mercredi 18 janvier 2023

Les frites : j'en ai parlé souvent, mais j'y reviens

Comment les frites cuisent-elles ? 


Avant de répondre, je propose de réfléchir et de distinguer un savoir opératif et un savoir spéculiatif. 

Dit autrement, il y a

1.  la question  de comprendre comment les frites cuisent, d'une part, 

2.  la question de faire de meilleures frites en utilisant cette compréhension des mécanismes de la cuisson. 

 

Soyons pratiques : partons d'une pomme de terre, puisque les pommes de terre frites sont faites de cet ingrédient.
Toutefois, dès ce stade, reconnaissons des possibilités d'innovation : s'il est stipulé que l'on frit des pommes de terre, dans cette occurrence, c'est aussi une façon d'admettre que l'on pourrait frire autre chose que des pommes de terre (carottes, panais, topinambours, croquettes...).

Mais ne nous égarons pas. Nous commencerons par peler la pomme de terre, parce que les pommes de terre sont des plantes de la famille des Solanacées, qui contiennent des alcaloïdes toxiques. Ces composés, qui ont pour nom chaconine, solanine, etc., se trouvent dans les trois premiers millimètres sous la surface, de sorte qu'ils peuvent être enlevés à l'aide d'un économe.
Ils doivent, même,  être enlevés, car ils sont toxiques, et résistent à des température atteignant 285°C, ce qui est bien supérieur aux 180°C des fritures. Evidemment avec de la mauvaise foi, chacun trouvera une raison de justifier des pratiques personnelles selon lesquelles la peau des pommes de terre ne serait pas enlevée : cela ferait un petit croustillant, il n'y aurait plus alcaloïdes dans les pommes de terre modernes, ces alcaloïdes ne seraient pas si dangereux, et ainsi de suite.  Chacun fera comme il l'entend, mais moi, pour garder ma famille en bonne santé et pour me prémunir personnellement contre la toxicité des alcaloïdes des pommes de terre, je préfère peler les pommes de terre que je cuisine.

La pomme de terre étant pelée, il faut maintenant la couper en bâtonnets, ce qui ne semble pas difficile, et ne l'est guère, en pratique. 

 

Mais à l'heure où le matériel se perfectionne, se pose la question du  choix de ce matériel : couteau, ou machine ?
Lors d'un de nos séminaires de gastronomie moléculaire, nous avons découvert que la question n'est pas superflue : en bouche, on reconnaît parfaitement la différence entre des frites différemment coupées… et la majorité d'entre nous préfèrent les frites coupées à la main, au couteau, parce qu'elles sont plus différentes les unes des autres ; il y a plus de variétés.
En effet, quand on  coupe au couteau, on fait généralement des bâtonnets de toutes les tailles, formes... De petits, de gros, de sorte que, après la friture, il y a de petites frites très croustillantes, brunes, colorées, avec beaucoup de goût, et de grosses frites plus blondes et plus  molles... Or le cerveau humain, branché sur nos systèmes sensoriels, est conçu pour reconnaître des contrastes. Des frites au couteau sont plus contrastées que des frites à la machine. Je n'ai pas  écrit « meilleures », parce que tous les goûts sont dans la nature, et que l'on me  trouvera bien quelqu'un qui préférerait les frites coupées à la machine, mais quand même.

Les bâtonnets sont taillés. Pardonnez-moi de ne pas discuter du lavage et du séchage : je veux arriver rapidement (;-)) à l'opération de friture. D'ailleurs, à l'heure où beaucoup d'entre nous ont des friteuses, pré-réglées sur la température de 180 degrés, je ne discute pas d'emblée la question du choix des températures.
Posons un bâtonnet de pomme de terre dans l'huile : on voit des bulles partir de la surface, avant que ce régime d'ébullition ne ralentisse et que, progressivement, on obtienne le résultat suivant : une croûte croustillante, un peu blonde, avec du goût, qui enferme une sorte de purée.
Pourquoi ce résultat ? Là, nous passons au spéculatif. D'abord, on a intérêt à savoir que le tissu végétal qui constitue les pommes de terre est fait de « cellules » jointives, petits sacs collés entre eux  et qui sont plein d'eau, avec de petits grains d' « amidon », à l'intérieur des cellules. A la surface des bâtonnets placés dans l'huile, la forte chaleur provoque l'évaporation de l'eau, ce qui fait des bulles de vapeur, et, mieux, ce qui expulse vigoureusement ces bulles. Un ordre de grandeur important à retenir, en cuisine, est le suivant : un gramme d'eau fait un litre de vapeur. Oui, un cube d'eau de un centimètre de côté fait un cube de vapeur de dix centimètres de côté.
Puisque ce volume de vapeur ne tient pas dans la frite, il s'en échappe rapidement, et c'est ainsi que se forme la croûte, avec une partie du bâtonnet, exposée à la forte chaleur de l'huile, et dont l'eau est évaporée. Plus la cuisson est longue  et plus la croûte est épaisse.

