Ce blog contient: - des réflexions scientifiques - des mécanismes, des phénomènes, à partir de la cuisine - des idées sur les "études" (ce qui est fautivement nommé "enseignement" - des idées "politiques" : pour une vie en collectivité plus rationnelle et plus harmonieuse ; des relents des Lumières ! Pour me joindre par email : herve.this@inrae.fr
dimanche 9 septembre 2018
À propos de science et de technologie
La distinction entre les sciences de la nature et la technologie est subtile, et c'est d'ailleurs un exercice merveilleux que de bien les distinguer.
Ainsi un ami qui a beaucoup d'enthousiasme pour les sciences de la nature me dit être intéressé à l'interaction de la lumière et des tissus vivants. A priori, les mécanismes sont quand même classiques, et la probabilité identifier des phénomènes nouveaux n'est pas considérable... car il y a tous les jours des interactions de la lumière et des tissus vivants, sauf peut-être quand la longueur d'onde est telle qu'elle peut promouvoir des réactions, ou quand l'intensité est telle que du chauffage a lieu. Stratégiquement je ne suis pas certain (mais il faut que j'y pense mieux, en connaissant mieux le champ) que cette partie du monde soit la plus féconde... car c'est quand même la question : il s'agit d'aller dans une direction où l'on ait quelques chances de faire une belle découverte.
Surtout, mon ami voudrait utiliser de la lumière pour agir sur les cellules, ce qui est bien le propre de la technologie. Le champ de base peut être le même que celui de la science, mais la finalité est bien différente, raison pour laquelle certaines institutions scientifques (je dis bien "scientifiques", puisque c'est leur affichage) me semblent avoir tort d'insister auprès de leurs chercheurs pour que ces derniers se préoccupent des applications de leurs travaux : c'est vouloir faire faire aux scientifiques un autre travail que celui qui leur est dévolu.
On comprend bien la motivation : montrer aux citoyens contribuables que l'on fait quelque chose d'"utile"... mais n'est-ce pas suffisamment utile de découvrir l'induction électromagnétique, la relativité, le boson de Higgs? On rappelle utilement la réponse de Michael Faraday à l'homme politique venu visiter son laboratoire après la découverte de l'induction électromagnétique et lui demandant à quoi cet effet servait, et Faraday de lui répondre : "Je ne sais pas, mais je peux vous assurer que, un jour, vous le taxerez".
Bref, la science part d'un champ avec l'espoir que les explorations nous mèreront à tout autre chose, alors que, pour la technologie, on n'a pas l'ambition de s'écarter, mais de bien comprendre en vue de bien utiliser... ou de permettre à d'autres de bien utiliser, selon que l'on est plus ou moins proche des applications.
Et la différence est si subtile - mais si importante pour notre fonctionnement social- que j'invite la plupart des étudiants qui me font l'honneur de venir à mes côtés à s'orienter vers la technologie, l'industrie, qui a des postes à pourvoir, pour des individus de talents qui contribueront à l'amélioration matérielle de notre monde : médicaments, peintures, aliments, détergents...
samedi 8 septembre 2018
Vous avez dit "participatif" ?
Discutant avec un ami qui fait profession de vulgarisation scientifique, je suis en désaccord à propos de "sciences participatives".
Observons : par exemple, des volontaires sont invités à explorer des données astronomiques ; mathématiciens, physiciens sont invités à faire le travail d'exploration dans des données épidémiologiques ; ou encore des volontaires internautes peuvent cliquer quand, dans un film, ils observent un singe ; ou l'on aide des biologistes à compter des cellules... Je vois aussi d'utiliser les compétences des agriculteurs pour sélectionner des semences, mieux utiliser les ressources en eau, faire du levain et envoyer des échantillons à un réseau de laboratoires, signaler la présence de tiques dans certains territoires...
Les avantages ? Tout cela est utile, tout cela fait avancer les connaissances. Les inconvénients ? Un peu de démagogie à faire croire que, ainsi, les agriculteurs, les enfants, les amateurs... sont tout comme les professionnels.
Mais allons y voir de plus près
J'observe tout d'abord que, dans la plupart des exemples que mon ami me donne, il s'agit de recueil de données, ou de pallier l'absence de personnel technique. L'ami me répond qu'il faut réconcilier le public avec la science. Comment ne serais-je pas d'accord avec cet objectif : réconcilier les citoyens (je reformule plus justement) avec les sciences de la nature qu'ils financent est la moindre des choses. Mais la question que je pose est surtout de savoir si la terminologie "science participative" est juste.
Observons tout d'abord que lesdits citoyens, qu'ils soient des enfants, des adultes ou des professionnels, peuvent être heureux de contribuer au travail scientifique. Tout comme le personnel administratif et le personnel technique... Mais, au fait, pourquoi les administrateurs de la science ne sont-ils pas nommés scientifiques ? Et pourquoi fait-on une différence entre des ingénieurs d'étude et des ingénieurs, chargés ou directeurs de recherche ?
Où commence la science ? L'analyse ne vise évidemment pas à exclure quiconque, surtout quand il y a des bonnes volontés pour aider les scientifiques, mais bien de savoir mieux ce qu'est la science, afin de la mieux pratiquer, et de mieux l'enseigner.
Écoutons les mots
Dans l'expression "science participative", il me semble qu'il y a une faute de français. La science est participative... si la science participe. Or la science est une activité, pas une personne. Et hélas, quand les mots ne sont pas justes, les idées sont souvent bien médiocres.
Ce qui est plus grave, c'est la question suivante, relative au mot de "science" : imaginons qu'un ou une scientifique d'une de nos institutions scientifiques fassent le travail de "science participative" que lesdites au public : comment serait-il ou serait-elle évalué(e) par les instances d'évaluation des institutions scientifiques ? On me contredira peut-être, mais j'ai peur qu'un(e) tel(le) collègue se ferait ramasser lourdement !
Pour éclairer la question, je rappelle que l'activité scientifique consiste en :
1. identifier un phénomène (pas le cas dans les "sciences participatives" qui me sont décrites)
2. le caractériser quantitativement : oui, il y a là un travail "technique", et cela aidera les scientifiques si le "public" facilite la collecte de données : si l'on signale les cas de maladies de Lyme, si l'on photographie les amas ouverts dans le ciel nocturne, et ainsi de suite... mais aura-t-on vraiment fait de la science pour autant ?
3. réunir les données quantitatives en lois, c'est-à-dire en équations : là, le fameux "public" se réduit comme peau de chagrin, mais, surtout, il y a cette question que l'on ne fait pas des "ajustements" au hasard, sans idée préconçue !
