lundi 21 février 2022

Le beurre et l'oeuf


Un enfant m'interroge : pourquoi l'œuf durcit au feu alors que le beurre fond ?
La question est posée, donc, par un enfant, mais elle a de quoi intriguer n'importe quel adulte ! Puisse cet enfant rester assez émerveillé, pour devenir un adulte qui posera des questions analogues.

Pour le beurre, c'est essentiellement de la matière grasse, mais avec un peu d'eau dispersée dedans... comme on le voit en chauffant doucement du beurre : de l'eau trouble se dépose en bas du récipient, et la graisse pure surnage ; cette dernière est ce que l'on nomme le beurre clarifié.
Mais restons à la graisse pure : elle fige à froid, mais fond à chaud. Pourquoi ? Parce que la matière grasse est fait de tout petits objets, que l'on nomme des molécules de triglycérides, et qui sont comme des peignes à trois dent souples. Ces objets sont faits d'atomes (pensons à des boules, pour simplifier) de trois sortes : des atomes de carbone, des atomes d'oxygène et des atomes d'hydrogènes. Et, aux températures assez douces où l'on chauffe du beurre pour le fondre (moins de 60 degrés), les molécules ne sont pas modifiées, et l'énergie que l'on donne sert seulement à faire bouger assez les molécules pour que, au lieu de rester empilées, elles puissent se déplacer, et faire un liquide. Car un liquide, c'est de la matière où les molécules peuvent bouger, au lieu que, dans un solide, les molécules sont immobiles, même si elles peuvent encore vibrer autour de leur position fixe.

Pour l'oeuf, considérons le blanc, qui est plus simple que le jaune (mais le principe est le même) : ce blanc d'oeuf est fait majoritairement (90 pour cent) d'eau, et de 10 pour cent de "protéines", dont les molécules sont comme des colliers de perles repliés sur eux-mêmes (pour ces protéines là). Quand on chauffe du blanc d'oeuf, les molécules d'eau et les molécules de protéines s'agitent plus rapidement, et les colliers de perle sont déroulés (on dit "dénaturés"). Mais il se trouve que des atomes particuliers qui se trouvaient dans les molécules des protéines de l'oeuf, et plus précisément des atomes de soufre, peuvent s'attacher. Les protéines déroulées s'attachent donc, formant un réseau à trois dimensions (imaginons une toiles d'araignée dans toutes les directions), où les molécules d'eau sont piégées. Cette "coagulation" forme ce que l'on nomme un gel, un solide mou, qui ne coule plus.

dimanche 20 février 2022

Mes recettes pour Quatre à table

 Mes recettes, pour "Quatre à table"

Si tout se déroule comme on me l'a indiqué, une émission de TF1 intitulée Quatre à table me montre en train de composer un repas pour quatre personnes, avec 30 euros. Et c'est diffusé le samedi 19 février 2022.

En réalité, je n'ai dépensé que 22 euros, pour un repas très conséquent. Je vous en donne les recettes :


1. Bisque de crevettes crémée

Décortiquer des crevettes, et mettre les carapaces avec de l’huile dans une casserole.
Chauffer à feu soutenu jusqu’à ce que les carapaces brunissent.
Ajouter une carotte pelée et détaillée.
Cuire à couvert pendant 20 minutes.
Puis broyer, et passer.
Servir avec une quenelle de crème fouettée.


2. Oeuf 65,  crème de parmesan,

Mettre des œufs dans un four à 65 degrés et cuire ainsi pendant 2 heures.
Pendant ce temps, dans une casserole, suer un oignon divisé en dés, dans de l’huile d’olive.
Après cinq minutes, ajouter deux cuillerées à soupe de farine, et pousser le feu pour faire blondir.
Ajouter de l’eau, du sel, une pincée d’acide tartrique.
Cuire à couvert pendant 20 minutes.
Puis ajouter le parmesan, et cuire encore 5 minutes.
Passer au chinois.
Dans un bol, mettre les oignons retenus dans le chinois, en fond de bol.
Puis déposer dessus un œuf à 65 °C, que l’on a cassé en deux pour le déposer dans le bol.
Napper de la crème de parmesan.


3. Crevettes et crème de riz

Cuire à couvert, pendant 20 minutes,  du riz avec moitié eau, moitié lait, et une dizaine de gousses d’ail pelées.
Puis mixer finement.
Mettre cette purée d’ail en fond d’assiette.
Chauffer vivement les chairs de crevettes, et les déposer au centre de la crème de riz à l’ail.
Puis ajouter de l’échalotes divisée finement, crue, du piment d’Espelette, un peu de parmesan.


