mardi 14 avril 2020

A propos d'hygiène

1. Allons : faisons aujourd'hui quelques considérations d'hygiène puisque l'époque est à cela. Je propose de parler aujourd'hui de la méthode HACCP, de la marche en avant, de la cuisson des aliments et des TIAC (les toxi-infections alimentaires).

2. Commençons par la méthode HACCP qui est très judicieusement enseignée dans les écoles de cuisine, et qui est une manière de se prémunir  contre les dangers microbiologiques et chimiques, donc de réduire ces risques. Je passe sur la définition du sigle pour indiquer seulement que c'est une méthologie, qui va d'ailleurs de pair avec la "marche en avant", dans les restaurants : il y a un circuit qui va de l'entrée des founisseurs, avec des produits contaminés, vers la table du client, où tout doit etre sain ; les locaux doivent être organisés de sorte que les produits sains ne croisent pas les objets souillés.

3. Plus généralement, l'idée est d'éviter des contaminations qui rendront le client malade : je  me souviens avec effroi d'une diarrhée qui a duré 15 jours alors que je faisais partie d'un groupe qui revenait de Tunisie. Il ne serait pas tolérable que cela puisse avoir  lieu en France métropolitaine, et c'est notamment pour éviter cela que l'on insiste tant sur l'hygiène dans les formations culinaires.

4. Ce qui me fait dire depuis longtemps que,  s'il est obligatoire d'avoir un CAP pour ouvrir un salon de coiffure, cela fait longtemps que l'on aurait dû imposer la même réglementation pour les restaurants : les particuliers qui cuisinent n'ont pas les notions d'hygiène indispensable, d'autant que l'école ne les donne pas.

5. Il y a donc des progrès à faire... et la meilleure preuve en sont les statistiques de TIAC (toxi-infections alimentaires collectives) : aux Etats-Unis, il y a un an ou deux, plus de la moitié de telles infections résultaient du mauvais lavage des mains par les personnels des restaurants ! Bref, il y a encore beaucoup à faire, d'autant que les statistiques publiées à l'occasion de l'épidémie de covid-19 montrent qu'un nombre excessif de personnes ne se lavent pas les mains, notamment en sortant des toilettes  : mas étonnant que l'on retrouve les micro-organismes qui les contaminent  sur les aliments !

6. Il faut bien redire que la cuisson tue les micro-organismes, mais surtout en surface : on pensera utilement à ne jamais descendre sous 60 °C (sauf à coeur, pour une viande saignante... et à condition qu'on ne l'ait pas piquée, ce qui aurait eu pour effet de faire venir à l'intérieur des micro-organismes de la surface.

7. Et l'on n'oubliera pas des températures supérieures s'imposent pour des viandes qui peuvent être parasitées : porc, sanglier, cheval.

8. On n'oubliera pas, aussi, que le lavage permet d'éviter des parasites, venus du sol ou de l'environnement, telle la douve du foie sur le cresson sauvage,  ou divers parasites du poisson cru...  La congélation n'est pas un moyen suffisant de tuer ces êtres vivants qui nous veulent du mal.

9. Bien sûr, il ne faut pas tomber dans un hygiénisme déplacé, comme à propos de la crainte de l'empoisonnement par les aliments. Paradoxalement, ce sont les groupes sociaux les plus aisés qui ont le plus peur, mais, en réalité, l'effort doit porter surtout sur les groupes les moins aisés, et c'est l'Ecole qui a la charge essentielle de transmission des informations salutaires : c'est seulement quand  l'ensemble de la population est sensibilisé que l'on peut vivre tranquille sans trop s'en faire, avec des gestes simples.

10. Enfin, redisons-le sans craindre la répétition : ce sont les campagnes de promotion de l'hygiène, en plus des antibiotiques, qui sont essentiellement à l'origine de l'allongement de la durée de la vie dans les dernières décennies.


lundi 13 avril 2020

A propos de lentilles et de dureté de l'eau


1. Un jeune collègue italien  m'interroge à propos de cuisson de légumes, et, plus particulièrement, de cuisson de lentilles. Je propose de commencer par une expérience...  puisque l'expérience a toujours raison, disait déjà Galilée :
Un bon moyen pour atteindre la vérité, c'est de préférer l'expérience à n'importe quel raisonnement, puisque nous sommes sûrs que lorsqu'un raisonnement est en désaccord avec l'expérience il contient une erreur, au moins sous une forme dissimulée. Il n'est pas possible, en effet, qu'une expérience sensible soit contraire à la vérité. Et c'est vraiment là un précepte qu'Aristote plaçait très haut et dont la force et la valeur dépassent de beaucoup celles qu'il faut accorder à l'autorité de n'importe quel homme au monde.

