administration.
D'où la question à mes amis bientôt titulaire d'un master "alimentaire" : quel service proposez-vous de rendre à cette société, et dans lequel de ses services ? En tout cas, observons qu'il n'y a là ni science, ni recherche, ni recherche et développement, en quelque sorte.
Un autre exemple, d'une société un peu différente, qui produit des pâtisseries surgelées. Là, l'investissement initial a été important, et une usine a été immédiatement créée. Il a fallu embaucher des pâtissiers, un ingénieur pour s'occuper des machines et des procédés, du personnel pour les achats, la vente, l'administration. Puis, quand le succès est venu, il a fallu agrandir le service de production, et l'ingénieur formé dans une école du type d'AgroParisTech a embauché de jeunes collègues pour l'aider. Sans cesse, il y avait des discussions entre lui et le propriétaire de l'usine (sorti de la même école d'ingénieurs) pour des nouvelles recettes, et les nécessaires adaptations des équipements aux nouvelles productions.
Pas de science, mais beaucoup de travail technologique que l'on fait mieux si l'on a des bases théoriques pour comprendre ce que l'on fait, ce qui fait la différence avec beaucoup de travaux techniques. Par exemple, quand on pompe de la mousse au chocolat, elle retombe : comment éviter cet écueil pour conserver un système foisonné ? Par exemple, l'ajout de certains ingrédients fait "tourner" les crèmes : comment éviter cette inversion d'émulsion ? Par exemple, des gels ne prennent pas : comment les faire prendre ? Quels ingrédients choisir pour y parvenir plus facilement ? Par exemple, des pâtisseries ont une surface qui "cloque" : comment éviter ces défauts ?
Il faut dire et redire que c'est la compréhension des phénomènes qui est la clé du succès industriel.
Troisième et dernier exemple : celui d'une grosse société qui transforme du lait. Cette fois, il n'y a plus de "recette", à la base de la production, mais des procédés modernes, de filtration moderne, de séchage, de dispersion, et il y a bien une équipe d'ingénieurs qui met au point des nouveaux produits. Mais cette fois, on est bien loin de la cuisine, et nos amis qui sont fascinés par les émissions de télévision à la Master chef ou Top chef n'y trouveront pas leur compte.
Assez de mots creux !
Bref, je propose d'éviter les mots pompeux, pour poser la question : au lieu de chercher une entreprise qui acceptera les fantasmes, ne vaut-il pas mieux chercher une entreprise à laquelle on pourra efficacement contribuer, dans un poste bien précis, qui permettra à ladite entreprise d'augmenter sa production ou ses marges ? Nos sociétés ont besoin d'ingénieurs actifs, intelligents, soucieux d'être concrètement utiles. Des bâtisseurs, et pas des oisillons qui confondent la théorie et la pratique.
Pour les plus théoriciens, il y a lieu de dire, également, que la science, elle, n'est pas expérimentations de techniciens, mais bien au contraire calculs théoriques : équations aux dérivées partielles, algèbre linéaire évolué, statistiques de points, etc. Et là, la lecture de revue de vulgarisation n'est pas au niveau : la recherche scientifique a besoin des meilleurs théoriciens.
Bref, pour l'industrie comme pour la science, des individus actifs peuvent contribuer, à condition de ne pas se tromper de cible !
dimanche 25 novembre 2018
Le salage de l'eau de cuisson des lentilles
Une question m'est posée, ce soir, et, comme j'en ai pris l'habitude, je donne la réponse à tous.
D'abord la question :
Bonjour Monsieur,
Je vous ai posé récemment une question sur votre blog, en commentaire d’un article publié en décembre 2016 au sujet de la cuisson des lentilles.
Mais je ne vois pas ma question dans les commentaires. Du coup je ne sais pas si elle vous est parvenue et je me permets de vous la poser par e-mail.
Ma question concerne le salage de l’eau de cuisson pour les lentilles. On lit souvent qu’il ne faut pas saler l’eau de cuisson des lentilles, au risque qu’elles restent dures.
Or dans un article de son site https://www.seriouseats.com/2016/09/salt-beans-cooking-soaking-water-good-or-bad.html, Kenji Lopez démontre le contraire, expliquant que les ions sodium se substitueraient aux ions calcium et assoupliraient les pectines, ce qui non seulement permettrait à la peau de se détendre mais aussi éviterait que les lentilles n’éclatent.
