mercredi 27 septembre 2023

L'auto-organisation


En 1987, le prix Nobel de chimie à été attribué au chimiste français Jean Marie Lehn et à deux de ses collègues pour leurs travaux sur la chimie supramoléculaire. 

De quoi s'agit-t-il ? Normalement, en chimie, on forme des molécules nouvelles en coupant et en établissant des liaisons dites « covalentes », qui résultent de la mise en commun d'une paire d'électrons, entre deux atomes. Toutefois, dans les années 1980, les chimistes ont étudié la possibilité de former des assemblages de plusieurs molécules à l'aide de liaisons plus faibles que les liaisons covalentes : des ponts disulfures, des liaisons hydrogène … 

Ces assemblages ont été nommé supermolécules, et la chimie qui les forme et les étudie a été nommée chimie supramoléculaire. Il est tout à fait remarquable d'observer que, avant cette chimie supramoléculaire, les bibliothèques étaient pleines de livre sur les « complexes » de diverses sortes. Tout cela a été balayé par la chimie supramoléculaire, qui donné un cadre général à la description de ces divers objets. 

 

Ce qui est le plus merveilleux, c'est que cette chimie permet d'envisager la création d'objets nouveaux, et, notamment, d'objets capables de s'assembler spontanément, de se dissocier et de se réassembler selon les circonstances chimiques. Notamment, Jean-Marie Lehn et ses collègues ont conçu et réalisé des molécules en formes de parts de tartes, avec des bords « collants ». Si l'on met de telles molécules dans une solution, elles diffusent, puis s'assemblent par les bords. Si l'angle au centre de ces molécules n'est pas un sous-multiple de 360°, alors les parts de tarte forment une structure hélicoïdale, identique à la capside de certains virus ! 

Voilà pourquoi la chimie supramoléculaire me semble si importante, et voilà pourquoi l'étude de chimie mérite que l'on réserve un chapitre particulier à cette chimie des forces faibles, qui conduit à l'étude de l'auto-organisation, un chapitre de la chimie qui se développera considérablement au XXIe. Militons pour que Jean-Marie Lehn reçoive un deuxième prix Nobel !

A propos de crème pâtissière

 
On m'interroge  à propos de crème pâtissière... en me donnant une recette qui comporte de la maïzena : c'est manifestement une recette moderne, mais, pour ce qui me concerne, je cherche toujours à avoir une idée fondée des recettes, et je consulte les livres anciens pour trouver la plus ancienne, car selon la règle internationale, c'est celle-là qui doit s'imposer. Et quand une recette s'en écarte, il faut le dire.
Bref, c'est dans le traité de pâtisserie de Pierre Lacam (1878), que j'ai trouvé ma plus ancienne recette de crème pâtissière, ainsi libellée : "500 gr. de farine et 8 œufs dans une casserole, puis les détremper avec 1 litre et 1/2 de lait, sel. La cuire 20 minutes sur le feu. "
Là,  l'ordre est très clair : farine, oeufs, lait. Pas de fioriture.

Puis, avec Joseph Favre, une indication importante est donnée : "Crèmes pâtissière : terme générique embrassant toutes les crèmes liées sur le feu et usitées pour les entremets et les pâtisseries. " Nous devons conclure que Favre n'est pas légitime.

Mais viennent Darenne et Duval, en 1911, qui indiquent : Darenne et Duval, 1911 :
"Crème pâtissière. — 5oo gr. sucre en poudre travaillé dans une terrine avec 12 jaunes d’œufs, ajouter ensuite 100 gr. farine, vanille. un grain de sel, un litre de lait bouillant ; faire donner un bouillon sur le feu en remuant à l’aide d’une spatule pour éviter d’attacher.  Débarrasser pour l’usage et beurrer la surface pour empêcher la formation d’une croûte."
Cette fois, et seulement cette fois, le sucre est présent. D'ailleurs, cette fois aussi vient la précision culinaire de fouetter les jaunes avec les sucres, afin de faire un ruban, une préparation qui blanchit parce qu'elle est "foisonnée" (plein de bulles d'air dispersées dans le liquide où le sucre se dissout), ce qui donnera à la sauce plus de moelleux.