Pendant que cette croûte se forme, la chaleur entre lentement dans la pomme de terre. Oui, lentement, parce que la pomme de terre conduit mal la chaleur. Une expérience pour s'en apercevoir : si l'on tient une petite cuiller métallique par un bout et qu'on plonge l'autre extrémité dans l'huile chaude, on en vient rapidement à se brûler, parce que le métal conduit bien la chaleur. En revanche, avec un bâtonnet de pomme de terre de la même longueur que la cuiller, on peut rester à tenir le bâtonnet pendant très longtemps, parce que le matériau de la pomme de terre conduit mal la chaleur.
Cela a des conséquences pratiques, à savoir que si le bain d'huile était trop chaud, la surface finirait par charbonner, avant même que l'intérieur soit cuit ! Et, de façon plus opérative : commençons par mettre les bâtonnets dans de l'huile pas trop chaude, pour donner le temps au coeur  des frites de bien cuire, avant de pousser le feu, pour faire le croustillant et la couleur voulus de la surface.

Un bain, ou deux bains ? 

 Quand on m'interroge, je réponds : et pourquoi pas trois bains, ou seize bains, comme des bobos-gastronomes me disaient que certains chefs auraient fait ? Depuis un séminaire où nous avons testé le fait de plonger dix fois de suite de la viande dans de l'eau glacée, puis dans un bouillon bouillant... sans voir de particularité, je me méfie de ces "usines à gaz" qui feraient bien mieux que tout le reste, avec un mystère  qui croit à chaque nouvelle complication. Le mystère, ce n'est jamais que cette façon que nos interlocuteurs ont d'habiller un roi qui est nu, si  l'on peut dire !
Bref, depuis que ces mêmes gastronomes bobos m'ont félicité pour  un sanglier qui n'était que du porc mariné dans du vin, ou pour un  aspic qui n'était qu'une feuille de gélatine dans du Porto, je me méfie, et je propose d'oublier cette idée des seize bains : pourquoi pas mille tant qu'on y est ? 


Reste la question : un bain ou deux  bains ? Certains cuisiniers (je parle maintenant de gens raisonnables) proposent deux bains, en partant d'un premier bain pas trop chaud, qui donne du temps aux  frites de cuire à l'intérieur. Le second bain finit la friture, en termes de croustillance et de couleur.  
Pourquoi pas... mais l'expérience suivante montre que la méthode est sans doute moins  bonne qu'un seul bain dont on augmente la température en fin de cuisson.

Partons de deux  bâtonnets de même masse avant cuisson. Plaçons  les  dans  l'huile chaude, et faisons deux frites. Puis, quand les frites sont faites, sortons les deux  bâtonnets en même temps du bain d'huile, et épongeons tout de suite un des bâtonnets ; attendons deux minutes, puis  épongeons  le second bâtonnet. Pesons : la  frite épongée au sortir du bain d'huile pèse un demi gramme  de moins que  l'autre. Ce demi gramme, c'est de l'huile !
Oui, quand on frit, l'intérieur de la frite s'emplit de vapeur, laquelle se recondense quand la frite refroidit, après  être sortie  du bain d'huile. Et comme l'eau liquide, faite de la vapeur  recondensée, prend beaucoup moins de place que la vapeur d'eau, alors l'huile de la surface est  absorbée... quand cette huile est présente. Si l'on éponge, alors on n'a plus cette absorption d'huile !
Un demi gramme d'huile pour une frite, 25 grammes d'huile pour une cinquantaine de frites ! Et cette huile a été chauffée ! Mais, inversement, nous avons testé, lors d'un séminaire de gastronomie moléculaire, si l'on faisait la différence entre des  frites épongées ou non à la sortie du bain... et oui, on fait la différence... mais ceux qui la font préfèrent  les frites avec de l'huile absorbée à l'intérieur  !
Décidément, l'être humain, qui aime  le gras et le sucre, mais veut simultanément manger sainement, est un drôle d'animal !