Et par ailleurs, le salage de l’eau permet de le saler de l’intérieur, comme pour les pâtes ou les pommes de terre.
Cette explication vous paraît elle correcte, et valide-t-elle la pertinence de saler l’eau de cuisson des lentilles ?
Tout d'abord, je suis bien confus de ne pas avoir répondu... mais je n'ai pas vu ce commentaire. Le mieux, pour m'interroger : icmg@agroparistech.fr.
D'autre part, pour bien comprendre la question de la cuisson des légumes secs -et d'ailleurs des légumes en général-, il faut savoir que les végétaux sont composés de "cellules" (de petits sacs), qui sont cimentés les uns aux autres par des molécules de pectine, qui sont comme de longs fils entourés autours de piliers que sont les molécules de cellulose.
La cellulose ? Pensons à du coton hydrophile, ou à tous ces résidus solides qui restent dans les centrifugeuses, ou extracteurs à jus : ce sont des "fibres", non digestibles.
Les pectines ? Ce sont des molécules comme des fils, qui font prendre les confitures.
Cela étant posé, il faut encore savoir que la cuisson ne modifie pas les molécules de cellulose : et la meilleure preuve, c'est que nos chemises en coton subissent de nombreux cycles de lavage sans de dissoudre ! En revanche, les pectines sont dégradées, et, ne pouvant plus tenir les cellules entre elles, elles laissent le tissu végétal amolli.
Le sodium et le calcium, dans cette affaire ? Le calcium est un "ion" (pensons un atomes qui veut se lier à certains voisins) à deux "bras" : il peut ponter deux molécules de pectines, ce qui, d'une part, renforce le ciment intercellulaire, et, d'autre part, bloque la dégradation des pectines ! Voilà pourquoi il y a certaines eaux calcaires où les lentilles ne cuisent jamais !
Le sel ? Si le sel n'apportait que du sodium, tout irait bien... mais il y a sel et sel : par exemple, le sel gris contient parfois beaucoup de calcium (et même certains sels blancs).
De toute façon, rien ne vaut une pincée de bicarbonate, car ce dernier fait précipiter le calcium, laissant une eau à la fois adoucie et un peu basique : tout pour amollir. Et si le goût final vous déplait (avec une pincée, pas de risque), vous "neutralisez" avec un acide : vinaigre blanc, jus de citron, etc.
Enfin, le salage permet-il de saler l'intérieur des pâtes ou des pommes de terre ? Pour les pommes de terre, nous avions fait un séminaire sur la question, et nous n'avons pas vu de goût. Pour les pâtes, il faut bien y regarder, car l'étude n'est pas faite. Il faudrait cuire dans l'eau salée, puis rincer à l'eau pure, puis goûter... ou, mieux, analyser correctement.
Mais je ne veux pas terminer sans vous inviter à faire une expérience que j'ai faite pour la première fois (en conférence) en 1990 : on part de trois casseroles identiques, avec la même eau, en même quantité, et l'on ajoute : rien dans la première ; du vinaigre blanc dans la deuxième ; du bicarbonate dans la troisième. On met alors la même quantité de lentilles, pois, haricots secs... et l'on porte à ébullition simultanément.
De temps en temps, on goûte les lentilles dans l'eau pure : quand elles sont cuites, on regarde dans les deux autres casseroles. Les lentilles dans l'eau vinaigrées sont dures comme du bois, tandis que, avec le bicarbonate, on a une purée. J'adore ce type d'expérimentations qui parlent mieux qu'un long discours ! Comme disait Michael Faraday : ce n'est pas tout de comprendre les bons principes, il faut expérimenter !
D'abord la question :
Bonjour Monsieur,
Je vous ai posé récemment une question sur votre blog, en commentaire d’un article publié en décembre 2016 au sujet de la cuisson des lentilles.
Mais je ne vois pas ma question dans les commentaires. Du coup je ne sais pas si elle vous est parvenue et je me permets de vous la poser par e-mail.
Ma question concerne le salage de l’eau de cuisson pour les lentilles. On lit souvent qu’il ne faut pas saler l’eau de cuisson des lentilles, au risque qu’elles restent dures.
Or dans un article de son site https://www.seriouseats.com/2016/09/salt-beans-cooking-soaking-water-good-or-bad.html, Kenji Lopez démontre le contraire, expliquant que les ions sodium se substitueraient aux ions calcium et assoupliraient les pectines, ce qui non seulement permettrait à la peau de se détendre mais aussi éviterait que les lentilles n’éclatent.
