samedi 6 août 2016


Un jour à dix heures, lors d'un de nos « bonheurs du matin » (je ne parviens pas à nommer « réunion » ce qui est une sorte de récréation… studieuse), une étudiante merveilleuse de notre groupe de recherche présente le début de la théorie de l'arc-en-ciel. La question est de comprendre pourquoi il y a parfois des arc-en-ciel, avec des couleurs séparées, et parfois des arc-en-ciel secondaires, les deux arcs ayant une forme d'arc de cercle.
Notre amie expose la trajectoire de rayons lumineux dans les gouttes d'eau à l'aide de lois physiques simples ; puis elle calcule l'angle entre un rayon qui arrive sur une goutte d'eau et un rayon finalement réfléchi ;  puis elle identifie des résultats de calcul qui  lui servent à expliquer pourquoi il y a  de la lumière à certains endroits du ciel et pas à d'autres.
Tout cela est très propre, très bien fait, et  je n'ai aucune critique… sauf contre moi-même qui n'ai cessé de perturber sa présentation avec des remarques.

Toutefois, j'ai des excuses. Par exemple, notre amie parle de rayons lumineux, mais...

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vendredi 5 août 2016

Le fantasme du Maître

Hier, des étudiants qui avaient participé à un concours d'innovation alimentaire ont reçu leur prix :  un voyage à Paris qui comprenait un cours de gastronomie moléculaire, un « repas moléculaire » et une journée passée dans mon laboratoire. En fin de journée, un des professeurs qui les accompagnait leur a demandé ce qu'ils avaient tiré de la visite. Évidemment il y a bien un qui a eu des mots convenus aimables, mais comment aurait-il fait autrement ?  On me connaît : je n'ai pas pu m'empêcher de réfléchir. In petto, je me suis  dit qu'il aurait été plus délicat d'interroger les élèves hors de ma présence, puisque l'on peut imaginer que ce qu'ils ont tiré de la visite était proportionnel à ce que je leur ai donné. Les interroger, c'était donc leur demander de m'évaluer.
Mais j'avais pris les devants. Pour ne pas mettre nos jeunes amis en défaut, j'ai pris immédiatement la parole pour dire à tous que l'intelligence est peut-être moins dans les objets du monde qu'en nous-même, et que le monde pourrait n'être qu'un substrat qui nous permet d'y mettre de l'intelligence : à nous de partir d'un fait, d'un objet, d'une idée, d'une parole qui nous sont « exposés » pour travailler et élaborer toute une série de pensées qui s'enchaînent et qui seront autant d'objets d'ameublement de notre esprit, ou bien d'outils intellectuels…

