Une question reçue par email :
Formatrice en sciences appliquées je me posais une question, ainsi que mes collègues, sur le brunissement du rotissage ou braisage des viandes. Nous voyons souvent dans les manuels que la réaction de Maillard en est la cause. Mais quel est le sucre réducteur qui est responsable ?
Et si ce n'est pas la réaction de Maillard, a quoi est dû ce brunissement ?
Commençons par une discussion un peu hors sujet, à propos de ces "sciences appliquées" dont parle ma correspondante : cela n'existe pas ! Il y a des applications des sciences, mais l'expression "sciences appliquées" est erronée : si c'est de la science, ce n'est pas appliqué, précisément, et si c'est appliqué, ce n'est pas de la science. D'ailleurs, en cette année 2022 où nous commémorons la naissance de Louis Pasteur, il est bon de rappeler qu'il fut un de ceux qui ont bien expliqué qu'il y a la science, et les applications de la science. Si la science est appliquée, ce n'est plus de la science, mais de la technologie, ou de la technique. Il faut donc absolument militer pour changer cette terminologie fautive : aidez-moi s'il vous plaît, militez avec moi. La science, c'est la science ! Les applications, ce sont le plus souvent de la technique.
A propos des brunissements, maintenant
Il y a des brunissements de très nombreuses sortes, comme je crois l'expliquer bien dans mon Traité élémentaire de cuisine. Par exemple, quand vous mettez dans de l'eau un sucre nommé acide galacturonique (un "maillon" des molécules de pectine) et quand vous chauffez cette solution limpide et incolore... vous obtenez un brunissement terrible, en quelques heures, alors qu'il n'y a qu'un sucre. Pas d'acides aminés ! Pas de protéines ! Les réactions ont pour nom "déshydratation intermoléculaire".
Autre exemple : quand vous coupez une pomme, elle brunit... et cette fois, c'est une réaction enzymatique, par des enzymes nommées catécholases, polyphénol oxydases, etc.
Les réactions de Maillard... Il ne faut pas parler de réactions de Maillard, puisque cet homme n'est pas celui qui a découvert que sucres réducteurs et acides aminés ou protéines réagissent : ce sont Amadori, Heyns, et, surtout, Emil Fischer ou son élève Schmiedeberg. D'ailleurs, l'Union internationale de chimie a statué : on doit parler de "réactions de glycation".
Pour les "réactions de Maillard", l'expression qui les désigne fautivement, donc, a été galvaudée à l'infini, par des gens (y compris des auteurs de manuels : d'ailleurs, où est la preuve de leur compétence, à part leur prétention à enseigner aux autres ?) qui ont souvent été bien ignorants...
Et oui, je suis partiellement responsable de cela, parce qu'il est vrai que, dans les années 1980, j'ai popularisé les "réactions de Maillard", qui étaient méconnues.
Mais, depuis, je rencontre des cuisiniers qui vont même jusqu'à me donner des cours... d'erreurs. Par exemple, il n'est pas vrai que les réactions de glycation se font seulement à haute température : la preuve est que l'opacification du cristallin des personnes diabétiques est le résultat de réactions de glycation... qui se font à 37 degrés. Où est la haute température ?
Je terminerai en disant que, le plus souvent, à haute température, les réactions sont des "pyrolyses" (il existe une journal scientifique international tout entier consacré à ce sujet). Ce ne sont pas les seules, comme je vous l'ai indiqué avec le brunissement de l'acide galacturonique : il y a des oxydations, des hydrolyses, des "déshydratations", des pyrolyses, des réactions de glycation, des foules de réactions possibles, qui conduisent à des brunissements, notamment d'un rôti.
Et pour en revenir à l'enseignement, il faut donc se poser la question de savoir ce que l'on veut enseigner : si l'on dit au jeunes que le brunissement des viandes résulte de réactions de glycation, ou de pyrolyses, à quoi cela leur servira-t-il ?
La question était au coeur de mon Traité élémentaire de cuisine, écrit spécifiquement pour les professeurs et les élèves, au moment de la réforme du CAP. Je sais que quelques vieux professeurs ou professionnels résistent à la vérité, mais je crois que nos jeunes méritent mieux. Je reste atterré, par exemple, de voir des cuisiniers étoilés confondre les mousses et les émulsions. Voilà un combat bien plus important, je crois, que de nommer les réactions du brunissage des viandes lors d'un rôtissage.
On demande à l'inspecteur général d'organiser des états généraux de l'enseignement culinaire ?
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