Je suis un peu fautif, car, il y a quelques décennies, j'avais voulu dire au monde combien Louis Camille Maillard était remarquable.
Louis Camille Maillard était un chimiste de Nancy, comme l'était mon grand-père maternel, et, ayant appris que Maillard avait découvert ce que l'on nomme fautivement aujourd'hui les réactions de Maillard, j'avais été étonné de voir que l'homme était quasi inconnu, dans sa ville comme dans son pays.
J'ai donc écrit des lignes vibrantes d'indignation, pour dire combien Maillard était, tel un Parmentier ou un Appert, un bienfaiteur de l'humanité.
Mon militantisme a fait le reste, et le monde de la cuisine ne parle plus que des réactions fautivement de Maillard, au point que certains cuisiniers voudraient presque m'enseigner ce que sont les réactions fautivement dites de Maillard et que l'on devrait nommer réactions de glycation ou réactions amino-carbonyle.
Et c'est la que cela coince, parce que les cuisiniers disent, hélas très souvent, que les réactions de Maillard ne se font qu'à haute température.
Je viens d'apprendre que cela est même enseigné dans un cursus un peu étrange de Harvard, un bizarre mélange de science et de cuisine dont on ne sait pas très bien s'il s'agit de sciences ou s'il s'agit de cuisine, et dont on ne sait pas très bien non plus si les enseignants de science sont des cuisiniers et les enseignants cuisine sont des scientifiques.
Bref, il est dit que les réactions de Maillard (traduisons : de glycation) ne se feraient qu'à haute température, et cela est faux, archifaux !
Les réactions de glycation se font à température ambiante, comme à haute température.
Bien sûr, pas à la même vitesse dans tous les cas : les réactions de glycation se font plus lentement à basse température qu'à haute température.
En chimie physique, une règle approximative dit que la vitesse d'une réaction double quand on augmente la température de 10 °C.
Faisons donc un calcul d'ordres de grandeur. Supposons que les réactions de glycation se fassent en 10 minutes à 180 °C. Elles se feraient donc en 20 minutes à 170 °C, en 40 minutes à 160 °C, et ainsi de suite.
Je vous laisse calculer combien de temps il faudra pour que ces réactions se fassent à la température du corps humain (environ 40 °C)... et vous comprendrez pourquoi les personnes souffrant de diabète ont le cristallin qui s'opacifie.
Oui, vous avez bien deviné : il s'agit des réactions de glycation, dues à la forte concentration en glucose, en présence de protéines. Il y faut une vie, environ, mais les réactions de glycation sont en causes, comme pour le durcissement des viandes, chez les animaux âgés.
A ce stade de l'explication, mes interlocuteurs me demandent souvent si les viandes bruniraient à 40 °C. La réponse est non, car les réactions de glycation ne sont que des condensations entre sucres et acides aminés. C'est ensuite, qu'il peut avoir d'autres réactions, réarrangements, dégradations de Strecker, pyrolyses... qui font le brunissement.
Il y a deux questions séparées, et l'on aurait bien raison de séparer. Oui Maillard fit un travail remarquable, et ce chimiste de Nancy ne méritant pas d’avoir été oublie. Pour autant, il n'est pas nécessaire de prétendre qu'il soit partout en cuisine ! Je suis bien confus, donc, et vous invite plutôt à retenir ce mot : « pyrolyse ».