lundi 8 juillet 2019

On démontre que...

J'ai toujours été très ennuyé par les cours qui comporte des "on démontre que",  et j'étais ennuyé parce que finalement, avec cette pratique, on  arrive empiler  une série d'informations auquel il faut croire,  ce qui contredit mon envie de vouloir comprendre.

Le "on démontre que",  c'est au fond une mauvaise habitude que les professeurs donnent aux jeunes collègues, puisqu'elle les habitue à  accepter des choses sans les comprendre,  alors que précisément on voudrait le contraire, à savoir des esprits précis, rigoureux, analytiques.
Je comprends évidemment qu'il faut faire le gros avant le détail, et que l'on a parfois intérêt à savoir à conduire une voiture avant d'en vouloir démonter le moteur. Je comprends que l'on a pas intérêt à se perdre dans les détails si l'on veut parcourir un peu de chemin, et je comprends que les cours professés doivent donner une perspective rapide,  survoler en quelque sorte avant que  le chemin ne soit parcouru plus en détail. Je comprends donc les "on démontre que",  à condition que l'on m'invite ensuite à y revenir. Et surtout, j'accepte le "on démontre que" si l'on m'a averti dans quel état d'esprit je devais être vis-à-vis de ce que je reçois. Si l'on m'a dit que l'on va découvrir généralement un sujet, alors j'admets de ne pas me perdre les détails avant d'avoir regardé la généralité, mais il faut que le jeu soit clair, et au fond, j'observe que nos jeunes collègues ont raison de se plaindre que trop souvent, le jeu ne soit pas clair. On se lance en quelque sorte sans réfléchir.

Oui, nos jeunes collègues ont bien raison de demander que les études qu'on leur propose de faire soient précédées de contextualisation, de cadrage, de mise en perspective... Utilisez les mots que vous voudrez : la demande est claire.

Collègues plus jeunes, collègues moins jeunes... Qu'importe : ce sont des collègues

Collègues, plus jeunes, moins jeunes... Qu'importe, ce sont des collègues
Il y a quelque temps, j'avais fait ma révolution culturelle en proposant d'abandonner le mot "étudiant", pour désigner des personnes faisant leurs études à l'université, et j'avais résolu d'utiliser le mot "collègues plus jeunes". Des discussions avec des "collègues plus jeunes" me font comprendre que, avec ce "plus jeune", je recréais une séparation que je voulais gommer.
Je fais donc amende honorable : je ne parlerai plus de collègues plus jeunes, ou plus vieux, mais seulement de collègues... voire d'amis, selon le bon principe que je revendique absolument une communauté de personnes qui partagent une même passion pour la Connaissance, ou la science en particulier, ou la chimie en particulier !
D'ailleurs, que l'on compte sur moi pour ne pas limiter cette terminologie aux collègues de l'université : des élèves de lycée intéressés par la chimie sont pour moi des collègues, plus jeunes certes, mais des collègues !

Contextualiser les cours ?

De jeunes collègues (que d'aucuns nomment "étudiants" critiquent les enseignements qu'ils reçoivent, et font des propositions :

Tout d’abord, problématiser les cours et les remettre dans un contexte défini (en somme, expliciter clairement leur utilité), seraient un moyen assez simple de les rendre plus vivants et moins rébarbatifs.

 Mes collègues plus âgés ne devraient pas avoir de difficultés à régler cette question, car si un cours a été choisi par l'institution, c'est que cette dernière a jugé qu'il était important : sauf au Collège de France, où la liberté d'exposition est complète, les cours des professeurs s'inscrivent dans des cursus bien discutés.
Donc dire pourquoi on fait ce cours-là est pas un autre. Cela mérite d'être dit, et redit... au point que ceux qui verront mes "Cours en ligne", et plus particulièrement celui celui que je fais pour les collègues du Master Erasmus Mundus Plus "Food Innovation and Product Design", seront amusés de voir que tout exercice se termine par : "Deviner pourquoi cette question est essentielle dans le contexte du master". Et cela date d'avant que je reçoive le message des jeunes collègues que j'évoque plus haut.
De même, ceux qui liront mon "Comment déterminer de la matière séchée" seront heureux de discuter précisément cette question : les convergences de série sont utiles pratiquement. Bien plus généralement, il y  mille occasions où l'on se sert des mathématiques, de la physique, de la chimie... pour peu que l'on décide de s'en servir, et la liste des utilités complètes serait à la fois fastidieuse... et nuisible.