Cuire des carottes

 Je m'amuse beaucoup à expliquer des recettes à ceux et celles qui n'ont jamais cuisiné : en réalité, cela nous fait arriver à des questions essentielles... même pour ceux  et celles qui cuisinent déjà : 

https://scilogs.fr/vivelaconnaissance/cuire-des-carottes-pour-ceux-qui-ne-lon-jamais-fait/

mardi 17 janvier 2023

Demain, il y aura la cuisine de synthèse, surnommée "cuisine note à note"

Classiquement, la musique fait usage d'instruments (violons, flûtes, trompettes...) et de la voix humaine. Avec la musique électroacoustique, qui remplace les instruments par les ordinateurs ou les synthétiseurs, lesquels assemblent des ondes sonores pour faire des sons nouveaux et des mélodies nouvelles, des musiques  nouvelles, que devient la voix humaine ?
 

Tout d'abord, on peut déformer une voix, mais on peut aussi synthétiser des voix. Je sais que quelques amis chanteurs ont le plus grand mépris pour le travail effectué en vue du film Farinelli, mais il n'en demeure pas moins que ce film a fait entendre une voix humaine qui était "de synthèse", tout comme on peut  obtenir un "violon de synthèse". L'auditeur entendait un voix, mais elle était synthétique.
 

Est-ce grave ? Après tout les facteurs  d'orgues ont toujours cherché à produire de nombreux instruments différents à partir d'un seul. Mais la question  est : pourquoi la voix humaine est-elle particulière parmi les divers instruments de musique? Et la réponse est évidente  : c'est notre premier instrument, celui de référence, en quelque sorte. Même quand les violons auront été brûlés, les flûtes et les trompettes fondues, les pianos remisés, il restera la voix ! De sorte qu'il est légitime, en quelque sorte, que, dans une musique moderne, on ait du synthétiseur et de la voix. 


Et en cuisine note à note, qui est l'équivalent pour la cuisine de la musique électroacoustique ? Que serait l'équivalent de la voix humaine pour la musique ? Les produits végétaux et animaux sont cet équivalent, parce que, même si nous avons des composés extraits ou synthétisés, avec lesquels nous synthétisons des  aliments, il n'en restera pas moins que nous vivons dans un monde empli de plantes et d'animaux... que nous consommons. Demain, nous aurons encore ces derniers.
De sorte que la conclusion s'impose : dans la cuisine de demain, il y aura des viandes, des poissons, des légumes et des fruits... plus des composés.

lundi 16 janvier 2023

Etre un bon convive ? 

 Le juriste Jean-Anthelme Brillat-Savarin préconisait de parler sans prétention et d'écouter avec complaisance. Est-ce suffisant  pour être un bon convive ?
La question est difficile, et cela vaut la peine d'analyser la question.

Pensons que, dans les dîners, il y a notre personne, et nous dans la collectivité. Pour être heureux, nous devons être heureux personnellement, et nous devons être heureux ensemble.

Être heureux personnellement ? Il y a cette phrase merveilleuse, terrible mais juste, selon laquelle un égoïste est quelqu'un qui ne pense pas à moi. 

Oui, celui qui prend le sot-l'y-laisse de la volaille sans me l'offrir, celui qui prend la cerise sur le gâteau au mépris des autres, dont moi-même, n'est pas un bon convive...


A contrario, il faut donc que je comprenne que, si je tiens à un repas réussi, où les autres soient aussi heureux que moi, je ne dois pas prendre le sot-l'y-laisse, ni la cerise sur le gâteau. D'ailleurs, si chacun est comme moi, on offrira les belles parties à chacun, qui le refusera, tour à tour, de sorte  que chacun aura été "honoré", en sera heureux individuellement.
 

Mieux, ainsi, on aura donné au groupe l'occasion de choisir, pour une raison particulière qui pourra être discutée, et mettra en valeur un membre du groupe, qui en aura reconnaissance à tout le groupe, donc à chacun.

Ce qui vaut pour la nourriture vaut pour la conversation, et l'on sait combien les autres sont heureux que l'on s'intéresse à eux, qu'on les questionne sur eux, sur leur santé, leur bien-être... ce qui conduit à penser que, comme pour le sot-l'y-laisse, on en arrive à une situation où chacun renvoie vers l'autre la question de parler de lui. 

Si d'aventure un convive ne la renvoyait pas, il nous serait reconnaissant de nous être enquis de lui, et nous aurions le bonheur de l'avoir rendu heureux. Et si nous sommes en mesure ou en devoir de répondre, ne pourrions-nous penser que se plaindre, être négatif, c'est poser du repoussant sur la table ? 

A contrario, proposer un sujet positif, c'est illuminer le coeur des autres. Oui, l'optimisme n'est pas une tournure d'esprit, mais une politesse, et le pessimisme est une impolitesse. 


