mardi 22 juillet 2025

Question à propos des steaks

 Un commentaire, ce matin, à propos de la cuisson d'un steak : 

La viande doit être saisie à feu vif mais combien de temps et à quelle température? Faut il maintenir le feu vif pendant toute la cuisson ? Sinon à quelle température ? Faut il régulièrement verser du beurre ( *nourir"))comme on voit dans certaines vidéos ?

 Cela est une excellente question, et je ne suis pas certain que l'on doive donner la réponse en termes de nombres. 

Pour la température, tout d'abord, il faut observer que les cuissons "lentes" ont une fumée blanche sans beaucoup d'odeur : la viande se contracte, expulse du jus qui s'accumule avant de s'évaporer, limitant la température à 100 °C sous la viande, alors qu'un feu "vif" fait augmenter considérablement la température, parce qu'elle évapore  immédiatement tout liquide qui sort... et la fumée a une apparence différente, et une odeur "cuite". 

Mais le décours éventuel de température permet des cuissons différentes. Si l'on a une cuisson à feu très vif pendant peu de temps, on aura un intérieur saignant et un  extérieur bien cuit ; si l'on a une cuisson à feu faible et peu de temps, on aura un intérieur saignant et un extérieur peu cuit ; si l'on a un feu vif et une longue cuisson, on aura une viande bien cuite ou à point, selon ce que l'on souhaite...

 Faut-il "nourrir" la viande avec du beurre ? Pourquoi pas, mais alors il vaut mieux du beurre clarifié, qui ne noircira pas, et, d'autre part, il faut savoir que cela n'a d'intérêt que pour des viandes coupées perpendiculairement aux fibres, pour lesquelles la contraction ferait apparaître des fissures où le beurre pourra s'introduire par capillarité (voir Mon histoire de cuisine, à ce propos). 

lundi 21 juillet 2025

Une molécule est une molécule

Ce matin, plusieurs questions, mais en voici une en particulier, qui mérite un commentaire public : 

J'ai une question par rapport aux molécules synthétiques vs naturelles. Je sais que les propriétés physiques ainsi que l'odeur et le goût des molécules synthétiques vs naturelles sont identiques ex linalool synth vs naturel. Qu'en est-il de leurs activités biologiques et de leur propriétés toxicologiques ? Pouvez-vous me diriger vers des articles et références qui étudient cette question ?

 

 Ici, je sais d'expérience qu'il y a la question des mots, qui est source de confusions. 

Une molécule, c'est donc un tout petit objet, fait d'atomes de divers éléments, liés par des forces interatomiques (une sorte de pléonasme que cet adjectif). Les éléments considérés, ici, sont principalement le carbone, l'hydrogène et l'oxygène. Et pour ces trois éléments, les atomes sont faits d'un "noyau", assemblage de protons et de neutrons, avec autour des électrons, comme la terre autour du soleil. 

Les effets biologiques des molécules ? Une molécule a un effet si elle a un "récepteur", à savoir si l'organisme comporte une molécule agissant comme une serrure vis à vis de la molécule bioactive, qui est comme une clé. Et la disposition des atomes est donc très essentielle. Donc tout est simple, au premier ordre. Et une molécule est entièrement déterminée par ses atomes, leur disposition. 

Maintenant, il peut y avoir des effets qui sont au niveau du détail des détails. Par exemple, certains atomes d'hydrogène peuvent avoir dans leur noyau, en plus du proton, un neutron, et c'est ce que l'on désigne par "deutérium". Les propriétés chimiques sont quasi identiques, mais des outils de mesure très sensibles voient des différences... et c'est ainsi qu'une entreprise française d'analyse a fait son succès commercial en devenant capable de détecter du sucre ajouté dans les vins, pour des chaptalisations ou pour des fraudes. Mais, je le répète, c'est un détail au regard de la question posée. 

 

Maintenant, synthétique et naturel ? 

