mercredi 28 novembre 2012

Encore du note à note, toujours du note à note !

Reçu ce matin d'un correspondant qui est cuisinier et enseignant :



Bonjour cher Hervé,

Je viens de passer 2 jours dans ma cuisine (labo?) afin d'essayer, goûter... des recettes note à note, 
Cà y est : ce coup là je cuisine vraiment du note à note et QUEL PIED!!!! découvrir de nouvelles saveurs, textures, aspect (le biscuit avec de la fécule de pomme de terre torréfiée et son aspect de macaron très brillant, velouté... génial), et je dois essayer avec de la farine de riz, qu'est que je vais  découvrir là?

j'ai travaillé un peu dans l'urgence car la journaliste que vous m'avez envoyée voulait tourner hier soir, ce qui en fin de compte ne s'est pas fait car je ne pouvais pas disposer des locaux, mais çà va se faire, c'est juste une question de temps, la révolution est en marche.

Hier, mon ami chimiste de la fac de XXXX (qui me fait gagner un temps fou avec son expertise) et YYYY étaient avec moi, nous avons passé un bon moment ; ZZZ m'a parlé de l'anthocyane qui se trouve dans la peau de raisin et dont la couleur évolue en fonction du pH, j'ai hâte d'essayer en cocktail...

J'ai vu votre interview sur tv tours, je donne maintenant le lien à tout le monde pour qu'ils comprennent en 5 mn ce qu'est la cuisine note à note, je ne sais pas si vous pourriez correspondre avec vos recherches au prix nNobel mais en tout cas pour votre enthousiasme, vous le mériteriez aisément.

Je retourne à mes gamelles (éprouvettes) pour mélanger mes poudres et extraire de nouveaux composés à gouter

A bientôt

lundi 26 novembre 2012

La démocratie commence par le respect des lois

COMMUNIQUE DE PRESSE
26 NOV 2012

AFBV :
 LA DESTRUCTION DE LA CARGAISON DE SOJA GENETIQUEMENT MODIFIE
 EST UN COUP BAS PORTE CONTRE L’ELEVAGE FRANCAIS

Des faucheurs volontaires se sont une nouvelle fois mis hors la loi en détruisant dans le port de Lorient une cargaison de soja génétiquement modifié (GM) destiné à nourrir nos animaux d’élevage. Cette destruction a été justifiée sous le prétexte que l’étude récente de GE Seralini aurait prouvé que les OGM seraient nuisibles pour la santé. Pour l’ Association Française des Biotechnologies Végétales (AFBV), cet acte de destruction est inacceptable.

D’une part cette étude, dont les résultats ont été invalidés par de très nombreuses agences d ‘évaluation, ne portait pas sur du soja mais sur un maïs. Or, sur le soja GM, il existe déjà une étude de toxicité sur le long terme qui démontre qu’il n’existe pas de risques pour la santé.
De plus cette action délictueuse contribue à désinformer les consommateurs sur les risques sanitaires des soja GM autorisés en leur transmettant de fausses informations susceptibles de les inquiéter, à tort, sur la qualité de leur alimentation.

Pour l’AFBV, cette action de destruction volontaire d’une denrée agricole essentielle pour la qualité de l’alimentation animale est un coup bas porté contre l’élevage français.


Qui sommes-nous ?
L'AFBV est une ONG créée en juin 2009, strictement indépendante, réunissant des personnes de divers horizons dont le but est d'informer sur la réalité des biotechnologies végétales  en s'appuyant  sur des travaux reconnus par la communauté scientifique et sur l'expertise de ses membres. Elle est présidée par Marc Fellous, Professeur de génétique humaine, ancien Président de la Commission du Génie Biomoléculaire et s'appuie sur un Comité scientifique présidé par Georges Pelletier, Directeur de Recherche émérite INRA, membre de l'Académie des Sciences et membre de l’Académie d’Agriculture.
Elle est parrainée par des personnalités comme Axel Kahn (généticien, Président Université Paris Descartes), Jean-Marie Lehn (prix Nobel de chimie), Maurice Tubiana (Académie des Sciences et Président honoraire de l’Académie de Médecine), François Gros (Secrétaire perpétuel honoraire Académie des Sciences, ancien Directeur Institut Pasteur), Claude Allègre (ancien Directeur Institut physique du globe, ancien Ministre Education et Recherche, Académie des Sciences), Dominique Lecourt (professeur philosophie des Sciences Université D.Diderot), Pierre Joliot ( biologiste, professeur honoraire Collège de France, Académie des Sciences et National Academy of Sciences américaine), Etienne-Emile Baulieu (professeur honoraire au Collège de France, ancien Président de l’Académie des Sciences)
Elle est soutenue par des personnalités européennes comme Marc Van Montagu, créateur de la première plante transgénique en Europe et Ingo Potrykus,professeur émérite en sciences végétales au Swiss Federal Institute of Technology, Président de «Humanitarian Golden Rice Board»
Parmi ses adhérents, l'AFBV compte 44 chercheurs de la Recherche publique dont 21 Directeurs de Recherche (INRA, CNRS, CIRAD, IRD, INSERM), 20 Académiciens (Sciences, Médecine,  Agriculture, Technologies, Pharmacie,Vétérinaire), d'anciens Directeurs d'Instituts (Institut Pasteur, INRA, CIRAD), des professeurs, des chercheurs et cadres de la Recherche privée et du secteur public, de nombreux agronomes, de nombreux agriculteurs souvent responsables d’organisations professionnelles agricoles mais aussi des personnes issues de la société civile.

Courriel : AFBV@orange.fr
Site Internet : www.biotechnologies-vegetales.com

vendredi 23 novembre 2012

Le travail d'un chimiste peut-il être "alambiqué" ? L'analyse de la question conduit à une autre réponse que celle à  laquelle s'attend celui qui voit dans "alambiqué" des complications a priori inutiles. Alambiqué ? Pour le chimiste, est alambiqué ce qui est passé par l'alambic, ce qui a été distillé ! On se souvient que la "quintessence", le cinquième élément, était l'éthanol, l'alcool séparé des boissons sucrées fermentées par la distillation. Oui, il n'est pas interdit de réfléchir. Jean-Anthelme Brillat-Savarin (qui n'était pas scientifique mais juriste, avec une volonté de s'habiller en "professeur") dit ainsi, dans la Physiologie du goût : "

J'ai autrefois entendu, l'Institut, un discours fort gracieux sur le danger du néologisme et sur la nécessité de s'en tenir notre langue telle qu'elle a été fixée par les auteurs du bon siècle. Comme chimiste, je passai cette oeuvre la cornue ; il n'en resta que ceci : Nous avons si bien fait qu'il n'y a pas moyen de mieux faire, ni de faire autrement. Or, j'ai vu assez pour savoir que chaque génération en dit autant, et que la génération suivante ne manque jamais de s'en moquer. D'ailleurs, comment les mots ne changeraient-ils pas quand les mœurs et les idées prouvent des modifications continuelles ? Si nous faisons les mêmes choses que les anciens, nous ne les faisons pas de la même manière, et il est des pages entières, dans quelques livres français, qu'on ne pourrait traduire ni en latin ni en grec. Toutes les langues ont eu leur naissance, leur apogée, leur déclin ; et aucune de celles qui ont brillé depuis Sésostris jusqu'à  Philippe-Auguste, n'existe plus que dans les monuments. La langue française aura le même sort et, en l'an 2825, on ne me lira qu'à  l'aide d'un dictionnaire, si toutefois on me lit...".

La citation est excessivement longue, pour ne citer que le mot "cornue", qui vaut "alambic". On voit toutefois que notre bon gastronome l'emploie non pas péjorativement, mais, au contraire, pour ne livrer que le meilleur de sa pensée. Le travail d'un chimiste serait alambiqué ? Quel honneur !

dimanche 18 novembre 2012

Heureux agriculteurs

Alain, Propos sur le bonheur, XLVIII :

Le travail est la meilleure et la pire des choses ; la meilleure, s'il est libre, la pire, s'il est serf. J'appelle libre au premier degré le travail réglé par le travailleur lui-même, d'après son savoir propre et selon l'expérience, comme d'un menuisier qui fait une pore. Mais il y a de la différence si la porte qu'il fait est pour son propre usage, car c'est alors une expérience qui a de l'avenir ; il pourra voir le bois à l'épreuve, et son oeil se réjouira d'une fente qu'il avait prévue. IL ne faut point oublier cette fonction d'intelligence qui fait des passions si elle ne fait des portes. Un homme est heureux dès qu'il reprend des yeux les traces de son travail et les continue, sans autre maitre que la chose, dont les leçons sont toujours bien reçues. Encore mieux si l'on construit le bateau sur lequel on naviguera ; il y a une reconnaissance à chaque coup de barre, et les moindres soins sont retrouvés. On voit quelquefois dans les banlieues des ouvriers qui se font une maison peu à peu, selon les matériaux qu'ils se procurent et selon le loisir ; un palais ne donne pas tant de bonheur ; encore le vrai bonheur du prince est-il de faire bâtir selon ses plans ; mais heureux par dessous tout celui qui sent la trace de son coup de marteau sur le loquet de la porte. La peine alors fait justement le plaisir ; et tout homme préférera un travail difficile, où il invente et se trompe à son gré, à un travail tout uni, mais selon les ordres. Le pire travail est celui que le chef vient troubler ou interrompre. La plus malheureuse des créatures est la bonne à tout faire, quand on la détourne de ses couteaux pour la mettre au parquet, mais les plus énergiques d'entre elles conquièrent l'empire sur leurs travaux, et ainsi se font un bonheur.
L'agriculture est donc le plus agréable des travaux, dès que l'on cultive son propre champ.

vendredi 16 novembre 2012

Hier, de la cuisine note à note

Chers Amis,

Décidément, la cuisine note à note mérite notre plus grand soin.

