lundi 11 septembre 2023

Le sucre dans une pâte à foncer

 Le sucre dans une pâte ? Une pâte à foncer est composée principalement de farine et de beurre, avec éventuellement de l'eau. Que peut faire le sucre à une telle pâte ?
Je discute la question dans "Mon histoire de cuisine" : 



Commençons par observer qu'il y a une différence essentielle entre une pâte où l'on travaille la farine avec un peu d'eau avant d'ajouter le beurre, et une pâte où l'on mélange la farine et le beurre avant d'ajouter de l'eau.
En effet, la farine est faite de petits grains d'amidon et de protéines, dont certaines -qui sont nommés gliadines et gluténines- peuvent se lier à l'eau pour former un réseau :  pensons à un filet, à un échafaudage, qui est nommé le gluten.
D'ailleurs, on peut voir ce filet de gluten avec l'expérience qui consiste à malaxer de la farine avec de l'eau pour faire une boule de pâte bien dure, puis à malaxer très doucement cette boule de pâte dans un grand récipient plein d'eau : on voit sortir des grains blancs c'est-à-dire l'amidon, et il reste entre les mains une sorte de filet visqueux et élastique, plus jaune,  qui est ce qu'on nomme le gluten. Cette matière a été découverte par  le chimiste italien Jacopo Beccari en 1742, et l'expérience d'extraction du gluten que je viens de décrire a été trouvée par le chimiste alsacien Johannes Kesselmeyer quelques années plus tard, comme je l'établis rigoureusement ici :
Hervé This. Who discovered the gluten and who discovered its production by lixiviation?. Notes Académiques de l’Académie d’agriculture de France, 2018, 3, pp.1-11.

Mais revenons à la question : pourquoi cette différence entre une pâte faite de farine et d'eau, puis de beurre,  et cette pâte faite de farine et de beurre, puis d'eau ?
Parce que, quand on malaxe la farine avec de l'eau, comme dit précédemment, on forme ce réseau de gluten qui emprisonne les grains d'amidon ; ensuite, si l'on ajoute le beurre, ce dernier se disperse dans la structure déjà constituée. En revanche, si l'on mélange la farine et le beurre, surtout si la proportion de beurre est notable, alors on disperse la farine dans le beurre, ce dernier faisant comme une sorte de ciment ; ensuite, quand on ajoute de l'eau, on parvient plus difficilement à l'introduire pour former le réseau de gluten ; d'ailleurs, généralement, quand on ne travaille pas trop la pâte, on peut ajouter moins d'eau que dans le premier cas.
Ensuite, à la cuisson, la première des pâtes sera ferme, cassante, tandis que la seconde sera friable, le ciment de beurre n'étant guère résistant.

Et le sucre, dans toute cette affaire ? Pour comprendre son effet , il faut commencer par faire l'expérience de l'effet sucre. Pour cette expérience, on commence par faire une boule de pâte avec de la farine et de l'eau, on la malaxe bien pour qu'elle soit bien dure, et on la divise en deux pour garder une partie qui servira de témoin, de comparaison. Pour l'autre moitié, on ajoute du sucre, et l'on malaxe encore ;  après un temps plus ou moins long (de l'ordre de quelques dizaines de secondes selon le type de sucre), la pâte s'effondre, coule.

Ce qui s'est passé, c'est que le sucre a capté l'eau qui faisait les liaisons entre les protéines et les liait en un réseau de gluten. Les protéines détachées viennent se dissoudre dans l'eau, avec le sucre, et l'on obtient alors une "suspension", avec les grains d'amidon dispersés dans le sirop. Or on sait bien qu'un sirop coule, même s'il contient des particules en suspension.
D'ailleurs, l'expérience est beaucoup plus rapide avec du sucre glace qu'avec du sucre cristallisé un peu grossièrement parce que le sucre glace se dissout beaucoup plus vite dans l'eau, capte beaucoup plus vite l'eau  du réseau de gluten, dissocie bien plus rapidement ce dernier.

