mardi 4 février 2025

A propos d'Emile Jung

 Dans la rubrique "En débat", de l'Académie d'Alsace, je viens de publier un hommage à Emile et Monique Jung, en relation avec le livre "Une école de vie". 

Emile Jung ? Un merveilleux cuisinier alsacien, sensible et talentueux. Le voici vers la fin de sa vie : 


On trouvera le texte sur : http://www.academie-alsace.fr/en-d%C3%A9bat/une-%C3%A9cole-de-vie/

Et il faut ajouter que le livre a été composé par le trop modeste Maurice Roeckel.

lundi 3 février 2025

La Physiologie du goût a 200 ans : bon anniversaire !

Un ami me fait remarquer que cela fait 200 ans que fut publiée la Physiologie du goût par le merveilleux Jean-Anthelme Brillat-Savarin et que, comme si c'était pour célébrer cet anniversaire, l'Université de Copenhague me remet le prix Sonning ( https://via.ritzau.dk/pressemeddelelse/14235742/gastronomic-artist-is-awarded-the-sonning-prize-2025?publisherId=13561237&lang=da).

Je me suis déjà exprimé clairement dans la préface d'une réédition de la Physiologie du goût : Brillat-Savarin fut un extraordinaire écrivain. Il ne faut pas se tromper à la lecture du titre :  son livre n'est pas un traité de physiologie, de science, et bien plutôt l'acte quasi fondateur de la gastronomie, qu'il définissait comme "la connaissance raisonnée de tout ce qu'elle se rapporte à l'être humain en tant qu'il se nourrit". 

Je mets ici des guillemets, mais j'ai un peu tort car Brillat-Savarin parlait de "l'homme" plutôt que de "l'humain", ce qui était de son temps. 

Mais, surtout, je rappelle qu'il faut lire rien savoir avec des pincettes, comme je l'explique plus loin. En tout cas, retenons sa définition de la gastronomie, et observons que cette dernière ne se confond pas avec cuisine d'apparat, par exemple. Et c'est ainsi que je rigole doucement quand, passant devant des restaurants asiatiques, je vois inscrit "gastronomie chinoise" :  il n'y a aucune connaissance dans l'affaire mais seulement les éternels rouleaux de printemps, porc caramel, riz cantonais et boule coco.

Pour situer Brillat-Savarin, il faut évoquer Alexandre Balthazar Grimod de la Reynière, qui, quelques années plus tôt, publia de merveilleux textes de "gastronomie" avant que le nom ne soit donné. Grimod de la Reynière était un écrivain, mais un de  ces écrivains qui se vouèrent à la bonne chère, tout comme Joseph Berchoux qui introduisit le mot "gastronomie" dans un de ses poèmes. Et parurent ainsi l'Almanach des gourmands, ou le Manuel des amphitryons à côté de réflexions sur le plaisir.

Brillat-Savarin, lui, colligea toute une série de connaissances, et fit un merveilleux bouquet de mille fleurs. L'apparence -je dis bien apparence seulement- scientifique du livre de Brillat-Savarin ne doit pas nous aveugler : il s'agit d'une œuvre de littérature et non pas une œuvre de physiologie, et non pas d'une œuvre de physique ou de chimie, et non pas une œuvre d'histoire ou de géographie... 

Brillat-Savarin a voulu mêler tout cela pour faire un tout solide, une fondation de la gastronomie. Il parle de tout :  de l'obésité, de la maigreur, de l'histoire ancienne de la cuisine, de repas célèbres, de recettes... Et son oeuvre s'apparente plutôt au mythe : les mythes fondateurs de la gastronomie au sens que j'ai évoqué précédemment : la connaissance raisonnée...

Mais n'oublions pas qu'un mythe, c'est un mythe, une légende... Certainement pas le récit d'histoires véridiques, et c'est ainsi qu'il faut prendre le texte de Brillat-Savarin. Il faut l'interpréter comme on doit interpréter les mythes.
L'attribution de la royauté d'Athènes à Thésée, qui aurait tué le Minotaure, doit s'interpréter : il faut chercher quelles relations Athènes voulait entretenir avec la Crète, par exemple. Ses exploits mythologiques  de Thésée ne sont que mythologiques et il faut être bien enfant pour croire qu'il a tué le Minotaure.
De même, les rois de France avaient beau se faire oindre à la basilique Saint-Rémy de Reims, il faut être un esprit bien faible pour croire que leur pouvoir est véritablement d'origine divine... 

Les mythes ? Ils expriment des idées dont nous devons nous méfier,  et que nous aurons toujours intérêt à interpréter. 

Même les passionnés de gastronomie, j'allais parler d'amoureux de gastronomie, même les passionnés de bonnes chère doivent prendre garde à leur aveuglement, à leur éblouissement selon les cas. 