4. induire des notions, concepts, mécanismes : hors de portée du public, sauf de très rares exceptions, tel l'homme qui explora la synthèse organique sur les argiles, pour explorer l'apparition de la vie.
5. chercher des conséquences testables des théories : là, au 21e siècle, la science a tant progressé qu'il faut des heures d'explication pour qu'un non spécialiste comprenne les notions ou concepts ; bien sûr, on peut imaginer quelqu'un qui ferait l'effort... mais il deviendrait sans doute un bon scientifique, et ce ne serait plus du public participant vaguement à des études
6. tester expérimentalement les prévisions : il faut un équipement moderne, pour y parvenir.
Bien sûr, nous ne devons négliger aucune piste, pour lever un coin du grand voile, et tout le monde est convié au grand banquet des sciences. Dans notre laboratoire, les propositions des étudiants et du personnel technique sont particulièrement appréciées, parce que toutes les idées sont bonnes. Mais quand même, au delà de l'idée généreuse, il est bien rare que l'on puisse résoudre des équations aux dérivées partielles compliquées en claquant des doigts à la terrasse d'un bistrot. Or c'est de cela dont il s'agit, dans les sciences modernes. La science n'est pas un discours que l'on prononce négligemment à la terrasse d'un bistrot, ce n'est pas de la vulgarisation, mais un corpus de calcul, d'équations, et les concepts, notions ou mécanismes que l'on vulgarise ensuite sont fondés sur du calcul. La description de vulgarisation que l'on en fait ensuite peut utiliser des mots, parfois, mais ce n'est que de la vulgarisation.
Un exemple? Prenons l'exemple déjà ancien d'entropie. La vulgarisation dira que c'est une mesure du désordre, et ce n'est pas inexact, mais il y a mille façons de mesurer le désordre, et c'est une mesure particulière. Laquelle ? Là est la question, là est toute la question. Ce qui est passionnant, notamment, dans le travail de Ludwig Boltzmann, c'est que cette mesure s'exprime comme le logarithme du nombre de configurations microscopiques associées à un état macroscopique particulier, à une température donnée, donc. Là encore, avec quelques efforts, on pourra l'expliquer... mais on arrive dans le monde du calcul, plus du discours... alors que j'ai considéré une notion introduite il y a plus d'un siècle ! Alors la science d'aujourd'hui...
J'observe aussi que, dans les exemples "participatifs", il y a beaucoup de "naturalisme", ce qui est un état embryonnaire de la science : la description a été utile, puisqu'il a bien fallu en passé par Linné pour créer un cadre réfutable par la génétique, mais la description est bien peu insuffisante, en termes de mécanismes.
Finis, les collectionneurs de papillon ! La science a considérablement progressé, et le temps où l'on pouvait se contenter de laisser tomber une pierre du mat d'un navire pour faire progresser la mécanique est bien loin.
C'est d'ailleurs une question pour le système d'études scientifiques : nos étudiants doivent faire un long chemin avant de pouvoir prolonger le chemin scientifique. Comment les y aider mieux ? Certainement en leur expliquant bien ce qu'est l'activité scientifique, et ce qu'elle n'est pas !
Observons : par exemple, des volontaires sont invités à explorer des données astronomiques ; mathématiciens, physiciens sont invités à faire le travail d'exploration dans des données épidémiologiques ; ou encore des volontaires internautes peuvent cliquer quand, dans un film, ils observent un singe ; ou l'on aide des biologistes à compter des cellules... Je vois aussi d'utiliser les compétences des agriculteurs pour sélectionner des semences, mieux utiliser les ressources en eau, faire du levain et envoyer des échantillons à un réseau de laboratoires, signaler la présence de tiques dans certains territoires...
Les avantages ? Tout cela est utile, tout cela fait avancer les connaissances. Les inconvénients ? Un peu de démagogie à faire croire que, ainsi, les agriculteurs, les enfants, les amateurs... sont tout comme les professionnels.
Mais allons y voir de plus près
J'observe tout d'abord que, dans la plupart des exemples que mon ami me donne, il s'agit de recueil de données, ou de pallier l'absence de personnel technique. L'ami me répond qu'il faut réconcilier le public avec la science. Comment ne serais-je pas d'accord avec cet objectif : réconcilier les citoyens (je reformule plus justement) avec les sciences de la nature qu'ils financent est la moindre des choses. Mais la question que je pose est surtout de savoir si la terminologie "science participative" est juste.
Observons tout d'abord que lesdits citoyens, qu'ils soient des enfants, des adultes ou des professionnels, peuvent être heureux de contribuer au travail scientifique. Tout comme le personnel administratif et le personnel technique... Mais, au fait, pourquoi les administrateurs de la science ne sont-ils pas nommés scientifiques ? Et pourquoi fait-on une différence entre des ingénieurs d'étude et des ingénieurs, chargés ou directeurs de recherche ?
Où commence la science ? L'analyse ne vise évidemment pas à exclure quiconque, surtout quand il y a des bonnes volontés pour aider les scientifiques, mais bien de savoir mieux ce qu'est la science, afin de la mieux pratiquer, et de mieux l'enseigner.
Écoutons les mots
Dans l'expression "science participative", il me semble qu'il y a une faute de français. La science est participative... si la science participe. Or la science est une activité, pas une personne. Et hélas, quand les mots ne sont pas justes, les idées sont souvent bien médiocres.
Ce qui est plus grave, c'est la question suivante, relative au mot de "science" : imaginons qu'un ou une scientifique d'une de nos institutions scientifiques fassent le travail de "science participative" que lesdites au public : comment serait-il ou serait-elle évalué(e) par les instances d'évaluation des institutions scientifiques ? On me contredira peut-être, mais j'ai peur qu'un(e) tel(le) collègue se ferait ramasser lourdement !
Pour éclairer la question, je rappelle que l'activité scientifique consiste en :
1. identifier un phénomène (pas le cas dans les "sciences participatives" qui me sont décrites)
2. le caractériser quantitativement : oui, il y a là un travail "technique", et cela aidera les scientifiques si le "public" facilite la collecte de données : si l'on signale les cas de maladies de Lyme, si l'on photographie les amas ouverts dans le ciel nocturne, et ainsi de suite... mais aura-t-on vraiment fait de la science pour autant ?
3. réunir les données quantitatives en lois, c'est-à-dire en équations : là, le fameux "public" se réduit comme peau de chagrin, mais, surtout, il y a cette question que l'on ne fait pas des "ajustements" au hasard, sans idée préconçue !
4. induire des notions, concepts, mécanismes : hors de portée du public, sauf de très rares exceptions, tel l'homme qui explora la synthèse organique sur les argiles, pour explorer l'apparition de la vie.