4. Würtz :

Presser trois oranges.
Dans le jus, faire tremper cinq feuilles de gélatine pendant 5 minutes.
Ajouter deux cuillerées à soupe de sucre.
Chauffer rapidement, porter à ébullition, et ne pas prolonger la cuisson.
Aussitôt, mettre la casserole sur des glaçons, et fouetter longuement, jusqu’à éclaircissement de la couleur.
Mettre dans des verres, au frais.


5. Gibbs vanille :

Dans une terrine, mettre deux blancs d’oeuf et ajouter de l’huile en fouettant, comme pour une mayonnaise.
Quand on a obtenu une belle émulsion blanche, ajouter :
- sucre
- acide tartrique
- aromatisant vanille
- quelques pistils de safran.
Répartir cette préparation dans de petites tasses, que l’on emplit aux deux tiers.
Mettre au four à micro-ondes jusqu’à ce que les gibbs gonflent.
Servir chaud.


6. Kugelhopf :

Dans une terrine, mettre :
-250 grammes de farine
-100 grammes de beurre
-50 grammes de sucre
-1/4 de cuillerée à café de sel fin
-1 œuf
-25 cL de lait
-1 sachet de levure lyophilisée, ou de la levure fraîche
Travailler beaucoup la préparation, jusqu’à ce qu’elle soit bien lisse.
Puis la couvrir et laisser fermenter (gonfler).
Quand la pâte a bien gonflé, la travailler quelques instants pour la faire redescendre (on « rabat »).
Puis refaire fermenter, puis rabattre, et ainsi de suite plusieurs fois (5).
Mettre des raisins secs dans une petite casserole, avec de l’eau à niveau et porter à ébullition.
Laisser  gonfler pendant la cinquième fermentation.
Puis, quand celle ci est faite, beurrer et sucre un moule à Kugelhopf.
Mélanger les raisins à la pâte, puis déposer dans le moule, et laisser fermenter une dernière fois.
Préchauffer le four, et enfourner à 180 °C ; cuire pendant 50 minutes.
En fin de cuisson, sortir du four et laisser refroidir avant de démouler.


Courses :
6 oeuf, 20 crevettes, 3 oranges, parmesan, 1 carotte, 1 oignon, 1 tête d’ail, riz, crème

Coût total : 22 euros

jeudi 17 février 2022

À propos de quenelles : ne vivons pas au Moyen Âge !

 

Il n'y a pas lieu de cuisiner comme au Moyen-Âge : de même que nous ne roulons plus en charette, nous n'avons pas de raison de cuisiner avec des procédés qui étaient déjà présents au Moyen-Âge ou à la Renaissance, n'est-ce pas ?

Pour réaliser des quenelles, il y a à la fois le geste technique de les mouler entre deux cuillères, ce qui s'apprend avec la pratique, mais il y a surtout la question de la juste consistance de la préparation, pour que les quenelles se tiennent quand elles tombent dans l'eau bouillante où elles sont pochées.

Commençons par le mot "poché, qui dit  bien qu'il s'agit de faire une poche où le reste de la préparation est retenu : il doit y avoir une coagulation de la surface, qui maintient l'intérieur de la quenelle.

S'il y a un pochage, c'est manifestement qu'il y a des protéines dans l'appareil, d'une part, et que ces protéines sont en quantité suffisante pour "coaguler"  la couche de surface.

Coaguler ?  Ces protéines sont initialement en solution dans un liquide, fût-il pâteux, et il faut que leur concentration soit supérieure à 5 % environ pour que la coagulation, c'est-à-dire la gélification, puisse se faire.

Et c'est ainsi que les cuisiniers ajustent progressivement leur préparation, afin qu'elle ne soit ni trop dur ni trop tendre, à l'aide d'un œuf.

Mais les oeufs -blanc ou jaune-  apportent simultanément de l'eau et des protéines, alors que, quand l'appareil ne se tient pas, ce sont seulement des protéines dont on a besoin.

Pourquoi ne pas ajouter tout simplement des protéines à l'état pur ? Cela se trouve chez les pâtissiers  : soit de la poudre de blanc d'oeuf, soit de la poudre de jaune. Quelques cuillerées règlent la question.

Décidément, je suis heureux de ne pas vivre au Moyen-Âge.

Questions about bread

I got very interesting questions : 

In your ‘Molecular Gastronomy 2006’ I found two (in fact three) very interesting articles about bread.
I am taking my chance here, since you invited your readers to ‘not hesitate’ with their questions.
Here are my questions :-)

1. (a short one)
In articel 68 'Bread and crackers' you are pointing out that bread between -20 and 0°C still undergoes alteration. Am I correct when I suggest that (sourdough) bread can be stored in the refrigerator at 6-10°C as well? Most bakers advise to put bread in the freezer. I like it better in the refrigerator, because defrosting can be ommited! Also, from my experience, it seems to me that restoring the bread in the oven for a few minutes at 180°C gives better result from being at a starting temperature of 10°C than of -18°C. I cannot explain why. Can you confirm? And if so, explain?

