mercredi 7 février 2018

Métiers de bouche ? Non, métiers du goût

Mes amis cuisiniers sont dans leur monde, mais je crois que nous ne perdons rien (litote) à connaître celui-ci.

Par exemple, dans les cercles culinaires, il est de la dernière grossièreté de mettre le pain à l'envers... parce que, disent-nos amis, ce n'est pas respecter le travail du boulanger. Pourquoi pas : cela ne coûte guère de mettre le main debout, comme il a été cuit.
# Par exemple, pour beaucoup de cuisiniers, le mot "cuistot" est du dernier péjoratif. Qu'à cela ne tienne : nous éviterons de l'utiliser, et nous gagnerons en beauté de langue, même si nous ne voyons pas l'offense.

 Cette introduction pour arriver à l'expression "métiers de bouche", qui est bien utilisée officiellement : on le trouve notamment sur le portail de l'Économie, des Finances, de l'Action et des Comptes publics. C'est dire.
Eh bien, malgré cela, des amis cuisiniers trouvent que la dénomination est scandaleuse, et ils auraient voulu "métiers de la gastronomie"... ignorant que la gastronomie n'est pas de la cuisine élevée, mais la connaissance raisonnée de tout ce qui se rapporte à l'être humain en tant qu'il se nourrit. Désolé, mais ce n'est donc pas une proposition recevable.

Que faire pour les consoler ? J'ai proposé d'utiliser plutôt "métiers du goût", qu'il s'agisse d'ailleurs de technique, de technologie ou d'art. Apparemment, mes amis y trouvent leur compte... et je vais donc rester à cette dénomination.







Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

Mousses au chocolat

Une question d'un correspondant, ce matin :

Quelle différence que peuvent avoir le beurre de cacao et la matière grasse butyrique de la crème sur la stabilisation d une mousse au chocolat?


Hélas mon correspondant fait des mousses au chocolat, et non pas des chocolats chantilly (https://www.agroparistech.fr/Le-chocolat-chantilly.html)... mais la réponse vaut pour les deux.

Partons d'une  mousse au chocolat. C'est une matrice de chocolat fondu, additionné de beurre et de jaune d'oeuf, où l'on a ajouté cette mousse  qu'est un blanc d'oeuf battu en neige.
Lors du refroidissement, le chocolat et le beurre recristallisent, ce qui fige l'ensemble... si la température est assez faible.
Dans mon livre "Mon histoire de cuisine" (Belin, Paris, 2014), je donne les domaines de stabilités de la matière grasse du chocolat (il fond entre 34 et 37 degrés) et de  la matière grasse du beurre (la fusion commence à -10 degrés et finit vers 55 degrés.
Autrement dit, le chocolat stabilise mieux la mousse... mais attention aux temps chauds  !






Ce matin, une question :


"Je vous écris au sujet d’une question concernant une émulsion H/E  (huile dans l’eau) dont la phase continue est partiellement sucrée.

Dans le cas d’une préparation contenant 70% d’huile, 30% d’eau, 10% de saccharose, et d’un tensioactif  est-ce que le l’huile va s’émulsionner avec les 30% d’eau ou  avec 20% à 25% d’eau  puisque le saccharose est reconnu pour retenir une partie de l’eau (retenir je ne sais pas si c’est le meilleur terme pour traduire le côté hygroscopique du saccharose)".

Ma réponse n'est au fond qu'une sorte de légende du schéma suivant :



Ce que j'ai d'abord représenté, c'est une émulsion de type huile (en jaune) dans eau (en bleu). En  pratique, faisons un "geoffroy", en fouettant de l'huile dans du blanc d'oeuf, par exemple : les protéines et les autres molécules sont  trop petites pour être représentées à cette échelle, où la taille des gouttes d'huile est entre 0,001 et 0,1 millimètres. 
Le schéma inférieur représente un fort grossissement du petit cercle : 
- le fond est noir, parce que, entre les molécules, il n'y a rien, du vide
- à gauche, les peignes à trois dents sont les molécules de triglycérides ; pour mieux faire, j'aurais dû les orienter dans toutes les directions, mais c'est un détail
- à droite, on voit les molécules de saccharose (en bleu) dispersées au milieu des molécules d'eau (une boule rouge avec deux boules blanches)
- je n'ai pas réprésenté les molécules de tensioactifs, mais elles seraient sur le trait jaune, sous la forme de "cheveux" (pour les protéines).