 En évoquant cela, je ne peux m'empêcher de penser à tous ces récits d'apprentissage, en Occident ou en Orient, où il est question de Maître. J'insiste : de Maître avec une majuscule, de personne supposée savoir, supposée sage… Il est amusant de voir dans les récits bouddhistes en particulier combien le Maître peut avoir d'influence avec une parole sibylline, et j'utilise le mot « sibyllin » avec intention, tant on sait que les paroles de la Pythie étaient ambiguës, et devaient être interprétées.
Ce qui me fait penser  à un autre billet où j'évoquais un livre de dialogue entre deux philosophes de pacotille qui s'échangeaient des idées fausses couvertes par des mots compliqués, inutilement compliqués ; l'examen précis du texte révélait à la fois l’imprécision de nos auteurs et, je crois, la volonté de tromper ou de paraître savants (philosophes, vous vous rendez compte ! Ce n'est pas rien, quand même...). Je déteste ces phrases ambiguës où chacun peut trouver ce qu'il veut, parce qu'elles laissent cette possibilité. Il est alors facile de se draper dans une prétendue sagesse, de laisser croire au monde qu'on est bien supérieur.
Oui, l’obscurité, dans le discours public, dans le discours de l'enseignement, et jusque dans le domaine privé, me semble une  double faute :  non seulement c'est la clarté que nous devrions chercher, et, de surcroît, les obscurités sont trop souvent des fraudes ou de la paresse.
Je me souviens d’ailleurs de discussions avec des enseignants en science dont le cours n'était pas clair et qui donnaient comme argument que cela conduisait les étudiants à travailler. C'est là la position de certains Maître, et si je ne suis pas opposé évidemment à l'idée d'inviter nos jeunes amis à travailler, à réfléchir, à penser, je me demande s'il n'est pas plus légitime de poser de vraies questions, tant elles abondent sans qu'il soit nécessaire d'inventer des questions rhétoriques, obscures, sans intérêt, qui s'ajoutent à toutes celles que nous avons déjà.
Et puis, les étudiants ont-ils vraiment besoin d'un Maître pour se  poser des questions inutiles ou obscures ? Et le Maître est-il vraiment supérieur aux élèves, voire aux « disciples », surtout quand il ne sait pas la réponse aux questions ? Nous voyons bien trop souvent des soi disant maîtres qui feraient mieux de travailler eux-mêmes, au lieu d'envoyer les élèves sur des  chemins hasardeux, car ces derniers  risquent de faire un long chemin pour s'apercevoir finalement qu'il ont été trompés. Bien sur, il y a ceux qui feront leur miel d'une parole anodine, mais alors il n'est pas nécessaire qu'un individu s'érige en Maître : doit-on se glorifier de paroles anodines ? D'ailleurs, ces individus-là auraient travaillé sans personne. Il y a aussi les autres,  qui sont lancés dans la brume par la parole absconse, qui demeurent dans l'obscurité, qui accumulent des obscurités, des incompréhensions : pour ceux-là, je n'arrive pas à penser que les paroles obscures soient utiles. Ne faut-il pas, au contraire, les aider à trouver un peu de clarté, et les méthodes pour la trouver ?

Donc… « Maître » ? On voit que la notion n'a pas d’intérêt, alors qu'elle est agitée partout. Parmi les amateurs de musique, qui en viennent à révérer tel pianiste ou flûtiste qui bouge les doigts plus rapidement que les autres, ou qui, éventuellement s'est interrogé sur l'interprétation des œuvres, ce qui est  bien, évidemment, mais ne les met pas au rang de surhomme, de génie. Dans des activités comme l'équitation, où des enfants, des adolescents et des adultes peu évolués mettent sur un piédestal des individus qui ont une capacité technique un peu supérieure à la leur. Et ainsi de suite. On voit surtout, en regardant clairement le monde, des individus qui acceptent d'être considérés et nommés comme des Maîtres. Et, évidemment, c'est là le pire : quelqu'un qui accepte qu'une communauté le juge quasi divin, disons seulement génial, est  déjugé de facto. Les plus sages refusent les titres, parce qu'ils savent bien qu'ils ne savent pas grand-chose, qu'ils ont tout à apprendre, et c'est précisément parce qu'ils sont dans ce mouvement d'apprentissage qui se moque de la réputation qu'ils progressent et qu'ils deviennent bien supérieurs aux prétendus maîtres auto proclamés ou simplement flattés qu'on les nomme ainsi.
Finalement on retrouve cette merveilleuse parole de frère Jean des Entommeures  à qui Gargantua proposait de dirger une abbaye et qui répondait : « « Car comment (disoit il) pourroy je gouverner aultruy, qui moy mesmes gouverner ne sçaurois ? ». Diriger : il s'agit d'indiquer aux autres une direction. En sciences,  puisque l'objectif est la découverte, la direction devrait être celle qui nous conduit à la découverte ; mais qui d'entre nous sait vraiment à l'avance dans quelle direction nous devons travailler pour faire une découverte. La découverte était inconnue, la direction qui y conduit est aussi inconnue (pensons  à une montagne dans une brume épaisse). On ne rappellera jamais assez  que Lord Rutherford avait déclaré, au tournant du vingtième siècle, que la physique était terminée et qu'il n'y  avait plus rien à découvrir. Quelle direction aurait-il pu légitimement indiquer ? Fallait-il que, malgré ses travaux passés, des étudiants lui fassent confiance ?
Alors, que faire, avec des Maîtres qui n'en sont pas, et une sagesse bien difficile à obtenir ? Je  suis optimiste, parce que je sais qu'il existe des jeunes étudiants qui feront leur miel de tout, même d'une parole fausse. Je me reprends : en réalité, je suis optimiste non pas parce que je sais cela, mais parce que je suis optimiste. Et je suis optimiste parce que je sais que je finirai par mourir, de sorte qu'il n'est pas nécessaire de passer trop de temps à cette pensée lugubre, et que, surtout, le monde n'existe que par ce que j'en fais. Si je veux me  complaire dans le pessimisme, j'y me complais. Si je veux me prélasser dans l'optimisme, je m'y prélasse. On comprend que je préfère une vie heureuse et souriante à une vie de plaintes, qui sont en réalité une impolitesse vis à vis de nos proches.