Et si tous repoussent la possibilité de parler d'eux ? Alors on parlera d'autre chose que de soi, et ce sera encore mieux. Ne pourrait-on parler de ce qui est beau, de ce qui est émouvant, de ce qui est bon, de ce qui contribue à la bonne marche du monde ? Ne gagnerions-nous pas à partager avec nos commensaux nos émerveillements ?
 

Ce qui est clair, c'est que la commensalité est une attention de toutes les secondes. Elle se prépare, elle se déguste, elle se savoure. Récemment, j'ai croisé dans la rue un de mes amis, Etienne Guyon, qui marchait en lisant. Que lisait-il ? Un poême. Pourquoi ? Parce qu'il prévoyait une marche avec des amis, et qu'il voulait apporter à la discussion un objet précieux, tout comme on apporte un mets quand on va retrouver des amis pour un pique-nique. Quelle belle idée !

dimanche 15 janvier 2023

 Pour ceux qui veulent apprendre la cuisine : l'œuf dur

J'ai rencontré des personnes qui ne savent pas cuire des œufs durs et, au lieu de m'en étonner, je propose plutôt de les aider à faire bien.

Car, d'ailleurs, nombre de ceux qui disent savoir cuire des œufs durs ne savent pas éviter tous les écueils :  la coquille fêlée, le cerne vert autour du jaune (avec un terrible odeur), le jaune sableux, le blanc caoutchouteux, le jaune décentré dans l'oeuf...

De nombreuses recettes qui disent que pour avoir le jaune bien centré, il faut avoir mis l'œuf dans l'eau froide, mais il y a aussi ceux qui disent qu'il faut l'avoir mis dans l'eau chaude... Il y a des recettes qui indiquent que, pour bien décaler les œufs, il faudrait les placer dans l'eau froide et les y laisser refroidir. Il y a des recettes qui disent que, pour  éviter que les œufs ne fêlent pendant la cuisson, il faudrait les empêcher de rouler ; mais d'autres disent faut les piquer avec une petite épingle, et d'autres encore donnent d'autres prescriptions. Sur le temps de cuisson, il y a également tout, à savoir ceux qui préconisent 10 minutes à partir du moment où l'on chauffe l'eau, et ceux qui préconise 10 minutes à partir du moment où l'eau est déjà bouillante. D'ailleurs, à propos de l'eau, il y a ceux qui disent qu'il faut mettre dans de l'eau initialement froide ceux qui disent qu'il faut mettre dans l'eau initialement chaude.

Bref on entend de tout et il parfaitement compréhensible que certains aient du mal à s'y retrouver.


Prenons donc les choses par le début : le but est d'obtenir que le blanc soit coagulé mais pas caoutchouteux, que le jaune soit coagulé mais pas sableux, qu'il n'y ait pas de cerne vert autour du jaune, que la coquille ne se fissurent pas pendant la cuisson, que l'œuf puisse s'écaler correctement, et que le jaune soit centré dans l'œuf (car si l'on fait des rondelles, elles seront d'une mine plus agréable).

Il faut bien observer que l'idée de mettre des œufs dans de l'eau bouillante (à 100 degrés dans la plupart des circonstances) conduit à ce que la température augmente progressivement de l'extérieur de l'œuf vers l'intérieur, qui sera atteint en dernier. Or, pour que le jaune d'œuf cuise correctement, il faut qu'il soit porté à une température supérieure à environ 70 degrés. Pendant le temps que met le jaune à  atteindre de cette température, le blanc est évidemment déjà coagulé.
Il faut savoir aussi que trop chauffer les protéines, qui sont des molécules présentes dans le blanc comme dans le jaune, conduit à leur dégradation, qui libère un gaz qui a pour non hydrogène sulfuré.  Ce gaz à une odeur d'œuf quand il est en très petite quantité, une odeur d'œuf pourri quant il est  plus abondante sans compter qu'il est toxique.
C'est ce gaz  dont on voit l'effet par le cerne vert des oeufs trop cuits, de sorte que ce cerne devra être évité.

Et l'on  comprend donc que la durée de cuisson doive être limitée au maximum pour éviter la formation de ce gaz.une raison pour laquelle
Voilà pourquoi une cuisson durant 10 minutes est à recommander : c'est le temps nécessaire pour que l'oeuf soit cuit, sans que les protéines ne soient trop dégradées.

Dix minutes, mais à 100 degrés. Si l'on fait bouillir de l'eau et qu'on y plonge des œufs, la température est de 100 degrés et elle restera de 100 degrés pendant les 10 minutes de cuisson. Avec cette durée et cette température, le blanc est cuit mais il n'est pas caoutchouteux, et le jaune est cuit mais il n'est pas sableux. Et il n'y a pas de cerne vert ni d'odeur de soufre :  on obtient un résultat parfaitement admissible, qui correspond au canon de l'œuf dur.