Mais ne boudons pas notre plaisir et relisons régulièrement la Physiologie du goût comme on vient humer une fleur d'un bouquet, puis une autre ; reculons-nous pour admirer la composition, rapprochons-nous pour  mieux voir ; relisons d'une traite si nous avons une grande compulsion, feuilletons si nous avons l'âme plus vagabonde... 

Mais relisons Brillat-Savarin pour célébrer le 200e anniversaire de sa publication de la Physiologie du goût.
 
 

En matière alimentaire, qu'est-ce qu'une perte ? qu'est-ce qu'un gaspillage ?

Qu'est-ce qu'une perte ? un gaspillage ? La question doit considérer la comestibilité des ingrédients et il y a là une question bien difficile parce que, par exemple, certains mangent la peau des pommes et d'autres pas. 

Pour cette peau, il ne faut pas oublier qu'il y a dedans des pesticides naturels, pas forcément très dangereux mais quand même présents : la peau de pomme est-elle comestible ? 

Ce qui se pose comme question anodine pour la pomme se pose de façon plus importante pour la pomme de terre, car les trois premiers millimètres sous la surface contiennent des glycoalcaloïdes toxiques et, même si la mode est à manger les peaux de pommes de terre avec les pommes de terre, sans éplucher (par paresse, ou parce que certains ont intérêt à vendre une masse supplémentaire), il ne faut pas oublier que ces composés toxiques ne sont pas détruits par la cuisson. Les peaux de pommes de terre sont-elles donc comestibles ? 

Il y a bien d'autres cas tel l'écorce de l'ananas qui, si l'on veut éliminer les yeux durs, impose de perdre un peu de cette délicieuse chair jaune. Ou encore le coeur dur des tomates, comestible sans doute mais qui manque vraiment de "charme gustatif". 

Et puis il y a d'autres cas tel le marc du café : avec un café filtre ou un expresso, les grands consommateurs de café perdent une quantité de matière considérable, presque égale à la quantité utilisée puisque seule une fraction part en solution dans l'eau.
Inversement, les amateurs de café grec ou turc consommeront beaucoup plus de cette matière. 

Bref la comestibilité et denrées avec une chose bien compliquée et si l'on voulait aller jusqu'à une économie complète, alors on mangerait jusqu'au cuir de nos chaussures en période de disettes (cela s'est fait) puisque, après tout, il y a des protéines à l'intérieur. Ou bien, comme certaines populations jadis  en période de famine, on ferait des galettes de glands en ajoutant de l'argile pour complexer les tanins et autres composés antinutritionnels (cela n'était pas su ; on faisait empiriquement). Nécessité fait loi mais je ne suis pas sûr que nous ayons intérêt de considérer une définition trop large de la comestibilité.

dimanche 2 février 2025

Bacon a-t-il inventé la science moderne ?

Certains auteurs disent que Francis Bacon aurait été le créateur de la science moderne avec son Novum Organum  : j'ai voulu en avoir le cœur net en relisant ce texte que j'avais découvert il y a très longtemps et que j'avais un peu oublié. 

On y trouve  une très longue diatribe contre la philosophie excessivement théorique et inventive qui fut notamment celle d'Aristote,  et, inversement,  une apologie d'une étude des faits de la nature sans divagations philosophiques, une apologie d'une "philosophie naturelle" dont la méthode serait très différente. Et notre auteur de classer les faits d'observations. 

Mais en sortant du livre, si l'on voit bien une volonté de mettre à plat la philosophie naturelle, les sciences de la nature, on ne voit certainement pas des idées aussi précises que celles sur données par Galilée, notamment à propos de l'étude quantitative des phénomènes

Certes Bacon dit bien que tout doit être mesuré, pesé, nombré... Mais il ne fait lui-même que classer des observations par type d'observations, ceux qui est bien loin de ce que fera Galilée, qui mettra en pratique cette méthode expérimentale qui met en œuvre le calcul sur les nombres que sont les résultats de mesure. 

D'ailleurs,  plusieurs des idées de Bacon, notamment à propos des causes, sont déjà données par Blaise Pascal, et l'on n'oubliera pas qu'il y a eu auparavant René Descartes qui a introduit les outils mathématiques pour manier tout cela. 

Bref, il est exagéré de dire que Bacon aurait inventé la science moderne, et il vaudrait mieux avoir la justesse de dire que, après certains Grecs de l'Antiquité qui explorèrent correctement des phénomènes naturels, il y eut Descartes,  Pascal, Bacon, et Galilée enfin pour arriver à cette méthode scientifique que nous utilisons aujourd'hui. 