5. chercher des conséquences testables des théories : là, au 21e siècle, la science a tant progressé qu'il faut des heures d'explication pour qu'un non spécialiste comprenne les notions ou concepts ; bien sûr, on peut imaginer quelqu'un qui ferait l'effort... mais il deviendrait sans doute un bon scientifique, et ce ne serait plus du public participant vaguement à des études
6. tester expérimentalement les prévisions : il faut un équipement moderne, pour y parvenir.
Bien sûr, nous ne devons négliger aucune piste, pour lever un coin du grand voile, et tout le monde est convié au grand banquet des sciences. Dans notre laboratoire, les propositions des étudiants et du personnel technique sont particulièrement appréciées, parce que toutes les idées sont bonnes. Mais quand même, au delà de l'idée généreuse, il est bien rare que l'on puisse résoudre des équations aux dérivées partielles compliquées en claquant des doigts à la terrasse d'un bistrot. Or c'est de cela dont il s'agit, dans les sciences modernes. La science n'est pas un discours que l'on prononce négligemment à la terrasse d'un bistrot, ce n'est pas de la vulgarisation, mais un corpus de calcul, d'équations, et les concepts, notions ou mécanismes que l'on vulgarise ensuite sont fondés sur du calcul. La description de vulgarisation que l'on en fait ensuite peut utiliser des mots, parfois, mais ce n'est que de la vulgarisation.
Un exemple? Prenons l'exemple déjà ancien d'entropie. La vulgarisation dira que c'est une mesure du désordre, et ce n'est pas inexact, mais il y a mille façons de mesurer le désordre, et c'est une mesure particulière. Laquelle ? Là est la question, là est toute la question. Ce qui est passionnant, notamment, dans le travail de Ludwig Boltzmann, c'est que cette mesure s'exprime comme le logarithme du nombre de configurations microscopiques associées à un état macroscopique particulier, à une température donnée, donc. Là encore, avec quelques efforts, on pourra l'expliquer... mais on arrive dans le monde du calcul, plus du discours... alors que j'ai considéré une notion introduite il y a plus d'un siècle ! Alors la science d'aujourd'hui...
J'observe aussi que, dans les exemples "participatifs", il y a beaucoup de "naturalisme", ce qui est un état embryonnaire de la science : la description a été utile, puisqu'il a bien fallu en passé par Linné pour créer un cadre réfutable par la génétique, mais la description est bien peu insuffisante, en termes de mécanismes.
Finis, les collectionneurs de papillon ! La science a considérablement progressé, et le temps où l'on pouvait se contenter de laisser tomber une pierre du mat d'un navire pour faire progresser la mécanique est bien loin.
C'est d'ailleurs une question pour le système d'études scientifiques : nos étudiants doivent faire un long chemin avant de pouvoir prolonger le chemin scientifique. Comment les y aider mieux ? Certainement en leur expliquant bien ce qu'est l'activité scientifique, et ce qu'elle n'est pas !
jeudi 6 septembre 2018
Pourquoi être précis ??????
Un collègue me demande notamment pourquoi j'accorde tant d'importance aux mots.
Oui, pourquoi est-ce que je maintiens (avec beaucoup d'intellectuels du passé) que les mots doivent être justes, dans leur dénotation comme dans leur connotation d'ailleurs ?
Un exemple : il est vrai que je fais une différence essentielle entre les mots "enseignant", "tuteur", "professeur", "maître"...
Ce n'est qu'un exemple, mais j'explique, pour commencer, sur cet exemple : en l'occurrence, je récuse le mot "enseignant" pour la double raison que c'est un participe présent jargonnant et qu'il est bien impossible d'enseigner (on peut seulement apprendre, quand on est étudiant) ; le tuteur, lui, est quelqu'un qui exerce une activité de tutorat, de guide, avec des objectifs bien différents de celui qui voudrait "enseigner" ; le maître à une activité que je n'ai pas encore analysée et que je ne peux pas donc décrire... mais comment oublier ce "Ni dieu ni maître" ; et le professeur doit étymologiquement "parler devant", et j'ai analysé qu'il s'agissait de transmettre beaucoup d'envie de connaître et d'apprendre, beaucoup d'enthousiasme, pour que les études se fasse le plus activement possible.
Dans le même ordre d'idée, je distingue le pédagogique, l'éducatif, l'instructif, le didactique, par exemple. Le pédagogique, par définition, s'adresse à des enfants ; l'éducatif et l'instructif n'ont pas la même signification puisque l'un se rapporte à l'éducation, en gros à l'apprentissage des règles de bienséance, et l'autre à l'instruction, c'est-à-dire aux matières qui relèvent du collège, de l'école, du lycée ou de l'université. Mais on trouvera dans un autre billet les analyses plus approfondie de cette question, précisément avec des considérations étymologiques et historiques. Enfin le didactique s'applique à ce qui m'intéresse en réalité, c'est-à-dire les études.
Mais je reviens maintenant à ma discussion initiale, en observant que je cherche à employer effectivement les mots avec une signification bien particulière qui ne dépend pas de moi mais d'un fonds commun de la langue donné par le dictionnaire. Je veux des acceptions justes, fondées, répertoriées, partagées...
Et je m'interroge quand même sur la remarque de mon collègue, car si l'on se met idiosyncratiquement à nommer "chat" un animal à quatre pattes et à poils qui fait wouah, wouah, alors on risque d'être mal compris de ses semblables, non ? Or mon collègue se demandait aussi pourquoi je ne faisais pas référence à d'autres collègues ayant étudié la didactique : ma réponse tiens dans cette observation que beaucoup d'entre eux ont leur propre terminologie, leurs propres acceptions idiosyncratiques, fondées sur des "systèmes" que je n'apprécie pas toujours ; ils ont leurs propres définitions... mais je refuse absolument d'être ballotté par des intellectuels parfois un peu faibles, qui voudraient faire passer des terminologies qui fonderaient leur "compétence".
Et puis, je n'oublie pas le grand Lavoisier, qui observa avec Condillac que la langue est un outil analytique, et que les mots vont de pair avec la pensée. C'est une hypothèse que j'ai partiellement réfutée, mais qui reste juste en première approximation : il nous faut les bons mots pour bien penser.
Tout cela fait un billet, mais il y a en réalité une réponse beaucoup plus rapide : je ne me résous pas à utiliser d'autres mots que les mots justes... parce que si je me mets à dire n'importe quoi, alors je dis... n'importe quoi !