Revenons donc aux mots,  aux idées, aux objets, aux phénomènes : il n'y pas de Maître qui tienne, mais nous avons la possibilité inouïe, merveilleuse, de nous emparer des ces objets par la pensée et d'élaborer des théories, des raisonnements, d'autres pensées, des discours, des actes… parce que nous aurons travaillé à le faire. Quel bonheur !

jeudi 4 août 2016

Quel est le mécanisme ?

 Quel est le mécanisme ? Ou bien,  quels mécanismes? C'est la question principale, celle qui est écrite sur le mur de mon laboratoire dans les caractères les plus gros.
C'est la question principale,  parce que c'est la question principale  des sciences de la nature : nous cherchons les mécanismes des phénomènes. Tout ce que nous faisons vise à identifier les mécanismes des phénomènes, et, alors que cette quête est très difficile, nous ne devons pas faiblir, c’est-à-dire nous arrêter aux  caractérisations quantitatives, ou à la réunion des données en lois. Non, il faut aller plus loin et passer des équations aux explications : quel est le mécanisme ?
Bien sûr, les propositions théoriques sont nécessairement suivies de recherche de conséquences des théories et de tests expérimentaux de ces conséquences, mais alors l'objectif restera encore de chercher un mécanisme mieux approprié que le précédent. Décidément, la question de sciences de la nature est : quel est le mécanisme ?
J'ai évoqué des faiblesses, des lassitudes … Et il est vrai que parfois,  il est bien difficile de produire des données expérimentales, puis de les réunir en lois. Après avoir lutté avec les matériels d'analyse, les échantillons, on est souvent heureux d'avoir enfin nos "lois", c'est-à-dire des équations qui relient les paramètres expérimentaux, et c'est pour cette raison que tant d'entre nous s'arrêtent à cela, mais la science ne vise pas seulement des caractérisations quantitatives, et c'est donc bien une difficulté que de passer de ces dernières à des théories,   des modèles, des explications du monde, en conséquence. Oui, quel est le mécanisme ?

Reprenons, en nous répétons un peu (pas trop quand même), comme si nous n'avions encore pensé à rien : quels sont les mécanismes ?
Cette question est la question centrale de la science, puisque la définition de cette dernière est de chercher les mécanismes ces phénomènes, par une méthode particulière qui consiste en l'observation, l'identification précise d'un phénomène, sa caractérisation quantitative (on "mesure" le phénomène), puis la réunion des  résultats de ces caractérisations (« mesures ») en lois synthétiques (c'est-à-dire en équations), puis, par induction, la recherche de mécanismes quantitativement compatibles avec ces lois, puis la recherche de  conséquences théoriques de ces « théories », puis le tests expérimental de ces conséquences théoriques.
Au coeur de l'activité scientifique,  il y a donc les mécanismes, ces « explications » des phénomènes (on pourrait remplacer « explication » par « compte rendu »), par l'introduction de nouveaux concepts, notions, objets, qui découlent des lois.
Ces notions, concepts, objets sont « imaginés », mais pas  imaginés comme on imagine des fées ou des lutins. Non, en quelque sorte imaginés "obligatoirement", à savoir que les notions, concepts ou objets que nous introduisons (en nombre aussi petit que possible : il faut se souvenir du principe d'Occam, selon lequel les explications doivent être économes) doivent obéir aux lois identifiées.
 Par exemple, quand on explore le passage du courant électrique dans un matériau conducteur, on est conduit à imaginer l'existence d'entités nommées électrons, que l'on apprend à caractériser par une masse, une charge électrique, un spin…  Auparavant, on avait deux sortes d'électricités, positive et négative, mais on a réduit tout cela à la présence des électrons.
Plus profondément, l'activité scientifique est tout entière dans la recherche des mécanismes, parce que la recherche scientifique a pour but de comprendre comment le monde fonctionne, « comment ça marche ». Oui, alors que nous sommes engagés dans des travaux variés, de caractérisation quantitative des phénomènes, dans l'identification précise de ces derniers, dans la recherche de conséquences théoriques, que sais-je, il ne faut jamais oublier cette question centrale, « quels sont les mécanismes ? », sans quoi nous risquons de faire des identifications de phénomènes, des caractérisations « techniques » des phénomènes, etc. mais nous risquons d'oublier de faire une activité véritablement scientifique.
Notamment  on prendra garde de ne pas s'arrêter aux lois, même si l'on est heureux de les avoir trouvées, tant il est vrai, d'expérience, que nombre de nos amis passent bien plus de  temps aux caractérisations quantitatives qu'à la recherche difficile des mécanismes.