A contrario, si l'on voit un cerne vert, on est quasi sûr que cela va de pair avec un blanc caoutchouteux et un jaune sableux, mais aussi avec une odeur d'œuf très soutenue. Et le cerne vert est  la marque un mauvais travail professionnel.

Faut-il mettre initialement les œufs dans l'eau froide ou dans l'eau chaude ? Si l'on met les oeufs dans l'eau froide et que l'on chauffe lentement, alors la durée de cuisson est très mal définie puisqu'il y a toute cette montée en température, avant d'atteindre l'ébullition, qui dure... un temps qui dépend de l'ustensile de cuisson.
Bref, on risque des résultats irréguliers, alors que la mise à l'eau bouillante, à une température constante (100 degrés), supérieure à la température de coagulation, est  un bon moyen d'avoir une cuisson d'une durée précisément connue, à une température précisément connue.

J'observe que cette technique, de cuire pendant 10 minutes dans de l'eau à une température de 100 degrés, résout d'un même coup le problème du blanc caoutchouteux,  du jaune sableux, du cerne vert.

Mais il ne résout pas le problème du centrage du jaune dans le blanc. A cette fin, il faut savoir que le jaune est moins dense que le blanc  : il contient des graisses que le blanc ne contient pas.
De sorte que quand on tient un œuf devant soi, le jaune est dans la partie supérieure. Dans la casserole, qu'on l'oeuf est couché, le jaune est encore dans la partie supérieure et, si l'on cuit ainsi, alors le jaune arrive finalement dans la partie supérieure  ; il n'est pas centré.

Pour centrer le jaune dans l'oeuf,  il y a un moyen que j'ai découvert il y a très longtemps et qui consiste à faire rouler l'œuf dans la casserole.

Reste la question des œufs qui fêlent et que l'on peut effectivement régler avec un trou d'aiguille, mais dans le grand bout de l'œuf, là où se trouve la poche d'air, cette poche qui grossit à mesure que l'œuf devient moins frais on et que de l'eau s'évapore tandis que de l'air rentre dans l'oeuf (ces échanges se faisant par les pores de la coquille).

Si l'on perce l'œuf, alors l'air -que la chaleur a mis sous pression-  s'élimine plus facilement, comme on le voit par de petites bulles qui quittent l'oeuf par le trou que l'on a fait.

Evidemment, il y a une différence pour des œufs frais, qui contiennent très petite poche d'air, et les œufs plus âgés, qui contiennent une grande poche.

Reste la question de l'écalage, et là, je suis désolé de dire que nos essais effectués il y a longtemps à l'université d'Orléans n'avaient pas montré de différence selon que l'on mettait les œufs à refroidir à l'air libre, à l'eau froide, et cetera. Nous n'avions pas vu de différence non plus entre des oeux frais et des œufs moins frais.
Bref, là, je crois qu'il s'agit d'être un peu patient car de toute façon l'opération n'est pas n'est pas très difficile.

Finalement, on voit qu'il y a bien des considérations à prendre en compte pour faire un simple dur, raison pour laquelle nous n'avions pas de raison d'être particulièrement snob vis-à-vis de ceux qui ne  savent pas  cuire des œufs durs.

En pratique, on prendra donc une casserole, on portera de l'eau à ébullition, c'est-à-dire à 100 degrés et on y plongera les œufs un à un, posés dans une cuillère pour qu'il n'y ait pas de choc quand on les dépose.
On attendra 10 minutes exactement, pendant lesquelles on fera rouler les oeufs, pour bien centrer les jaunes.
Pui on sortira des oeufs de l'eau, que l'on jettera l'eau, et l'on attendra que les œufs refroidissent afin de ne pas se brûler les doigts pendant qu'on écale.

mercredi 4 janvier 2023

Des références, toujours des références

 Nous sommes bien d'accord : quand je dis ou quand j'écris quelque chose, je peux le justifier par des (bonnes) références scientifiques !

samedi 31 décembre 2022

Quel livre pour qui ?

Pardonnez-moi de ne jamais faire de « tome 2 », de ne pas vouloir surfer opportunistement sur la vague d'un succès, de ne pas faire de feuilletons...

Ayant de l'estime pour mes amis qui me lisent, je ne me résous pas à leur livrer des textes conçus comme des savonnettes, en série ; je vois chaque livre nouveau comme un petit travail orfèvrerie, qui touche une fibre particulière de nous-même.



Calculating and Problem Solving through Culinary Experimentation (CRC Press), ou comment apprendre le calcul, apprendre à aimer le calcul, apprendre à expérimenter. Un livre en anglais, plutôt universitaire.