Je réponds ci dessous à un ami-correspondant :



Bonjour M This,
Très intéressante cette présentation de bouchées note à note hier soir.
Avant de formuler des remarques personnelles, je tiens à vous remercier, vous et les cuisiniers présents, pour ce travail formidable et cette belle soirée ! J'ai eu l'agréable sensation de participer à une aventure nouvelle !
Oui, très intéressantes réalisation des cuisiniers. Les mets note à note progressent, gagnent progressivement en goût. 
Ce sont les cuisiniers qu'il faut remercier ! 
Et oui, il est certain que vous avez participé à quelque chose de très nouveau ! La graine du futur a été semée. 

Les bases étant posées, voici mes remarques (amicales bien sûr) :
Pas de problème, discutons ! 

Première remarque
Je trouve dommage que les cuisiniers aient reproduit des choses qui existent déjà. Cromesquis. Côte d'agneau. Mille feuilles. Ile flottante. J'aurais préféré gouter quelque chose  qui n'existe pas ! Mais nul doute que les choses viendront avec le temps.
En ces matières, les réactions sont très variées. Il y a ceux qui trouvaient dommage que les composés présentés le soient dans des récipients en plastique, ceux qui trouvaient cela judicieux, ceux qui veulent du nouveau en apparence comme en fond, d'autres qui préfèrent que les chefs aient "acclimatés" les nouveautés. 
Dont acte : je n'ai pas à me prononcer sur des questions de goût. 
Cela dit, toute ce que vous avez goûté n'a -malgré les noms- jamais été produit auparavant : vous avez goûté du nouveau ! 

Seconde remarque
Vous avez une vision définitivement éclairée des choses, notamment sur le progrès et la modernité. Mais dans ce cas pourquoi avoir sorti un livre ? Ne trouvez-vous pas  cela terriblement XIXe siècle ? :)
Pourquoi pas un site internet par exemple ? Moderne, accessible par un grand nombre,  disponible partout, collaboratif, pourvu de l'hypertexte (navigation géniale) etc. ?
Personnellement, je me méfie des mots "progrès" ou "modernités", mais pourquoi un livre ? Parce que je fais feu de tous bois : il y a un livre, des billets de blogs, des podcasts sur le site d'AgroParisTech, des conférences, des émissions de télévision, de radio, des articles... Tout ! 
Un site internet ? Il existe depuis le Cours de gastronomie moléculaire 2012, et vous le trouverez à http://www.agroparistech.fr/forums/categories/la-cuisine-note-%C3%A0-note
N'hésitez pas à y mettre des commentaires ! 

Si cela intéressait certains cuisiniers et/ou chimistes, nous pourrions créer une base de données avec des remarques des deux clans sur chaque composé.
Vous verrez que cela existe déjà. 
A noter que la cuisine note à note étant de la cuisine, les chimistes n'ont rien à en dire, sauf qu'ils aiment ou qu'ils n'aiment pas... ce qui n'a pas de portée générale, et donc dont on se moque. 

Dernière remarque
Comment se traduit le terme "Cuisine Note à Note" en anglais ?
Serait-ce faux de l'appeler aussi "Cuisine des Composés" ? (cuisine décomposée)
La cuisine note à note en anglais, c'est "note by note cuisine", ou "note by note cooking", selon que vous évoquez une style ou une pratique. 
Le jeu de mot est amusant, en français, mais il est très fautif dans la vraie idée : il ne s'agit pas de décomposer, mais de composer ! 



Encore des commentaires

Un ami-correspondant m'envoie un texte d'Ali-Bab (Henri Babinsky), qui mérite d'être discuté. Ci dessous, je donne le texte et des commentaires.


Etat actuel de la gastronomie
Le texte date de 1928. 

[…] Tout en m’efforçant d’éviter de louanger les temps passés, travers dans lequel on tombe facilement, il me semble franchement qu’au point de vue gastronomique, comme à beaucoup d’autres, nous sommes en train de traverser une crise.
Oui, il y a toujours le vieux mythe de l'âge d'or, qui traine. 
Une crise ? Le mot pourrait être prononcé aujourd'hui... et je crois que, pour certains de nous, tout va toujours mal. Pour d'autres, dont je suis, il y a bien peu de changements... et tout va donc toujours (plutôt) bien : la Terre ne s'est pas arrêtée de tourner.

L’élevage, les procédés modernes de culture, la préparation des conserves ont certainement augmenté la quantité de nourriture disponible ; 
Oui, et c'est ainsi que les pays industrialisés ont aujourd'hui à suffisance ! L'amélioration de la production d'un côté, et les progrès dans la conservation, de l'autre, ont été essentiels !

le développement des moyens de transport, l’emploi du froid ont permis de répandre cette nourriture partout ; 
 Partout et toute l'année

et la famine, cet horrible fléau, est désormais impossible dans les pays civilisés, à moins d’un cataclysme. 
 Ici, une idée importante : nous sommes la première génération à ne pas avoir connu de famine (1928, c'est avant la Seconde Guerre mondiale, pendant laquelle il y a eu du rationnement).

Mais si, au point de vue général, ces conditions nouvelles de la vie ont incontestablement une influence heureuse, en est-il de même au point de vue purement gastronomique ?
On a effectivement le droit de poser la question.

Aujourd’hui les éleveurs, en gavant les animaux, produisent couramment des viandes trop grasses ;
 Méfions-nous des généralisations. Tous les éleveurs ? Gaver un boeuf ? 

 la culture intensive modifie le plus souvent dans un sens défavorable la qualité des produits du sol. 
 Et pourquoi, défavorable ? Et pourquoi la culture intensive nuirait-il à  la qualité ? Et d'abord, qu'est-ce que la "qualité" ? 

Il nous suffira de citer comme exemple la pomme de terre que l’on ne peut plus avoir parfaite qu’en la cultivant exprès et sans la forcer, dans des terrains sablonneux, comme on le faisait autrefois. 
 Il y a de remarquables pommes de terre, tomates, oignons, etc. parce que la sélection variétale a fait d'immense progrès, et que l'agronomie a considérablement progressé.

Les châssis et les serres fournissent en toute saison des légumes et des fruits merveilleux d’aspect, mais dépourvu de saveur ; on n’est pas encore parvenu à remplacer le soleil. 
 Oui, il faut de l'énergie (solaire, par exemple) pour faire des fruits de haut goût... mais on est parfaitement parvenu à remplacer le soleil. La question, c'est une question d'argent : combien veut-on consacrer à éclairer les plantes ? Où les cultive-t-on ? Combien veut-on payer les denrées alimentaires ?
On n'en aura jamais que pour son argent ! 

L’industrie des conserves provoque l’accaparement des produits alimentaires naturels, frais, au moment où ils sont le meilleur marché ; 
 Allons allons... Soyons un peu raisonnable. On aura des produits frais si on les paye.

les chemins de fer drainent de partout ce qu’il y a de meilleur, au profit de consommateurs souvent incapables de l’apprécier et ils en privent les habitants des pays producteurs, parmi lesquels se recrutaient autrefois les gourmets les plus raffinés. 
 Et là encore : cela devient lancinant, ce "tout fout le camp ma bonne dame" !
De toute façon, les citoyens (mot que je préfère à "consommateur") habitent aujourd'hui dans des villes... parce qu'ils jugent préférable de faire ainsi.

On cueille les fruits avant leur maturité pour pouvoir les transporter loin, de sorte que peu de personnes sont actuellement à même de manger des fruits vraiment à point ; 
 Non, on cueille ce que l'on veut. On mange des fruits à point si on accepte de les consommer rapidement, parce que c'est cela la question : si on achète à point, on ne pourra pas conserver. Or nous sommes souvent bien paresseux.

on n’a plus de lait à la campagne ; 
 Mais si. Faites donc un petit effort (d'optimisme, notamment)

il devient difficile de se procurer du poisson au bord de mer ; 
 Allons, soyons sérieux ! N'importe qui, avec une ligne dans un port, trouve du mulet. Et n'importe quelle ligne trainée derrière un petit bateau rapporte de merveilleux maquereaux tout frais !

il est presque impossible d’obtenir un bon bifteck dans un pays d’élevage ; en un mot nous vivons un peu comme dans le manoir à l’envers
 Ca continue... Décidément, la carricature fait perdre toute crédibilité...