Une molécule naturelle, c'est une molécule qui se trouve dans la nature, fabriquée par les plantes ou par les animaux, voire par les éléments (la chaleur, la foudre, etc.). 

En revanche, une molécule synthétisée, c'est une molécule qui a été... synthétisée, à savoir qu'on a rassemblé des atomes d'une certaines façon pour faire la molécule. Et, évidemment, si l'on même les mêmes atomes organisés de la même façon, on obtient la même molécule, qui ira ouvrir les mêmes serrures ! 

Cela dit, on peut répondre plus subtilement que cela à la question de notre interlocuteur, parce que l'on peut synthétiser avec des niveaux de précision variés, parce que la question des "impuretés" est essentielle : les composés extraits de produits naturels ne sont pas accompagnés des mêmes "impuretés" que les produits de synthèse (parfois plus purs que les produits naturels). 

Par exemple, notre correspondant parle de linalol, qui est un composé odorant présent dans de nombreux végétaux. Parler du linalol au singulier, c'est une erreur, parce qu'il y a divers linalols, et que le (S)-(+)-linalol n'a pas la même odeur -donc pas les mêmes effets biologiques que le (R)-(-)-linalol. Mais une molécule d'un de ces deux linalols est une molécule de ce linalol-là, quoi qu'il arrive. Et la question "isotopique" précédente (l'hydrogène vs le deutérium) ne se pose pas, du point de vue de l'odeur. 

En revanche, quand on a un de ces deux linalols dans une matière végétale, elle n'est pas seule, et aucune plante n'a donc l'odeur de ce linalol particulier. 

Puis, si l'on extrait ce composé, il n'est plus "naturel", mais d'origine naturelle... et son extraction ne permet généralement pas de l'avoir pur ! De sorte qu'il y a des "impuretés"... et que ces impuretés peuvent être essentielle. 

C'est ainsi que le mélange des deux limonènes R et S n'a pas d'odeur quand il est fraîchement obtenu par distillation... et que cette odeur de Citrus n'apparaît qu'ensuite, sans doute due aux impuretés, plutôt qu'aux limonènes. 

Pour les composés de synthèse, il y a également des impuretés, qui résultent du procédé de préparation, et il n'est d'ailleurs pas dit que ces impuretés soient plus abondantes ou plus dangereuses, bien au contraire : les opérations de synthèse étant mieux contrôlées que les extractions (qui partent de mélanges complexes), il est possible qu'il y ait bien moins d'impuretés. 

Enfin, mon interlocuteur me parle d' "activités biologiques et propriétés toxicologiques" : amusant, car les effets toxicologiques sont des activités biologiques, non ? Car je fais l'hypothèse, vu les composés qu'il discute, que ce sont de toutes petites quantités de composés qui sont considérées ici, de sorte que l'on est bien dans le cadre des clés et des serrures, des composés bioactifs et de récepteurs. 

Là, les impuretés sont essentielles, car elles peuvent avoir des récepteurs, que les composés soient d'origine naturelle ou synthétisés, et quelqu'un qui fait bien son travail, d'extraction ou de synthèse, se préoccupe de cela. 

Mais finalement, une molécule est une molécule, n'est-ce pas ?

dimanche 20 juillet 2025

De l'importance du geste pour les sciences de la nature et pour la cuisine

 
Aujourd'hui, je rapproche la question du chlore de celle de la crème chantilly. Oui le chlore ne se mange pas, contrairement à la crème chantilly, mais ces deux produits suscitent le même type d'observations, comme nous le verrons. 