2. Cette expérience consiste à cuire des lentilles dans trois casseroles, où l'on met de l'eau du robinet, si celle-ci n'est pas trop "dure" (mais j'ai fait l'expérience dans des lieux si différents que je sais l'expérience "robuste") :
- dans la deuxième casserole, on ajoute du vinaigre
- dans la troisième casserole, on ajoute du "bicarbonate".
On chauffe les trois casseroles jusqu'à ce que les lentilles dans l'eau "pure" soient cuites, et l'on compare alors les lentilles des trois casseroles :
- dans l'eau "pure", les lentilles sont cuites comme il faut (par définition)
- dans l'eau avec le vinaigre, les lentilles sont dures comme des cailloux
- dans l'eau avec bicarbonate, les lentilles sont complètement défaites, en purée.

3. Ce fait étant établi, il nous faut des données pour interpréter les résultats, et il y a notamment :
- le fait que la dureté des légumes est due notamment à la cellulose
- le fait que la dureté des légumes est due  notamment aux pectines
- le fait que les lentilles contiennent des grains d'amidon

4. La cellulose est inerte chimiquement : et la preuve en est que nos chemises de coton, en cellulose quasi pure, peuvent être bouillies des centaines ou des milliers de fois sans se "dissoudre" dans l'eau de lavage.

5. Mais les molécules de celluloses sont tenues par les molécules de pectine, qui sont commes des cables autours de piliers de cellulose. Or les pectines peuvent se dégrader  par une réaction d'"hydrolyse" particulière, nommée élimination bêta. Elles perdent de petits morceaux, et les piliers de cellulose ne sont plus tenus : c'est pour cette raison que les légumes cuits ordinairement (casserole 1) s'attendrissent. Il  y a nombres d'articles scientifiques à propos, et je renvoie vers mon texte 66. Hervé This. Molecular Gastronomy, a chemical look to cooking. Accounts of Chemical Research, May 2009, vol 42, N°5, pp. 575-583, Published on the Web 05/19/2009 www.pubs.acs.org/acr, doi10.1021/ar8002078. , qui donne des pistes.

6. Les pectines sont sensibles à l'acidité du milieu, car ces "cordes", ou "cables", sont en réalité des chaînes moléculaires qui  portent de nombreux groupes acide carboxylique (-COOH). Lorsque le milieu est peu acide, une partie de ces groupes est sous la forme "déprotonée", ce qui signifie qu'ils ont perdu l'atome d'hydrogène H, et sont donc électriquement chargés. D'une part, ces charges se repoussent... ce qui explique d'ailleurs que les confitures ne prennent pas quand elles ne sont pas assez acides : les pectines se repoussent, et ne s'associent donc pas. D'autre part, les milieux "basiques" favorisent l'hydrolyse des pectines.

7. On comprend ainsi que les lentilles cuites en milieu acide restent dures, alors qu'elles sont défaites en milieu basique.

8. Mon correspondant parle un français difficile à comprendre (ce n'est pas un reproche que je lui fais), de sorte que  je ne suis pas certain de bien comprendre ce qu'il me dit à propos du bicarbonate, mais je le renvoie vers mon cours en ligne sur les calculs de pH pour voir ce qui se passe quand on ajoute du bicarbonate dans l'eau (https://tice.agroparistech.fr/coursenligne/main/document/document.php?cidReq=GM&curdirpath=/Des_cours_de_niveau_universitaire).
D'abord, disons plutôt hydrogénocarbonate de sodium.
Ensuite, ce composé de formule NaHCO3 se dissocie en Na+ et HCO3-, qui se dissocie lui-même en proton et ion carbonate CO32-

9. Pour comprendre maintenant la complication supplémentaire due au calcium, il faut savoir que ces ions Ca2+ sont abondants dans les eaux "dures".