Bref, les pâtes sucrées, surtout quand elles ont été un peu travaillées avec le sucre, sont beaucoup plus friables que les pâtes non sucrées.

Et je renvoie sur un  séminaire de gastronomie moléculaire, en octobre 2022, lors duquel nous avons exploré cet effet de sucre, cherchant notamment à partir de quelle quantité il se produisait : https://icmpg.hub.inrae.fr/travaux-en-francais/seminaires/resultats-des-seminaires.

La question des rapports de stage

Commençons par une analyse méthodologique. 

 

S'il est vrai qu'il est souvent facile de voir la paille dans l'oeil du voisin, de critiquer ce qu'on n'a pas produit soi même, il y a aussi le fait que le nombre des erreurs est quasi infini et qu'il n'est pas sûr que méthode qui consiste à apprendre « en creux » soit la meilleure. 

Autrement dit, partir d'un rapport de stage particulier et le critiquer ne peut permettre que d'identifier quelques erreurs, et cette méthode ne permet pas de dégager les règles utiles à la constitution d'un bon rapport. 

Pourtant, il y a une stratégie intermédiaire, qui consiste à ne relever dans un rapport médiocre que les erreurs les plus graves, afin de donner quelques règles seulement, sans submerger nos amis qui devront faire mieux. 

Dans le rapport que nous venons d'examiner, il y avait d'abord une confusion, puisque la question de la stratégie n'avait pas été posée, avant celle de la tactique : le rapport était-il un rapport de stage ou un compte rendu d'expériences ? 

Souvent, quand les étudiants font des stages dans des laboratoires de recherche scientifique, ils apprennent la pratique scientifique. De ce fait, ils peuvent être tentés de jouer au jeu scientifique en produisant en conséquence un rapport qui s'apparente à une publication scientifique... mais est-ce ce que leur université leur demande ? Cela n'est pas sûr, et, d'ailleurs de nombreuses institutions réclament aux étudiants des parties de contexte, qui décrivent l’environnement du laboratoire, la structure juridique de l'établissement d'accueil, etc. Autrement dit, ces universités réclament un rapport de stage, et non une publication scientifique. 

C'est d'ailleurs légitime puisque les étudiants en formation sont en formation, et qu'ils doivent apprendre. Par exemple, s'ils ont utilisé une méthode d'analyse particulière, ils doivent montrer qu'ils ont appris à utiliser cette méthode, et non donner des résultats comme dans une publication scientifique, car il se pourrait très bien que ces résultats aient été obtenus par d'autres. 

D'autre part, même les thèses de science sont en réalité (notamment) la possibilité d'accéder à l'enseignement supérieur, c'est-à-dire d'occuper une position d'enseignant, personnes capables de faire accéder d'autres individus à des connaissances qu'ils n'ont initialement pas. 

A cette fin, il faut être clair, de sorte qu'il n'est pas inutile de répéter la règle absolue : « la clarté est la politesse de ceux qui s'expriment en public », comme le disait le physicien François Arago. 

Avant de revenir à cette notion, balayons une incertitude : on pourrait se demander, quand même, si l'on doit produire un rapport de stage qui explique très clairement ce que l'on a fait, ou bien si l'on doit jouer au jeu de la publication scientifique, c'est-à-dire montrer que l'on a appris à jouer à ce jeu là. Faut-il faire l'un ou faut-il faire l'autre ? 

La question me rappelle mes enfants qui me demandaient si je préférais les framboises aux cassis, et à qui je répondais que je voulais les deux. Dans le doute, il n'est pas impossible à un étudiant travailleur de produire deux rapports, l'un de stage, et l'autre qui montre qu'il maîtrise le jeu de la publication scientifique, de la science, et l'autre où il montre où il est capable de clarté. 

