mercredi 10 avril 2013

"science culinaire"/physique

La première revue de l'Académie culinaire de France se nommait "science culinaire", et c'est un titre juste si "science" signifie "savoir".

Oui, c'est une confiscation du mot par les "sciences de la nature", qui a conduit à la confusion d'aujourd'hui, entre ces dernières, et les savoirs en général.

Au fond, peut-être devrions-nous parler de "physique" (de physis, la nature), pour désigner la physique, mais aussi la science de la chimie, la science du vivant, la science de la Terre et de l'Univers.

L'invention des sciences de la nature

Les sciences de la nature ont-elles un père ? On avant Galilée, mais on cite insuffisamment Francis Bacon, qui écrit :

"Nous ne saurions trop recommander de ne rien avancer en matière d'histoire naturelle, qu'il s'agisse des corps ou des vertus, qui ne soit (autant que faire se peut) nombré, pesé, mesuré, déterminé ; car ce sont les oeuvres que nous avons en vue, et non les spéculations. Or la physique et la mathématique bien intégrées l'une à l'autre engendrent la pratique".

Nombrer, peser, mesurer, déterminer : voilà la marque (pas suffisant, mais un bon début) d'une science de la nature, singulière parmi les savoirs ! Et la réfutabilité est un deuxième pied, essentiel pour qui ne veut pas confire en suffisance.

Vive le doute positif et le nombre, qui borde le chemin !

mardi 9 avril 2013

Des fourmis ? Quel mépris !

Alors que je discute de la question grave de la "stratégie scientifique" (comment faire de la recherche scientifique pour se mettre en position de faire des découvertes ?), un ami me rétorque que là n'est pas la question, et qu'il vaut mieux orchestrer une activité aléatoire d'une armée de scientifiques, qui, tels des fourmis, exploreraient le monde au hasard, et sortiraient -par hasard, donc- des découvertes.

Quel mépris pour les scientifiques ! Et pour la science !

De toute façon, cette idée fausse est réfutée par les faits : les mêmes Davy, Faraday, Lavoisier, Einstein, Dirac, Bohr, De Gennes, Lehn... ne sont pas hommes d'une découverte par hasard, mais de beaucoup ! Einstein ? Il a à son crédit l'effet photoélectrique, la diffusion, la viscosité, la relativité restreinte, la relativité générale... De Gennes ? La supraconduction, les cristaux liquides, les polymères, le mouillage...

Allons, Messieurs des Décideurs, un peu de respect pour des choses qui vous dépassent ! Un peu de considérations pour les "belles personnes", s'il vous plait. Si vous êtes administrateur, contentez-vous d'administrer, d'aider une activité merveilleuse à se faire dans de bonnes conditions.

Et c'est ainsi que la physico-chimie sera de plus en plus belle !

Savoirs profanes

En ces temps étranges, il traine l'idée très néfaste et très fausse que la science se confond avec les autres savoirs, notamment les empirismes. Par exemple, je lis :

"les savoirs profanes peuvent exister et contribuer à bâtir des savoirs scientifiques. L'agriculteur qui constate le résultat de certaines pratiques, sans les expliquer biologiquement, peut utilement contribuer au référentiel du chercheur qui va utiliser ces données pour déboucher sur une loi"

Oui, les savoirs profanes peuvent exister (plus exactement, ils n'ont pas à exister, puisqu'ils existent) et contribuer à bâtir des savoirs scientifiques, mais l'empirisme s'arrête précisément... à l'empirisme !

Oui, l'agriculteur constate souvent le résultat de pratiques, qu'il n'explique pas toujours, et oui, ces phénomènes peuvent être explorés par la rechercher scientifique. Et alors ? Cela s'est toujours fait, cela se fera toujours, mais l'empirisme technique restera toujours de l'empirisme technique, et les sciences de la nature sont autrement singulières !