La falsification des aliments, très ancienne à la vérité puisque les Romains s’en plaignaient déjà, mais qui se pratiquait jadis sur une échelle relativement petite, constitue aujourd’hui, par suite des progrès de la chimie, une branche de l’industrie ; 
 Oui, la falsification, la sophistication, le frelatage, la fraude, la malhonnêteté sont de tous temps. Du temps des Romains comme du temps d'aujourd'hui. La malhonnêteté est -elle plus répandue aujourd'hui ? Pourquoi le serait-elle ? Et je préfère l'usage de conservateurs bien ciblés à celui de sulfure de mercure dans le pissala ! Quand à la pratique de la cuisson sur le feu, qui charge de benzopyrènes les viandes, elle est bien pire que toutes les chimies de la terre!  

les procédés à employer pour atteindre ce but sont discutés dans des congrès officiels et leurs auteurs, au lieu d’être pendus sont décorés !
 Et c'est juste  ! D'ailleurs, ceux qui ne veulent pas des produits de l'industrie alimentaire ne sont pas obligés de les acheter. Moi, je préfère un monde où l'espérance de vie augmente d'un trimestre tous les ans ! !

Il devient incontestablement difficile de bien manger ; 
 Non, il suffit de cuisiner, d'apprendre à cuisiner, de comprendre ce qu'est "cuisiner".

cependant la chose est encore possible, mais plus que jamais indispensable de s’occuper soi-même de sa nourriture. 
 Non, rien n'a changé ; oui, c'est possible (voir plus haut). 

En province, dans certains milieux où l’on ne se désintéresse pas de la question, on sait encore faire bonne chère. On pense à la cuisine ; on discute d’avance les menus ; on s’adresse pour chaque produit à des fournisseurs que l’on connait et qui savent eux-mêmes à qui ils ont affaire ; enfin, la préparation de tous les plats est l’objet des soins les plus minutieux.
 Mais mon bon monsieur, en ville aussi, on peut être gourmand ! En ville aussi, on peut discuter des menus, chercher de bons fournisseurs, apporter du soin à la production culinaire !

Mais à Paris, où l’on vit trop vite, où l’on est toujours pressé, peu de gens consentent à consacrer quelques moments à ces questions ; 
 Une généralisation, idiote, donc. 

aussi l’art culinaire y est manifestement en décadence. 
 Mais oui, mais oui... Tout fout le camp, on a compris !

Pourtant il semble que bien manger devrait intéresser tout le monde, car personne n’oserait soutenir qu’il soit différent de consommer des aliments bien ou mal préparés. 
 Et pourquoi cela intéresserait-il "tout le monde" ? N'a-t-on pas le droit de faire autrement ?
La gastronomie s’adresse à toutes les classes de la société et il n’est nullement nécessaire d’avoir de la fortune pour bien se nourrir. 
 Là, d'accord. 

Le repas le plus simple, quelque modeste qu’il soit, peut être meilleur qu’un repas très couteux, et l’on aura toujours bien mangé si ce qu’on a mangé était de bonne qualité et bien préparé.
 Parfaitement d'accord.

Malheureusement, ce qu’on recherche avant tout aujourd’hui c’est paraître. 
 Qui cherche cela ? "On" ?

Le modeste bourgeois d’autrefois, recevant des amis à sa table, ne leur donnait pas plus de trois plats, simples mais soignés, préparés sous la direction effective et jalouse de la maitresse de maison. 
 Bof : parmi les bourgeois, il y avait des prétentieux, des modestes, des honnêtes, des malhonnêtes... Donc non !
Quant au mythe de la "bonne maîtresse de maison", ne soyons pas naïf !

Le bourgeois de nos jours se croirait déshonoré s’il ne présentait pas à ses convives des menus somptueux, au moins en apparence, qu’il est hors d’état de faire exécuter chez lui.
 Encore une ânerie.

Aussi commande-t-il ses repas priés au dehors, chez des entrepreneurs qui les lui envoient tout prêts, avec des domestiques d’occasion pour les servir.
 Et ca continue.

Les aigrefins peuvent donner à dîner dans des appartements vides, loués à l’heure pour la circonstance ; 
 De tous temps. Jadis, naguère, aujourd'hui : pas de changement.

des agences leur fournissent à forfait la nourriture, la boisson, la vaisselle, le linge et s’ils le désirent, elles leur procurent même, moyennant un petit supplément, quelques invités décoratifs et décorés destinés à impressionner le gogo naïf, auquel le mirage d’un intérieur familial cossu inspire toute confiance. Paraître, tout est là !
 Là encore. 

Quant aux parvenus, ils rivalisent de faux luxe. 
 Cela n'a jamais changé, depuis les débuts de l'humanité. 
Au fait, c'est quoi le "vrai luxe" ?

Pour avoir l’air de ne pas regarder la dépense, ils font bourrer tous leurs plats de truffes et de foie gras, de sorte que tout finit par avoir le même goût, et bien des dîners, dans des maisons où l’on devrait pouvoir manger convenablement, deviennent aussi odieux que des repas de table d’hôte auxquels, d’autre part, ils ressemblent souvent par l’assemblage hétéroclite des invités.
 Oui, cela se nomme du gongorisme, en peinture. Et cela a toujours existé. 

L’une des industries les plus florissantes aujourd’hui est celle de la confection de mets à emporter. 
 Mais, pourquoi cela serait-il mal ?

Partout on vend des plats tout faits et nombre de femmes ont une tendance fâcheuse à se désintéresser de leur intérieur. 
 Et alors ? Veut-on les cloitrer ?

Les unes ont  l’excuse des nécessités de la vie, qui les obligent à travailler dehors ; d’autres courent les magasins et les five o’clock à la recherche du bonheur. 
 N'ont-elles pas le droit ?

L’idéal pour tous les étages, ce qui permettrait de supprimer les cuisines, en attendant la fameuse pilule synthétique entrevue par certains savants.
 La pilule nutritive est un fantasme, que j'ai dénoncé en bien d'autres endroits. Cessons d'agiter ce spectre idiot. 

En ce qui concerne les établissements publics, on voit se multiplier des gargotes à prix fixes ; 
 Et aussi de bons restaurants à prix fixes. Il y a du progrès, donc.

les bons restaurant se transforment ou ferment successivement leurs portes et je serais véritablement embarrassé pour citer à Paris plus de quatre ou cinq maisons où l’on soit assuré d’être toujours bien traité à tous les égards.
 Non, tout va bien, merci. Et je tiens à votre disposition bien plus de quatre ou cinq maisons !
En supposant que son pessimisme soit justifié, il y aurait donc un indéniable progrès !

L’internationalisme mal compris se développe d’une façon inquiétante, et ses progrès, déplorables à bien des points de vue, sont désastreux au point de vue gastronomique ; 
 Allons, encore de l'inquiétude, du désastre...

si l’on n’y prend garde, ils auront bientôt amené à un même niveau peu élevé la cuisine de tous les pays.
 Or, ce que l'on voit, c'est que, au contraire, des pays naguère culinairement faibles ont considérablement progressé. Tout va bien, donc ! 

Au commencement du siècle dernier, un grand maitre d’ l’université était tout fier de pouvoir dire : «  Aujourd’hui, à cette heure, tous les élèves des toutes les classes de seconde de tous les lycées de France font le même thème grec ».
 Le grec a disparu. Ite missa est

 Les syndicats internationaux d’aubergistes qui nourrissent les voyageurs des deux hémisphères soumis à leur régime, paraphrasant le mot du ministre, peuvent dire : « Du far-West à l’extrême orient, du pôle nord au pôle sud, depuis le 1er janvier jusqu’à la saint sylvestre tous nos clients font les mêmes repas ».
 Ce n'est pas neuf. Il y a des modes en cuisine. 
D'autre part, cela a été un fantasme de croire que des cuisines rapides vendraient la même chose dans tous les pays : la volonté de faire plaisir à leurs clients a contraint les enseignes à varier les offres. Je ne dis pas que tous les plats proposés soient merveilleusement intéressants... mais il n'y a pas de drame ! Le vrai drame, ce sont les "marchands de peur" !


Et, en effet, que ce soit en bateau, en chemin de fer ou dans les hôtels, partout ces malheureux sont condamnés à la même invraisemblance barbue sauce hollandaise, au même aloyau braisé jardinière à la même inévitable poularde.
 Les pauvres ! Condamnés à de la barbue sauce hollandaise. Alors qu'une partie du monde meurt de faim ? C'est quand même terrible !

Quand on pense que ces gens paraissant à peu près équilibrés, dont une partie voyagent soi-disant par plaisir, consentent à absorber tous les jours de pareilles atrocités, c’est à désespérer du genre humain.
 Et si, au lieu de courir le monde, ils restaient chez eux et cuisinaient ?

Je veux croire cependant que ce n’est qu’une crise que nous traversons et j’espère sinon un réveil général du gout ce qui serait trop beau au moins un soulèvement des estomacs comme au temps de Lycurgue.
 Oui, cela a eu lieu. 