10. Or les ions calcium gênent la réaction de dégradation des pectines, en "pontant" des molécules de pectine. En effet, les ions calcium sont doublement chargés, avec la charge électrique opposée  des groupes carboxylates (souvenez-vous : les groupes acides déprotonés). Et ils forment des édifices difficiles à détruire avec ces groupes. Cela durcit les lentilles.

11. D'ailleurs, une autre expérience consiste à cuire des légumes dans de l'eau additionnée d'ions calcium (par exemple, du chlorure) : les légumes deviennent très durs.
On voit aussi cet effet quand on chauffe des légumes (faisons l'expérience avec des carottes) à seulement 40-50 °C : on active des enzymes qui provoquent la fuite du calcium intracellulaire, lequel vient durcir les légumes, au point qu'on ne parvient plus, ensuite, à les amollir... avec deux conséquences :
- surtout pas de légumes dans les cuissons à basse température
- utilisons cette méthode pour affermir des cornichons, afin qu'ils restent bien croquants.

12. Ajouter du bicarbonate, c'est libérer des ions négativement chargés (hydrogénocarbonates et carbonates), qui peuvent conduire à la précipitation de carbonate de sodium, ou calcaire !
Autrement dit, le bicarbonate a une double action : il précipite le calcium, ce qui contribue à ne pas durcir les lentilles, et il amollit, par l'effet "anti-acide".

Est-ce clair ?

La chimie est née de l'alchimie au 18e siècle

L'alchimie ? On ne saurait assez oublier tout ce qui a été dit et écrit ily a plus de cinquante ans, avec des travaux rigoureux, tels ceux de Robert Halleux, en Belgique. Il n'est pas seul : pour les textes en langue française, on pourra se référer également à Bernard Joly ou Didier Kahn. En substance, l'alchimie est l'ancien nom de la chimie, et la transition s'est faite au 18e siècle, en même temps que la physique ou la biologie apparaissaient sous leur forme moderne. Galilée, Newton (dans son champ), Bacon furent de merveilleux précurseurs de cette apparition des sciences de la nature modernes, qui nécessitaient encore des discours épistémologiques serrés, au 19e siècle (avec par exemple Michel Eugène Chevreul et sa "méthode a posteriori expérimentale"), pour que nous en arrivions à notre idée moderne (et l'on oubliera les idées floues de ceux qui confondent sciences de la nature et technologie sous le vocable de "technosciences" ou de ceux qui confondent les sciences de la nature et les sciences de l'humain et de la société).

Dans tout ce contexte, on aura raison de lire l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert , qui fut précisément publiée au moment où la chimie  se dégageait plus clairement de l'alchimie, avec une transition qui a été nommée (al)chimie par Didier Kahn, et chymistry par les historiens de langue anglaise. Dans l'Encyclopédie on voit les changements à l'oeuvre, entre le début et la fin de l'entreprise : la chimie telle que nous l'entendons aujourd'hui n'apparaît que vers le volume VI.

Et dans le volume 1, voici ce que l'on trouve (p. 248, http://enccre.academie-sciences.fr/encyclopedie/article/v1-1117-0/, dernier accès 2020-03-25) :

ALCHIMIE, s. f. est la chimie la plus subtile par laquelle on fait des opérations de chimie extraordinaires, qui exécutent plus promptement les mêmes choses que la nature est long-tems à produire ; comme lorsqu’avec du mercure & du soufre seulement, on fait en peu d’heures une matiere solide & rouge, qu’on nomme cinabre, & qui est toute semblable au cinabre natif, que la nature met des années & même des siecles à produire.[on le voit : pas de mystique ici, mais seulement la reconnaissance de faits].