2. (a very long one, sorry :-)
In article 35 The secrets of bread, the first sentence ends with ‘(…) proteins, which form a glutenous network as dough is kneaded’. Theories that explain how gluten makes bread possible always are taking into account the importance of kneading the dough, being the starting point and condition of existence of the gluten network. But recently (and I think even since 1980’s) more and more bakers (like Chad Robertson of Tartine Bakery in the USA and the Respectus Panus movement in France) are exploring traditional methods that includes abandoning the kneading (and the use of commercial yeast), while letting the dough produce de gluten network in a spontaneous way (and ferment with sourdough). Instead of kneading, a slow mix of 2 minutes, just to hydrate the flour would be sufficient. After that only time is involved, no other ingredients. Also I believe that in preparing the sourdough starter there must be some spontaneous production of gluten involved, in the time that the starter develops (ripens), because in this time span the starter is able to double its volume within a few hours, while holding the carbon oxide in the sourdough mixture. But how is this proces going along with the process of fermentation. How can the two processes catch up and how to manage them? Is there a difference for the gluten between fermenting the starter and fermenting the dough, when nor starter nor dough is being mixed? Bioscience does not give any answers here, true? In my opinion scientist are biased through the common practice of the baking industry and they might focus on the wrong assumptions about bread making. Does the practice of this new generation of traditional bakers have consequences for scientific understanding bread making? In a way bioscience of breadmaking is still focussing on the shortcomings of common bakery industry related to intensive mixing practice, don't you think? Shouldn't they shift their focus to different aspects of bread making? Personally I would like to know more about the relation between the proces of gluten development and the parallel proces of fermentation through the microflora (microbiota). It seems to me that this is the main issue that I am trying to master as a professional sourdough baker, in my own bakery just through the empirical research of trial and error. How can bioscience be helpfull here? Do you know of any research about this issue in present days?

 

And here are my answers : 

 

Dear xxxxx
Thanks for your kind message. Let's begin by saying that indeed the interaction between proteins making a network are unknown. In the past, I assumed that they were disulfide bridges, but then came a work by Tilley and others, about dityrosine bonds being responsible of the netword... but finally, it seems to me that the "sugar effect" shows that only weak forces are involved.
Indeed, for this experiment, you make a dough, and when it's strong, you simply add icy sugar... and the structure is destroyed, probably because water molecules are more attracted by sucrose molecules (a lot of hydroxy groups) than by proteins.
In this assumption, the new hydration method can be explained... but as a scientist, I would say that any theory is insufficient, and we have to look more closely to the phenomena.
And I am not a specialist of bread. Indeed, I tried always to avoid the questions of bread, cheese, wine, because they are too difficult, and this is why I have to apologize not being able to answer better.
About the first question, I have to be more precise: at temperatures more than -20 °C, there are changes with time. And the hotter the temperature, the faster the changes.
Explaining your observation? It would take months or years...
And one final reflection: "gluten" is a very annoying term, because it makes people think that this is a specific material, but depending on the particular proteins involved (year of cultivation, etc.) you will have different glutenS ! Indeed the word gluten was introduced centuries ago, and I am always annoyed to use it myself, and this is why I prefer speaking of "protein network"... But wait: who ever demonstrated that there are only proteins participating to this network ???
You see after my answer you have more questions than before. I am sorry about that.

Kind regards

 

mercredi 16 février 2022

Une hypothèse : cela signifie que j'évoque une possibilité seulement

 

Il a bien longtemps, un chef m'avait signalé qu'il faisait de très bonnes frites en faisant jusqu'à 10 bain d'huile successifs.

À l'époque, je n'avais pas compris l'intérêt de la chose, et quand j'avais mesuré la pression et la température dans les frites, je n'avais pas vu d'effet particulier de ce procédé.

Mais je viens de me demander si l'intérêt du procédé n'était pas tout autre !

En effet, on se souvient de ces expériences lors desquelles j'ai mesuré la quantité d'huile dans les frites :  j'avais observé que quand on éponge les frites immédiatement à la sortie du bain, alors on évite l'absorption d'une quantité d'huile considérable : jusqu'à un demi gramme d'huile par frite !

Cette expérience condamne en quelque sortes le double bain, qui risque de faire venir dans les frites deux fois plus l'huile qu'un seul bain.

Mais si chaque bain s'accompagne de l'absorption de l'huile en surface, au sortir du bain, alors on peut imaginer que de très nombreux bains feront venir une quantité d'huile considérable, dans les frites.

Dans un séminaire de gastronomie moléculaire, nous avions montré que non seulement des dégustateurs reconnaissaient à l'aveugle des frites qui avait été épongées ou non, mais, surtout, qu'ils préféraient les frites avec de l'huile dedans.