mercredi 3 août 2016

N'oublions pas que nous études scientifiques doivent être joviales !

Un mur de notre laboratoire porte l'inscription "N'oublions pas que nos études scientifiques doivent être joviales". Dans cette phrase, le mot « scientifique » pourrait venir entre parenthèses, et le mot « jovial » pourrait venir en capitales ou en gras. En effet, le conseil vaut pour toutes les activités, car on fait mieux ce que l'on fait si on le  fait en étant heureux.
L'écrivain argentin Jorge Luis Borgès  disait « je travaille avec le sérieux d'un enfant qui s'amuse ».  Oui, il y a la question de l’amusement posée dans un autre billet. Nous travaillons, nous sommes sérieux, mais nous nous amusant.
Paradoxe ? Aucunement ! Je ne reviens pas sur cette question de l'amusement, mais je propose ici de le nommer différemment : jovialité. Il ne s'agit pas de « muser », d'aller au hasard, au gré de nos envies changeantes, mais de faire les chose en les aimant  beaucoup, ce qui nous réjouit beaucoup, de sorte que nous nous y consacrons pleinement, activement, sans détourner de seconde à ce « travail ».
Réjouir, jovialité : nous devons… Non, au fond, chacun fait ce qu'il veut ;  je dois travailler avec jovialité, en m'amusant,  car si ce que je fais ne me plaît pas, je dois changer d'activité immédiatement. En l’occurrence, la recherche scientifique me plaît immensément, car elle correspond à un goût que j'ai depuis l'âge de six ans. Je fais donc exactement ce que je dois, non pas vis-à-vis d’autrui, mais vis-à-vis de moi-même. Et c'est pour cette raison que j'y  passe tant de temps, que j'y mets tant de soin.

Oui, il faut que mes études soient joviales, scientifiques ou pas.
Avec ces billets, je vois d'ailleurs souvent de la production de connaissances plus que de la science au sens strict. Suis-je en train de perdre mon temps ? Il me semble que je n'ai à rougir ni d'une activité ni d'une autre et que, au contraire, les deux semblent devoir s'épauler, et voilà pourquoi je propose de mettre le mot scientifique entre parenthèses, mais de toute façon ce qui compte, c'est de mettre le mot  jovialité en majuscules ou en gras.

mardi 2 août 2016

L'enthousiasme est une maladie qui se gagne

« L'enthousiasme est une maladie qui se gagne » : cette phrase de Voltaire est un cadeau que m'a fait le président directeur général de l'Inra lors d'une remise de décoration.

De mon côté, lors de cette manifestation où j'avais réuni des amis, j'avais fait un discours qui disait en substance que nous sommes ce que nous faisons. Et le président de l'Inra m'a répondu par cette phrase dont j'ignorais l'existence, et que j'ai adoptée immédiatement.
 

 

Mais j'ai réfléchi

 

Enthousiasme ? Certainement : la recherche scientifique me paraît si merveilleuse que je la pratique avec un immense enthousiasme, que j'y mets une énergie considérable. 