Ainsi, quand mon interlocuteur se demande s'il faut mettre la maïzena ou la farine avant ou après le ruban, je commence par observer que la question est la même, pour la farine et pour la maïzena, car ces deux matières sont principalement faites d'amidon, même si la farine contient aussi des protéines.
Et, n'ayant pas fait d'expérience pour l'établir expérimentalement, j'ajouterais personnellement ces ingrédients après le ruban, car je ne vois pas comment ils l'amélioreraient.
Mais rien ne vaut une expérience... Enfin, une série de plusieurs expériences, car un seul test ne vaut pas grand chose. Il faudra diviser les ingrédients en deux moitiés égales, pesées, et comparer :
- un mélange de jaune et sucre qu'on aura battu (pendant un temps déterminé, avec une machine régulière), avant d'ajouter la farine ou la maïzena
- un mélange de farine/maïzena et jaune, auquel on ajoutera le sucre avant de battre à l'identique.
D'ailleurs, il faut sans doute dédoubler ces expériences, en les faisant d'une part pour la farine, et d'autre part pour la maïzena.
Et, comme je l'ai indiqué plus haut, il faudra répéter ces comparaisons plusieurs fois, avant de pouvoir commencer à tirer des conclusions.

mardi 26 septembre 2023

La merveilleuse histoire du sotolon.

Sotolon, qu'est que cet animal étrange ? 

Ce n'est pas un animal mais un composé, une lactone, c'est-à-dire un composé dont les molécules comprennent des atomes groupés en cycle pentagonal, avec quatre atomes de carbone et un atome d'oxygène ; sur ce cycle, s'attachent des groupes moléculaires variés. 

Le sotolon a une odeur puissante, qui dépend de sa concentration. Selon les cas, on sent (dans le désordre) la noix, la levure, le curry, le vin jaune, le porto, la brioche, le champagne, le fenugrec... 

De fait, il est présent dans tous ces produits, notamment, et il fut découvert il y a quelque années qu'il est également présent dans le vin jaune : ce composé semble produit par l'autolyse des levures, la dégradation de ces dernières qui survient quand elles meurent. 

Pas étonnant, alors, qu'on le trouve dans le pain, la brioche, le champagne, etc., puisque des levures meurent dans tous ces aliments et boissons. 

Cette observation est une clé pour le praticien : plus il mettra en œuvre de levures qui mourront, plus il favorisera la production de ce goût merveilleux qui est celui du sotolon. Une brioche ? Faisons la fermenter, puis, quand la fermentation s'arrête, rabattons la pâte, c'est-à-dire travaillons la afin que les levures restantes se retrouvent au contact de nutriments frais, et que le gonflement se produise une deuxième fois. J'ai dit deuxième et non seconde, parce que l'on aura compris qu'il n'est pas inutile de battre à nouveau afin de favoriser une troisième fermentation, une quatrième, etc. Et c'est ainsi que les pâtes fermentées prendront un goût merveilleux, pas réductible au sotolon, mais où celui-ci jouera une partie essentielle.

Les fibrés

De quoi s'agit-il ? Ce "fibré" est une matérialisation artificielle de la formule des viandes, avec des fibres jointives contenant un gel (le cytosol, pour les cellules vivantes). On peut matérialiser la même formule D1(W)/D3(S) de bien des façons. Par exemple, vous pourriez faire un fagot de haricots verts alignés, chacun fourré d'une purée de foie gras. Ou bien découper des tubes dans un morceau de gruyère et y fourrer de l'oeuf battu, avant de cuire



 

lundi 25 septembre 2023

Plus sur la vulgarisation scientifique

Aucun de mes billets n'a suscité autant de discussions que celui qui concernait la vulgarisation scientifique, une indication qu'il y avait là une préoccupation commune. Il faut donc y revenir. 

Ayant largement propagé l'idée selon laquelle la cuisine est d'abord du lien social, puis de l'art, puis de la technique, et ayant généralisé cet idée à l' enseignement, notamment l'enseignement des sciences, je ne peux évidemment pas proposer une méthode unique pour la vulgarisation, puisqu'il s'agit de littérature, d'art, donc. 