Les opérations de l’alchimie ont quelque chose d’admirable & de mystérieux ; il faut remarquer que lorsque ces opérations sont devenues plus connues, elles perdent leur merveilleux, & elles sont mises au nombre des opérations de la chimie ordinaire, comme y ont été mises celles du lilium, de la panacée, du kermès, de l’émétique, de la teinture de l’écarlate, &c. & suivant la façon, dont sont ordinairement traitées les choses humaines, la chimie use avec ingratitude des avantages qu’elle a reçûs de l’alchimie : l’alchimie est maltraitée dans la plûpart des livres de chimie. Voyez Alchimistes.[ici, la chimie prend sa place, et il faut d'ailleurs signaler que l'évolution vers la chimie visait notamment à se débarrasser de l'image détestable qu'avaient les alchimistes]

Le mot alchimie est composé de la préposition al qui est Arabe, & qui exprime sublime ou par excellence, & de chimie, dont nous donnerons la définition en son lieu. Voyez Chimie. De sorte que alchimie, suivant la force du mot, signifie la chimie sublime, la chimie par excellence.[dont acte, mais le 18e siècle fut quand même le moment où la quête de la pierre philosophale, par exemple, fut abandonnée, au point que Colbert interdit de considérer ces matières dans l'Académie qu'il avait créée]

Les antiquaires ne conviennent pas entre eux de l’origine, ni de l’ancienneté de l’alchimie : si on en croit quelques histoires fabuleuses, elle étoit dès le tems de Noé. Il y en a même eu qui ont prétendu qu’Adam savoit de l’alchimie.[on lira dans les bons auteurs d'histoire de la chimie que nombre de livres sont plus récents qu'ils ne le disent, et pas toujours écrits par ceux à qui on les attribue  : en les enracinant, leurs véritables auteurs voulaient en accroître l'autorité]

Pour ce qui regarde l’antiquité de cette science ; on n’en trouve aucune apparence dans les anciens auteurs, soit Medecins, soit Philosophes, soit Poëtes, depuis Homere, jusqu’à quatre cens ans après Jesus-Christ. Le premier auteur qui parle de faire de l’or est Zozime, qui vivoit vers le commencement du cinquieme siècle. Il a composé en Grec un Livre sur l’art divin de faire de l’or & de l’argent. C’est un Manuscrit qui est à la Bibliotheque du Roi. Cet ouvrage donne lieu de juger que lorsqu’il a été écrit, il y avoit déjà long-tems que la chimie étoit cultivée ; puisqu’elle avoit déjà fait ce progrès.[oui, j'ai parlé de pierre philosophale, mais j'aurais dû évoquer la confection de l'or, puisque c'était un moteur essentiel de l'alchimie ; le même, en quelque sorte]

Il n’est point parlé du remede universel, qui est l’objet principal de l’Alchimie, avant Geber, auteur Arabe, qui vivoit dans le septieme siecle.[ah, voici la pierre philosophale : notre auteur prend les choses au rebours de moi, mais qu'importe, puisque c'est la même chose, la même quête]

Suidas prétend que si on ne trouve point de monument plus ancien de l’Alchimie, c’est que l’Empereur Dioclétien fit brûler tous les Livres des anciens Egyptiens ; & que c’étoient ces Livres qui contenoient les mysteres de l’Alchimie.[un peu facile : les preuves ont disparu ! Mais on se souviendra utilement de cette idée : à prétention extraordinaire, il faut des preuves extraordinaires.]

Kirker assûre que la théorie de la Pierre-philosophale est expliquée au long dans la table d’Hermès, & que les anciens Egyptiens n’ignoroient point cet art.

On sait que l’Empereur Caligula fit des essais, pour tirer de l’or de l’orpiment. Ce fait est rapporté par Pline, Hist. nat. ch. iv. liv. XXXIII. Cette opération n’a pû se faire sans des connoissances de Chimie, supérieures à celles qui suffisent dans la plûpart des arts & des expériences pour lesquelles on employe le feu.
[Oui, des essais, mais il est certain qu'il n'a pas réussi ! ]

Au reste, le monde est si ancien, & il s’y est fait tant de révolutions, qu’il ne reste point de monumens certains de l’état où étoient les sciences dans les tems qui ont précedé les vingt derniers siecles ; je n’en rapporterai qu’un exemple : la Musique a été portée, dans un certain tems chez les Grecs, à un haut point de perfection ; elle étoit si fort au-dessus de la nôtre, à en juger par ses effets, que nous avons peine à le comprendre ; & on ne manqueroit pas de le révoquer en doute, si cela n’étoit bien prouvé par l’attention singuliere qu’on sait que le gouvernement des Grecs y donnoit, & par le témoignage de plusieurs auteurs contemporains & dignes de foi. Voyez An ad sanitatem musice, de M. Malouin. A Paris, chez Quillau, rue Galande.[amusant, cette idée d'un âge d'or  ! bien faible, aussi : de sorte que l'on dit justement "à beau mentir qui vient de loin", on aura raison de penser que ce qui est ancien est périmé, plutôt qu'abatardi. Pensons notamment à la médecine... qui n'a jamais réussi, dans les anciens temps, ce qu'on fait les antibiotiques ou la médecine moderne. Allons, ne cédons pas à la faiblesse d'esprit du "bon vieux temps".]