Pour être juste et précis, ou, au moins pour avoir l'espoir de l'être un peu, je dois trouver les bons mots. Ce qui me fait immédiatement penser à cette citation du poète : "L'écrivain est quelqu'un qui ne trouve pas ses mots, alors il cherche, et il trouve mieux". Oui, ce n'est pas en pissant des phrases, sans contrôle, sans réflexion suffisante, que l'on aura une chance de penser un peu bien. De même que dans un calcul, la moindre lettre compte (on fait des catastrophes si on confond avec x avec un y), je ne vois pas pourquoi, quand on parle, une précision au moins égale ne serait pas de mise.
Bref, utilisons de bons mots !
PS. Un ami alsacien me signale :
"Concernant la langue, on oublie que bien des Alsaciens qui ont suivi une scolarité allemande durant la deuxième guerre dans des établissements comme le lycée ou l'université, ont par la suite pour leurs discours notamment (un exemple d'un parent très proche) toujours pensé en premier en allemand puis rédigé en français.
Sans passer par une première rédaction en allemand, leur réflexion sur le contenu et les formulations se faisaient en allemand dans leur tête, et enfin la rédaction en français."
Oui, pourquoi est-ce que je maintiens (avec beaucoup d'intellectuels du passé) que les mots doivent être justes, dans leur dénotation comme dans leur connotation d'ailleurs ?
Un exemple : il est vrai que je fais une différence essentielle entre les mots "enseignant", "tuteur", "professeur", "maître"...
Ce n'est qu'un exemple, mais j'explique, pour commencer, sur cet exemple : en l'occurrence, je récuse le mot "enseignant" pour la double raison que c'est un participe présent jargonnant et qu'il est bien impossible d'enseigner (on peut seulement apprendre, quand on est étudiant) ; le tuteur, lui, est quelqu'un qui exerce une activité de tutorat, de guide, avec des objectifs bien différents de celui qui voudrait "enseigner" ; le maître à une activité que je n'ai pas encore analysée et que je ne peux pas donc décrire... mais comment oublier ce "Ni dieu ni maître" ; et le professeur doit étymologiquement "parler devant", et j'ai analysé qu'il s'agissait de transmettre beaucoup d'envie de connaître et d'apprendre, beaucoup d'enthousiasme, pour que les études se fasse le plus activement possible.
Dans le même ordre d'idée, je distingue le pédagogique, l'éducatif, l'instructif, le didactique, par exemple. Le pédagogique, par définition, s'adresse à des enfants ; l'éducatif et l'instructif n'ont pas la même signification puisque l'un se rapporte à l'éducation, en gros à l'apprentissage des règles de bienséance, et l'autre à l'instruction, c'est-à-dire aux matières qui relèvent du collège, de l'école, du lycée ou de l'université. Mais on trouvera dans un autre billet les analyses plus approfondie de cette question, précisément avec des considérations étymologiques et historiques. Enfin le didactique s'applique à ce qui m'intéresse en réalité, c'est-à-dire les études.
Mais je reviens maintenant à ma discussion initiale, en observant que je cherche à employer effectivement les mots avec une signification bien particulière qui ne dépend pas de moi mais d'un fonds commun de la langue donné par le dictionnaire. Je veux des acceptions justes, fondées, répertoriées, partagées...
Et je m'interroge quand même sur la remarque de mon collègue, car si l'on se met idiosyncratiquement à nommer "chat" un animal à quatre pattes et à poils qui fait wouah, wouah, alors on risque d'être mal compris de ses semblables, non ? Or mon collègue se demandait aussi pourquoi je ne faisais pas référence à d'autres collègues ayant étudié la didactique : ma réponse tiens dans cette observation que beaucoup d'entre eux ont leur propre terminologie, leurs propres acceptions idiosyncratiques, fondées sur des "systèmes" que je n'apprécie pas toujours ; ils ont leurs propres définitions... mais je refuse absolument d'être ballotté par des intellectuels parfois un peu faibles, qui voudraient faire passer des terminologies qui fonderaient leur "compétence".
Et puis, je n'oublie pas le grand Lavoisier, qui observa avec Condillac que la langue est un outil analytique, et que les mots vont de pair avec la pensée. C'est une hypothèse que j'ai partiellement réfutée, mais qui reste juste en première approximation : il nous faut les bons mots pour bien penser.
Tout cela fait un billet, mais il y a en réalité une réponse beaucoup plus rapide : je ne me résous pas à utiliser d'autres mots que les mots justes... parce que si je me mets à dire n'importe quoi, alors je dis... n'importe quoi !
Pour être juste et précis, ou, au moins pour avoir l'espoir de l'être un peu, je dois trouver les bons mots. Ce qui me fait immédiatement penser à cette citation du poète : "L'écrivain est quelqu'un qui ne trouve pas ses mots, alors il cherche, et il trouve mieux". Oui, ce n'est pas en pissant des phrases, sans contrôle, sans réflexion suffisante, que l'on aura une chance de penser un peu bien. De même que dans un calcul, la moindre lettre compte (on fait des catastrophes si on confond avec x avec un y), je ne vois pas pourquoi, quand on parle, une précision au moins égale ne serait pas de mise.
Bref, utilisons de bons mots !
PS. Un ami alsacien me signale :
"Concernant la langue, on oublie que bien des Alsaciens qui ont suivi une scolarité allemande durant la deuxième guerre dans des établissements comme le lycée ou l'université, ont par la suite pour leurs discours notamment (un exemple d'un parent très proche) toujours pensé en premier en allemand puis rédigé en français.
Sans passer par une première rédaction en allemand, leur réflexion sur le contenu et les formulations se faisaient en allemand dans leur tête, et enfin la rédaction en français."
mercredi 5 septembre 2018
Ce que dit ce blog
Ceux qui consulte parfois ce blog se sentent peut-être "bousculés" par son hétérogénéité apparente, mais cela n'est qu'apparent, et ceux qui sont plus réguliers ont compris, je suppose, qu'il y a environ quatre grands courants.
1. Il y a tout d'abord des billets de cuisine, où j'analyse des techniques culinaires, où je réponds à des questions techniques, où, parfois, je présente des réflexions esthétiques, sachant que, de ce dernier point de vue, je me suis quand même beaucoup exprimé dans mon livre La cuisine, c'est de l'amour, de la technique.
2. Il y a aussi une série de réflexions scientifiques. Non pas des informations, comme le ferait une revue de vulgarisation, mais surtout des notions, des concepts, et plus encore des méthodes.
C'est ainsi que j'ai produit une longue salve de billet consacré aux bonnes pratiques en recherche scientifique, mais il y a aussi des réflexions épistémologique fréquentes, et, surtout, des réflexions de stratégie scientifique, ce grand champ oublié des "enseignements", disons des études scientifiques.