 


En 2021, un énorme livre (894 pages, 150 chapitres, des auteurs de 23 pays, 673 figure), en anglais, avec trois parties :

- une partie « scientifique », qui explique la capillarité, l’osmose, etc (c’est donc de la gastronomie moléculaire)

- une partie d’applications de la gastronomie moléculaire à l’enseignement, de l’école primaire à l’université

- une partie d’applications de la gastronomie moléculaire à la cuisine (essentiellement cuisine moléculaire, et, surtout, cuisine note à note)



 


► Le premier de mes livres, Les Secrets de la casserole (Editions Pour la Science), était une volonté de montrer aimablement qu'il y a lieu de se préoccuper de science, en vue de comprendre l'activité culinaire, dans sa composante technique.

Oui, un soufflé qui ne gonfle pas n'est pas un soufflé, mais un gâteau, ou une crêpe... et il y a lieu de se demander pourquoi un soufflé gonfle ou ne gonfle pas.

Sachant que la science répond à la question « comment ça marche ? », le livre est structuré par des questions, avec des réponses aussi courtes que possibles, sans concession à la rigueur scientifique. Enfin, rigueur... Le mot est mal choisi : j'aurais dû dire « justesse », « précisions », mais pas « rigueur », car la Gourmandise s'accommode mal de rigueur...




► Le deuxième livre, Révélations gastronomiques (Editions Belin), était une réponse (à ma manière) à la demande de « recettes ».

 


Sachant que j'ai le plus grand mépris pour des recettes données sous la forme de protocoles qui condamnent l'exécutant au rôle de machine, il s'agissait de donner des recettes... mais en explicitant le détail de chaque geste. Il y a donc des recettes, dans ce livre, mais des recettes qui font grandir, et, en réalité, le livre est plus une discussion à propos de recettes que de recettes proprement dites.


► Le troisième livre, La casserole des enfants, aux Editions Belin, visait... les enfant que nous sommes tous, que nous le soyons vraiment ou que nous le soyons resté. J'avais en arrière-plan deux livres que je juge importants : le Tour de France par deux enfants, et les Aventures du Petit Nicolas.



Le Tour de France par deux enfants est un ancien manuel de l'Education nationale, du temps où les instituteurs étaient des hussards noirs de la République, du temps où l'Alsace et la Lorraine venaient d'être prises par les Allemands, du temps où la Révolution industrielle faisait rage. L'histoire est celle de deux enfants, orphelins de mère, qui partent de Phalsbourg à la recherche de leur père, engagé dans l'armée française. Le lieu de départ est à la limite de l'Alsace et de la Lorraine, et, en faisant ainsi le Tour de France, à la recherche de leur père, les deux enfants, deux « bons petits gars courageux », découvrent de l'histoire naturelle, de la géographie, de l'histoire, de la science, de la technologie, de la technique... Chaque épisode est une occasion de découverte, et, n'était le racisme qui fait dire à l'auteur qu'il existerait des races humaines inférieures, l'ouvrage serait à mettre entre toutes les mains. Moral, mais quel bel outil pédagogique, dans le principe !

Pour les Aventures du Petit Nicolas, c'est un petit garçon qui raconte sa vie quotidienne, avec son langage, ses mots, ses idées. Amusant, cocasse...

Et la Casserole des enfants sa été voulue comme un mélange des deux : deux enfants sont laissés seuls le soir, pendant que leurs parents sortent, et ils doivent faire la cuisine. Leurs expériences les conduisent à faire des tas de découvertes... mais aussi à remettre en question des gestes classiques. Quel bonheur quand j'ai rencontré des enfants qui avaient « vécu », vibré avec mes deux héros ! Quel bonheur quand j'ai appris qu'un groupe de professionnels des métiers de bouche avaient acquis le livre, non pas pour leurs enfants, mais pour eux-mêmes. On le voit, la jubilation de la connaissance n'a pas d'âge.



► Puis est venu le Traité élémentaire de cuisine, aux éditions Belin, qui était la mise en livre d'une « théorie du goût » que je faisais circuler, en l'augmentant régulièrement, parmi mes amis cuisiniers ou gastronomes.


 

















Ce livre est arrivé au moment où j'ai contribué à réformer l'enseignement culinaire des lycées hôteliers, au moment où j'ai contribué à débarrasser cet enseignement de scories qui dataient d'un siècle environ, quand on avait commencé à rationaliser la cuisine... en oubliant que, à cette fin, il fallait des explorations chimiques et physiques des phénomènes. Des « éducateurs » avaient progressivement ajouté des intuitions fausses, qui avaient fait école, et des notions fausses telles que la « concentration » ou l'  « expansion » des viandes étaient invoquées lors des examens. On confondait mousses et émulsions, on croyait à des idées introduites au hasard de l'empirisme culinaire. Le livre fut le livre de la réforme de l'enseignement culinaire, tout comme le Traité élémentaire de chimie, d'Antoine-Laurent de Lavoisier, avait été, à la fin du XVIIIe siècle, le livre de réforme de la chimie.