A la réflexion, puisque le stage est une période de formation, l'étudiant a du être en position d'apprendre et non de produire. De sorte que l'option qui consiste à bien expliquer clairement ce qu'on a appris dans le stage est quantitativement préférable à la première, parce qu'elle permet de montrer plus de variété dans les apprentissages. 

Revenons donc à la question de cette clarté qui est la politesse de ceux qui s'expriment en public. La clarté, c'est aussi la possibilité de montrer à autrui que ce que l'on dit est juste, évident, et, a contrario, l'obscurité est souvent une façon prétentieuse ou malhonnête de laisser penser qu'on est savant... alors que nous sommes tous de grands ignorants. Il a été dit « un philosophe que je ne comprends pas est un menteur ». Sans aller jusqu'à cette extrémité, on doit reconnaître qu'un discours qui m'arrive peu clair est peu clair, et que, du point de vue de la communication (qui est en jeu dans la production d'un rapport), il s'apparente à un argument d'autorité, au lieu d'être la transmission d'un message que je comprends. De sorte que, finalement, la production d'un rapport obscur est un mauvais choix. 

La clarté, ce n'est pas quelque chose de facile, car il y a des obscurités de bien des types. Par exemple, l'abstraction est une figure qui conduit à l’obscurité. Si je dis « je me mets à genoux », c'est plus clair que si je dis « Je me mets sur la binarité de mes rotules ». Une des grandes difficultés de la littérature est d'être capable de dire « il pleut » pour dire « il pleut » ; au delà, c'est du grand art. 

La clarté, c'est aussi la capacité de ne pas perdre nos amis dans un enchaînement de phrases. Il faut qu'il y ait une logique et il faut que cette logique soit perceptible. Si je traîne des amis derrière moi, dans une forêt, en les faisant tourner à droite, à gauche, à droite, ils seront déboussolés. En revanche, si je leur explique les raisons de ce cheminement compliqué (flaques d'eau, vipère, trou...), alors ils accepteront de me suivre sur ce chemin tortueux, et ils seront reconnaissant que je les guide. Cela dit, assurons-nous que le chemin tortueux s'impose vraiment ! 

La clarté, c'est donc bien des choses, mais d'est notamment un enchaînement logique, explicite, aussi simple que possible, des structures grammaticales élémentaires (sujet, verbe, complément), et bien d'autres choses encore. Il ne s'agit pas ici de littérature, de cet art qui consiste parfois à éclairer l'esprit d'un mot bien choisi, d'une structure de pensée originale, d'un contenu insolite. Non, il s'agit seulement d'une explicitation de savoirs acquis pendant le stage. C'est de la technique, et l'on ne saurait trop répéter que quelqu'un qui sait ou qui sait faire, c'est quelqu'un qui a respectivement appris, ou qui a appris à faire. Apprendre, ce n'est pas seulement découvrir une notion nouvelle, mais aussi retenir. Savoir faire, c'est avoir beaucoup travaillé pour avoir transformé une connaissance en une compétence. 

Ce travail ne se résume pas un vague claquement de doigts, et le grand mathématicien Euclide avait bien raison de dire qu'il n'y a pas de voie royale : nous sommes tous égaux devant la transpiration qui nous est promise lors de l'acquisition des compétences. Il faut du temps, du soin, de l'intelligence... mais, à l'issue du long chemin qui nous attend lors de la préparation d'un rapport de stage, il y a le plaisir inouï d'avoir bien fait. Décidément, il est vrai que tut ce qui mérite d'être fait mérite d'être bien fait, car il est fait que l'ennui ne découle pas de l'uniformité mais de la désinvolture. Faire trop vite, faire mal : aucun intérêt, car les évaluateurs sont rarement dupes, et, surtout, nous ne pourrons avoir la fierté d'avoir bien fait, même si nous avons beaucoup de mauvaise foi. 