3. Troisième grand groupe : les réflexions didactiques, et on voit ici pourquoi j'ai utilisé des guillemets autour de ce mot "enseignement" que je déteste : dans les temps récents, j'ai largement évoqué le fait que les professeurs ne peuvent pas enseigner, mais seulement "professer" ; et puis, les professeurs ne sont rien, car ce sont les étudiants qui comptent, et ceux-là doivent étudier, apprendre... Les professeurs ne peuvent que donner de l'enthousiasme, de l'énergie pour que les étudiants obtiennent efficacement des connaissances, des compétences et des savoirs être. C'est là une synthèse de beaucoup de billets des dernières
4. Enfin, il y a des billets que je qualifie de politiques, même si la terminologie est un peu inappropriée. En réalité, il s'agit de réflexions différentes des trois précédentes, et je laisse mes amis les caractériser mieux en allant consulter les billets successifs.
Y a-t-il un ordre dans l'émission de ces billets ? Non, j'essaie seulement, au gré des circonstances, de l'actualité, et, surtout, de mes avancées personnelles, de proposer des réflexions à mes amis. Tout doit être très positif, très enthousiaste, et je n'ai d'ailleurs pas beaucoup d'efforts à faire pour y parvenir tant il est vrai que l'enthousiasme et l'optimisme peuvent être communicatifs, et que, en tout cas, c'est mon espoir qu'ils le soient.
1. Il y a tout d'abord des billets de cuisine, où j'analyse des techniques culinaires, où je réponds à des questions techniques, où, parfois, je présente des réflexions esthétiques, sachant que, de ce dernier point de vue, je me suis quand même beaucoup exprimé dans mon livre La cuisine, c'est de l'amour, de la technique.
2. Il y a aussi une série de réflexions scientifiques. Non pas des informations, comme le ferait une revue de vulgarisation, mais surtout des notions, des concepts, et plus encore des méthodes.
C'est ainsi que j'ai produit une longue salve de billet consacré aux bonnes pratiques en recherche scientifique, mais il y a aussi des réflexions épistémologique fréquentes, et, surtout, des réflexions de stratégie scientifique, ce grand champ oublié des "enseignements", disons des études scientifiques.
3. Troisième grand groupe : les réflexions didactiques, et on voit ici pourquoi j'ai utilisé des guillemets autour de ce mot "enseignement" que je déteste : dans les temps récents, j'ai largement évoqué le fait que les professeurs ne peuvent pas enseigner, mais seulement "professer" ; et puis, les professeurs ne sont rien, car ce sont les étudiants qui comptent, et ceux-là doivent étudier, apprendre... Les professeurs ne peuvent que donner de l'enthousiasme, de l'énergie pour que les étudiants obtiennent efficacement des connaissances, des compétences et des savoirs être. C'est là une synthèse de beaucoup de billets des dernières
4. Enfin, il y a des billets que je qualifie de politiques, même si la terminologie est un peu inappropriée. En réalité, il s'agit de réflexions différentes des trois précédentes, et je laisse mes amis les caractériser mieux en allant consulter les billets successifs.
Y a-t-il un ordre dans l'émission de ces billets ? Non, j'essaie seulement, au gré des circonstances, de l'actualité, et, surtout, de mes avancées personnelles, de proposer des réflexions à mes amis. Tout doit être très positif, très enthousiaste, et je n'ai d'ailleurs pas beaucoup d'efforts à faire pour y parvenir tant il est vrai que l'enthousiasme et l'optimisme peuvent être communicatifs, et que, en tout cas, c'est mon espoir qu'ils le soient.
lundi 3 septembre 2018
L'écriture d'articles scientifiques
Je sais bien que certains professeurs d'anglais, dans les grandes écoles ou dans les universités, proposent que nous écrivions les articles directement en anglais, quand ils doivent être produits dans cette langue. Et, en conséquence, je rencontre des étudiants qui s'efforcent de faire ainsi, comme moi naguère.
Mais ils ont bien du mal, tout comme j'avais bien du mal, et c'est un témoignage que je donne ainsi : j'ai pris, il y a déjà un certain temps, de ne certainement pas faire les rédactions en anglais, mais bien en français, avec une traduction en fin de travail. Pourquoi ?
Parce que l'expérience m'a montré que penser en anglais, pour la structure des articles, pour le choix de l'argumentation, jusqu'au détail des diverses sections, est une gêne : désolé, chers collègues qui enseignez l'anglais, mais moi qui parle couramment, qui fait toutes mes conférences, mes correspondances en anglais, sans difficulté, sans chercher mes mots, parfois même trop vite (au point que la grammaire peut en souffrir), j'ai du mal à penser aussi bien en anglais qu'en français.
Or ce qui m'importe, d'abord, c'est que le contenu soit bon. La langue viendra après.
Et c'est ainsi que je rédige mes textes scientifiques en français, avant de les traduire !
PS. Un ami alsacien me signale :
"Concernant la langue, on oublie que bien des Alsaciens qui ont suivi une scolarité allemande durant la deuxième guerre dans des établissements comme le lycée ou l'université, ont par la suite pour leurs discours notamment (un exemple d'un parent très proche) toujours pensé en premier en allemand puis rédigé en français.
Sans passer par une première rédaction en allemand, leur réflexion sur le contenu et les formulations se faisaient en allemand dans leur tête, et enfin la rédaction en français."
dimanche 2 septembre 2018
Je vous présente l'acide tartrique
L'acide tartrique ? On connaît Louis Pasteur pour sa découverte des micro-organismes et la mise au point des premiers vaccins, mais on ne sait pas assez qu'il se rendit d'abord célèbre par une superbe découverte de chimie, à propos d'un composé nommé "acide tartrique". Pasteur était chimiste, et c'est la saine application de la méthode scientifique qui lui permit tout aussi bien de faire cette découverte initiale de chimie que les découvertes ultérieures de microbiologie.
Quand Pasteur commença ses travaux de chimie, on savait qu'il y avait des composés qui agissaient sur la lumière. Tout avait commencé avec Rasmus Bartholin (1625-1698), qui publia en 1669 ses observations des propriétés optiques du spath d'Islande : un rayon réfracté par un tel cristal produisait deux rayons : c'est la découverte de la biréfringence. Puis Étienne-Louis Malus (1775-1812) observa en 1809 que la lumière du soleil couchant observée après réflexion, puis à travers un cristal biréfringent, changeait d'intensité avec la rotation du cristal. Et c'est ainsi que Jean-Baptiste Biot en vint à mettre au point un appareil pour mesurer de combien des solutions (par exemple, du glucose en solution dans l'eau) agissent sur la lumière. On savait que certains composés faisaient tourner la « polarisation » de lumière dans le sens des aiguilles d'une montre, ou dans le sens inverse (vers la gauche, ou vers la droite).