Il se peut aussi que la Chimie ait de même été portée à un si haut point de perfection, qu’elle ait pû faire des choses que nous ne pouvons faire aujourd’hui, & que nous ne comprenons pas comment il seroit possible que l’on exécutât. C’est la Chimie ainsi perfectionnée qu’on a nommée Alchimie. Cette science, comme toutes les autres, a péri dans certains tems, & il n’en est resté que le nom. Dans la suite, ceux qui ont eu du goût pour l’Alchimie, se sont tout d’un coup mis à faire les opérations, dans lesquelles la renommée apprend que l’Alchimie réussissoit ; ils ont ainsi cherché l’inconnu sans passer par le connu : ils n’ont point commencé par la Chimie, sans laquelle on ne peut devenir Alchimiste que par hasard.[Et voilà, on repart sur la même idée fausse, pour le début du paragraphe. La suite est moins claire.]

Ce qui s’oppose encore fort au progrès de cette science, c’est que les Chimistes, c’est-à-dire, ceux qui travaillent par principes, croient que l’Alchimie est une science imaginaire, à laquelle ils ne doivent pas s’appliquer ; & les Alchimistes au contraire croient que la chimie n’est pas la route qu’ils doivent tenir.[Ici, on ne sait pas bien de quelle "science" il s'agit. Et science au sens de "science de la nature moderne", ou simplement de "savoir" ? La confusion entre ces deux termes embrouille les discussions.]

La vie d’un homme, un siecle même, n’est pas suffisant pour perfectionner la Chimie ; on peut dire que le tems où a vécu Beker, est celui où a commencé notre Chimie. Elle s’est ensuite perfectionnée du tems de Stahl, & on y a encore bien ajoûté depuis ; cependant elle est vraissemblablement fort éloignée du terme où elle a été autrefois.[Amusant que notre auteur  cite Stahl comme un progrès... alors que Lavoisier allait le réfuter quelques années plus tard. Pour ceux qui l'ignorent, Stahl avait promu l'idée fausse du "phlogistique", un corps de masse négative, qui aurait enlevé aux corps calcinés. Et c'est ainsi que l'on expliquait que du fer que l'on brûle dans l'air a une masse qui augmente : Stahl prétendait que la perte de ce phologistique de masse négative laissait le métal calciné, plus lourd. Lavoisier fut celui qui montra que, au contraire, le métal capte l'oxygène lors de la combustion, de sorte que l'oxyde métallique formé avait la masse du métal plus la masse de l'oxygène fixé lors de la réaction.]

Les principaux auteurs d’Alchimie sont Geber, le Moine, Bacon, Ripley, Lulle, Jean le Hollandois, & Isaac le Hollandois, Basile Valentin, Paracelse, Van Zuchten, Sendigovius, &c. (M) [Bon, pas certain qu'il faille aller lire leurs divagations si l'on n'est pas historien de la chimie ;-).]

Et je vous invite maintenant à aller découvrir la suite, dans la suite de l'Encyclopédie, et surtout dans les auteurs modernes que je vous ai cités !


dimanche 12 avril 2020

A propos d'associations d'ingrédients


Ici, je mets en pratique ma nouvelle idée de constitution des textes. N'hésitez pas à me dire si cela vous paraît plus clair (icmg@agroparistech.fr)


1. On me parle encore de food pairing... La clé du bon  ! La clé du bon ? Je n'ai pas assez de points d'interrogation, afin de mettre en garde mes amis.

