mercredi 13 juillet 2022

A propos de nos séminaires de gastronomie moléculaire

 Je m'aperçois que, dans la presse du déménagement de nos laboratoires à Palaiseau, j'ai omis de publier ici les résultats d'expériences effectuées lors de notre dernier séminaire. 


Les voici : 



2.1. Agnès Verboom, La Table, guide complet de la maîtresse de maison, Paris-Bruxelles, Administration du Moniteur des dames et des demoiselles (sd), p. 244 : « Sauce au beurre. Mettez 60 g de bon beurre frais dans une casserole et faites-le fondre à petit feu sans le laisser bouillir, sinon il tournerait en huile ».


On commence les expérimentations en plaçant environ 60 g de beurre dans une casserole et en chauffant (plaque à induction, environ 6/9). La casserole est « vannée » (agitée d’avant en arrière, comme quand on monte une sauce au beurre).

Alors que l’on s’attendait à une « clarification », avec la formation de deux phases, on voit au contraire un liquide homogène, de type émulsion, sans séparation : on se souvient que l’on peut obtenir une émulsion quand il y a plus de 5 % d’eau, ce qui est le cas, puisque le beurre en contient jusqu’à 18 %.

Quand le beurre est entièrement fondu, cet état subsiste (on se souvient que, quand une préparation blanchit, en cuisine, c’est souvent parce qu’il y a une mousse ou une émulsion).

On décide alors de pousser le feu pour observer la déstabilisation de cette émulsion.

Quand de la fumée apparaît au-dessus de la casserole, une odeur se fait sentir.

On voit l’ébullition de la préparation, avec formation d’une mousse blanche vers les bords de la casserole, mais l’émulsion demeure.


On décide alors de chauffer davantage pour faire tourner en huile.

Quand on obtient ce résultat, en se souvenant du séminaire sur la béarnaise rattrapée, nous décidons d’ajouter de l’eau (environ 3 cuillerées à soupe)… et nous voyons l’émulsion se former à nouveau !


Nous répétons l’ensemble des expériences en partant d’eau à laquelle nous ajoutons le beurre, et nous avons les mêmes résultats.


Puis nous répétons l’expérience sans eau, et sans vanner, et le résultat est le même.


On pousse alors le chauffage jusqu’à la formation d’un beurre noisette très soutenu. Et l’on ajoute de l’eau : l’émulsion se reforme spontanément.

Note : pour les questions de sécurité sanitaire du beurre noisette, voir Céline Niquet-Léridon, Philippe Jacolot, Claude-Narcisse Niamba, Nicolas Grossin, Eric Boulanger,

Frédéric J. Tessier. 2015. The rehabilitation of raw and brown butters by the measurement of two of the major Maillard products, N e -carboxymethyl-lysine and 5-hydroxymethylfurfural, with validated chromatographic methods, Food Chemistry 177, 361–368.


On recommence l’expérience, en fouettant à l’aide d’un petit fouet de cuisine, et, cette fois, on obtient une consistance bien plus « liée », notamment quand on augmente la proportion de beurre.



Une discussion a lieu à propos de la terminologie : le produit réalisé est-il un « beurre fondu », ou une « sauce au beurre », un « beurre émulsionné »  ? On devra examiner les sources historiques.


En pratique récente, en tout cas, ce produit était souvent destiné à un poisson : de l’eau et du jus de citron étaient salés, additionnés de piment de Cayenne, et montés au beurre.

Enfin, il reste à examiner le produit au microscope, pour savoir s’il est une simple émulsion, ou bien une émulsion foisonnée.




2.2. Elle, 7 août 1998, propose des pêches ébouillantées, puis mises dans l’eau glacées, et pelées. Elles sont ensuite pochées pendant cinq à douze minutes : « Couvrez la casserole de papier sulfurisé, afin qu’elles ne noircissent pas ».


On commence par discuter le terme « pocher », qui a été mal utilisé : on ne doit parler de pochage que quand la cuisson forme une poche (œuf poché, par exemple). Ici, le texte dénote de l’incompétence, car les pêches sont seulement bouillies, aucune partie corticale n’étant formée par une coagulation, par exemple. C’est ainsi que l’on pourrait parler de pêche au sirop, si la cuisson se faisait dans du sirop, de pêches au vin si la cuisson était dans du vin, etc.


Puis on discute du protocole expérimental à mettre en œuvre, en comparant les pêches aux tomates ou aux poivrons.


Pour les tomates, nous avions établi qu’un ébouillantage pendant 20 secondes donnait les meilleurs résultats et il est apparu que la technique du grill pour les poivrons, était à la fois longue, coûteuse et imparfaite : la peau des poivrons ne noircit pas partout, et elle reste adhérente dans les parties concaves. Certains (Pierre Gagnaire, La cuisine des cinq saisons) préconise l’utilisation d’un économe, et Yolanda Rigault procède au micro-ondes, en enveloppant les poivrons dans un linge, mais H. This a testé la même méthode que pour les tomates, pendant le même temps, et obtenu d’excellents résultats.

On décide donc que l’on fera une expérience préliminaire, pour les pêches :

- peler à vif : difficile pour les pêches blanches ou jaunes dont nous disposons ; cela emporte de la chair

- peler après 5 secondes dans l’eau bouillante : c’est déjà mieux, car on peut peler sans retirer de chairs

- ébouillantage pendant 10 secondes, puis eau froide : la peau s’enlève très bien

- ébouillantage pendant 20 secondes, puis eau froide : encore mieux.



Puis, un nombre suffisant de pêches étant pelées, on prépare deux casseroles avec de l’eau bouillante. Dans chaque casserole, on place deux pêches, et l’on couvre une casserole avec un système lamellaire fait de papier absorbant et d’un sac plastique.


D’abord, on cuit à petite ébullition pendant 5 minutes.

On retire alors une pêche de chaque casserole (non couverte, couverte) et l’on compare la couleur : aucune pêche n’a noirci !

On goûte les deux pêches : elles sont insuffisamment cuites, et, en tout cas, on ne distingue pas d’autre différence qu’une différente de goût/maturité.


Puis on prolonge le pochage couvert vs non couvert pour les deux pêches restantes, et on les sort après 16 minutes. Cette fois, les deux pêches sont bien cuites : un couteau s’enfonce bien.

Au goût, on ne voit pas de différence… mais surtout, il n’y a aucun noircissement pour aucune des pêches testées !


De sorte qu’il y a lieu de s’interroger : comment le journaliste de la revue Elle ose-t-il proposer un remède à un problème qui n’existe pas ?



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