Or il était apparu que les solutions de tartrate préparées au laboratoire différaient de celles que l'on obtenait en dissolvant de ces cristaux que l'on trouve au fond des tonneaux de vin... alors que, chimiquement, ces composés semblaient être les mêmes !
Pasteur observa ces cristaux au microscope, et découvrit qu'il y avait des cristaux de deux sortes, un peu comme des mains gauches et des mains droites : les cristaux étaient identiques… mais pas superposables ! Et il observa, de surcroît, que le mélange de chaque sorte faisait tourner la polarisation de la lumière différemment, mais que le mélange des deux cristaux en quantités égales rendait la solution du mélange inactive sur la lumière. Et c'est ainsi qu'il fut conduit à imaginer que ces deux types de cristaux étaient dus à organisation d' « atomes » (en réalité, des molécules; souvenons-nous que nous sommes bien avant les idées claires sur ce que nous nommons aujourd'hui atomes ou molécules).
Il y a des témoignages de ce que Biot, mandaté par l'Académie des sciences pour vérifier la découverte de Pasteur, reproduisit avec ce dernier ses expériences...et se mit à pleurer de joie de voir ses théories si bien établies et prolongées : « Mon cher enfant, j’ai tant aimé les sciences dans ma vie que cela me fait battre le cœur. » Et la publication de ce résultat dans les Comptes-rendus de l'Académie des sciences fut un grand événement scientifique de l'époque.
Mais nous sommes allés vite en besogne, car, en réalité, dans les tonneaux de vin, c'est moins de l'acide tartrique que des sels de ce dernier, que l'on trouve. Dans une solution d'un tartrate, il y a l'ion tartrate, qui est de l'acide tartrique auquel il manque un atome d'hydrogène, et des ions minéraux, tel le sodium ou l'ammonium.
C'est un détail, et une chimie extrêmement simple permet d'obtenir l'acide tartrique à partir du tartrate : en 1769, le chimiste suédois Carl Wilhelm Scheele fit bouillir du tartre (bitartrate de potassium) avec de la craie et décomposa le produit en présence d’acide sulfurique.
L'acide tartrique, gauche ou droit, est acide, mais cela n'est pas une évidence, car on connaît d'autres composés, qui, selon qu'ils sont gauche ou droit, engendrent d'autres perceptions. Par exemple, la carvone donne une odeur de menthe ou de carvi, selon qu'elle est gauche ou droit. Et le pire cas est celui de la thalidomide, qui a engendré des malformations du système génital chez les descendantes de femmes qui ont pris ce médicament, quand il n'était pas de la bonne configuration.
Mais revenons encore à l'acide tartrique. En cuisine, on peut s'en procurer sous la forme d'une poudre blanche, cristallisée, comme du sucre, mais dont on verra facilement la saveur, si l'on en goûte : c'est une saveur acide, mais ce n'est pas la saveur de l'acide acétique du vinaigre, ni la saveur de l'acide citrique du citron, ni celle de l'acide lactique des yaourts.
C'est une saveur particulière, que je trouve très élégante, et c'est pourquoi j'ai proposé de l'acide tartrique en cuisine : sur la table, un poivrier, une salière et une tartrière. Puisque tous n'ont pas le même goût pour le sucre, le sel, ou l'acidité, pourquoi ne pas donner à chacun la possibilité d'amender le plat qui est servi ? Bien sûr, on ne ferait pas cela pour les plats de mon ami Pierre Gagnaire, puisqu'il a bien répondu que, pour lui, le sel n'est pas un curseur mais un instrument de l'orchestre, et le fait est qu'on ne demande pas à Debussy d'enlever ou d'ajouter des violons dans ses œuvres, mais au quotidien, je ne vois guère d'inconvénient à ce que nous puissions avoir les aliments à notre goût, surtout quand, dans les familles, les goûts diffèrent et qu'il est de toute importance d'éviter les casus belli.
Utilisons l'acide tartrique !
Quand Pasteur commença ses travaux de chimie, on savait qu'il y avait des composés qui agissaient sur la lumière. Tout avait commencé avec Rasmus Bartholin (1625-1698), qui publia en 1669 ses observations des propriétés optiques du spath d'Islande : un rayon réfracté par un tel cristal produisait deux rayons : c'est la découverte de la biréfringence. Puis Étienne-Louis Malus (1775-1812) observa en 1809 que la lumière du soleil couchant observée après réflexion, puis à travers un cristal biréfringent, changeait d'intensité avec la rotation du cristal. Et c'est ainsi que Jean-Baptiste Biot en vint à mettre au point un appareil pour mesurer de combien des solutions (par exemple, du glucose en solution dans l'eau) agissent sur la lumière. On savait que certains composés faisaient tourner la « polarisation » de lumière dans le sens des aiguilles d'une montre, ou dans le sens inverse (vers la gauche, ou vers la droite).
Or il était apparu que les solutions de tartrate préparées au laboratoire différaient de celles que l'on obtenait en dissolvant de ces cristaux que l'on trouve au fond des tonneaux de vin... alors que, chimiquement, ces composés semblaient être les mêmes !
Pasteur observa ces cristaux au microscope, et découvrit qu'il y avait des cristaux de deux sortes, un peu comme des mains gauches et des mains droites : les cristaux étaient identiques… mais pas superposables ! Et il observa, de surcroît, que le mélange de chaque sorte faisait tourner la polarisation de la lumière différemment, mais que le mélange des deux cristaux en quantités égales rendait la solution du mélange inactive sur la lumière. Et c'est ainsi qu'il fut conduit à imaginer que ces deux types de cristaux étaient dus à organisation d' « atomes » (en réalité, des molécules; souvenons-nous que nous sommes bien avant les idées claires sur ce que nous nommons aujourd'hui atomes ou molécules).
Il y a des témoignages de ce que Biot, mandaté par l'Académie des sciences pour vérifier la découverte de Pasteur, reproduisit avec ce dernier ses expériences...et se mit à pleurer de joie de voir ses théories si bien établies et prolongées : « Mon cher enfant, j’ai tant aimé les sciences dans ma vie que cela me fait battre le cœur. » Et la publication de ce résultat dans les Comptes-rendus de l'Académie des sciences fut un grand événement scientifique de l'époque.
Mais nous sommes allés vite en besogne, car, en réalité, dans les tonneaux de vin, c'est moins de l'acide tartrique que des sels de ce dernier, que l'on trouve. Dans une solution d'un tartrate, il y a l'ion tartrate, qui est de l'acide tartrique auquel il manque un atome d'hydrogène, et des ions minéraux, tel le sodium ou l'ammonium.