 

Commençons par la crème chantilly dont la confection n'a jamais été traditionnelle dans ma famille. Ce fut une de ces petites victoires personnelles que d'arriver à faire ma première crème chantilly. Pourtant, rien de plus simple : on prend la crème, on la fouette, et elle monte en chantilly ; disons en crème fouettée, qui devient de la crème chantilly quand on ajoute du sucre. Bien sûr, quand il fait chaud, il vaut mieux avoir refroidi la crème et le récipient, avoir éventuellement ajouté des glaçons. Mais en règle générale, c'est tout simple. D'ailleurs, si je me répète, je ne parviens pas à ajouter grand chose à ce que j'ai déjà dit. Voyons : on prend une jatte (s'il fait chaud, on refroidit cette dernière) ; on y met de la crème, si possible fleurette;  on fouette, et après un temps compris entre 22 secondes et plusieurs minutes, on voit que les bulles ont une taille  qui diminue et, surtout, que la consistance change. C'est tout : quand on fouette de la crème, on a de la crème fouettée, et si l'on sucre, on obtient de la crème chantilly. Qu'ajouter ? Que si l'on a pas de crème fleurette, mais seulement la crème épaisse, alors on ajoute un peu de lait à la crème épaisse, mais pas trop sans quoi la préparation reste liquide même si l'on fouette longtemps. Bref, malgré mes contorsions intellectuelles, je ne parviens pas à rendre les choses compliquées :  rien de plus simple que de fouetter  de la crème pour faire de la crème fouettée, qui devient de la crème chantilly si on l'a sucré, ce qui contribue d'ailleurs un peu plus de fermeté. 

J'ajoute maintenant un point supplémentaire : je me souviens qu'il y a quelques années, le directeur commercial d'une grosse société alimentaire m'avait téléphoné pour me dire que mon livre Révélations gastronomiques, qui contenait les prescriptions pour obtenir une crème fouettée, n'était pas complètement suffisant, puisque, malgré la lecture attentive du livre, il n'avait pas réussi à faire une crème fouettée. Il était amical et nous décidâmes que j'irai chez lui pour dîner et lui montrer comment faire cette crème chantilly. Ensemble, nous avons donc pris une jatte, déposé de la crème dedans et je lui ai proposé de fouetter devant moi. Au bout d'un moment,  alors qu'il avait obtenu une crème bien fouettée, il continuait à fouetter, de sorte que je lui ai fait observer qu'il fallait s’arrêter, puis qu'il avait le résultat qu'il escomptait. Et c'est alors qu'il m'a demandé  : "Parce que c'est ça,  la crème chantilly ?"  Oui, il croyait qu'il devait obtenir la consistance des crèmes chantilly en bombe, qui sont bien différentes des véritables crèmes chantilly. En réalité,  il ne savait pas voir  qu'il avait obtenu le résultat visé, mais il savait faire la crème chantilly. 

J'en viens maintenant à la question du chlore : c'est un gaz vert, toxique, qui fut étudié par les chimistes du 18e siècle, et liquéfié pour là pour la première fois par Michael Faraday. Je parle du chlore parce que je viens de retrouver dans une biographie de Faraday tout une discussion sur l'instruction, et notamment le fait que tous les livres du monde, avec toutes les descriptions qu'il faut, ne sauraient remplacer le fait de voir un jour du chlore véritablement. C'est donc la même question que pour la crème fouettée  : on sait la chose, mais, tant qu'on ne l'a pas vue, il nous manque quelque chose. 

Cela nous rapproche d'une discussion préalable à propos des travaux pratiques, dans les études scientifiques, et le fait que ces séances pratiques sont en réalité indispensables, même pour des personnes qui comprennent parfaitement. Tant qu'on a pas appris à garder le capuchon d'une bouteille entre la paume de la main et les derniers doigts, tandis que les  autres doigts  servent à  verser, tant qu'on n'a pas pris l'habitude de ne jamais rien poser sur le premier carreau d'une paillasse, tant qu'on n'a pas appris à ne pas se toucher le visage avec les gants, tant que...  Et bien, on ne sait pas le faire ! 

D'ailleurs, il en va de même pour la bicyclette, nager, monter à cheval, jouer de la musique : il faut de la pratique, et aucune théorie n'est suffisante. Bref, je suis dans les traces de Faraday : il ne suffit pas de savoir tous les beaux principes, et il faut expérimenter !

samedi 19 juillet 2025

Le bonheur ineffable de l'expérimentation

Une expérimentation lamentable et ennuyeuse ? C'est que l'on n'a pas compris l'enjeu ni l'intérêt ! 