D'où mon hypothèse : et des frites buvaient plus d'huile, avec de nombreux bains, les mangeurs ne les apprécieraient-ils pas, précisément, pour cette huile ?

Je rappelle en passant que l'huile chauffée n'est guère saine... maic mon hypothèse n'est qu'une hypothèse : qui la testera ?

mardi 15 février 2022

Séparer les cuissons, construire le goût



Oui le goût n'est pas donné simplement par les ingrédients,  mais il se construit comme on va le voir maintenant avec l'exemple de l'osso bucco.

L'osso bucco, c'est du veau, de l'oignon, de l'ail, de la tomate et du citron.
La recette classique recommande de singer les morceaux de viande, c'est-à-dire de les fariner et de  faire revenir les morceaux dans de la matière grasse, pour ensuite ajouter le liquide, l'oignon l'ail, la tomate.
Pourtant, je préconise de cuire d'abord les oignons, jusqu'à ce qu'ils soient fondantes.
Puis de réserver les oignons, et de faire revenir la viande à feu très soutenu pour obtenir un brunissement superficiel, sans cuisson de l'intérieur (qui durcirait la viande).
Puis de faire un roux, séparément de la viande.
De la sorte, les trois ingrédients seront parfaitement à point : pas besoin de se contorsionner pour arriver à faire tout ensemble.

C'est seulement ensuite qu'on réunira ces trois éléments et que  l'on ajoutera du vin blanc et des tomates, plus du citron, qui peut d'ailleurs être du citron confit au sel.

Ensuite  on cuira à basse température, afin de ne pas faire durcir les viandes, et, au terme d'une longue cuisson à basse température, on aura la viande à point.

Restera à ajuster la sauce : si elle est trop épaisse, on la détendra ; si elle est trop liquide, on la mettra dans une casserole à part pour la réduire.

Reste la question du goût :  je n'ai pas mentionné le sel, le poivre, et cetera. Pour le sel, c'est le plus facile : on sale comme il faut, en goûtant. Mais pour le poivre, on n'oubliera pas que ce dernier doit être mis moins de 8 minutes avant la fin de la cuisson, sans quoi sa fraîcheur piquante disparaît et une âcreté désagrable se manifeste.

Evidemment, on peut penser à d'autres épices : le clou de girofle, le laurier, etc., mais là c'est une volonté personnelle.

lundi 14 février 2022

À propos de potée, lorraine ou auvergnate

 

 Dans les potées,  il y a des légumes et de la charcuterie ou de la viande.

Les légumes, c'est notamment du chou et des carottes, mais aussi des oignons par exemple. Et l'on sent d'emblée, à l'évocation des potées traditionnelles, la présence de clou de girofle que l'on aura piqué précisément dans les oignons.

Pour les légumes, il faut savoir qu'ils ne s'attendrissent qu'aux températures supérieures à 82 degrés, mais que, dans l'eau bouillante, alors il y a un "entraînement à la vapeur d'eau" : cela signifie que les molécules odorantes, qui contribuent au goût, sont évacuées par la vapeur qui se dégage. En conséquence, on aurait peut-être intérêt à cuire les légumes non pas à l'ébullition franche, tumultueuse, mais au frémissement : cela suffit pour attendrir et cela concerve les composés qui donnent du goût.

Pour la viande, l'ébullition est également terrible, parce qu'elle fait des viandes à la fois molles et sèches, au lieu d'être tendres et juteuses. Là, s'impose une cuisson longue à basse température, par exemple 70 degrés.  

Ce qui signifie que l'on aurait intérêt à cuire en deux temps : d'abord la viande, pour une longue cuisson qui l'attendrit. Puis, en retirant la viande du bouillon, les légumes, dans le bouillon frémissant, avant d'ajouter la viande pour terminer.

Il y a enfin la question de la graisse qui vient flotter à la surface du bouillon et qui n'est pas excessivement digeste.
Là, il faut savoir qu'il y a, dans les laboratoire de chimie, un ustensile absolument merveilleux qui s'appelle ampoule à décanter. C'est un récipient en verre où l'on met le liquide, et dont la base comporte un robinet : quand on ouvre le robinet, le liquide inférieur s'écoule ; et il suffit de le fermer quand le niveau de la matière grasse arrive à la hauteur du robinet.
De la sorte, on effectue un dégraissage parfait.

Et c'est ainsi que l'on pourra servir un bouillon clair, des légumes bien tendres, et une une viande bien cuite mais pas sèche.

Évidemment, la qualité des légumes et des viandes est de toute première importance, notamment celles des saucisses qui ne manqueront pas d'être présente dans une bonne vieille tradition lorraine ou auvergnate. D'ailleurs le lard, aussi, ne sera pas oublié :  son goût fumé viendra parfaitement s'allier celui de clou de girofle.