► Peu après, la revue Pour la Science me proposa de réunir sous la forme d'un livre les chroniques mensuelles que je rédigeais dans la revue : « Science et gastronomie ».
















Le livre, intitulé Casseroles et éprouvettes ( Pour la Science), fut l'occasion d'une organisation, et, surtout, d'une bonne définition de la gastronomie moléculaire, la science qui cherche les mécanismes des phénomènes qui surviennent lors de la préparation et de la consommation des mets.

Il est devenu un best seller, en anglais, parce que l'acteur Keanu Reeves a dit qu'il en était fan :

















► Un de mes livres est peu connu... parce qu'il est excessivement cher. J'espère qu'aucun de mes amis ne croira que j'ai voulu m'enrichir en faisant un tel livre ! Il s'agissait d'une proposition par un éditeur de livres d'art, Jane Otmezguine, qui avait voulu faire un « objet » : le livre avait l'apparence d'un très gros livre, tiré en nombre limité, pour des collectionneurs, et il contenait des objets et des lettres écrites à mon ami Pierre Gagnaire. Six lettres gourmandes : c'était d'ailleurs le titre.




► Puis est venu mon livre préféré, La cuisine, c'est de l'amour, de l'art, de la technique (Editions Odile Jacob) :















Le premier traité d'esthétique culinaire, à ma connaissance, dans l'histoire de la cuisine. Par « esthétique », on entend non pas l'apparence visuelle, mais le goût. En cuisine, le beau à manger, ce n'est pas le beau à voir, comme en peinture ou en sculpture, mais le bon !

Et comme un traité risquait d'être austère, je l'ai transformé en roman d'amour/policier, en l'agrémentant de « recettes » de Pierre Gagnaire. Je maintiens que ce livre, insuffisant d'un point de vue littéraire, un peu difficile (parce que l'esthétique est une branche de la philosophie), est un livre important, utile.




► Peu après, mon amie Marie-Odile Monchicourt m'interrogeais sur « ma vie, mon oeuvre »... mais peut-on imaginer que quelqu'un qui soutient que « le moi est haïssable » se laisse aller à raconter, page après page, de quelle couleur est sa brosse à dent, et autres poussières du monde ?










Cette fois, dans Construisons un repas (Edition Odile Jacob), je décidais de tout récrire, pour gommer cet aspect personnel sans intérêt, et, plutôt, pour poursuivre la discussion esthétique, mais de façon très simple, pratique. La cuisine, en effet, c'est une construction. Une construction des matières, une construction des mets, par assemblage de matières, et une construction/enchaînement des mets en repas.
Pour rester dans l'idée de Marie-Odile Monchicourt, je me suis efforcé de tout dire très simplement. Oui, ce livre, Construisons un repas, est une sorte de manifeste du « constructivisme culinaire », mais un manifeste à l'attention de tous.




► Pendant l'écriture des deux derniers livres, nous avions des rendez-vous réguliers avec mon ami Pierre Gagnaire, face à Jacques Merles, qui était équipé d'un magnétophone. Nous discutions, séance après séance, le merveilleux traité de cuisine de Nicolas de Bonnefons, cuisinier du roi Louis XIV, et ces discussions conduisirent au livre Alchimistes aux fourneaux (Edition Flammarion).















Un « beau livre », un gros livre, avec d'extraordinaires photographies d'un photographe aussi « allumé » que Pierre Gagnaire ou que moi. Un livre où l'on trouve, de façon un peu baroque (une marque de fabrique H. This), le texte de Bonnefons, les commentaires de Pierre, mes observations, les photographies de Rip Hopkins.




► Le mot « fourneaux », d'ailleurs, semble avoir été dans l'air, puisque la revue Pour la Science voulut publier de nouveaux textes de ma chronique Science et gastronomie, sous le titre De la science aux fourneaux :















Cette fois, le risque du tome 2 était grand ! Comment l'éviter ? Je décidais alors de construire un livre bien différent de Casseroles et éprouvettes, un livre qui doive tout à son organisation, et où les chroniques publiées dans la revue viendraient tenir leur partie dans une partition d'orchestre construite sans se fonder sur elles a priori.