Or l'art, par définition, échappe aux règles. Tout est d'exécution, et il n'y a pas un une méthode meilleure de vulgarisation. Autrement dit, toute analyse qui conclurait avec des recommandations serait fautive par principe. 

Il faut donc le répéter, le répéter encore : l'art de la vulgarisation est un art, en cela qu'il doit vraiment produire de l'émotion. Ou, plus exactement, on peut sans doute faire de la vulgarisation artisanale, pour laquelle des canons techniques devront être respectés, et de la vulgarisation artistique, pour laquelle la technique est importante bien sûr, mais pas primordiale. 

Je m'explique : si Rembrandt n'avait pas évité les coulures de la peinture sur ses toile, il n'aurait jamais fait oeuvre d'art, de sorte que l'artiste devait être un bon technicien. En revanche, éviter les coulures n'était pas son principal objectif, mais seulement une technique à l'appui d'une idée. Idem pour Proust, Mozart, Rabelais... 

Tout cela étant dit, je me laisse maintenant aller à une analyse : je propose de bien repérer les moments de la science quantitative, en vue de chercher des méthodes de vulgarisation (de la technique, donc). 

Je crois avoir bien identifié que les temps essentiels de la recherche scientifique sont :
l'observation du phénomène,
sa caractérisation quantitative,
la réunion des données en équations synthétiques,
la recherche de mécanismes, par induction, à partir de ces équations, qui cadrent les divagations,
la recherche de déductions à partir de la théorie en vue d'identifier un aspect que l'on pourrait tester,
et le test expérimental de cette conclusion ;
puis, on repart à l'infini, en focalisant de plus en plus. 

Si l'on admet la description précédente, donc -et je n'ai entendu de contradicteurs-, alors on voit le grain que la vulgarisation doit moudre tient dans les temps identifiés : observation des phénomènes, caractérisations quantitatives, réunion des données en lois, etc. 

De ce fait, on est conduit à penser que, s'il y a vulgarisation, il y a présentation d'un travail scientifique, de sorte que chaque aspect peut être montré... ce qui conduit à identifier des vulgarisations concernant les divers temps de la science quantitative. Evidemment on peut mêler des explications de plusieurs d'entre eux ! 

Faut-il que le discours vulgarisateur soit divisé en autant de parties qu'il ya de temps dans la science ? La réponse a été donnée plus haut : s'il y a art, chacun fait comme il veut... mais l'ouvrier sera finalement jugé à son ouvrage. 

En tout cas, je ne fais pas preuve d'originalité en maintenant que ce qui se conçoit bien s'énonce clairement, de sorte que je ne crois pas inutile d'avoir tenu le raisonnement précédent. Certes, un grand artiste, un grand orfèvre n'a pas besoin de conseils élémentaires, mais je connais bien peu de telles personnes, de sorte que je ne saurais trop, au moins pour moi-même, utiliser le précédent raisonnement. 

 

Post scriptum : quand aux analyses a posteriori, par les nombreux exégètes de la science, qui passent leur vie à analyser les productions des autres au lieu de produire eux-mêmes, je me souviens avec hilarité de ce très long article où l'une de ces personnes avait analysé... un de mes articles de vulgarisation. C'était dans une vie antérieure, mais je me souviens très bien comment j'avais fait l'article, levé un matin du pied droit plutôt que du pied gauche, et comment rien de ce qui était décrit ne correspondait à la réalité ! De là à généraliser au autres œuvres : littéraires, musicales...

dimanche 24 septembre 2023

Réactions de glycation : pour certains brunissements

Je suis un peu fautif, car, il y a quelques décennies, j'avais voulu dire au monde combien Louis Camille Maillard était remarquable. 

Louis Camille Maillard était un chimiste de Nancy, comme l'était mon grand-père maternel, et, ayant appris que Maillard avait découvert ce que l'on nomme fautivement aujourd'hui les réactions de Maillard, j'avais été étonné de voir que l'homme était quasi inconnu, dans sa ville comme dans son pays. 

J'ai donc écrit des lignes vibrantes d'indignation, pour dire combien Maillard était, tel un Parmentier ou un Appert, un bienfaiteur de l'humanité. 