Hier j'ai vu un étudiant qui faisait une expérience de façon lamentable : les gestes étaient imprécis, les résultats étaient mauvais, il souillait la paillasse...   et il m'a même avoué qu'il s'ennuyait. 

Le fait que notre ami s'ennuie démontre qu'il n'est pas à sa place : comment peut-on s'ennuyer quand on apprend ?

Notre ami n'a pas compris que la question n'est pas de faire des gestes, mais d'apprendre à les faire, et, mieux même, à les faire bien ! 

On pourrait discuter le fait que seuls des gestes bien faits conduisent à de bons résultats expérimentaux, socle de théorisation saine ("données mal acquises ne profitent à personne"), mais il vaut sans doute mieux revenir à cette phrase merveilleuse et terrible : "la vertu est sa propre récompense". 

Ici, si l'on ne veut pas être dans l'attente d'un résultat qui ne viendra peut-être pas, il faut absolument prendre plaisir au moindre geste expérimental, raison pour laquelle, personnellement, je cherche à faire que toute expérimentation s'apparente au ciselage d'un joyau. Tout geste doit être minutieux, intelligent, précis, associé à la tête et non limité aux doigts ! 

 

Oui, un bon geste expérimental mobilise toute notre intelligence, de la tête et des mains

 J'ajoute qu'observer mon jeune ami faire si mal  me tire vers la boue du sol, et je m'empresse de lever le nez vers le ciel bleu. 

Car oui  :  le ciel est bleu  ! Je n'oublie pas de penser qu'une expérimentation bien faite et un plaisir inouï... pour ceux pour qui c'est un plaisir inouï... de sorte que ceux pour qui ce n'est pas un plaisir doivent quitter le laboratoire pour aller trouver du plaisir ailleurs. 

Je n'oublie pas le bonheur de faire des gestes précis pour obtenir des résultats tout à fait conformes à l'intention qui était la nôtre. Je pense avec bonheur au plaisir immense que j'ai quand je "cisèle" une expérimentation, que la moindre goutte de solution que je transvase est déposé conformément à ma volonté, qu'aucun grain d'une poudre que je manipule n'échappe à la pesée... Oui, c'est grâce à cette minutie parfaite que je peux obtenir des résultats merveilleux, que je peux réduire les bruits dans les analyses, que je peux chasser le diable qui est caché derrière chaque détail. 

Et dans ce travail soigné, bien pensé et bien exécuté, il y a le début d'une beauté qui ne demande qu'à grandir. Bien pensé et bien exécuté : tout est là ! Il y a pas de place à l'avachissement ; nos gestes, notre pensée doivent au contraire être tout entiers tournés vers la perfection... ou, plus exactement vers l'infaillibilité, puisque on se souvient que l'expression est en réalité "il faut tendre avec effort vers l'infaillibilité sans  y prétendre". 

D'ailleurs, comment prétendre à la perfection, quand nous nous observons de bonne foi ? Faire un beau geste conformément à notre intention initiale est quelque chose de si difficile que le peintre Shitao en a fait un livre intitulé L'unique trait de pinceau. Je ne partage plus nombre d'idées présente dans ce livre, mais je conserve l'idée que les gestes bien faits sont un plaisir immense, fruit d'une concentration parfaite, d'une pensée claire.

vendredi 18 juillet 2025

Les principales réactions en cuisine

Je me suis interrogé sur les transformation moléculaire qui ont lieu quand on cuisine et j'ai finalement conclu qu'il y en avait principalement trois... et plus. 

 

Mais je propose d'observer,  tout d'abord, que je parle de transformations moléculaires et non pas de réactions chimiques. C'est juste, car une réaction entre des molécules, c'est une réaction entre des molécules, ou réaction intermoléculaire. Cette réaction ne devient "chimique"  stricto sensu  que lorsqu'elle est étudié par un scientifique spécialisé en chimie, un "chimiste". 