Et par ailleurs, le salage de l’eau permet de le saler de l’intérieur, comme pour les pâtes ou les pommes de terre.
Cette explication vous paraît elle correcte, et valide-t-elle la pertinence de saler l’eau de cuisson des lentilles ?
Tout d'abord, je suis bien confus de ne pas avoir répondu... mais je n'ai pas vu ce commentaire. Le mieux, pour m'interroger : icmg@agroparistech.fr.
D'autre part, pour bien comprendre la question de la cuisson des légumes secs -et d'ailleurs des légumes en général-, il faut savoir que les végétaux sont composés de "cellules" (de petits sacs), qui sont cimentés les uns aux autres par des molécules de pectine, qui sont comme de longs fils entourés autours de piliers que sont les molécules de cellulose.
La cellulose ? Pensons à du coton hydrophile, ou à tous ces résidus solides qui restent dans les centrifugeuses, ou extracteurs à jus : ce sont des "fibres", non digestibles.
Les pectines ? Ce sont des molécules comme des fils, qui font prendre les confitures.
Cela étant posé, il faut encore savoir que la cuisson ne modifie pas les molécules de cellulose : et la meilleure preuve, c'est que nos chemises en coton subissent de nombreux cycles de lavage sans de dissoudre ! En revanche, les pectines sont dégradées, et, ne pouvant plus tenir les cellules entre elles, elles laissent le tissu végétal amolli.
Le sodium et le calcium, dans cette affaire ? Le calcium est un "ion" (pensons un atomes qui veut se lier à certains voisins) à deux "bras" : il peut ponter deux molécules de pectines, ce qui, d'une part, renforce le ciment intercellulaire, et, d'autre part, bloque la dégradation des pectines ! Voilà pourquoi il y a certaines eaux calcaires où les lentilles ne cuisent jamais !
Le sel ? Si le sel n'apportait que du sodium, tout irait bien... mais il y a sel et sel : par exemple, le sel gris contient parfois beaucoup de calcium (et même certains sels blancs).
De toute façon, rien ne vaut une pincée de bicarbonate, car ce dernier fait précipiter le calcium, laissant une eau à la fois adoucie et un peu basique : tout pour amollir. Et si le goût final vous déplait (avec une pincée, pas de risque), vous "neutralisez" avec un acide : vinaigre blanc, jus de citron, etc.
Enfin, le salage permet-il de saler l'intérieur des pâtes ou des pommes de terre ? Pour les pommes de terre, nous avions fait un séminaire sur la question, et nous n'avons pas vu de goût. Pour les pâtes, il faut bien y regarder, car l'étude n'est pas faite. Il faudrait cuire dans l'eau salée, puis rincer à l'eau pure, puis goûter... ou, mieux, analyser correctement.
Mais je ne veux pas terminer sans vous inviter à faire une expérience que j'ai faite pour la première fois (en conférence) en 1990 : on part de trois casseroles identiques, avec la même eau, en même quantité, et l'on ajoute : rien dans la première ; du vinaigre blanc dans la deuxième ; du bicarbonate dans la troisième. On met alors la même quantité de lentilles, pois, haricots secs... et l'on porte à ébullition simultanément.
De temps en temps, on goûte les lentilles dans l'eau pure : quand elles sont cuites, on regarde dans les deux autres casseroles. Les lentilles dans l'eau vinaigrées sont dures comme du bois, tandis que, avec le bicarbonate, on a une purée. J'adore ce type d'expérimentations qui parlent mieux qu'un long discours ! Comme disait Michael Faraday : ce n'est pas tout de comprendre les bons principes, il faut expérimenter !
samedi 24 novembre 2018
Pourquoi aimer la cuisine ?
Pourquoi aimer la cuisine ? En posant cette question je fais déjà une différence entre "aimer la cuisine" et "aimer cuisiner".
Aimer la cuisine, par exemple, cela peut vouloir dire aimer manger de la cuisine qui est faite, ou bien s'émerveiller des travaux des cuisiniers, par exemple, comme on aime la peinture de certains grands peintres, ou la musique de certains grands musiciens. Et, d'ailleurs, je me demande toujours pourquoi se limiter à cela, sinon peut-être pour comprendre l'origine de la beauté ? Ou partager avec d'autres ce sentiment de stupéfaction que nous avons face au beau ?
En revanche, aimer cuisiner, cela signifie... aimer cuisiner. Et la question est, à nouveau, de savoir pourquoi on peut aimer cuisiner.