Mon militantisme a fait le reste, et le monde de la cuisine ne parle plus que des réactions fautivement de Maillard, au point que certains cuisiniers voudraient presque m'enseigner ce que sont les réactions fautivement dites de Maillard et que l'on devrait nommer réactions de glycation ou réactions amino-carbonyle. 

 

Et c'est la que cela coince, parce que les cuisiniers disent, hélas très souvent, que les réactions de Maillard ne se font qu'à haute température. 

Je viens d'apprendre que cela est même enseigné dans un cursus un peu étrange de Harvard, un bizarre mélange de science et de cuisine dont on ne sait pas très bien s'il s'agit de sciences ou s'il s'agit de cuisine, et dont on ne sait pas très bien non plus si les enseignants de science sont des cuisiniers et les enseignants cuisine sont des scientifiques. 

Bref, il est dit que les réactions de Maillard (traduisons : de glycation) ne se feraient qu'à haute température, et cela est faux, archifaux ! 

Les réactions de glycation se font à température ambiante, comme à haute température. 

 

Bien sûr, pas à la même vitesse dans tous les cas : les réactions de glycation se font plus lentement à basse température qu'à haute température.
En chimie physique, une règle approximative dit que la vitesse d'une réaction double quand on augmente la température de 10 °C. 

Faisons donc un calcul d'ordres de grandeur. Supposons que les réactions de glycation se fassent en 10 minutes à 180 °C. Elles se feraient donc en 20 minutes à 170 °C, en 40 minutes à 160 °C, et ainsi de suite. 

Je vous laisse calculer combien de temps il faudra pour que ces réactions se fassent à la température du corps humain (environ 40 °C)... et vous comprendrez pourquoi les personnes souffrant de diabète ont le cristallin qui s'opacifie. 

Oui, vous avez bien deviné : il s'agit des réactions de glycation, dues à la forte concentration en glucose, en présence de protéines. Il y faut une vie, environ, mais les réactions de glycation sont en causes, comme pour le durcissement des viandes, chez les animaux âgés. 

A ce stade de l'explication, mes interlocuteurs me demandent souvent si les viandes bruniraient à 40 °C. La réponse est non, car les réactions de glycation ne sont que des condensations entre sucres et acides aminés. C'est ensuite, qu'il peut avoir d'autres réactions, réarrangements, dégradations de Strecker, pyrolyses... qui font le brunissement. 

Il y a deux questions séparées, et l'on aurait bien raison de séparer. Oui Maillard fit un travail remarquable, et ce chimiste de Nancy ne méritant pas d’avoir été oublie. Pour autant, il n'est pas nécessaire de prétendre qu'il soit partout en cuisine ! Je suis bien confus, donc, et vous invite plutôt à retenir ce mot : « pyrolyse ».

Remplacer la viande par les protéines végétales ?

 
Remplacer la viande par les protéines végétales ? La chose paraît simple, puisqu'il s'agirait d'extraire des protéines de végétaux, et de les ajouter à des plats classiques ou de les utiliser en remplacement des viandes : on mêlerait les protéines végétales à de l'eau, et l'on cuirait comme l'on cuit une omelette. 

Toutefois il y a des roues dans les roues, comme disait le prophète Ezéchiel, et il faut savoir qu'une bonne partie de la France est en sub-carence en fer.
Or le fer des végétaux est mal assimilé, contrairement au fer des viandes. Lors d'un remplacement, il y a fort à parier que la sub-carence deviendrait une carence, s'accompagnant de nombreux troubles sanitaires, à l'échelle de la population. 

Pour remplacer la viande par les protéines végétales, il faudra donc tenir compte de cette question de l'assimilation du fer, et rien ne vaudra une bonne analyse de la différence entre le fer des végétaux, et le fer des animaux. 

Une telle analyse est déjà bien entamée, et il apparaît que le fer des viandes est bien assimilé, parce qu'il est présent au sein d'un groupe chimique nommé « hème », mot que l'on retrouve dans « hémoglobine ». 

Une solution consisterait donc, par exemple, à ajouter du fer dans un tel groupe, mais il y a d'autres solutions peut être plus simples, telle l'administration de fer en présence de vitamine C, puis qu'il a été montré que l'assimilation se fait alors bien mieux. Et il y a aussi toutes les solutions que mes jeunes collègues trouveront : un merveilleux chantier...