On a l'impression que je pinaille un peu, mais en réalité, puisque la pensée, ce sont les mots, n'avons-nous pas tout intérêt à avoir des mots juste pour penser juste ? Cela nous permettra de mieux faire la part des choses, et, notamment, d'éviter de croire que la cuisine soit de la chimie.

 En effet, la cuisine est une technique de production des aliments, éventuellement associée à une composante artistique, tandis que la chimie est une science de la nature, qui vise à comprendre le mécanisme des phénomènes. Rien à voir par conséquent.

Mais j'arrive maintenant à la question des transformations moléculaire en cuisine.  

En réalité, quand on cuisine,  il y a des myriades de réactions, et notamment parce qu'il y a  des myriades de composés. Mais il y a des réactions "fréquentes", et d'autres qui le sont moins.  

En effet, commençons par observer que la cuisine utilise des ingrédients pour construire des aliments. Ces ingrédients sont traditionnellement des tissus végétaux ou animaux, ce que l'on dirait plus couramment légumes, fruits, viandes, poissons, œufs... 

Commençons  par les ingrédients d'origine animale, faites principalement d'eau, de protéines, de lipides. L'eau ce n'est pas transformée quand on la chauffe ; du moins, sa molécule n'est pas modifiée, même quand l'eau s'évapore. 

En revanche, les protéines peuvent réagir : d'une part, certaines peuvent se lier chimiquement, comme quand un blanc d’œuf coagule, ou qu'une viande, un poisson cuisent (on voit bien la perte de transparence, comme pour le blanc d’œuf). Mais certaines protéines se dégradent :  par exemple quand on attendrit une viande. Dans le premier cas, on a la "coagulation des protéines", et dans le second, on a ce que nomme leur "hydrolyse". 

Pour la coagulation des protéines,  c'est assez simple, car la réaction principale est la formation de liaisons nommées ponts disulfure entre certains maillons de ces chaînes que sont les protéines :  il s'agit en réalité d'une réaction d'oxydation. 

Pour la seconde, que l'on observe par exemple quand on cuit longuement du pied de veau et qu'on le récupère de la gélatine dans une espèce de soupe pleine d'acides aminés et de peptides, les chaînes que sont les protéines se déplient, puis se dégradent en morceaux plus ou moins long  : ce sont ces petits  morceaux que l'on nomme peptides, ou acides aminés quand ce sont les morceaux élémentaire des chaînes de protéines. 

Pour les produits végétaux maintenant, la constitution est différente, car  ces tissus sont fait principalement d'eau et de composés de la famille des saccharide, disons les sucres. Il y  a soit les polysaccharides, de longues chaînes  comme l'amidon ou la cellulose,  et de petits sucres comme le saccharose ou encore plus petits, le glucose ou le fructose, par exemple. A la température de 100 degrés, qui est souvent atteinte en cuisine (en effet, même si l'on chauffe à plus de 100 degrés, la température à l'intérieur des ingrédients reste de 100 degrés  ou moins tant que l'ingrédient contient de l'eau), alors la principale réaction est une "hydrolyse", à nouveau la division de nos chaînes en petits morceaux. 

C'est ainsi que les carottes s'amollissent, par exemple. En effet, les carottes sont dures parce qu'elles sont faites de cellules qui sont entourées d'une paroi végétale, et cette paroi est faite de celluloses, des polysaccharides résistants. Les piliers de cellulose qui composent la paroi sont reliés par des sortes de cordes que sont les molécules de pectine. Or quand on cuit, les pectines sont dégradées par une réaction d'hydrolyse qui est plus particulièrement nommée "élimination bêta". 