Ce type de discussions renvoie aux critiques des "sciences studies" (disons en français : anthropologie des sciences, pour ne pas dire épistémologie, ce qui est autre chose), mais ces dernières ont beau faire : elles ne convaincront jamais personne du fait que les sciences de la nature, les sciences dites "dures", sont d'une autre nature que certaines sciences de l'homme et de la société (celles qui ne font pas usage de la méthode : observation d'un phénomène, quantification, synthèse des données en lois, recherche de mécanismes, prévision expérimental, tests expérimental de la prévision, en vue de réfuter cette dernière),  certains empirismes, sont des savoirs, mais pas des sciences au sens défini plus haut : pour les sciences de la nature (sciences exactes, sciences dures, philosophie naturelle),  les idées, les imaginations théoriques, les hypothèses sont "balisées" par le recours aux nombrex, au quantitatif, avec l'idée que les théories sont insuffisantes par nature et qu'il faut réfuter pour les améliorer.
C'est une différence essentielle, sans compter la différence d'intention : comprendre pour les sciences, et faire pour la technologie et les techniques.

On entend parler de "forteresse scientiste", mais c'est là penser que les sciences de la nature (sciences dures, philosophie naturelle...) seraient un bastion assiégé ; disons que cela serait le rêve de certains qu'il en soit ainsi, mais cela n'est pas : la philosophie naturelle fait son travail en se moquant des critiques, parce qu'elle n'est pas un être humain, mais une pratique.

Et, mieux, la philosophie naturelle est une pratique singulière, qui ne se confond pas avec les autres savoirs.

mardi 2 avril 2013

Prochain séminaire

Chers Amis

Notre prochain séminaire de gastronomie moléculaire se tiendra le lundi 15 avril 2013, de 16 à 18 heures, à l'Ecole supérieure de cuisine française, au centre Jean Ferrandi de la Chambre de commerce de Paris, 28 bis rue de l'abbé Grégoire, 75006 Paris.
Le thème retenu sera :
L'écumage des bouillons de boeuf améliore-t-il la clarté ?

Au plaisir de vous y retrouver.

E 413

Les additifs, mauvais pour la santé ? En tout cas, ils sont traditionnels, et les amateurs de "bonne vieille cuisine française" doivent savoir que le E413, la gomme adragante, était non seulement utilisée au siècle passé pour stabiliser les crèmes fouettées (domestiques), mais... présente dès 1604 dans l'Ouverture de cuisine de Lancelot de Casteau  :


Pour faire paste de succre.
Prennez du fin succre bien tamizé par vn fin tamier, puis ayez gomme d'aragante bien trempee en eau de rose passée par vn estamine aussi espes que vous le pouuez passer, puis mettez vostre gomme dedans vn mortier de cuiure ou autre & estampez bien vostre gomme, y mettant tousiours vn peu de succre tant que vous faictes vne paste maniable. Notez tant plus est il battu tant plus blanc deuient il: de ceste paste vous pouués former ce que voulez, comme faire en formes cauees, ou des trenchoirs, ou plats, ou tasses ce que vous voulez, & le mettez suer dedans vn four qui ne soit pas trop chaud, vous le pouuez aussi dorer aussi fort que les voulez auoir: gardez bien que le four ne soit point si chaud qu'il face leuer la paste par bontons, cela ne vaudroit rien, car il faut que la paste demeure ferme.

dimanche 31 mars 2013

N'oublions pas le service à la française

Jadis les Français mangeaient... à la française : les diverses préparations étaient disposées sur la table, à des endroits particuliers, et ils étaient renouvelés d'une certaine façon, un peu comme un buffet que l'on regarnirait, mais avec la différence que l'on mangeait ce que l'on avait près de soi.
Ce fut un séisme quand le service à la russe s'imposa : c'est celui que nous connaissons aujourd'hui, où les mets sont apportés, puis servis aux convives. Certes, on mange chaud... mais mange-t-on socialement ?

Manger socialement ? C'est cela qui est bon. C'est pour cette raison que les fondues au fromage ou bourguignonnes ont tant de succès. C'est pour cette raison que le couscous mangé à l'ancienne, avec un plat devant tous, que l'on prend à la main, a son succès. Rien de pire, en quelque sorte, que les mets mangés seuls.

Du coup, ne pourrions nous pas organiser nos repas pour retrouver l'intelligence du service à la française, en plus de l'intérêt du service à la russe ?
C'est un peu ce qui se fait dans le pot-au-feu à l'alsacienne, où des condiments sont répartis sur toute la table, échangés à la demande entre les convives. Tous mangent la même viande, partagée entre tous ; tous boivent le même bouillon corsé, brûlant ; et tous s'échangent les condiments, se parlant, échangeant.

Et c'est ainsi que le pot-au-feu devient un mets merveilleux !