 

Allons, terminons sur une note positive : la morale de cette affaire, c'est que la règle absolue dégagée de l'analyse d'un rapport médiocre est la suivante : il faut viser la clarté. En corollaire, il y a beaucoup de leçons à tirer. Un texte broussailleux peut être élague ; un texte sombre peut être éclairci ; un texte heurté peut être lissé ; les aspérités de notre discours, ces morceaux du rapport qui nous heurtent légèrement quand nous lisons, peuvent être aplanies les unes après les autres. 

Évidemment l'exercice n'est pas facile, car nous devons, lors de l'écriture du rapport, oublier de ce que nous savons, et penser à ceux qui ne savent pas. Je propose la notion d'ignorant étalon. L'ignorant étalon, c'est moi à qui tu parles, et qui ne sait rien de la chimie, de la physique, de la biologie. Attention : je ne suis pas bête, et tu n'as aucune raison d'être supérieur. Toi qui me parles, tu sait peut-être faire de la spectroscopie de résonance magnétique nucléaire, tu sais peut-être étudier des équations aux dérivées partielles, mais tu ne sais pas faire du vin, manier le ciseau à bois... 

Oublie donc ta supériorité ; pense à moi comme à un ignorant de ton domaine, qui a pourtant des capacités différentes des tiennes, supérieures aux tiennes dans des domaines que tu ignores. Rends moi intelligent, en me donnant des explicitons éclairantes, très bien choisies, ciselées, afin que j'ai, grâce à toi, le bonheur de découvrir ce que tu as toi-même appris. 

Derrière « La clarté, c'est la politesse de ceux qui s'expriment en public », il y a la question du partage, du partage des connaissances. Ton rapport n'est pas une sorte de document que tu dois rendre de façon obligatoire, mais plutôt un objet que tu vas partager avec une collectivité. Tu vas donner à des amis que tu ne connais pas le bonheur de comprendre, d'apprendre. 

 

Ca vaut la peine d'y passer du temps, non ?

Pourquoi certains prétendent-ils expliquer ce qu'ils ne connaissent/comprennent/savent pas ?

 

C'est amusant : l'an passé il y a eu au moins quatre professionnels des métiers de bouche qui m'ont contacté pour que je réponde aux mille questions... auxquelles ils devaient répondre à leurs collègues, dans des conférences, formations, masterclass... Mais si ces personnes ne savent pas répondre, pourquoi veulent-elles expliquer ? Et pourquoi les institutions ne sollicitent-elles pas plutôt les personnes compétentes ?

Bien sûr, je donne périodiquement des informations dans mon blog mais je m'étonne quand même que des gens qui n'ont pas la compétence nécessaire acceptent d'être en position de donner des explications qu'ils n'ont pas !

D'ailleurs, en lisant leurs questions, on perçoit bien qu'ils ne maîtrisent pas les bases de ces explications, et, déjà, il faudrait des heures de formation pour les mettre en capacité d'expliquer aux autres.
Cela me rappelle une conférence que j'avais faite il y a plusieurs années et où les organisateurs avaient insisté pour que la présidente d'une association professionnelle que je ne veux pas nommer (mais qui a qui intervient dans le monde de l'aliment) fasse une présentation à mes côtés.
Pour ce qui me concerne, je voulais expliquer  à des cuisiniers ce qu'est un triglycéride, et j'avais donc apporté des petites billes en plastique, pour représenter les atomes :  billes noires pour les atomes de carbone, rouge pour les atomes d'oxygène et blanches pour les atomes d'hydrogène. Avant la conférence, il fallait que je les assemble en quelques molécules de triglycérides, certaines avec des résidus d'acides gras insaturés et d'autres avec des résidus gras saturé. Mais les organisateurs m'avaient appelé pour régler des problèmes techniques, de sorte que, pris par le temps,  je demandais un peu d'aide à cette présidente qui devait intervenir précisément sur le thème des graisses.
Je lui remettais donc les modèles de plastique, et j'allais dans la salle de conférence, mais quand je revins, je vis que rien n'avait été fait. Je  demandais pourquoi : elle m'avoua qu'elle ne savait pas faire ces montages. Oui, cette personne qui allait faire une conférence sur les graisses dans les aliments ignorait la structure moléculaire des triglycérides, qui sont les molécules qui forment la quasi totalité des graisses alimentaires !
D'ailleurs, cette présidente confondait tout : elle était notamment de ceux qui croient que les graisses contiennent des acides gras... alors que, fort heureusement, les graisses alimentaires ne contiennent que très peu d'acides gras.