 Et il est vrai que cet enthousiasme est contagieux. Oui, les individus qui ont du « feu » contribuent à réchauffer ceux  qui les entourent. L'énergie, l'envie de contribuer, le bonheur de faire, d'apprendre, l'enthousiasme, en un mot, est quelque chose qui se partage, qui diffuse, qui s'étend, qui s'embellit de l’énergie des autres. 

Le mot « feu » utilisé plus haut n'est pas choisi au hasard : Aristophane disait qu' « enseigner, ce n'est pas emplir des cruches, mais allumer un brasier ». Il y a cela : rayonner,  être contagieux, partager l’enthousiasme.

La formule est-elle telle qu'on la voudrait ? 

Avec le mot « contagieux », avec le mot « maladie », il semble y avoir quelque chose de mauvais, mais est-ce juste ? Au fond, on peut imaginer de bonnes ou de mauvaises maladies. Par exemple, si nous transmettons un virus qui protège, alors notre contagiosité  conduira à propager   une bonne maladie.


Mais ne jouons pas sur  les mots. Ou, au contraire, cherchons mieux que la formule de Voltaire. Il faut pour cela un terme qui dénote le rayonnement sans avoir la connotation de la maladie. Le mot « feu » n'est peut-être pas le meilleur, car l'objet qu'est le feu présente des dangers. 

Que cherchons-nous à nommer ? Le fait de recevoir de l'enthousiasme et de le réémettre ensuite. On pense immédiatement à la question des relais, à cela près que cette comparaison n'implique pas de multiplicateur. Je ne vois donc pas, pour le moment, et je compte paresseusement sur mes amis pour me proposer autre chose que cette formulation merveilleuse de Voltaire.

Mais en attendant, de toute façon, l'idée demeure : l'enthousiasme est une maladie qui se gagne.

vendredi 29 juillet 2016

Tu sais quelque chose ? Quelle est ta méthode ? Fais-le, et, en plus, fais-en la théorisation.

Le titre de ce billet est affiché sur les murs de notre laboratoire. Pourquoi ? Pour répondre, il convient d’abord d’évoquer les documents que nous nommons les « Comment faire ? », et qui sont une façon d’améliorer la qualité de nos recherches. Il convient également d’évoquer la méthode que nous mettons en œuvre pour notre travail scientifique.

La suite sur http://www.agroparistech.fr/Tu-sais-quelque-chose-Quelle-est-ta-methode-Fais-le-et-en-plus-fais-en-la.html

Bonne lecture !

jeudi 28 juillet 2016

Je propose d'utiliser les mots pour ce qu'ils signifient, et non pas pour ce que nous voudrions qu'ils signifient. Dans un de mes précédents billets, il y a eu beaucoup de commentaires intéressés, mais j'ai été intéressé de voir que les critiques éventuelles portaient sur des idées fantasmées, nées de mots que j'utilisais pourtant à bon escient. Je répète ici, en préambule, que mes mots sont choisis, et que, en conséquence, je propose de rester à leur sens premier, le plus souvent tel qu'il est donné dans le Trésor de la langue française informatisé, cet extraordinaire du CNRS, gratuit, en ligne (http://atilf.atilf.fr/).
D'autre part, il est amusant de voir que les discussions sur la science, et éventuellement ses rapports avec l'activité d'application des sciences, suscite des remarques... qui n'ont rien à voir avec la question traitée.

Qu'est-ce que la science ? Qu'est-ce que la technologie ? Ajoutons : qu'est-ce que la technique? qu'est-ce que l'art ? Pour  ceux qui ne cherchent pas à compliquer d'emblée des choses simples, je crois qu'il n'est pas mauvais de commencer par observer qu'une activité se définit par son objectif, puis par sa méthode, éventuellement.
1. L'objectif de la science, c'est d'agrandir le royaume du connu, de produire de la connaissance.
2. Pour la technologie, il s'agit de produire de l'innovation, que cette dernière résulte de l'application des résultats des sciences, ou qu'il s'agisse d'être simplement "astucieux", à propos de faits techniques (je renvoie à mon "Cours de gastronomie moléculaire N°1" à ce propos, pour une distinction entre technologie globale, et technologie locale).
3. La technique, c'est la production (de biens, de service) : technique vient de techne, qui signifie "faire".
4. L'art... est quelque chose de compliqué, mais qui tourne autour  du sentiments que l'oeuvre fait naître (en première approximation ; pour plus, voir mon livre "La cuisine, c'est de l'amour, de l'art, de la technique", Editions Odile Jacob).

