Ici, je vous donne un extrait des Lettres à Lucillius. La philosophie. Tout n'est pas juste, même si une partie l'est.
En revanche, c'est amusant de voir, alors que les Tops chefs fleurissent, que des critiques se faisaient déjà entendre il y a 2000 ans !
Nos maladies sont innombrables. Tu t'en étonnes? Compte donc les cuisiniers. On a cessé d'étudier : les professeurs d'arts libéraux sont en chaire devant des salles vides. Dans les écoles de rhétorique et de philosophie, c'est le désert : mais quelle foule dans les cuisines, quel rassemblement de jeunes gens autour des fourneaux des fils de famille ! Je passe sur ces troupeaux de malheureux garçons, qui, arrivés au bout du festin, sont réservés à d'autres usages, dans la chambre. Je passe sur les bataillons de prostitués qu'on répartit selon leur nationalité et selon leur couleur : tous doivent avoir le même velouté, la même longueur de duvet au menton, la même nature de cheveux -quelle horreur si une tête à cheveux raides se trouvait au milieu de chevelures frisées Je passe sur la foule des pâtissiers, sur celles des serviteurs qui, au signal donné, courent de tous côtés pour apporter les plats. Dieux bons, quel remue-ménage pour la satisfaction d'un seul ventre !
Eh bien, ces champignons, poison exquis, n'accomplissent-ils pas selon toi un travail souterrain, même si aucune réaction ne se fait sentir sur l'instant ? Allons donc ! Cette neige qu'on avale en plein été, crois-tu qu'elle ne durcisse pas le foie ? Et ces huîtres, cette chair visqueuse gorgée de fange, elles ne te feraient pas absorber un peu de leur vases bien grasse ? Quand à ce garum, précieuse pourriture de mauvais poissons, dont un magasin a le monopole, ne brûle-t-il pas les entrailles de sa saumure putréfiée ? Ces purulences, qui, à peine sorties du feu, passent directement dans la bouche, peuvent-elles sans dommages s'éteindre au sein de notre organisme ? Après cela, quels renvois écoeurants et pestilentiels ! Comme on se dégoûte soi-même quand on sent monter les relents du vin mal digéré ! Tout ce que l'on a absorbé dans ces conditions pourrit dans l'estomac qui ne peut l'assimiler.
Digérons tout cela, en nous souvenant de ce que disait cet aimable Jean-Anthelme Brillat-Savarin : "Quelqu'un qui s'indigère ou qui s'enivre ne sait ni boire ni manger". Sénèque ne parle pas, en réalité, de la cuisine ou de l'art de la table ; il discute les dévoiements honteux, qui relèvent de l'animal plutôt que de l'être humain. Vive l'art culinaire !
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