Reste à commenter  le : "le saccharose est reconnu pour retenir une partie de l'eau".  Cette phrase est à la fois discutable et peu claire.
Le "est reconnu" invite à demander  : par qui ? Et à rappeler que, en sciences, l'argument d'autorité ne joue pas. Les faits expérimentaux ont toujours raison.
D'autre part, le saccharose "retient" l'eau : que cela signifie-t-il ?
Ce qui est un fait, c'est que les molécules de saccharose sont "hérissées" (ce n'est pas représenté sur mon schéma) de groupes "hydroxyle", avec les atomes carbone du squelette liés à un atome d'oxygène lui-même lié à un atome d'hydrogène. Cela  donne au  saccharose une structure chimique très semblable à celle des molécules d'eau, au moins pour ce qui concerne les interactions avec les molécules voisines.
De ce fait, quand le sucre est dans l'air humide, il s'entoure de molécules d'eau de l'atmosphère, parce que les forces sont donc notables entre les molécules de saccharose et les molécules d'eau.
Dans de l'eau  liquide, les forces (nommées "liaisons hydrogène") permettent la solubilisation du sucre dans l'eau, à des concentrations considérables.
Finalement, on pourrait tout aussi bien dire que l'eau "retient" le sucre, ou que le sucre "retient" l'eau, mais je crois que le  mot "retient" est mal choisi. Il suffit de dire qu'il y a des liaisons entre les molécules de sucre et les molécules d'eau.

Et, finalement, je reviens à l'expérience : si vous faites un geoffroy, en fouettant de l'huile dans du blanc d'oeuf, vous pouvez ajouter autant de sucre que vous voulez jusqu'à atteindre la limite de solubilité dans la petite quantité d'eau (30 grammes pour un blanc environ) du blanc. Si l'on compte un litre de sucre par kilogramme d'eau, on voit qu'on peut facilement mettre 30 grammes de sucre pour un blanc émulsionné (soit un volume d'huile maximal de 600 grammes d'huile environ). Si l'on ajoute plus  de sucre, ce dernier restera sous la forme de cristaux non dissous. 







Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

mardi 6 février 2018

Mes inventions mensuelles

Je m'y perdais avec mes inventions données chaque mois (depuis 17 ans) à mon ami Pierre Gagnaire.

J'ai donc récapitulé ici celles qui ont des noms de chimistes (plus quelques unes qui sont souvent confondues) :



avogadro : royale dont on change le liquide
baumés : œuf stocké dans un alcool
berzélius : crème anglaise où l'on remplace le jaune d'oeuf par des protéines
chantillys : généralisation de la crème fouettée
braconnot : confiture à froid ou tomate mixée
cailletets : glace à l'azote liquide
caventous : vert de légume vertueux
chaptals : mousse de blanc d'oeuf foisonnée à l'extrême
chevreul : avec contraste simultané des goûts
cristaux de vent : chaptal cuit en meringue
debye : suspensions de microgels (dans O ou W)
degennes : perles d'alginate à coeur liquide
descartes : garniture de grosse pièce composée de cailles aux truffes à la sauce allemande, et servie dans des croustades
dirac : steak de protéines
faraday : ((G+S1+H) / E) / S2
ficks : petites boules de liquide dans une pâte à nouilles
fischers : gel d'un liquide additionné de caséines
florys : spaghetti gélifiés en tuyau
gauss : généralisation des millefeuilles
gay lussac : velouté foisonné
geoffroy : émulsion de blanc d'oeuf
gerhardts : systèmes feuilletés généralisant les pâtes feuilletées
gibbs : émulsion gélifiée chimiquement
grahams : des gibbs séchés
kesselmeyer : farine, eau, matière grasse, travailler, levure, travailler, fermentation, cuisson à la vapeur comme un Dampfnudeln
laplace : comme une omelette souflée, mais eau et protéines
lavoisier : royales extrèmes
lechatelier : végétal artificiel fait d'un matériau gélifié divisé, puis solidarisé avec un gélifiant
liebig : émulsion gélifiée physiquement
maillards : demi glaces de légumes
mendeleiv : infusions généralisées (huile, alcool…)
nollet : salade artificielle
onnes : flocons givrés
paré : émulsion dans une chair broyée
parmentier : avec farine sans gluten plus gluten de blé
pasteur : avec acide tartrique
peligot : caramels de glucose, fructose, etc
poiseuilles : les fibrés
pravaz : avec intrasauce
priestley : crème anglaise de viande ou poisson
quesnay : gougères ou choux dont l'oeuf a été remplacé par des protéines
thenard : coction à l'alcool
vauquelin : appareil de cristal de vent (chaptal) cruit aux micro-ondes
wöhler : sauce aux polyphénols
würtz : eau gélatine foisonnée