En attendant cette révolution pacifique, que les gastronomes ne se découragent pas, leurs efforts ne seront pas stériles. 
 On a compris que tout cela est de la rhétorique un peu faible, pour une littérature médiocre.

Orientés avec méthode, ces efforts persévérants finiront par faire de l’art culinaire purement expérimental tel qu’il est aujourd’hui une science exacte. 

En précisant dans des formules rigoureuses les connaissances que l’on possède, on fait plus  que perpétuer des recettes, on accumule des matériaux d’où se dégageront un jour les lois de la gastronomie, qui seront la base indestructibles de la science du bon.
La "science du bon" ? Au fait, le bon, c'est quoi ? Je propose de penser qu'il n'existe pas. Ce qui est bon, c'est que j'aime. Aucun intérêt général !

On va trouver que j'hésite, mais c'est seulement que la réflexion et les circonstances conduisent à ne pas rester braqué

Chers Amis,

Vous vous souvenez sans doute que j'avais une hésitation à propos de la question : que nommer "chimie" ?
Ce qui me semblait clair (et je n'ai pas changé d'idée de ce point de vue), c'est que le mot "chimie" s'appliquait naguère à des activités indifférenciées, entre la technique et la science, entre la philosophie naturelle (comprendre le fonctionnement du monde, lire le livre de la nature) et l'ésotérisme (le Grand Oeuvre...).
Puis, à mesure que les sciences ont évolué, on en est venu à distinguer la technique (techne = faire), la technologie (étudier la technique, sous entendu en vue de l'améliorer) et la science.
Pour la chimie, il y a donc une activité technique, une activité technologique, une activité scientifique.

Mais si une activité humaine est déterminée par son objectif et sa méthode, on comprend que le même mot "chimie" ne puisse indistinctement désigner à la fois l'activité technique (le raffinage du pétrole, la confection de bougies...) et l'activité de recherche des mécanismes des réarrangements d'atomes.
Du coup, j'étais arrivé à la conclusion (que je maintiens) selon laquelle il fallait des mots différents pour la composante technique, la composante technologique, et la composante scientifique de l'activité qui considère les molécules et leurs transformations.

L'alternative que j'avais proposée est : faut-il conserver le mot "chimie" pour désigner la composante scientifique, ou bien faut-il le conserver pour la composante technique, de production de composés ?

Naguère, il me semblait préférable de nommer "chimie" la science des réarrangements d'atomes (ce que certains disent être "la science des transformations de la matière", mais je crois que leur libellé est moins bon que le mien). On aurait alors nommé différemment la production technique de composés.

Ensuite, j'ai douté, parce que j'ai vu de plus en plus de technique chimique s'imposer. D'autre part, il y avait le mot "physique", qui désigne la science de la nature (phusis, en grec). De ce fait, il semble qu'une science des transformations moléculaires, qu'une science des réarrangements d'atomes, se doit absolument de calculer. Produire des composés nouveaux, c'est très bien, mais l'étude des mécanismes de ces transformations ne vaut rien sans des calculs, qui, seuls, expliquent les transformations sans verser dans de la poésie.
Autrement dit, puisque la science des réarrangements d'atomes ne diffère pas, par nature, des autres branches de l'étude de la nature, j'ai cru un moment qu'il n'avait pas de raison pour laquelle nous devrions avoir un autre nom que "physique".
Certes, il ne s'agit pas de la même perspective que celle de nos collègues qui, méprisant la constitution particulière, moléculaire ou atomique, des systèmes, cherchent des lois universelles. Les scientifiques des réarrangements d'atomes, eux, savent que la matière est d'abord... faite de matière, de molécules et d'atomes. En revanche, ces scientifiques que sont ceux qui placent beaucoup d'importance dans les molécules et atomes n'ont pas pour mission de produire des composés nouveaux. Comment nommer leur activité ?

Alors ? Alors il faut encore réfléchir, pour aboutir à des propositions nouvelles, qui donneront un nom de science à la science, un nom de technique à la technique. Si je n'ai pas trouvé le nom pour la technique, il me semble finalement que le mot "chimie" doive rester à la science.

jeudi 15 novembre 2012

Concours Science & Cuisine

Reçu de nos amis du Pôle  "Science& Culture Alimentaire" Pays de la Loire  :


Bonjour à tous,

L'édition 2013 du concours Sciences et Cuisine est lancée (cf mail de lancement ci-dessous).
Nous souhaitons par ce nouveau mail nous assurer que vous avez eu l'information, étant donné les changements de communication qui se sont opérés pour Sciences et Cuisine en cette fin d'année.

Comme l'an dernier, vous pouvez vous inscrire à titre individuel ou en équipes. Trois catégories de candidats sont de nouveaux proposées : Professionnels (métiers de bouche, industriels...), éducation (classes ou groupes de travail et leur professeur), et amateurs. Pour mémoire, des équipes "mixtes", avaient été formées en 2012 (restauration  / recherche par exemple).
L'échange entre les différents acteurs de la chaine alimentaire a été très riche l'an dernier et nous espérons qu'il le sera tout autant et même plus, cette année.

Nous vous invitons à vous inscrire sur notre site internet www.sciences-cuisine.fr, si vous souhaitez participer au concours, ou à nous contacter pour plus d'informations.

Aussi, nous vous conseillons de rentrer l'adresse contact@sciences-cuisine.fr dans vos carnets d'adresse de messagerie afin que les mails d'information des évènements ne soient pas bloqués par vos serveurs à l'avenir.

Cordialement,


L'équipe Sciences et Cuisine.
Camille Bourgeois - PONAN
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mercredi 14 novembre 2012

La cuisine note à note dans la presse anglosaxonne

Voir http://cen.acs.org/articles/90/i46/NoteNote-Cuisine.html

bonne lecture !

Que mes amis de science me pardonnent...

Ce matin, le billet ne concerne pas la science, sauf de façon bien lointaine, à considérer comme Lavoisier et Condillac que la science, c'est le langage.

Alain Robbe-Grillet, que j'ai déjà évoqué ici, parlait de la nullité littéraire des littératures militantes (l'art n'a que faire de la politique) ou des bégaiements du roman balzacien, ce que, hélas, bien des rédacteurs en chef d'aujourd'hui n'ont pas compris, eux qui revendiquent que l'on "raconte une histoire".

Robbe-Grillet explique de façon bellement clairvoyante que Balzac a été un dangereux anarchiste littéraire, comme Flaubert, comme... La littérature -l'art littéraire- n'a que faire de la répétition des mêmes "formes littéraires" (et on ne prendra pas ici le mot "forme" en opposition à "contenu" : voir Robbe-Grillet qui explique bien pourquoi), et le Nouveau Roman, qui a tant choqué, percole aujourd'hui, même si tant d'écrivains qui vivent de leur plume à défaut de produire des oeuvres véritablement littéraires, s'impose au XXe siècle (http://www.ina.fr/art-et-culture/litterature/video/CPB76069770/alain-robbe-grillet.fr.html)

Toutefois, le message de Robbe-Grillet est un peu compliqué, et la transposition en peinture est plus simple : elle fait mieux comprendre l'idée.
Les Egyptiens représentaient des personnages de profil. Puis on a appris à représenter différemment. Au Moyen-Age, toutefois, on ne représentait pas en petit ce qui est loin, et en gros ce qui est près, mais la taille des personnages dépendait de leur importance sociale. Vint la Renaissance, avec la perspective géométrique.
Ce n'était pourtant ni un progrès ni un aboutissement. Certes, cette perspective montre comme on voit... mais voit-on vraiment ainsi ? Guernica et bien d'autres oeuvres plus modernes ont bien montré que l'on peut représenter en "dépassant" la perspective géométrique. Bref, il serait dépassé de peindre comme à la Renaissance.
De même pour les "histoires que l'on raconte" : oui, c'est possible d'en faire ainsi, mais, du point de vue littéraire, c'est aussi dépassé que la perspective géométrique.

Et c'est parce que l'art est dans un dépassement qui n'est pas un progrès, mais une émanation d'une culture, que l'art est beau !

mardi 13 novembre 2012

Un séminaire en Pays de Loire

Je transmets ce que je reçois :

Bonjour à tous,

Nous vous rappelons que le prochain atelier Sciences et Cuisine se tiendra lundi 19 novembre prochain, de 15h30 à 18h00, au Manoir de La Boulaie.
Vous trouverez le programme ci-dessous ou sur notre site internet www.sciences-cuisine.fr
Il reste encore quelques places, ne tardez pas à vous inscrire sur le site ou par mail contact@sciences-cuisine.fr

dimanche 11 novembre 2012

Décodons

Lors des Assises Nestlé, la semaine passée, nous avons vu de nos critiques gastronomiques  lever les yeux au ciel à l'évocation de la cuisine moléculaire. Nous les avons entendu dire qu'ils voulaient de la cuisine, pas de l'art ; nous les avons même entendu dire que les artistes en manque d'art feraient mieux d'aller faire de la peinture !

Réaction, réaction (au sens de réactionnaire!)...