Disons les choses simplement :
- les graisses alimentaires sont majoritairement composées de molécules de triglycérides
- les molécules de triglycérides sont faites d'atomes, comme toutes les molécules, et ces atomes forment comme des pieuvre à trois tentacules
- la "tête" est faite d'atomes organisés un peu comme dans les molécules de glycérol, et c'est pourquoi on parle d'un "résidu de glycérol"
- les trois "tentacules" sont faites d'atomes organisés un peu comme dans les molécules d'acides gras, et c'est pourquoi on parle de trois "résidus d'acide gras".
Une molécule de triglycérides, disons-le clairement, c'est un résidu de glycérol lié à trois résidus d'acides gras, et tout autre formulation est fautive.

J'insiste encore un peu car j'ai rencontré des professeurs d'université qui font la faute terminologique de dire qu'il y aurait du glycérol  et des acides gras dans les graisses... mais j'en viens maintenant à douter qu'ils comprennent vraiment ce dont ils parlent.

Je ne vois aucune  justification valable à leurs abuse de langage. Or pensons qu'ils enseignent à l'université !

Changement de nom pour la cuisine note à note

 

En 1994, quand j'ai eu l'idée de la cuisine de synthèse, je m'étais dit que j'étais fou. Et j'en ai eu confirmation quand a été publié l'article où je présentais cela, internationalement, dans l'ensemble des éditions de la revue Scientific American.
Puis, en 1999, voyant les craintes du public face au possible Bug de l'An 2000, j'ai cessé de présenter cette idée, jusqu'en 2006, quand je me suis dit que ce n'était pas au public de décider ce qui est juste. Mais, pour ne pas brusquer, j'ai surnommé cela "cuisine note à note", avec une référence artistique à la musique.
Et c'est sous ce nom qu'a été publié mon livre où je présente la cuisine de synthèse, sous ce nom que Pierre Gagnaire a servi (à Hong Kong) un plat que je l'avais aidé à composer, sous ce nom que cette cuisine s'est développée depuis.

Les mentalités ayant changé, on peut avancer, aujourd'hui.

Et c'est ainsi que je vois maintenant la distinction :

- par "cuisine de synthèse", on désigne cette technique qui consiste à produire des plats à partir d'ingrédients qui ne sont plus les ingrédients classiques (fruits, légumes, viandes, poissons, etc.) mais plutôt des composés : eau, cellulose, pectines, sucres, protéines, lipides, etc.)
- par "cuisine note à note", on désigne le courant artistique qui consiste à utiliser cette technique.

dimanche 10 septembre 2023

La cuisson du poisson

Mon goût quasi immodéré pour le poisson aurait dû depuis longtemps me faire aborder ce sujet. Pourtant, je ne sais pas vraiment pourquoi, je tourne toujours autour de la question des œufs, des légumes et des viandes, comme prototype d'explication de la cuisson. 

Du point de vue de la pédagogie, de l'explication, il est bon de situer l'étendue des variations entre le blanc d'oeuf et la viande. Le blanc d'oeuf, c'est le système le plus simple, puisqu'il est composé de 90 pour cent d'eau, de 10 pour cent de protéines, avec une structure réduite au minimum.
A l'opposé, la viande la plus dure est faite de fibres, à l'intérieur desquelles se trouve une matière analogue au blanc d'oeuf (pour l'explication, tout du moins), fibres dont l'enveloppe est un tissu collagénique, et qui sont réunies en faisceaux par du tissu collagénique.
Autrement dit, dans la viande, il y a deux composantes : du blanc d'oeuf et du tissu collagénique. 