C'est un détail, et une chimie extrêmement simple permet d'obtenir l'acide tartrique à partir du tartrate : en 1769, le chimiste suédois Carl Wilhelm Scheele fit bouillir du tartre (bitartrate de potassium) avec de la craie et décomposa le produit en présence d’acide sulfurique.
L'acide tartrique, gauche ou droit, est acide, mais cela n'est pas une évidence, car on connaît d'autres composés, qui, selon qu'ils sont gauche ou droit, engendrent d'autres perceptions. Par exemple, la carvone donne une odeur de menthe ou de carvi, selon qu'elle est gauche ou droit. Et le pire cas est celui de la thalidomide, qui a engendré des malformations du système génital chez les descendantes de femmes qui ont pris ce médicament, quand il n'était pas de la bonne configuration.
Mais revenons encore à l'acide tartrique. En cuisine, on peut s'en procurer sous la forme d'une poudre blanche, cristallisée, comme du sucre, mais dont on verra facilement la saveur, si l'on en goûte : c'est une saveur acide, mais ce n'est pas la saveur de l'acide acétique du vinaigre, ni la saveur de l'acide citrique du citron, ni celle de l'acide lactique des yaourts.
C'est une saveur particulière, que je trouve très élégante, et c'est pourquoi j'ai proposé de l'acide tartrique en cuisine : sur la table, un poivrier, une salière et une tartrière. Puisque tous n'ont pas le même goût pour le sucre, le sel, ou l'acidité, pourquoi ne pas donner à chacun la possibilité d'amender le plat qui est servi ? Bien sûr, on ne ferait pas cela pour les plats de mon ami Pierre Gagnaire, puisqu'il a bien répondu que, pour lui, le sel n'est pas un curseur mais un instrument de l'orchestre, et le fait est qu'on ne demande pas à Debussy d'enlever ou d'ajouter des violons dans ses œuvres, mais au quotidien, je ne vois guère d'inconvénient à ce que nous puissions avoir les aliments à notre goût, surtout quand, dans les familles, les goûts diffèrent et qu'il est de toute importance d'éviter les casus belli.
Utilisons l'acide tartrique !
samedi 1 septembre 2018
De l'eau dans le beurre
Je raconte là des choses très anciennes, puisqu'elles figurent même dans les Ateliers expérimentaux du goût, introduits dans l'Education nationale par le Ministre d'alors, en 2001. Et les expériences correspondantes datent sans doute des années 1992-1993. On trouvera des répercussions de tout cela dans des travaux proposés à Pierre Gagnaire, qu'il s'agisse de pâte feuilletée ou de ce que j'ai introduit sous le nom de beurre chantilly
Mais répétons-nous pour que tous aient facilement les informations. La question, c'est celle de l'eau et du beurre. Mais présentons les protagonistes.
Le beurre
Le beurre, c'est du beurre, et l'on comprend mieux sa constitution quand on part du lait. Le lait, c'est de l'eau avec, dedans, des composés variés dissous, et des gouttes de matière grasse dispersées. C'est donc une "émulsion".
Comme la matière grasse est moins dense que l'eau et, a fortiori, que l'eau où sont dissous des composés (on parle de "solution aqueuse"), les gouttelettes de matière grasse montent s'accumuler en surface quand le lait repose. Et c'est ainsi que la crème est une émulsion, comme le lait, mais plus concentrée en gouttelettes de matière grasse.
Si l'on bat la crème, alors les gouttelettes de matière grasse fusionnent, formant un réseau de graisse dans lequel l'eau et ses composés dissous reste un peu dispersée : c'est le beurre, dont la formation s'accompagne de la libération d'une partie de l'eau, et cette partie aqueuse qui n'est pas dans le beurre est le babeurre.
Une précision pour terminer : selon la loi, qui veut éviter que des fabricants ne vendent pour du beurre qu'une matière contenant trop peu de matière grasse, le beurre ne peut pas contenir plus de 18 pour cent d'eau (environ un cinquième, donc)... mais je dis cela pour vous laisser pressentir la suite.
L'"eau"
Bien sûr, l'eau, c'est l'eau : une matière dont toutes les molécules sont identiques, dont toutes les molécules sont faites d'un atome d'oxygène et de deux atomes d'hydrogène. L'eau est liquide, parce que les molécules bougent en tous sens, comme des billes agitées, et l'on comprend que si l'on incline le récipient, les billes qui bougent puissent passer par dessus le bord. Enfin l'eau à la température ambiante est inodore, insipide, incolore, et bien sûr liquide, donc.
Les solutions aqueuses sont de l'eau où d'autres composés sont dissous. Par exemple, si l'on dissout du sel dans l'eau, ou du sucre, on obtient respectivement des solutions salées ou sucrées. Mais il y a d'infinies façons de faire des solutions aqueuses, et c'est ainsi que le vin, le thé, le café, les infusions, les bouillons (de viande, de légumes), les jus de fruits, les fumets, les essences, et jusqu'aux glaces et demi glaces sont des solutions aqueuses. Plus ou moins concentrées, mais toujours des solutions aqueuses.
Et les deux ensemble
Partons maintenant de beurre, et battons-le en ajoutant une solution aqueuse, tel du café : on voit le café s'intégrer au beurre... et voilà pourquoi j'évoquais la législation. Lors de la production, on peut mettre dans le beurre bien plus que 18 pour cent d'eau ou de solutions aqueuses. Combien ? Je suis allé jusqu'à plus de deux fois la masse de beurre en solution aqueuse intégrée progressivement, en battant.
Bien sûr, la matière produite est bien plus molle, mais elle a l'avantage que l'on peut lui donner beaucoup de goût. Je vous recommande l'ajout de jus de citron, d'orange, une infusion de verveine, du persil broyé avec de l'ail... Et, en version sucrée, du jus d'abricot, de framboise, etc.
Mais il y a une autre façon de faire, à savoir de partir du beurre, de produire du beurre clarifié, sans eau, donc.
Partons du beurre clarifié, que nous ajoutons à un liquide, en chauffant : par exemple, nous avons un bouillon concentré, et nous ajoutons le beurre clarifié en fouettant comme pour une mayonnaise. On obtient une émulsion, préparation qui a la consistance d'une mayonnaise, et qui est faite de gouttelettes d'eau dispersées dans du beurre.
Mais on peut aussi partir du beurre clarifié refroidi, où l 'on ajoute l'"eau" en battant comme pour la "crème au beurre" précédente. Et on a cette fois un système physique différent. On dit que l'on a dans le premier cas une émulsion de type huile dans eau, et dans le second une émulsion de type eau dans l'huile.