Ce matin, je reçois l'annonce d'un billet de blog du même tabac, que je vous livre, avec quelques commentaires :

"Adieu veaux, vaches et cochons au profit du foie gras en poudre et des ravioli liquides !" : 
Comme si on ne pouvait avoir les deux, le nouveau et l'ancien... Bien faible rhétorique.

"La cuisine se fait aujourd’hui dans les laboratoires. La blouse blanche remplace le tablier blanc." :
La cuisine dans les laboratoires ? Ce n'est pas neuf : le local où travaille le patissier, le charcutier, c'est le "laboratoire". Le mot a la même étymologie que "labeur", travail. La blouse blanche remplace le tablier blanc ? Dans les deux cas, il s'agit d'un vêtement qui protège le travailleur. Pour l'instant, donc, pas de quoi en faire un fromage.

"Les nouveaux chefs se réclament de la gastronomie moléculaire" :
Non, pas de la gastronomie moléculaire, mais de la "cuisine moléculaire", dont la définition est : une cuisine qui se fait avec des outils, ingrédients et méthodes rénovés (au lieu de cuisiner avec des ustensiles minables, tels ceux que l'on avait au Moyen-Âge).

", dénomination inventée par Hervé This, un physico-chimiste de l’INRA dont les recherches – déjà anciennes - font maintenant florès dans le petit monde de la gastronomie en mal d’innovations." :
Oui, j'ai bien donné cette dénomination de gastronomie moléculaire (avec mon vieil ami Nicholas Kurti), ainsi que celle de cuisine moléculaire, laquelle est d'ailleurs bien dépassée par la "cuisine note à note".
Mes recherches font-elles florès dans le petit monde de la gastronomie en mal d'innovations ? On commence à sentir fortement la mauvaise dispute. D'une part, si mes recherches montrent qu'il vaut mieux de bons couteaux pour faire des juliennes, en quoi est-ce mal d'avoir des goûts plus nets, plus francs ?
Et puis, le petit monde de la gastronomie : pourquoi le monde de la gastronomie serait-il petit?
Enfin, "en mal d'innovation" : l'histoire de la cuisine n'a cessé de montrer que chaque époque a eu ses innovations. Sans l'innovation de la mayonnaise, il y a quelques siècles, nous n'aurions pas de mayonnaise, par exemple.

"Des textures légères, molles et vaporeuses, souvent à base de gelées, de mousses et de l’écume partout, en veux-tu en voilà (ainsi chez Anne-Sophie Pic dans son nouveau restaurant parisien). ":
Est-ce un mal d'avoir de beaux aliments légers, à côté de croquant, de dur, de gluant ? Oui, mettre de la mousse partout, c'est lassant, mais cela ne concerne pas la cuisine moléculaire ; seuls les chefs qui feraient du mou partout sont visés. Je n'ai donc pas à prendre parti.
Quoi que... Du bleu partout ? N'est-ce pas l'oeuvre de Klein ?

"A déguster avec une paille." :
Pourquoi mangerait-on les mousses avec des pailles ?

"Quelle est la part d’émotion et de sensualité dans cette cuisine qui fait plutôt la part belle à la science ?" :
Non, cette cuisine ne fait pas la part belle à la science. La science, c'est autre chose que la cuisine.

"Les assiettes que nous servent les gourous de cette « gastronomie » impriment leur effet de mode. Il y aurait là une tentative de décliner une nouvelle école : celle que certains appellent déjà « l’architecture du goût »." :
Désolé, mais un billet de ce blog a bien montré que l'architecture des goût s'impose absolument, pour avoir des sensations plus intéressantes.

"Lors de journées des designers au Palais de Tokyo à Paris voilà quelque temps, un menu proposait dans une assiette creuse un poisson posée sur une grille avec des bâtonnets de carboglace qui se dissolvent dès que l’on verse de l’eau chaude dessus, une souris d’agneau dressée sur une potence métallique et entourée de bougies allumées. Sans commentaires." :
Au contraire, c'est très amusant, si le poisson est bon, si la souris d'agneau est bonne. A-t-on oublié qu'au Moyen Age, déjà, on s'amusait à farcir un sanglier avec une oie, farcie d'un poulet, farci de... Amusant ! Plus amusant que l'ennui qui plâne encore dans quelques restaurants de palace, où des hommes en noir qui ne sourient pas nous servent les éternels filets de rouget, les éternels mêmes plats... ennuyeux !

"L’expérimentation n’a plus de limites, franchissant ainsi les bornes du bon goût." :
Ah, le bon goût ! Je suppose que c'est celui de notre homme ?

"Nul, cependant, ne saurait nier son importance dans l’évolution de la cuisine. Science et cuisine ont toujours cohabité." :
Non, jamais. La science cherche les mécanismes des phénomènes, alors que la cuisine produits des mets.

"Mais les temps sont plutôt consacrés au détournement, au « design culinaire », au « ludique ». Alors pourquoi pas le saucisson carré et le pâté en croûte en forme de cœur coeur ou, histoire de laper, les liquides à l’horizontale et les mets à la verticale (certains l’ont déjà fait), ou encore de sniffer le beurre blanc en poudre." : 
Au fait, pourquoi pas tout cela ? Si cela vous défrise, changez de crèmerie !

"Adieu donc casseroles et poêles, que vive désormais l’éprouvette." :
Oui, l'éprouvette... Un affichage, pas très pratique pour manger.

"Et la déconstruction culinaire du produit – cela va si bien avec l’enseignement dans nos écoles de cuisine qui prônent le prêt-à-manger, les poissons en filet, le sous-vide et le surgelé au profit d’une connaissance du produit dans son intégrité originelle -, est la nouvelle croyance érigée désormais en dogme moderne." :
Personnellement, j'ai bien écrit que je crois plus à la construction qu'à la déconstruction.
Cela dit, il y a un amalgame dans la phrase de notre critique. Déconstruction + enseignement. Ce sont deux objets séparés, jusqu'à plus ample informés.

"Ils veulent donc ajouter à la musique binaire – le boum-boum bruyant et sans harmonie – dont on nous gratifie dans les tables à la mode, une sorte de charivari des saveurs." :
On croirait entendre les critiques musicaux réacs de l'après guerre, pour qui le jazz n'était pas de la musique ! Ou les amateurs de jazz, une génération plus tar, pour qui le hard rock n'est pas de la musique. Ou...

"Pour ma part, je n’oublie pas, selon le mot de François Rabelais, que « science sans conscience n’est que ruine de l’âme ». "
Bien d'accord, mais je crois la suite n'a rien à voir avec ce qui précède.

"N’ignorons donc pas le lien entre l’assiette et notre environnement, le paysage rural, les traditions, la biodiversité et l’éducation au goût. C’est ainsi que tous les deux ans depuis 2004, l’association internationale Slow Food réunit à Turin autour de la thématique « Terra Madre » des milliers d’agriculteurs et de producteurs de communautés nourricières de plus de 120 pays. Cette rencontre a lieu pour créer le lien entre les producteurs et les chefs, avec tous ceux qui veulent cultiver, élever, distribuer et promouvoir des produits d’une manière permettant de respecter l’environnement, de protéger la santé des consommateurs et de sauvegarder la dignité de l’homme. Un nouveau réseau d’artisans de la production alimentaire qui devrait être un contrepoint à l’agriculture industrielle, jouant un rôle de passeur et de sentinelles, loin des débordements de la paille et du moléculaire" :
On passe à autre chose. Pourquoi y mêler la cuisine moléculaire ?

Notre homme aurait-il l'esprit confus, ou bien son point de vue politique le conduit-il à un amalgame conscient ? C'est ce qui serait intéressant à savoir.


Sans réponse, oublions tout ce qui précède à l'exception du mot "sentinelle" : les intellectuels ne devraient-ils pas d'abord questionner de tels mots, eux qui se donnent souvent pour mission d'être des sentinelles de la pensée ? Que veut-on nous vendre ? Quelle idéologie nous propose-t-on et pourquoi ? Consommateur : ne s'agit-il pas d'abord de citoyens ? Respecter l'environnement : oui, mais soyons cohérents, avec nos petits jardins, nos cuisine, nos voitures, nos chauffages, nos gestes quotidiens.... Que faisons-nous et pourquoi ? Pourrions-nous le faire mieux ? Je crois que notre société a besoin de sentinelles éclairées, et elles-mêmes claires ! Les mots, dans cette affaire, sont essentiels.

samedi 10 novembre 2012

Prochain séminaire à New York

Chers Amis

voici ce que je suis heureux de vous transmettre :

Hello all,
 
 
All of us at the Experimental Cuisine Collective hope that you were not too personally affected by last week's hurricane. Please let us know if you are organizing relief events and/or need volunteers---we'll post information on our website. 
  
Our November ECC meeting will take place on Monday, November 19, from 4 to 6 p.m. in the Chemistry Department at NYU, room 1003 (31 Washington Place, between Washington Square Park and Greene Street). You will need a photo ID to enter the building.    

In this session, Francisco Migoya will be officially presenting The Elements of Dessert, his latest, just released cookbook. He will discuss his motivation for writing this book, the process itself, the book's content, design, and format, and go through recipes that are particularly necessary to dissect and discuss. To understand these principles through practice, we will conclude by sampling some of the chocolates featured in the book!