Une émulsion sucrée

Ce matin, une question :


"Je vous écris au sujet d’une question concernant une émulsion H/E  (huile dans l’eau) dont la phase continue est partiellement sucrée.

Dans le cas d’une préparation contenant 70% d’huile, 30% d’eau, 10% de saccharose, et d’un tensioactif  est-ce que le l’huile va s’émulsionner avec les 30% d’eau ou  avec 20% à 25% d’eau  puisque le saccharose est reconnu pour retenir une partie de l’eau (retenir je ne sais pas si c’est le meilleur terme pour traduire le côté hygroscopique du saccharose)".

Ma réponse n'est au fond qu'une sorte de légende du schéma suivant :



Ce que j'ai d'abord représenté, c'est une émulsion de type huile (en jaune) dans eau (en bleu). En  pratique, faisons un "geoffroy", en fouettant de l'huile dans du blanc d'oeuf, par exemple : les protéines et les autres molécules sont  trop petites pour être représentées à cette échelle, où la taille des gouttes d'huile est entre 0,001 et 0,1 millimètres. 
Le schéma inférieur représente un fort grossissement du petit cercle : 
- le fond est noir, parce que, entre les molécules, il n'y a rien, du vide
- à gauche, les peignes à trois dents sont les molécules de triglycérides ; pour mieux faire, j'aurais dû les orienter dans toutes les directions, mais c'est un détail
- à droite, on voit les molécules de saccharose (en bleu) dispersées au milieu des molécules d'eau (une boule rouge avec deux boules blanches)
- je n'ai pas réprésenté les molécules de tensioactifs, mais elles seraient sur le trait jaune, sous la forme de "cheveux" (pour les protéines).

Reste à commenter  le : "le saccharose est reconnu pour retenir une partie de l'eau".  Cette phrase est à la fois discutable et peu claire.
Le "est reconnu" invite à demander  : par qui ? Et à rappeler que, en sciences, l'argument d'autorité ne joue pas. Les faits expérimentaux ont toujours raison.
D'autre part, le saccharose "retient" l'eau : que cela signifie-t-il ?
Ce qui est un fait, c'est que les molécules de saccharose sont "hérissées" (ce n'est pas représenté sur mon schéma) de groupes "hydroxyle", avec les atomes carbone du squelette liés à un atome d'oxygène lui-même lié à un atome d'hydrogène. Cela  donne au  saccharose une structure chimique très semblable à celle des molécules d'eau, au moins pour ce qui concerne les interactions avec les molécules voisines.
De ce fait, quand le sucre est dans l'air humide, il s'entoure de molécules d'eau de l'atmosphère, parce que les forces sont donc notables entre les molécules de saccharose et les molécules d'eau.
Dans de l'eau  liquide, les forces (nommées "liaisons hydrogène") permettent la solubilisation du sucre dans l'eau, à des concentrations considérables.
Finalement, on pourrait tout aussi bien dire que l'eau "retient" le sucre, ou que le sucre "retient" l'eau, mais je crois que le  mot "retient" est mal choisi. Il suffit de dire qu'il y a des liaisons entre les molécules de sucre et les molécules d'eau.

Et, finalement, je reviens à l'expérience : si vous faites un geoffroy, en fouettant de l'huile dans du blanc d'oeuf, vous pouvez ajouter autant de sucre que vous voulez jusqu'à atteindre la limite de solubilité dans la petite quantité d'eau (30 grammes pour un blanc environ) du blanc. Si l'on compte un litre de sucre par kilogramme d'eau, on voit qu'on peut facilement mettre 30 grammes de sucre pour un blanc émulsionné (soit un volume d'huile maximal de 600 grammes d'huile environ). Si l'on ajoute plus  de sucre, ce dernier restera sous la forme de cristaux non dissous. 







Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)