Le poisson est intermédiaire, car c'est du tissu musculaire, comme la viande, mais la quantité de tissu collagénique est faible. Autrement dit, il y a une structure qui s'apparente à du blanc d'oeuf fibreux, ou, plus exactement, du blanc d'oeuf intégré dans des fibres. Lors de la cuisson du poisson, il y a donc la coagulation de l'intérieur des fibres, et la séparation de ces dernières, séparation facile puisque le tissu collagénique est en faible quantité.
En conséquence, la cuisson durcira le poisson, plutôt qu'elle ne l'attendrira dans le cas des viandes dures. Le durcissement sera dû à la coagulation de l'intérieur des fbires, et l'on comprend qu'on n'aura guère intérêt à beaucoup prolonger la cuisson... à cela près que les voies artistiques sont impénétrables. 

 

Contrairement aux viandes, la chair du poisson n'est pas bien rouge, mais il demeure vrai que la chair peut perdre sa transparence par le même type de mécanismes que dans la viande. La cuisson basse température pour le poisson ? Si l'on entend par « cuisson basse température » une cuisson à basse température de longue durée, généralement appliquée aux viandes en vue de dissoudre le collagène, ce procédé n'a guère d'intérêt. En revanche, si l'on entend la maîtrise de la température de cuisson appliquée à l'ensemble de la pièce en vue de commander une consistance particulière, alors les mêmes remarques que pour l'oeuf s'appliquent, et c'est ainsi que l'on envisagera des cuissons à 6X degrés, abréviation qui signifie 61, 62, 63, 64, etc. 

J'ai donc eu tort de négliger la cuisson du poisson, car, comme pour les œufs, une grande variété de résultats est accessible. Comme quoi il n'est pas bon de confondre communication et contenu. j''ai souvent utilisé l'oeuf comme support de communication, afin d'expliquer les transformations moléculaires qui survenaient lors du chauffage d'un mélange d'eau et de protéines, mais le contenu, c' est autre chose : il s'agit d'obtenir des résultats particuliers. 

Mea culpa, cet exemple me montre que je dois maintenant examiner plus en détail de nombreux sujets que j'ai négligés par le passé, et y mettre un peu d'intelligence, afin de partager avec mes amis des contenus qui en valent la peine.

Participer aux Séminaires de gastronomie moléculaire

 A la question suivante : 

Bonjour,

J'aimerai participer à vos séminaires seulement je ne vois pas le planning des séminaires ni les endroits dans lesquels ils se dérouleront. 
Je cherche également une feuille d'inscription numérique ou autre. Pourriez-vous me faire parvenir ces éléments s'il-vous-plaît ?

 

 Je donne la réponse : 

 Bonjour et merci de votre message
Les séminaires se tiennent au Lycée Guillaume Tirel, à Paris, avec parfois la possibilité de les suivre en visio (quand je parviens à établir la connexion).
Le planning est donné en fin de comptes rendus :

20 septembre

19 octobre

16 novembre

20 décembre

17 janvier

28 février

20 mars

17 avril

15 mai

19 juin


Et le thème du prochain sera "les fumets de poisson".

Les thèmes sont choisis par les participants d'une fois sur l'autre.

L'inscription est faite, et vous pourrez vous désabonner vous-même à tout moment si vous le souhaitez.

Pour le site où tout est réuni, c'est celui du Centre International de gastronomie moléculaire et physique INRAE-AgroParisTech : https://icmpg.hub.inrae.fr/travaux-en-francais

Et plus spécifiquement pour les séminaires : https://icmpg.hub.inrae.fr/travaux-en-francais/seminaires/seminaires


Bon dimanche


samedi 9 septembre 2023

Analysons nos bonheurs collectif, sociaux.