► Un jeune éditeur, L'oeil Neuf, avait alors publié un très beau livre, la Sagesse du bibliothécaire, et le succès de ce livre intelligent lui avait fait penser qu'une collection pouvait naître. Quelle belle idée que de rechercher à dégager la sagesse des métiers ! La sagesse du potier, du médecin, de l'archéologue... L'éditeur m'invita à préparer La Sagesse du chimiste.













Et je me suis beaucoup amusé à écrire un tel livre. D'abord, parce que je n'ai en réalité aucune sagesse personnelle, mais, ensuite, parce que la chimie est une science si belle qu'elle méritait une sorte d'ode !

Ce qui est également merveilleux, c'est que, lors de l'écriture de ce livre, j'ai fini par comprendre que la chimie était aujourd'hui partagée -j'espère que cela ne durera pas- entre la science et la technologie. La science : la production de connaissance, recherche des mécanismes des phénomènes par la méthode « scientifique ». La technologie : amélioration des techniques par l'utilisation des résultats de la science.
Et puis, ce fut l'occasion de montrer qu'il n'y aura jamais de chimie en cuisine, que l'on ne mettra pas des « produits chimiques » dans les aliments, que nos sociétés souffrent d'une sorte d' « ilchemise », pendant chimique de l'illétrisme.




► D'ailleurs, ces idées, et bien d'autres, furent utiles pour la rédaction du Cours de gastronomie moléculaire N°1 : Science, technologie, technique (culinaires), quelles relations ? (Editions Quae/Belin) :






















Pour ce livre, il fallait faire bien davantage que ce qui avait été fait dans la Sagesse du chimiste. L'idée fut de présenter les quelque 150 inventions que j'avais offertes à mon ami Pierre Gagnaire, chaque mois depuis dix ans, sur son site, et d'expliquer comment, comprenant bien la différence entre science et technologie, on pouvait facilement faire autant d'inventions.

Notre monde bruit de « créativité », d' « innovation », maîtres mots de l'industrie, qui permettent à des gourous auto-proclamés de vendre des recettes, des formations... Je maintiens dans ce livre que tout est question de travail, de soin, et de méthode. Le livre est un manuel de technologie générale, tel que je rêve qu'il soit utilisé dans toutes les écoles d'ingénieurs, dans tous les instituts de technologie.





► Rapidement, est alors paru le Cours de gastronomie moléculaire N°2 : Les précisions culinaires (éditions Quae/Belin).















Je suis bien certain qu'aucun de mes amis ne me fera l'injure de penser que ce livre a été bâclé... parce que, en réalité, il réunit des précisions culinaires (dictons, adages, proverbes, tours de main...) réunis depuis le 16 mars 1980 ! Cela fait plus de 30 ans, donc, que je collectionne ces objets de culture, que je les teste, que je les discute, que j'y pense... Le Cours de gastronomie moléculaire que je donne annuellement à AgroParisTech a été une merveilleuse occasion de mettre de l'ordre dans tout cela, de chercher des méthodes pour explorer ce corpus unique dont je dispose, et que je voulais mettre à la disposition de tous. Pour autant, je ne me suis pas résolu à livrer des fleurs en vrac : j'ai voulu faire un bouquet !





Le livre sur la cuisine note à note est arrivé après mon cours, à la demande des cuisiniers qui voulaient une sorte de cours, mais le livre est un hybride entre un manifeste et un manuel. Il est lisible par tous, et j'ai pris le plus grand soin à expliquer ce qu'est un composé.

Plus exactement, après une longue introduction très générale, et qui dit l'intérêt de la cuisine note à note, on rentre dans la partie technique, en considérant les divers aspects des plats (consistances, formes, saveurs, odeurs, sensations trigéminales…) . En fin de livre, des recettes























En 2014, un livre de synthèse, que j'espère simple, pour tous lecteurs. Quand je parle d'un composé, j'explique ce que c'est, et il doit y avoir deux ou trois formules chimiques… expliquées dans les moindres détails. Pour autant des collègues devraient être également intéressés.

Le propos ? Je reprends la cuisine historiquement… en vue d'en tirer des idées qui permettent de faire mieux. Autrement dit, il y a du spéculatif et de l'opératif, comme on dit. Un livre assez volumineux, qui considère, en fin de livre, les évolutions que furent la cuisine moléculaire, le constructivisme culinaire, et s'achève évidemment sur la cuisine note à note. A la charnière, 14 « commandements », qui sont détaillés, en vue de mieux cuisiner.





















En 2017, un roman philosophique (un traité de la joie de vivre, transformé en roman d'amour qui finit bien), doublé de recettes de cuisine analysées, le tout structuré (en apparence) par une réflexion sur le terroir et la tradition :