Au sortir de cette lecture, je continue à penser que les deux phrases de Galilée disant que l'expérience doit avoir raison contre toute autorité, d'une part et, d'autre part que le monde est écrit en langage mathématique, sont des piliers sur lesquels repose la méthode scientifique d'aujourd'hui. 

Il faut ajouter que Bacon a dit des choses très intéressantes à propos de la chimie, sans employer le mot évidemment , puisque cette science qu'est la chimie n'avait pas encore été dégagé de l'alchimie. 

En effet, la transition s'est faite un peu plus tard, aux environs de la parution des premiers tomes de l'Encyclopédie de Diderot et D'Alembert, quand on a arrêté de considérer que, si une expérience rate, c'est que l'expérimentateur est "insuffisant" ; on a fini par comprendre que, comme le disait Galilée, l'expérience a toujours raison. 

Il y a eu ainsi une transition de l'alchimie vers la chymie,  puis vers la chimie  quand Lavoisier introduisit très explicitement des méthodes quantitatives, dans une méthodologie qui restait très expérimentale. Au fond, Lavoisier a fait pour la chimie ce que Galilée a fait pour la physique. Et en ce sens, ces deux hommes sont plus grands que les autres de leur temps car l'observation ne suffit pas, le jugement n'est pas un outil suffisant pour relier les faits et c'est par les nombres que s'imposent les sciences de la nature.

samedi 1 février 2025

À propos de mayonnaise qui rate

Il y a quelques jours, lors d'une formation, j'ai proposé aux participants de faire des mayonnaises.

 Ils étaient répartis en plusieurs groupes à propos de cette sauce qui, on le rappelle ne comporte pas de moutarde sous peine de devenir une rémoulade. Je devrais plutôt dire sous peine de régresser à l'état de rémoulade, puisque la rémoulade est une sauce très ancienne, remontant au moins au 14e siècle, et qui se fait à partir de moutarde et de matière grasse. Dans la rémoulade, l'eau de la moutarde devient la phase continue d'une émulsion avec l'huile dispersée dedans sous la forme de gouttelettes. 
Au tournant du 18e siècle, la mayonnaise est apparue comme une sauce faite seulement de jaune d'œuf, de vinaigre et d'huile, la moutarde ayant été retirée. L'apparition de la sauce est mystérieuse, on en a pas de trace claire, mais en tout cas le grand Marie-Antoine Carême s'empara de cette sauce au goût merveilleusement délicat pour en faire, avec des dérivés, un ingrédient essentiel de ses pièces de banquet.

C'est donc la mayonnaise à laquelle nous nous intéressions et il est exact que la mayonnaise tourne  plus facilement que la rémoulade. Tout tient à la dispersion des gouttes d'huile dans la phase aqueuse apportée par le jaune d'œuf (qui est composé de 50 % d'eau) et du vinaigre (qui est fait de plus de 90 % d'eau). Le jaune d'œuf apporte protéines et phospholipides qui peuvent entourer des gouttes d'huile et permettre l'émulsion. 

Mais cette sauce est bien plus délicate et elle peut tourner, notamment quand on ajoute trop d'huile en début de préparation, ou quand on ne fouette pas suffisamment, ou encore quand on ajoute l'huile trop vite en cours de préparation et qu'on ne disperse pas assez. 

Pour autant, je peux témoigner que je fais sans difficulté des mayonnaise à la fourchette en 47 secondes seulement, et sans moutarde ; et je dis bien des mayonnaises, pas des rémoulades.

Ce qui a été intéressant, lors de notre formation, c'est de voir que de nombre de nos participants ont raté leur mayonnaise. À la réflexion, je crois que ce sont les ustensiles qu'ils utilisaient qui étaient inappropriés : il y avait des espèces de petits fouets à main en plastique, à grosses branches, qui dispersaient très insuffisamment l'huile dans la phase aqueuse. 

Et cela m'intéressera bien de répéter l'opération, peut-être d'ailleurs dans un séminaire de gastronomie moléculaire.

vendredi 31 janvier 2025

À propos de foie gras chantilly

Le  foie gras chantilly est une préparation que j'ai inventée dans les années 1995, et que j'ai déjà évoquée dans ce blog : il s'agit de former un système foisonné à partir d'une solution aqueuse et de foie gras. 

Par exemple, on part d'un fonds de canard, on ajoute un foie gras, on chauffe pour faire une émulsion et l'on fouette celle-ci en la refroidissant de sorte que l'on obtient une consistance de Chantilly et sans crème : il y a le même mécanisme de formation que la crème chantilly puisqu'on a reproduit la composition de la crème laitière avec la matière grasse du foie gras et l'eau. 

Dans la recette que j'avais données, j'avais même ajouté qu'il y avait trois façons de rater mais que l'on pouvait toujours rattraper la préparation.
1. On peut rater si la proportion de foie gras est excessive, auquel cas  la préparation finale est trop dure. 