 

Là, on a fait le tour des principales réactions... et puisque nous avons fait le tour, j'ai la conviction que si l'on parle de chimie dans le cursus des cuisiniers, c'est d'abord de ces trois réactions qu'il faut parler,  car je ne cesse de répéter que c'est une bonne pratique que de considérer l'essentiel avant l'accessoire, le gros avant le détail. Quelqu'un qui plongerait d'abord dans l'insignifiant serait nommé en alsacien Diffalaschiesser, ou chieur de rondelles mais surtout, intellectuellement, il ou elle ferait une faute intellectuelle. 

Cela dit, il faut quand même que la cuisine n'est  pas seulement une question de consistance, mais aussi de goût. Une viande qui brunit, c'est rien du point de vue des quantités, mais essentiel du point de vue du goût. 

Et c'est pour cette raison que j'ai  parlé du "diamant de la cuisine". Les brunissements, ce sont des tas de réactions bien plus complexes que les trois évoquées. Faut-il entrer dans ces détails, dans la formation des cuisiniers ?

jeudi 17 juillet 2025

La "pyramide" des études ? Méfions-nous !

Je viens de recevoir un très "intéressant" document qui discute l'efficacité des méthodes d'étude, sous la forme d'une pyramide (un schéma simple, ça marche toujours, non ?) venant d'une institution de formation prestigieuse (une école de commerce : des quasi divinités, non ?)... et je dois avouer que je suis tombé dans le panneau de l'argument d'autorité, pendant quelques secondes. 

Mais c'est parce que je suis affligé de la même mauvaise foi que l'ensemble de mes congénères, et j'aurais dû relire mon propre livre  : Le Terroir à toutes les sauces. 

La pyramide dit (mais tout ce que l'on nous dit n'est pas juste, loin s'en faut) que les études seraient plus efficaces quand les informations sont transmises par des pairs que quand il y a un cours donné par un professeur. 

Cela me prenait dans le sens du poil, moi qui ne cesse de discuter la question des études au point de refuser de parler d'enseignement, mais c'est réalité une sorte de mauvaise foi. 

De surcroît, je récuse l'autorité des professeurs... mais pas complètement comme on le verra. Ce que j'accuse, c'est que les professeurs aient une autorité, non pas intellectuelle, mais humaine. Car sommes-nous bien assurés qu'ils soient tous supérieurs aux étudiants ? Qu'ils soient tous des exemples moraux et politiques ? Devons-nous supporter que cette autorité ne soit pas discutée ? En outre, je maintiens que les professeurs sont prétentieux de penser qu'ils puissent enseigner, parce qu'un étudiant qui n'a pas décidé d'étudier n'apprendra pas, en dépit des efforts éventuels du professeur, de son "autorité". 

Bref, cette pyramide m'allait bien, jusqu'au moment où je me suis aperçu qu'il y avait des évaluations numériques : 95, 5, etc. Or mon métier m'a habitué à discuter les valeurs numériques, et, au minimum, de les assortir d'estimation des incertitudes. On mesure ? Alors on estime les incertitudes, surtout si l'on veut comparer des mesures. Et puis, on mesure comment, avec quel instrument, quelle méthode ? 

Mais au fond, je ne vais pas perdre mon temps à aller regarder cela dans une éventuelle publication, parce que ma réflexion me montrer que tout cela est idiot : la question est celle de l'efficacité des méthodes d'études... mais pour qui ? Je vois tant d'amis qui n'étudient pas comme moi que je dois conclure que les étudiants sont tous différents, et que l'efficacité des méthodes dépendent des humains, de leur culture, de leurs habitudes, de leur milieu, de leur pays... D'ailleurs, même quand on évoquer les cours donnés par les professeurs, c'est idiot de parler de cela comme quelque chose d'homogène, car il y a des professeurs merveilleux, et d'autres... moins bien. 

L'efficacité de leur discours n'est certainement pas la même ! Et par les pairs : si mes pairs sont des paresseux ignares, leur transmission sera-t-elle bonne ? Bref, avant de caractériser un objet, il faut quand même s'assurer que cet objet existe, et, en l'occurrence, il n'existe pas : il n'y a pas "les pairs" comme un tout homogène, ou "les professeurs", ou "les étudiants". 