Francisco J. Migoya is an associate professor at the Culinary Institute of America, in Hyde Park, New York. He is the author of Frozen DessertsThe Modern Café, nominated for a James Beard Award, and The Elements of Dessert. He was named one of the Top Ten Pastry Chefs in America in 2011 by Dessert Professional. Before the CIA, Francisco was the executive pastry chef for The French Laundry, Bouchon Bakery, and Bouchon Bistro. 

Please RSVP at ecc112012.eventbrite.com. A link is also posted on our website. If you RSVP and can no longer make it, please let me know right away so that your seat can be released---thank you! 

All my best,


Anne 

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Anne E. McBride
Director, Experimental Cuisine Collective 

ABOUT THE EXPERIMENTAL CUISINE COLLECTIVE
The Experimental Cuisine Collective is a working group that assembles scholars, scientists, chefs, writers, journalists, performance artists, and food enthusiasts. We launched in April 2007, as a result of the collaboration of Kent Kirshenbaum of the chemistry department and Amy Bentley of the nutrition, food studies, and public health department at New York University with Chef Will Goldfarb of WillPowder. Our overall aim is to develop a broad-based and rigorous academic approach that employs techniques and approaches from both the humanities and sciences to examine the properties, boundaries, and conventions of food.

Visit the ECC online at www.experimentalcuisine.com. 

vendredi 9 novembre 2012

Ne manquez pas cette rencontre : 15 novembre !

Chers Amis
Je suis heureux de vous annoncer que le 15 novembre à 19 heures, le chef Mickael Foubert, son équipe, et certains de ses collègues des Toques Blanches Internationales serviront des bouchées note à note, lors d'une soirée publique de présentation de cette cuisine.
Une courte présentation sera suivie d'une discussion avec l'équipe de cuisine, puis les clients de l'hôtel pourront passer d'atelier en atelier pour déguster des bouchées note à note.

Pour ceux qui sont curieux de goûter...

jeudi 8 novembre 2012

Une autre belle nouvelle

Voici ce que je reçois ce matin :

Today we (the M.SC class) made our first note-by-note dish by re-creating one of the recipes you developed with Pierre Gagnaire. It was sago pearls made from whey, alginate and flavouring, a crisp made from caramelised glucose and granite also made from glucose and flavouring. We were pleased with the results. The students will in the next few weeks focus on producing their own dishes.

Champagne (note à note !)

mercredi 7 novembre 2012

Innovation, créativité

Alors que l'industrie (alimentaire) ne cesse de réclamer de l'innovation, je vois deux écueils majeurs, les Charybde et Scylla de l'innovation industrielle :

1. Charybde : c'est quand on donne un nouveau nom à une activité ou à un produit ancien. Evidemment, c'est déloyal, malhonnête, et donc répréhensible en vertu de la loi de 1905 sur le commerce

2. Scylla : c'est quand on conserve le nom d'un produit ancien pour le donner à un produit nouveau. Là encore, il est malhonnête de vendre des tournevis pour des marteaux.
A noter que des variations existent : par exemple, est-il honnête de faire des "crèmes anglaises" avec 6 jaunes d'oeufs par litre de lait, alors que les crèmes anglaises du Guide culinaire en comportent 16 ? La sauce moderne n'a rien à voir avec la sauce digne de ce nom.

Soyons maintenant positif : puisque l'industrie veut absolument de l'innovation, et qu'il est facile d'en faire (une journée sera organisée pour les PME le 14 février 2013 à AgroParisTech, sur ce thème), pourquoi ne pas donner de nouveaux noms à de nouveaux produits ?

Vive l'innovation honnête, intelligente, fruit de propositions des services de recherche et mise au point de sociétés dont les services commerciaux et marketing feront leur travail, de vente des nouveaux produits !

mardi 6 novembre 2012

Un message passionnant

Il y a quelques jours, je recevais un message passionnant. Je l'ai divisé en "petites bouchées" que j'ai introduites dans la colonne de gauche d'un tableau, et j'ai mis mes réponses dans la colonne de droite.
Puis, avant d'envoyer ce tableau à mon correspondant (que je ne connaissais pas), j'ai ajouté une réponse (en fin de billet).


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 Hier, j'ai reçu un courriel si passionnant que je n'ai pas perdu une seconde : une réponse détaillée s'imposait. 
Mon correspondant (que je ne connais pas) a accepté que je publie son texte, qui figure dans la colonne de gauche. Ma réponse est dans la colonne de droite. Et, comme en cuisine, on se sépare difficilement des amis (et ce n'est pas une rhétorique convenue), j'ai ajouté un petit message, qui donne des indications supplémentaires, qui auraient trouvé leur place dans la réponse. Il y a de la redondance, une perte de structure, mais tant pis : le formalisme est mortifère, comme l'observait Nietzsche. 
Et l'art, au contraire, est plein de vie... tout comme la science, qu'on ne confondra pas avec ses applications. 
Ici, il n'est donc en aucune façon question de gastronomie moléculaire (de la science), mais seulement de cuisine note à note