2. On peut rater si la proportion de liquide est excessive, auquel cas, comme pour une crème qui aurait été diluée avec du lait, on obtient pas le foisonnement stable. 

3. Et l'on peut rater en battant trop, ce qui conduit à une sorte de grainage, auquel cas il suffit de fondre la sauce doucement, avant de battre à nouveau  (toujours en refroidissant, "sur glace"). 

 À propos de ce "sur glace", je veux simplement dire qu'il suffit de refroidir la préparation, ce qui peut se faire en mettant la casserole sur des glaçons, ou dans de l'eau froide. 

Bref, il me semblait avoir bien décrit le protocole, mais l'expérience a montré que c'était en réalité insuffisant car un de mes amis à essayé trois fois la recette sans y parvenir. 

Comme je voulais en avoir le cœur net, j'ai refait moi la même la préparation dans la filmant, avec les proportions qui étaient bien celles que j'avais données : mon foie gras chantilly a été délicieux et tout à fait réussi. 

Il s'est trouvé que j'ai envoyé les vidéos de mon travail à mon ami, qui a alors découvert qu'il battait trop peu de temps. 

Il est vrai que, dans mon protocole, je ne je ne donnais pas la durée de foisonnement et je disais simplement que,  au début du travail, on voit de grosses bulles d'air apparaître dans la préparation, que ces bulles disparaissent progressivement et que c'est seulement ensuite que l'on voit, plus tard, les branches du fouet laisser laisser une traîner permanente dans la préparation auquel cas il faut s'arrêter de battre. 

Il y a le même type de difficultés de description que pour la crème chantilly : je me souviens d'un autre ami, il y a plus de 20 ans, qui m'avait demandé de l'aide pour réaliser une crème chantilly qu'il n'arrivait pas à faire : de même il battait trop peu. 

Le problème, quand on rédige de tels protocoles, c'est que le temps est très variable selon la vitesse de refroidissement, selon l'ustensile que l'on utilise, selon la façon dont on le manie...  et je vois avec la cuisine un exemple de ces métiers techniques qu'il est difficile de codifier rigoureusement. Au fond, quand un peintre broie des couleurs, quand un tisserand fait passer sa navette, quand un ébéniste utilise le marteau à bois, et ainsi de suite, il est bien difficile d'indiquer autrement que par exemple  la façon exacte de procéder. Il y a donc la nécessité d'une transmission par répétition au moins pour partie. 

Cela doit nous conduire à discuter la question des référentiels techniques, les listes de savoirs,  de connaissances et de compétences exigibles pour les certificats  d'aptitude technique. Pour ces enseignements, il y a lieu d'indiquer des objets théoriques, mais il faut aussi donner des indications sous d'autres formes, et aujourd'hui, la vidéo s'imposent absolument.

jeudi 30 janvier 2025

Une recherche de qualité ?

Un administrateur de l'université me déroule un long discours sur la nécessaire qualité des recherches effectuées dans l'établissement. Très bien, mais comment faire ? Certes, on sait que certains laboratoires sont plus actifs que d'autres, qu'il y a plus d'enthousiasme, de temps passé, d'échanges fructueux, mais  est-ce suffisant pour que leur recherche soit de qualité ? 

Et puis, qu'est-ce qu'une recherche de qualité ? 

J'ai déjà trop souvent entendu répondre que c'est un travail qui est bien évalué par les pairs, mais avec mon ami Georges Bram, nous en avons ri souvent. Et je me souviens aussi que, discutant avec un grand directeur scientifique, il y a plusieurs années, celui-ci m'avait accueilli en me disant qu'il fallait  faire de la bonne science (en avait-il fait ?). Evidemment je lui avais demandé ce dont il s'agissait et n'avait eu aucune réponse. 

Au fil des années, j'ai mieux compris la méthode scientifique et j'aurais même été prêt à un moment donné de dire que la bonne science était celle qui suivrait les étapes de cette méthode mais après tout si quelqu'un fait une grande découverte sans suivre cette méthodologie, pourquoi pas.
Il y a des questions d'obligation de moyens ou d'obligation de résultats ; je pressens que les obligations de moyens ne comptent pour rien et que seul contre les résultats. 

Mais alors, comment les évaluer ? Le nombre d'articles qui citent ces résultats ? On sait combien les travaux bibliométrique sont critiquables, et notamment parce qu'un mauvais article peut être largement cité... pour être démoli.  

Et puis, il y a  des questions de communication dans toute cette affaire : quelqu'un qui va bien sa salade arrivera à faire croire qu'elle est belle mais elle est-elle en réalité ? 

Bref, mon ami administrateur aurait mieux fait d'être plus précis, moins  creux