Et je m'en veux d'avoir vaciller quelques instants. Bon, quelques instants seulement, le temps d'un clic en quelque sorte et, au fond je suis très heureux d'avoir finalement hésité avant d'avoir pris le dessus, car cela me donne l'occasion d'y revenir, de bien ruminer tout cet événement, de l'analyser, de discuter, afin de devenir demain un peu moins bête qu'aujourd'hui.

mercredi 16 juillet 2025

Cuisinier : technicien, ou technologue ? Ou artiste ?

 
L'introduction (bienvenue) de "cours de technologie culinaire" dans les établissements de formation culinaire (1) a conduit un interlocuteur à m'interroger : les cuisiniers sont-ils des techniciens ou des technologues ? 

J'observe tout d'abord que l'on aurait pu  avoir un raisonnement similaire en disant : puisqu'il y a des cours de science dans les lycées hôteliers, les cuisiniers sont-ils des scientifiques ? Ou encore : puisqu'il y a des cours d'histoire dans les lycées hôteliers, les cuisiniers sont-ils des historiens ? Et ainsi de suite  ? 

Mais ce serait botter en touche, et je propose de partir de l'observation suivante : faire quelque chose (techne, en grec)(2), c'est faire est un travail technique, alors qu'essayer d'améliorer la technique est de la technologie. 

Et c'est ainsi que le grand Claude Bernard a écrit que la médecine est une technique, la recherche clinique/médicale  une technologie, et la "science de la médecine" a pour nom "physiologie" (3). Cela vaut pour la plupart des activités humaines : il y a la technique, la technologie et la science (de la nature), comme expliqué dans mon Cours de gastronomie moléculaire N°1.

Tout cela étant dit, à côté de cette première distinction, il y a celle qui concerne l'art : de nombreuses définitions ont été données, et l'on pourrait s'y perdre, mais on se limitera ici à observer que l'art  a quelque chose à voir avec les émotions, comme expliqué en détail dans cet autre livre, qui est à ma connaissance le premier livre d'esthétique culinaire (le mot "esthétique" désignant une branche de la philosophie). 

Et ces observations préliminaires peuvent être résumées par : Rembrandt était un artiste Un peintre mural est un technicien. 

Cela étant dit, on peut conclure que, pour les cuisiniers : - certains sont des artisans, car ils font de la technique avant tout (les protocoles se répètent, ils n'innovent pas vraiment) ; attention, dans cette catégorie, il y a les " artisans d'art ", qui répètent mais en mettant plus l'accent sur le beau que les autres). - certains cuisiniers sont des artistes (leurs plats sont pour l'esprit, pas pour le corps) Les cuisiniers qui essaieraient d'améliorer la technique culinaire seraient des technologues, mais si une personne passe son temps à améliorer les techniques culinaires, elle ne cuisine plus : c'est un technologue... et non plus un cuisinier. 

Et l'on n'oublie pas que "l'homme n'est pas un ustensile" (4): il n'est pas condamné à une "fonction" unique, comme une cruche, mais peut changer son activité.

 

Références 

1. https://www.onisep.fr/Ressources/Univers-Formation/Formations/Lycees/bac-techno-sthr-sciences-et-technologies-de-l-hotellerie-et-de-la-restauration : on observera que la terminologie est d'ailleurs fautives, parce qu'il n'y a pas de "science et technologie culinaires", mais de "gastronomie moléculaire et technologie culinaire". 

2. Technique, TLFi, http://stella.atilf.fr/Dendien/scripts/tlfiv5/advanced.exe?8;s=4111106430; 

3. Claude Bernard. 1865. Introduction à l'étude de la médecine expérimentale, Baillère, Paris. 

4. Les entretiens de Confucius, Jean Evi, Albin Michel, 2016