 Cela fait plusieurs années que je m'étonne que, si l'on pose un disque rouge dans le ciel, mes congénères et moi-même nous exclamons : « Oh, c'est beau ! ». 

Manifestement, puisqu'un disque rouge n'est qu'un disque rouge (pourquoi n'en afficherais-je pas sur l'écran de mon ordinateur ?), nous devons interpréter  ce phénomène - social ou biologique- et nous demander pourquoi nous avons tous cette réaction. 

Je propose de ne pas oublier que  nous sommes codés par la longue évolution qui a forgé l'espèce humaine. Si « c'est beau », c'est sans doute qu'il y a là un indice important, en relation avec les proies, les prédateurs, le développement de l'organisme, la reproduction, la socialité... 

Il y a quelques décennies, la sociobiologie, qui voulait interpréter les faits sociaux en termes biologiques, a été largement attaquée par des individus qui récusaient que l'humain soit réduit à des instincts animaux. Oui, nous n'aimons pas être de simples animaux... mais n'avons-nous pas comme eux, bestialement donc, faim, soif, envie d'uriner, ne respirons-nous pas de façon automatique, et notre marche n'est-elle pas automatique, sans compter notre cœur qui bat parce qu'une synchronisation électrique se fait bien ? Pour notre fonctionnement physique, pas de miracle nécessaire, mais la question se pose surtout pour notre fonctionnement intellectuel, moral... 

La biologie de l'évolution s'oppose ainsi puissamment aux idées religieuses quand elles sont trop littérales, et il n'est pas étonnant que les religions combattent la théorie de l'évolution. 

 

Quittons donc ce terrain terrible, et réfugions-nous très vite dans l'examen du monde : quels autres phénomènes relèvent-ils du même type de mécanismes que notre jugement de la beauté d'un simple disque rouge ? 

Tout d'abord, nos congénères se regroupent dans des villes. Ce fait est étonnant, puisque tous déclarent aimer la nature. Il y a donc dans cette attirance des villes un puissant aimant, qui ne peut être que biologique ! La sociabilité est un comportement, sélectionné, qui conduit notre organisme à nous faire sentir que nous sommes bien en société. Aucun argument de mauvaise foi n'est nécessaire. En réalité, l'instinct grégaire est fondé sur hormones, neuromédiateurs, tout aussi biologiques que la faim, la soif... 

On l'a trop peu dit : nous sommes une espèce sociale, et cette socialité, qui a été sélectionnée par l'évolution,  qui a fait le succès évolutif de notre espèce, ne cesse de nous influencer par des mécanismes biologiques. Pas d''étincelle venue du ciel, là encore. 

Le goût pour  la nature ? Il est fréquent chez nos congénères (les Japonais ont même le concept de « bain de forêt », qui fait le pendant des bains de soleil), et il est amusant de voir qu'il s'oppose à cet attrait pour les villes qui ne laisse quel quelques pour cent de notre société à la campagne. Mettre les villes à la campagne : voilà une merveilleuse  contradiction de l’espèce humaine, qui est équipée de mécanismes favorisant la sociabilité, mais, en même temps, est équipée d'un goût pour la nature, ce qui s'interprète sans doute en termes de proies, prédateurs, reproduction, etc. 

Dans  notre alimentation, aussi, nous sommes tiraillés entre le désir biologiquement inconscient de ne manger que ce que nous connaissons, et donc de manger toujours la même chose, et cette omnivorité, qui a sans doute contribué au succès de notre espèce, parce qu'elle nous permet de manger de tout, et donc d'éviter de  mourir en cas de pénurie de l'aliment unique dont nous nourririons. Là encore, l'évolution a fait la biologie qui nous tiraille. 

 

Quels autres mécanismes observez-vous, de ce type ?