Commençons par observer que, de même que l'on ne compare pas des pommes à des oranges, il n'y a pas lieu de comparer la science à la technologie, ou à la technique, ou à l'art. Les quatre activités ont leur intérêt propre. Il n'y a pas lieu de mettre la science au-dessus  de la technologie, par exemple, sous prétexte que la technologie utilise (parfois) la science... sans quoi on serait conduit à mettre la technique au-dessus  de la science, puisque la science utilise la technique pour des travaux (par exemple, il faut des tournevis pour les expériences). Donc quatre champs parallèles, avec certes des relations, mais pas de hiérarchie.

D'autre part, il n'y a pas lieu de confisquer le "pouvoir" au profit d'un groupe particulier : les scientifiques, ou les technologues, ou les techniciens, ou les artistes. Car il y a d'abord à s'interroger sur la question du "pouvoir" : le pouvoir de quoi, pourquoi ?
En passant, je vois sous ma plume le mot "technologue", et il faut  absolument faire un commentaire. La technique produit, et la technologie est une réflexion sur la technique, en vue d'innovations. Ces innovations sont essentielles pour un pays, et il faut  donc former des jeunes capables de produire cette innovation.  Je me suis déjà expliqué dans mille billets sur cette question, mais j'insiste un peu : puisque des applications sont en jeu, ces applications sont "techniques", et l'innovation est donc véritablement "technologique". Donc le nom que l'on doit donner à des individus qui exercent cette activité de recherche d'innovations est "technologues". Ils se distinguent (parfois) des "ingénieurs", dont le nom a évolué avec le temps, mais qui sont souvent des gens qui mènent des projets.
La technologie serait-elle une "science appliquée" ? Certainement pas : ce n'est pas de la science, au sens des sciences de la nature. Et l'expression est donc fautive. Il y a des applications des sciences, mais pas de sciences appliquées. J'ajoute que cette phrase, ainsi dite, remonte au moins à Louis Pasteur, qui produisit de la belle science, mais aussi de remarquables applications des sciences. Et j'ajoute que l'innovation n'a pas toujours besoin des sciences. J'en prends deux exemples personnels  (pardon) : mon invention ancienne du "sel glace", et mon invention récente du "beurre feuilleté" ne doivent rien à la science, mais seulement à la réflexion sur les gestes techniques (de cuisine, en l'occurrence). De même, les premiers ordinateurs personnels n'étaient pas des innovations vraiment fondées sur la science, et le succès d'Apple ne résulte donc pas véritablement d'application des sciences.

Un beurre feuilleté réalisé par mon ami Pierre Gagnaire. La photographie est prise par cet extraordinaire photographe qu'est Jacques  Gavard (http://www.jacquesgavard.com/Jacques_Gavard_Photographe/WELCOME.html)

Ah, tant que j'y suis : nos discussions sont souvent empêtrées avec des expressions comme "science pure", ou "science fondamentale", et je crois que nous devons les combattre.
A des "sciences pures", on oppose évidemment des "sciences impures", et l'on mèle donc de la morale aux débats.  Cela n'a pas lieu  d'être : soit on agrandit le royaume du connu, soit on ne le fait pas. Il n'y a pas plus de science pure que de science impure. Il y a les sciences de la nature, qui produisent des connaissances, un point c'est tout.
D'autre part, cela n'a pas de sens de parler de "science fondamentale" : les sciences sont les sciences, et le boson de Higgs ou les trous noirs ne sont pas le "fondement" de l'épigénétique, par exemple. En passant, on voit que l'usage d'adjectifs conduit à la faute de pensée... raison pour laquelle, dans notre groupe de recherche, nous bânnissons adjectifs et adverbes, pour les remplacer le cas échéant par la réponse à la question "Combien ?".