Un exemple amusant : quand j'étais élève à l'ESPCI Paris, nous avions un projet qui consistait à faire léviter une bille dans l'entrefer d'un aimant, en jouant de rétroactions. Quel intérêt ? Vingt ans après, l'un de mes camarades réalisa un type nouveau de microscope à force atomique en faisant léviter une bille sur des surfaces. Imprévisible, non ?
Ou encore, l'excellent ouvrage de Nicolas Piskounov intitulé Calcul différentiel et intégral contient un petit segment consacré à un changement de variable un peu amusant, dû à Clairaut, et qui consiste à utiliser comme nouvelle variable la dérivé de la fonction précédemment considérée. On voit rarement l'utilité... mais un jour, voulant calculer l'effet "radiateur" d'une petite cuiller dans une tasse de café, j'ai (enfin) vu pourquoi ce changement de variable était utile.
Plus généralement, ne devrions-nous pas inviter nos jeunes collègues à imaginer des utilisations  de ce qui est  discuté par les professeurs ? On m'objectera que cela justifierait toutes les dérives possibles de la part des professeurs... mais je reviens à une discussion faite ailleurs : à quoi servent les "cours" ?  Je maintiens que l'on ne peut pas enseigner, mais seulement aider les étudiants à apprendre, quand ils le souhaitent. De sorte qu'ils auront la responsabilité de leurs études... Mais pourquoi ne pas dire, aussi, que si les "cours" sont un guide, alors c'est précisément le choix des matières qui peut être discuté en chaire ?

J'arrive maintenant à la lettre elle-même du message envoyé. Notamment , il y a ce mot "utilité", qui est terrible. Évidemment nos jeunes collègues, s'ils se destinent à des carrières d'ingénieurs, ont raison de se poser la question, mais s'ils se destinent à des sciences de la nature ?
Puis  nos amis évoquent des cours "vivants" : de quoi s'agit-il vraiment ? De professeurs qui font du cirque, de l'humour ? De séances de théâtre où les professeurs manifesteraient de la passion pour les sujets traités ? J'ai des amis dont la sobriété apparente est parfaite, et la beauté intellectuelle superbe : ils paraissent glacés à ceux qui ne voient pas cette beauté, laquelle n'est pas "vulgaire", ne s’embarrasse pas d'effets de manche. Alors ?
Enfin, il y a le mot "rébarbatif" : là encore, ne pouvons-nous pas considérer qu'est rébarbatif un sujet dont nous ne voyons pas la beauté, par notre faute ? Bien sûr, vox populi vox dei : si tous les étudiants d'une promotion sont rebutés par un cours, il y a lieu de s'interroger.
Mais c'est là ma conclusion : quel que soit l'accueil fait par des collègues, il y a TOUJOURS lieu de s'interroger. Et les jeunes collègues comme les collègues plus vieux. Soyons tous dans un mouvement collectif et individuel d'amélioration !





dimanche 7 juillet 2019

Les "exercices spirituels"


On connaît les exercices les rituels de la philosophie antique  : il s'agissait de discussions, de dialogues, de méditations que l'on faisait notamment dans l'Académie, c'est-à-dire l'école de philosophie de Platon.
Exercice spirituel : cela risque de faire penser à des méditations orientales,  mais je propose de ne pas céder un engouement déraisonnable pour tout ce qui vient de loin, en l'occurrence l'Asie. L'Académie existait au 5e siècle avant notre ère, alors que les échanges étaient universels, dans l'Ancien Monde, et l'Asie n'a pas l'apanage de la réflexion.
Bref, il y a des exercices spirituels, et certains consistaient à prendre de la hauteur de vue, à "réfléchir", ce qui signifie penser sur soi-même. Il y avait de la recherche d'amélioration intellectuelle, et n'est-ce pas ce que j'ai souvent proposé de faire, notamment avec nos "courriels du soir", où chacun, dans notre groupe de recherche, fait le bilan de sa journée, en prenant de la hauteur, du recul, en y mettant de l'abstraction  ?