J'ai découvert vos travaux en 2001, alors que par provocation et curiosité je proposais en sujet de TIPE pour les concours d'entrée aux grandes écoles, sur le thème "Composition et décomposition" le sujet de la sauce salade.
Curiosité : merveilleux.
Provocation : j'en connais qui ont du mal à s'empêcher d'en faire... mais pour ce qui me concerne, la cuisine note à note n'en est pas.
Ce fut une année enrichie par la découverte de l'extraordinaire complexité des émulsions, par de franches rigolades en laboratoire avec simplement des ingrédients de la cuisine de tous les jours, mais également par l'excellent sujet des Mines 2000 sur le soufflé dont vous étiez si mes souvenirs sont bons co-auteur.
Oui, il y a eu une épreuve de physique, au Concours des Mines, consacrée aux transferts thermiques dans les soufflés. Je n'y étais pour rien... d'autant que la question, intéressante en elle-même, n'avait pas de pertinence culinaire. Personnellement, j'aurais fait calculer autre chose, mais peu importe : je remercie les collègues auteurs de ce sujet d'avoir popularisé la question.
Avance rapide à cette année ou un ami aussi mordu de cuisine que moi me parle de votre conférence sur la cuisine note à note publiée par AgroParisTech sur DailyMotion.
Je ne crois pas qu'il y ait eu une « conférence », mais il y a eu des Cours de gastronomie moléculaire consacrés à la cuisine note à note en 2012 : http://podcast.agroparistech.fr/users/gastronomiemoleculaire/weblog/706a3/Cours_de_Gastronomie_Moleculaire_2012.html
Et me voila immédiatement malgré moi en train de vouloir brandir "Soylent Green" (Soleil Vert) vis à vis de vos propos comme d'autres ont pu par le passé brandir "Brave new world" vis à vis du clonage humain.
Je n'ai pas vu Soleil Vert, mais j'ai compris qu'il était question de « nourriture de synthèse » (produite à partir de cadavres humains) produite par une multinationale Soylent, et de résistance. La « nourriture naturelle », dans cette histoire, est réservée aux nantis.
Oui, on m'a signalé plusieurs fois ce film... mais la proposition de la cuisine note à note n'a pas vocation d'aboutir à cette chose terrible !
Si vous me lisez bien, je propose d'abord de penser que la méthode la plus efficace de produire des nutriments est de cultiver des végétaux : d'une part, l'énergie solaire, l'humidité de l'atmosphère, le CO2, les sols... sont disponibles ; d'autre part, il a fallu des centaines de chimistes-ans pour synthétiser rien que la vitamine B12 !
C'est pourquoi je préconise fractionnement et craquage des produits végétaux : n'oublions pas le « magasin du bon dieu » qu'évoquait mon défunt ami Pierre Potier.
D'autre part, dans le livre La cuisine note à note, j'explique que le projet politique de cette cuisine est d'enrichir les agriculteurs.
En revanche, je discute aussi les mots « naturels » et « de synthèse », ou « artificiels ».
J'invite tous ceux qui ne l'ont pas fait à lire « De la nature », par John Stuart Mills... par ces temps de sentiments pro-nature souvent insuffisamment raisonnés.
Suis-je donc bien reactionnaire, me dis-je en mon fors intérieur.
Une réaction à la cuisine note à note ? Si l'on oublie la question de Soleil vert, et le fantasme qui est né de ce film, il demeure que j'ai été moi-même hésitant à penser l'idée. Mais mon livre explique que la cuisine note à note est une « évidence a posteriori », concept amusant, quand on y pense !
En vérité, je dois l'avouer, si cette conférence m'ulcère de prime abord, l'individu de pure raison qui cohabite tant bien que mal avec le concupiscent ne peut que gamberger tout azimut sur la portée et l'intelligence de vos propos.
Oui, nous tenons « viscéralement » à nos coqs au vin, poulets rôtis, choucroute...
Et c'est sans doute du conditionnement d'enfance : pour des raisons biologiques profondes, nous ne mangeons que ce que nous connaissons (néophobie alimentaire).
Et oui, je souhaite surtout susciter des réflexions : c'est la raison pour laquelle la Séance publique de l'Académie d'agriculture de France, le 19 décembre, sera une séance de questionnement !
Car oui, j'ose souvent défendre des propos proches du malthusianisme, souvent plus par envie de susciter la reflexion que par réelle conviction, et peut être ai-je décelé (à tort ?) une démarche similaire dans la part de votre conférence qui traite de la conservation de l'énergie et de l'entretien de notre environnement.
Je vous rejoins : avons-nous d'une démographie galopante, un peu bestiale, ou devons-nous apprendre la raison nataliste ?
Pour ce qui concerne l'énergie, je n'ai pas d'états d'âme, parce que je serai sans doute mort en 2050, quand le pétrole sera épuisé. Mais une crise s'annonce.
Pour l'environnement, la sensibilisation n'est plus à faire !
J'admire dans votre discours également le pragmatisme stratégique, fondé sur une expérience historique probante, et dont vous avez su faire l'eclatante démonstration de réussite à travers la gastronomie moléculaire.
Comptez sur moi : j'ai 365 jours par an, et 24 heures par jour. L'histoire de la cuisine note à note commence seulement !
Je me prends à rêver du jour où votre serviteur, bedonnant car incapable de maintenir son poids même en mangeant de la soupe et du jambon, cuisinant en fuyant la graisse (sauf quand il faut faire plaisir, auquel cas tous les moyens sont bons), pourra via un pianocktail se composer un repas savoureux, sain et équilibré. De la haute diététique gastronomique sur mesure, n'est-ce pas un rêve ?
Le pianocktail existe, mais je crois que la question est « un repas savoureux, sain, équilibré ».
A ce jour, il semble que la seule diététique qui tienne soit de manger de tout en quantités modérées, et en faisant de l'exercice.
Ce qui est passionnant, notamment, dans la cuisine note à note, c'est qu'elle pose des questions nutritionnelles auxquelles on ne sait pas répondre. Comment se nourrir note à note au quotidien ? Voilà la question posée à nos nutritionnistes et diététiciens. A noter qu'elle s'apparente à « comment nourrir des hommes et des femmes qui iraient faire des voyages au long cours dans l'espace » (à noter que je ne suis pas certain de l'utilité de tels voyages... mais si cela amuse certains).
Quant à la haute cuisine note à note, c'est ce qui se fera en premier, puisque la stratégie de développement de cette cuisine vise à l'introduire d'abord chez les chefs étoilés.
J'ai un vertige en imaginant le nombre de possibilités culinaires envisageables avec ce genre de techniques.
Oui, c'est infini. Et c'est donc merveilleux, car il va falloir trouver des critères de choix, autre que la paresseuse stratégie qui consiste à faire ce que l'on a toujours fait (steak ou poulet grillé, pâtes ou frites...)
Et puis vient la première question profondément humaine. Ai-je envie ?
En tant que gourmand, je réponds « oui » sans aucune hésitation.
En tant que citoyen qui voit les 45 % de gaspillage alimentaire, entre le champ et l'assiette, je réponds également que transporter « de l'eau qui pourrit », c'est honteux... de sorte qu'il faut fractionner à la ferme, et ne transporter que des fractions dont les cuisiniers (domestiques : ce sont surtout eux que je vise, disons que j'espère) feront une « cuisine note à note pratique », à défaut d'être une « cuisine note à note pure » (n'utilisant que des composés)
La cuisine est envie pour moi. L'imagination me vient lorsque j'ai un beau produit sous les yeux, sous la main, sur les papilles.
Cette réaction résulte d'une méconnaissance des composés et des fractions proposés.
Je me souviens de mon ami Pierre Gagnaire, à qui j'avais soumis de la poudre de betteraves (une jolie poudre d'un rose framboise, avec un goût superbe), qui en a fait un remarquable plat, présenté lors d'une conférence commune à l'Académie culinaire de France.
Et pour ce qui me concerne, j'adore les sotolons, 1-octène-3-ol, citral, etc.
Mais évidemment, le rêve ne peut s'élaborer que sur la connaissance !
Lorsque je passe devant les produits de cuisine moléculaire grand public dans leurs emballages aseptisés, je ne vois que l'ennui, pas le merveilleux champ de pommes de terres de Parmentier gardé contre les faméliques.
Merveilleux champ de pommes de terre ? Bof... J'ai peur qu'il y ait du fantasme !
Hier, par exemple, je pataugeais dans la boue d'un champ... de pommes de terre. Désolé, mais ça manquait de charme.
Quant aux pommes de terre, pourquoi pas de temps en temps, mais ce n'est pas ce qui me fait le plus rêver.
Ai-je envie que ma cuisine, avec ses épices, ses bons produits riches en textures et en saveurs, qui me font saliver, qui me font rêver, soit demain remplie de boites de plastique blanches et hermétiques ?
Les épices font saliver ? Amusant : nombre de composés note à note s'apparentent absolument à des épices.
Et puis, pourquoi n'aurions-nous pas de jolis flacons, au lieu de boites plastiques blanches et hermétiques ? Personne ne vous empêche de mettre de la gélatine dans un petit pot de grès alsacien, par exemple.
Je vous pose la question : est-ce le scientifique en vous qui s'émerveille de cette cuisine, ou bien est-ce le créateur du canard à la Brillat Savarin ?
Là, c'est très clair : de même qu'un amateur de musique veut découvrir des tas de nouvelles et belles musiques, de même qu'un amateur de peinture veut découvrir Zao Wu Ki, quand il en est resté à Rembrandt, moi, Gourmand, je veux absolument découvrir de nouveaux goûts, de nouvelles consistances, de nouvelles saveurs, des piquants et des frais originaux, des couleurs jamais mangées.
Et vient ensuite la question de la richesse. Je vais prendre le parallèle avec d'autres arts, si vous le voulez bien. On sait aujourd'hui produire de la peinture avec des composés de pigmentation et de stabilisation, des claviers electroniques et logiciels qui imitent formidablement de vrais instruments.
Malgré tout... Retrouve-t-on le charme des pigments anciens, même si ceux ci peuvent passer avec le temps ou contenir des poisons comme l'arsenic ?
Retrouve-t-on le charme des pigments anciens ? Laissons aux anciens les pigments anciens, et essayons de voir les couleurs encore jamais vues.
Par exemple, en faïence, Théodore Deck avait « tiré le bleu du ciel ». Plus près de nous, Klein a réitéré, et il y a de quoi s'émerveiller. Pourquoi n'y aurait-il pas une suite à cette image ? Et puis, pourquoi avoir le charme de l'ancien et le merveilleux du nouveau SANS l'arsenic ? Pardonnez moi, mais je préfère une vie longue pleine d'art, que la même vie écourtée par les poisons, avec le seul art des siècles passés.
Une remarque : en matière d'art, le nouveau s'ajoute à l'ancien, et ne le remplace pas. Imaginez le calvaire d'écouter du Bach toute la journée, ou de regarder du Durer, et seulement du Durer