Pour répondre à cette question, je crois qu'on a intérêt à bien distinguer les trois composantes de la cuisine, à savoir la technique, l'art, la socialité.
Aimer la technique ? Personnellement, j'ai bien du mal à comprendre pourquoi, car je ne vois pas l'intérêt de bouger la main -une machine peut le faire- pour battre à blancs en neige ; seul l'objectif m'intéresse. Mais, inversement, je sais de mes amis qui aiment faire ces gestes, et je respecte évidemment leurs goûts. Je peux imaginer que cela leur rappelle leur enfance, que le travail culinaire les met dans un état d'esprit qui fait oublier leurs soucis éventuels... Je n'oublie pas, surtout, que les techniciens ont comme objectif principal le soin, et je sais que ce dernier a en réalité partie liée avec la composante sociale, sur laquelle nous reviendrons. D'ailleurs, il faut ajouter que la technique a des rapports évident avec l'art, puisque l'on ne saurait produire d'oeuvre sans une maîtrise parfaite de la technique. Un musicien qui voudrait jouer une pièce mais ne saurait pas bouger correctement les doigts n'arrivera jamais au niveau de l'art. Et c'est ainsi que l'on en vient à se demander si l'une des trois composantes de la cuisine peut exister indépendamment des deux autres.
Pour ce qui concerne la composante artistique, il y a la possibilité d'une communauté intellectuelle, voire spirituelle entre celui ou celle qui produit d'une œuvre et collectivité. Et l'on sait que les sentiments partagés prennent une force qu'ils n'auraient pas s'ils restaient à l'intérieur de nous-même. Et puis il y a la fascination du beau, dont les philosophes discutent depuis des millénaires. Pourquoi le beau ? Qu'est-ce que c'est ? Pourquoi a-t-il cette action sur l'être humain ? Cuisiner, même en amateur, c'est donc une activité artistique, comme peindre, écrire, chanter, jouer de la musique...
Enfin il y a la composante sociale qui, pour certains, est véritablement essentielle. Faire à manger, c'est aussi faire à manger pour autrui et non pas seulement pour soi-même, c'est préparer des moments de partage, de convivialité, de commensalité, et le bonheur d'être réunis vaut certainement la peine que l'on a prise par avance
Finalement, on voit que le projet culinaire est véritablement merveilleux, en ce qu'il conduit a beaucoup de socialité et que, de ce fait, il nous rend véritablement humain.
Avec la cuisine, il y a de l'art, mais surtout de la Culture, dont les ethnologues commencent à comprendre que c'est la caractéristique essentielle de l'être humain.
Non seulement l'aliment est la base de notre survie, mais mieux encore l'aliment cuisiné est le fondement de l'humanité.
Aimer la cuisine, par exemple, cela peut vouloir dire aimer manger de la cuisine qui est faite, ou bien s'émerveiller des travaux des cuisiniers, par exemple, comme on aime la peinture de certains grands peintres, ou la musique de certains grands musiciens. Et, d'ailleurs, je me demande toujours pourquoi se limiter à cela, sinon peut-être pour comprendre l'origine de la beauté ? Ou partager avec d'autres ce sentiment de stupéfaction que nous avons face au beau ?
En revanche, aimer cuisiner, cela signifie... aimer cuisiner. Et la question est, à nouveau, de savoir pourquoi on peut aimer cuisiner.
Pour répondre à cette question, je crois qu'on a intérêt à bien distinguer les trois composantes de la cuisine, à savoir la technique, l'art, la socialité.
Aimer la technique ? Personnellement, j'ai bien du mal à comprendre pourquoi, car je ne vois pas l'intérêt de bouger la main -une machine peut le faire- pour battre à blancs en neige ; seul l'objectif m'intéresse. Mais, inversement, je sais de mes amis qui aiment faire ces gestes, et je respecte évidemment leurs goûts. Je peux imaginer que cela leur rappelle leur enfance, que le travail culinaire les met dans un état d'esprit qui fait oublier leurs soucis éventuels... Je n'oublie pas, surtout, que les techniciens ont comme objectif principal le soin, et je sais que ce dernier a en réalité partie liée avec la composante sociale, sur laquelle nous reviendrons. D'ailleurs, il faut ajouter que la technique a des rapports évident avec l'art, puisque l'on ne saurait produire d'oeuvre sans une maîtrise parfaite de la technique. Un musicien qui voudrait jouer une pièce mais ne saurait pas bouger correctement les doigts n'arrivera jamais au niveau de l'art. Et c'est ainsi que l'on en vient à se demander si l'une des trois composantes de la cuisine peut exister indépendamment des deux autres.