Une précision utile : ici, puisqu'il est question d'émulsion, il n'y a pas de bulle d'air, pas de mousse, pas de foisonnement. Je répète qu'une émulsion, c'est le lait, la crème, la mayonnaise... alors que la mousse, c'est... la mousse, à savoir des bulles d'air dispersées dans une matière, liquide ou solide. Et pas de place pour de prétendues "espumas" : les mousses se nomment des mousses, en français.
Pour terminer
Oui, pas d'air dans les émulsions... mais on peut faire des émulsions foisonnées, et c'est ainsi que je vous propose mon "beurre chantilly". Ce n'est pas de la crème chantilly avec du beurre, non. C'est une préparation qui a la consistance d'une chantilly, et que l'on obtient de la façon suivante :
- on part d'une solution aqueuse, dans une casserole (parfois, il faut avoir dissous de la gélatine)
- on ajoute du beurre en chauffant et en fouettant
- on pose la casserole sur des glaçons ou dans de l'eau froide et l'on fouette pour foisonner, comme pour une chantilly
Et hop, on obtient une préparation comme une chantilly, mais au goût de la solution aqueuse : par exemple, du jus de citron, d'orange, etc.
C'est cela, le beurre chantilly, que j'ai inventé vers 1995.
Mais répétons-nous pour que tous aient facilement les informations. La question, c'est celle de l'eau et du beurre. Mais présentons les protagonistes.
Le beurre
Le beurre, c'est du beurre, et l'on comprend mieux sa constitution quand on part du lait. Le lait, c'est de l'eau avec, dedans, des composés variés dissous, et des gouttes de matière grasse dispersées. C'est donc une "émulsion".
Comme la matière grasse est moins dense que l'eau et, a fortiori, que l'eau où sont dissous des composés (on parle de "solution aqueuse"), les gouttelettes de matière grasse montent s'accumuler en surface quand le lait repose. Et c'est ainsi que la crème est une émulsion, comme le lait, mais plus concentrée en gouttelettes de matière grasse.
Si l'on bat la crème, alors les gouttelettes de matière grasse fusionnent, formant un réseau de graisse dans lequel l'eau et ses composés dissous reste un peu dispersée : c'est le beurre, dont la formation s'accompagne de la libération d'une partie de l'eau, et cette partie aqueuse qui n'est pas dans le beurre est le babeurre.
Une précision pour terminer : selon la loi, qui veut éviter que des fabricants ne vendent pour du beurre qu'une matière contenant trop peu de matière grasse, le beurre ne peut pas contenir plus de 18 pour cent d'eau (environ un cinquième, donc)... mais je dis cela pour vous laisser pressentir la suite.
L'"eau"
Bien sûr, l'eau, c'est l'eau : une matière dont toutes les molécules sont identiques, dont toutes les molécules sont faites d'un atome d'oxygène et de deux atomes d'hydrogène. L'eau est liquide, parce que les molécules bougent en tous sens, comme des billes agitées, et l'on comprend que si l'on incline le récipient, les billes qui bougent puissent passer par dessus le bord. Enfin l'eau à la température ambiante est inodore, insipide, incolore, et bien sûr liquide, donc.
Les solutions aqueuses sont de l'eau où d'autres composés sont dissous. Par exemple, si l'on dissout du sel dans l'eau, ou du sucre, on obtient respectivement des solutions salées ou sucrées. Mais il y a d'infinies façons de faire des solutions aqueuses, et c'est ainsi que le vin, le thé, le café, les infusions, les bouillons (de viande, de légumes), les jus de fruits, les fumets, les essences, et jusqu'aux glaces et demi glaces sont des solutions aqueuses. Plus ou moins concentrées, mais toujours des solutions aqueuses.
Et les deux ensemble
Partons maintenant de beurre, et battons-le en ajoutant une solution aqueuse, tel du café : on voit le café s'intégrer au beurre... et voilà pourquoi j'évoquais la législation. Lors de la production, on peut mettre dans le beurre bien plus que 18 pour cent d'eau ou de solutions aqueuses. Combien ? Je suis allé jusqu'à plus de deux fois la masse de beurre en solution aqueuse intégrée progressivement, en battant.
Bien sûr, la matière produite est bien plus molle, mais elle a l'avantage que l'on peut lui donner beaucoup de goût. Je vous recommande l'ajout de jus de citron, d'orange, une infusion de verveine, du persil broyé avec de l'ail... Et, en version sucrée, du jus d'abricot, de framboise, etc.
Mais il y a une autre façon de faire, à savoir de partir du beurre, de produire du beurre clarifié, sans eau, donc.
Partons du beurre clarifié, que nous ajoutons à un liquide, en chauffant : par exemple, nous avons un bouillon concentré, et nous ajoutons le beurre clarifié en fouettant comme pour une mayonnaise. On obtient une émulsion, préparation qui a la consistance d'une mayonnaise, et qui est faite de gouttelettes d'eau dispersées dans du beurre.
Mais on peut aussi partir du beurre clarifié refroidi, où l 'on ajoute l'"eau" en battant comme pour la "crème au beurre" précédente. Et on a cette fois un système physique différent. On dit que l'on a dans le premier cas une émulsion de type huile dans eau, et dans le second une émulsion de type eau dans l'huile.
Une précision utile : ici, puisqu'il est question d'émulsion, il n'y a pas de bulle d'air, pas de mousse, pas de foisonnement. Je répète qu'une émulsion, c'est le lait, la crème, la mayonnaise... alors que la mousse, c'est... la mousse, à savoir des bulles d'air dispersées dans une matière, liquide ou solide. Et pas de place pour de prétendues "espumas" : les mousses se nomment des mousses, en français.
Pour terminer
Oui, pas d'air dans les émulsions... mais on peut faire des émulsions foisonnées, et c'est ainsi que je vous propose mon "beurre chantilly". Ce n'est pas de la crème chantilly avec du beurre, non. C'est une préparation qui a la consistance d'une chantilly, et que l'on obtient de la façon suivante :
- on part d'une solution aqueuse, dans une casserole (parfois, il faut avoir dissous de la gélatine)
- on ajoute du beurre en chauffant et en fouettant
- on pose la casserole sur des glaçons ou dans de l'eau froide et l'on fouette pour foisonner, comme pour une chantilly
Et hop, on obtient une préparation comme une chantilly, mais au goût de la solution aqueuse : par exemple, du jus de citron, d'orange, etc.
C'est cela, le beurre chantilly, que j'ai inventé vers 1995.
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