Peut-on reproduire sur un synthétiseur Yamaha la richesse du son d'une flute traversière en ébène du même fabriquant, née du sacrifice d'arbres de plus en plus rares ?
Je suis flutiste, précisément... et j'ai une flute Yamaha... laquelle a fait hurler les puristes il y a 30 ans : amusant, donc, que vous preniez cet exemple.
Oui, on peut reproduire sur un synthétiseur Yamaha, ou même sur n'importe quel ordinateur la richesse du son d'une flute en ébène (d'ailleurs, désolé de vous dire qu'une flute Yamaha, c'est quand même bien mieux que de l'ébène ! Et puis, abattre des essences rares ?
... Combien d'efforts et de composés pour arriver à la richesse gustative équivalente (sans pour autant imiter) d'un pata negra ou d'une tomate de petite ferme ?
En réalité, pas beaucoup d'efforts. D'abord, évacuons le fantasme de « pata negra », ou de tomate de petite ferme. Oui, il y a parfois des produits remarquables... mais parfois seulement !
D'ailleurs, nous avons eu un débat passionnant, à AgroParisTech, à propos des « beaux produits » (je crois que c'est filmé, en podcast). En gros, la conclusion, c'est qu'un beau produit est un produit adapté à l'usage culinaire que l'on veut en faire. Une viande à braiser ne vaut rien pour une grillade, mais s'impose largement devant le plus beau des filets quand il s'agit de braisage.
Ensuite, les acousticiens ont montré que, au delà de sept harmoniques, on ne les entend plus. Et nos sens sont bien imparfaits. D'ailleurs... le cinéma, malgré les images successives, ne paraît pas saccadé. Et ainsi de suite : les pixels ne gagnent rien à être trop petits.
Regardez les recettes servies par les chefs des Toques blanches le 20 septembre 2012, lors de la conférence de presse pour la sortie du livre La cuisine note à note. Ce n'est pas difficile... et c'était très intéressant. En tout cas, bien supérieur au buffet minable d'un très grand traiteur du 6e arrondissement.
Plus généralement, il y aura d'extraordinaires oeuvres note à note comme il y a eu d'extraordinaires mets classiques. J'ai confiance... dans les artistes, puisque c'est une question artistique !
Peut-on seulement ?
Peut-on ? Oui. L'histoire des techniques est pleine de questions, à propos du plus lourd que l'air, à propos des sous-marins, à propos du gaz à tous les étages, à propos de l'électricité dans les rues, à propos...
La vraie question, c'est Prométhée ! Et là, utilisez vous par exemple un ordinateur ? Avec quelle bonne confiance ? Et l'électricité ?
Décidément, je suis bien content d'apprendre un minimum de clairvoyance en préparant mon livre sur la mauvaise foi. Non que je vous en accuse personnellement, mais je NOUS en accuse tous. Le partage humain/animal qui fait de nous des êtres humains me semble être une des causes de la chose.
De tels aliments ne valent-ils pas qu'on s'empoisonne un peu pour un moment de merveille ?
Pas sûr. S'il y a d'autres merveilles, pourquoi voudrais je celles qui empoisonnent ? Carricaturons : imaginons un champignon toxique au goût délicieux, mais qui ne nous laisserait que 10 ans à vivre. Le prendriez vous ?
D'ailleurs, ce fut le cas avec les sels de plomb dont les Romains édulcoraient leurs vins. L'Empire est tombé.
Donc, non, l'alternative n'est pas alimentation triste et note à note contre merveilles empoisonnées. Depuis que mes enfants m'y ont poussé, je réponds toujours que je préfère les framboises quand on me donne le choix entre des fraises et des pommes.
Je vous rassure, la question est ouverte, je suis dans le flou moi même, mais votre éclairage là dessus m'intéresserait. D'autant que je ne suis sans doute pas le premier à aborder le sujet avec vous :)
Et moi, je suis de moins en moins dans le flou, mais il est vrai que je m'interroge, car je me souviens de cette phrase : « Comment serais je insensé à croire à mes propres certitudes ? ».
Oui, vous n'êtes pas le premier, mais je vous remercie très vivement de ce baptème du feu, car il est amical, contrairement à ce que j'attends de certains journalistes réacs, qui attaqueront bientôt avec virulence (notamment pour que je réponde, et qu'ils soient mis en lumière).
Tant d'autres questions :
- Ethique : je ne reviens pas sur le problème Soylent Green
Moi non plus. Pas de fantasme
- Pédagogique : vous parlez "d'imposer" le note à note pour les moins de 20 ans histoire de régler le problème sur cette génération,
Là, vous avez entièrement raison : j'ai tort de vouloir imposer la cuisine note à note. Disons que j'y crois tant, d'un point de vue citoyen, que j'ai une grande envie de voir la cuisine note à note se développer rapidement.
Mais je dis aussi, souvent, que mes efforts ne sont que peu utiles. J'attends la prochaine crise de l'énergie, car elle imposera la cuisine note à note, tout comme la crise de la vache folle a imposé les gélifiants autres que la gélatine, que je proposais depuis 1980 en vain, les cuisiniers me rétorquant que j'allais empoisonner tout le monde : en 15 jours, ils ont tourné leur veste !
Donc j'attends avec patience et dynamisme, je fais de la pédagogie, je prépare le terrain, je suscite des réflexions dans des cercles variés : agronomiques, culinaires, etc.
mais ce genre d'éducation "forcée" en gastronomie a déjà mené à une pseudo-catastrophe aujourd'hui, une dégénérescence du gout vers une culture fast food, loin du réel plaisir gustatif. N'est-ce pas risqué ?
Je me méfie des « dégénérescences du goût » : après la Seconde Guerre mondiale, quand le jazz est arrivé, les classiques (les « Anciens ») en disaient que ce n'était pas de la musique. Puis, dans les années 1980, les amateurs de jazz ont dit que le hard rock n'était pas de la musique... Et cette querelle des Anciens et des Modernes dure depuis toujours. Et les Modernes gagnent toujours, par disparition des Anciens.
Et puis, quelle dégénérescence du goût ? Et qui sommes nous pour critiquer le goût des autres ?
La catastrophe dont vous parlez me semble double : 1) pandémie d'obésité (due à l'inactivité, principalement) ; 2) le vrai scandale alimentaire actuel, ce sont les « marchands de peur », ceux qui font croire que des résidus de pesticides (à peine dosables) sont un complot de la grande industrie/capital, et j'en passe et des OGM.
C'est là l'immense scandale du XXI e siècle ! Avec un « ilchimisme » qui livre à leur griffes un public trop naïf (et je me mets dans le public, sans supériorité, sachant trop combien je suis ignorant dans les domaines techniques qui ne sont pas les miens)
- Ne suis-je pas prêt à vivre moins longtemps en m'empoisonnant à petit feu pour vivre plus intensément ? (peut-on rire de cette question ?)
Déjà discuté, je n'y reviens pas
- et j'en passe.
Dommage (franchement) : cela m'aurait donné la possibilité d'exposer des réponses.
Plus généralement, je déclare sur l'honneur que je n'ai aucun intérêt financier au développement de la cuisine note à note. Je n'y ai même pas d'intérêt d'égo, et je crois seulement pouvoir m'attendre à des ennuis. N'ai je pas déjà reçu des menaces de mort lorsque j'avais proposé de supprimer les notions fausses de « cuisson par concentration » et de « cuisson par expansion », il y a une vingtaine d'années ? Cette fois, cela risque d'être pire !
Est-ce que je me trompe en imaginant que vous n'agissez pas en moteur universel sur ce sujet ? Outre l'engouement de chefs à expérimenter vos propositions, j'imagine que vous avez tout un entourage intellectuel modérateur n'est-ce pas ? Gastronomes traditionnalistes, diététiciens, sociologues, psychologues, philosophes ?
Je n'ai personne, mais je m'active pour avoir beaucoup de monde. C'est notamment le but de la séance du 19 décembre 2012 à l'Académie d'agriculture de France. C'est notamment la raison pour laquelle j'ai publié mon manifeste+manuel : en espérant qu'un très vaste dialogue se créera. C'est notamment la raison pour laquelle j'ai fait le Cours 2012, podcasté de surcroît : il s'agissait de poser des questions. C'est le but de mes conférences actuelles : créer un débat collectif, qui fasse intervenir des compétences variées... mais il est vrai aussi que je ne crois pas que les questions soient vraiment difficiles, en général.
Vraiment j'aimerais connaitre la nature du groupe de réflexion sur ce sujet.
Il n'y en a pas de constitué, mais vous me donnez une idée !
Et savoir d'ailleurs s'il existe des espaces d'échange publics en réalité, pour suivre et participer à la reflexion dans la mesure de mes maigres moyens (que n'ai-je pas pris cette décision de suivre un cursus dans cette voie...)
Cette fois, oui : il y a mon blog, où chaque internaute peut répondre à mes provocations, et aussi un Forum Note à Note sur le site d'AgroParisTech.
Hélas, peu d'interventions à part les miennes, pour l'instant.
Dans l'immédiat, je pense que je vais prendre la position d'un curieux.
Cela ne m'étonne pas de vous, que je ne connais pas mais que je découvre en vous lisant.
Il y a matière à ce que je travaille a partir de composés, et pourquoi pas que je conçoive quelques plats à l'occasion.
N'hésitez pas à me donner vos recettes, que je publierai immédiatement, en vous les attribuant bien sûr.
N'oubliez pas que le glucose et le gras font toujours recette !
Que je goute aussi ce que d'autres plus talentueux ont fait (d'ailleurs, travaillant à deux pas du renaissance de la défense, savez vous s'ils ont mis des plats à la carte ?).
C'est fait depuis une semaine
Mais sur le propos global, le temps me le dira.
Oui.
Je vous remercie si vous avez pris le temps de lire ma diatribe jusque ici. Et je vous serai encore plus reconnaissant si vous prenez le temps de me répondre ne serait-ce que pour m'indiquer des publications ou des endroits où je pourrais trouver des réponses à ces nombreuses questions.
C'est moi qui vous remercie, à nouveau
Et pour des discussions :



Cher Monsieur
Voici ma réponse. Je suis désolé d'être si peu hésitant, parce que je me souviens encore quand j'ai pensé la cuisine note à note pour la première fois, et cela me faisait drôle, indépendamment de toute provocation, puisque c'était dans le silence de mon cabinet, comme on dit.
Et plus le temps passe, moins j'ai de doutes et d'hésitations.
Surtout, avec le temps, je vois de mieux en mieux l'incohérence de nos comportements alimentaires, souvent au nom de la "tradition". Mais, la tradition n'est-elle pas, aussi, l'esclavage, la circoncision des petits garçons et l'excision des petites filles, et tant d'autres comportements que nous devrions rapidement éradiquer ? A propos d'empoisonnement, serions-nous prêts à manger des pissala traditionnelles, avec jusqu'à 15 g de cinabre par kilo de sel et par kilo d'anchois ? serions-nous prêts à boire des vins édulcorés aux sels de plomb ? La carricature a cela de bien qu'elle montre mieux le principe des choses.

Très cordialement, avec des remerciements appuyés pour votre message.