Pour ce qui concerne la composante artistique, il y a la possibilité d'une communauté intellectuelle, voire spirituelle entre celui ou celle qui produit d'une œuvre et collectivité. Et l'on sait que les sentiments partagés prennent une force qu'ils n'auraient pas s'ils restaient à l'intérieur de nous-même. Et puis il y a la fascination du beau, dont les philosophes discutent depuis des millénaires. Pourquoi le beau ? Qu'est-ce que c'est ? Pourquoi a-t-il cette action sur l'être humain ? Cuisiner, même en amateur, c'est donc une activité artistique, comme peindre, écrire, chanter, jouer de la musique...
Enfin il y a la composante sociale qui, pour certains, est véritablement essentielle. Faire à manger, c'est aussi faire à manger pour autrui et non pas seulement pour soi-même, c'est préparer des moments de partage, de convivialité, de commensalité, et le bonheur d'être réunis vaut certainement la peine que l'on a prise par avance
Finalement, on voit que le projet culinaire est véritablement merveilleux, en ce qu'il conduit a beaucoup de socialité et que, de ce fait, il nous rend véritablement humain.
Avec la cuisine, il y a de l'art, mais surtout de la Culture, dont les ethnologues commencent à comprendre que c'est la caractéristique essentielle de l'être humain.
Non seulement l'aliment est la base de notre survie, mais mieux encore l'aliment cuisiné est le fondement de l'humanité.
Sénèque et la cuisine
Ici, je vous donne un extrait des Lettres à Lucillius. La philosophie. Tout n'est pas juste, même si une partie l'est.
En revanche, c'est amusant de voir, alors que les Tops chefs fleurissent, que des critiques se faisaient déjà entendre il y a 2000 ans !
Nos maladies sont innombrables. Tu t'en étonnes? Compte donc les cuisiniers. On a cessé d'étudier : les professeurs d'arts libéraux sont en chaire devant des salles vides. Dans les écoles de rhétorique et de philosophie, c'est le désert : mais quelle foule dans les cuisines, quel rassemblement de jeunes gens autour des fourneaux des fils de famille ! Je passe sur ces troupeaux de malheureux garçons, qui, arrivés au bout du festin, sont réservés à d'autres usages, dans la chambre. Je passe sur les bataillons de prostitués qu'on répartit selon leur nationalité et selon leur couleur : tous doivent avoir le même velouté, la même longueur de duvet au menton, la même nature de cheveux -quelle horreur si une tête à cheveux raides se trouvait au milieu de chevelures frisées Je passe sur la foule des pâtissiers, sur celles des serviteurs qui, au signal donné, courent de tous côtés pour apporter les plats. Dieux bons, quel remue-ménage pour la satisfaction d'un seul ventre !
Eh bien, ces champignons, poison exquis, n'accomplissent-ils pas selon toi un travail souterrain, même si aucune réaction ne se fait sentir sur l'instant ? Allons donc ! Cette neige qu'on avale en plein été, crois-tu qu'elle ne durcisse pas le foie ? Et ces huîtres, cette chair visqueuse gorgée de fange, elles ne te feraient pas absorber un peu de leur vases bien grasse ? Quand à ce garum, précieuse pourriture de mauvais poissons, dont un magasin a le monopole, ne brûle-t-il pas les entrailles de sa saumure putréfiée ? Ces purulences, qui, à peine sorties du feu, passent directement dans la bouche, peuvent-elles sans dommages s'éteindre au sein de notre organisme ? Après cela, quels renvois écoeurants et pestilentiels ! Comme on se dégoûte soi-même quand on sent monter les relents du vin mal digéré ! Tout ce que l'on a absorbé dans ces conditions pourrit dans l'estomac qui ne peut l'assimiler.
Digérons tout cela, en nous souvenant de ce que disait cet aimable Jean-Anthelme Brillat-Savarin : "Quelqu'un qui s'indigère ou qui s'enivre ne sait ni boire ni manger". Sénèque ne parle pas, en réalité, de la cuisine ou de l'art de la table ; il discute les dévoiements honteux, qui relèvent de l'animal plutôt que de l'être humain. Vive l'art culinaire !
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