2. Tiens, j'observe que c'est de l'anglais : un peu snob,  un peu idiot, un peu simplet ? Nous aurions raison de nous souvenir de cette phrase hélas souvent juste : "à beau mentir qui vient de  loin" ! Oui, les termes étrangers, "ça en jette" ; ou disons plus justement que certains malhonnêtes ou prétentieux pensent que ça en jette, ou veulent faire croire qu'ils sont plus habiles que les autres. Oui, puisque non seulement ils ont des connaissances  (ou plus exactement ils prétendent les avoir) que les autres n'ont pas, et, de surcroît, ils sont allés les chercher si loin que, dans ces contrées, on ne parle même pas le français.

3. Le food pairing, c'est comme le nombre d'or : de ces petites règles simplistes qui sont prétendument la clé du beau. Le food pairing ? Il s'agit de penser que l'on peut faire quelque chose de bon  si l'on mêle deux ingrédients qui ont un composé odorant en commun. Enfin, disons que c'est la théorie actuelle, ou une des théories, parce que cette affaire de food pairing est complètement foireuse, et change tous les deux jours. On a d'abord dit, un composé odorant en commun, puis un composé odorant essentiel en commun, puis...

4. Au fait, et le nombre d'or  ? C'est un nombre, comme le nombre pi, que l'on trouve dans des circonstances faciles à décrire, mais ce serait un peu long. Disons seulement que des esprits mathématiquement un peu "légers"  y voient la clé de la construction des cathédrales, des pyramides, que sais-je... La clé du Beau, en tout cas. Et là encore, cette numérologie peut être largement réfutée.

5. Dans mon livre La cuisine c'est de l'art, de l'amour de la technique, je discute également la question du nombre-d'or qui était proposé en cuisine comme pour la construction des cathédrales. D'une part, les cathédrale ne sont jamais vraiment construites au nombre d'or,  qui est un nombre avec un nombre infini de décimales : une construction en pierre, elle, pourrait avoir certaines de ces proportions qui approchent le nombre d'or, mais pas toutes les proportions : ce serait idiot. De sorte que le choix des proportions au nombre d'or est arbitraire.

6. Dans les deux cas, du nombre d'or et du food pairing, une question : si le Beau était à ce compte enfantin du food pairing ou du nombre d'or, ne croyez vous pas que tout le monde l'atteindrait ? Oui, s'il suffisait de règles aussi simples, pourquoi tous les articles ne les utilisent-ils pas ? Pourquoi tout le monde n'est-il pas Mozart, Rembrandt, Rodin, Flaubert, Carême ? 

7. D'ailleurs, pour en revenir plus précisément  à la cuisine, observons que, trop souvent, il y a la confusion entre la technique et l'art. La technique, c'est le fait d'être capable d'assembler des ingrédients, de les préparer, et c'est très simple, même si c'est parfois long. L'art, d'autre part, c'est le fait de faire du bon, c'est-à-dire du beau à manger. Et là, il ne s'agit pas d'une question physiologique, mais sans doute d'une question culturelle, et on aura toujours intérêt à comparer la cuisine avec les autres arts que son la musique, la peinture, et cetera.

8. Aujourd'hui, le correspondant qui suscite ce billet est un cuisinier qui me parle d'associer les huîtres avec l'huître végétale, cette plante dont les feuilles ont un goût d'huîtres. Un goût d'huîtres ? D'abord, toutes les huîtres n'ont pas le même goût, et, d'autre part, le goût de cette plante ressemble au goût de certaines huîtres. Pas celles qui ont "un goût de noisette", par exemple.  Alors, lesquelles : huîtres de Marennes ? d'Oléron ? de Normandie ? claires ? ? petites ? grosses ? Mais, surtout, pourquoi associer un goût d'huîtres avec un goût d'huîtres ? Ce serait comme mêler du vin rouge à du vin blanc : pourquoi faire ?

9. Comparons avec la musique : associer un fa avec un fa dièse, par exemple :  pourquoi pas ? mais d'abord pourquoi ? Je propose que l'objectif soit toujours premier : avant de nous demander si le prétendu "food pairing" permettrait d'associer une huître avec une feuille d'huître végétale, demandons-nous ce que nous visons : quel effet veut-on obtenir ?  Le fait que mon correspondant s'aperçoive que l'association ne fonctionne pas ne condamne pas l'association pour autant.

10. D'ailleurs,  il est rare d'avoir seulement deux ingrédients dans un plat, et pourquoi ne pas mettre tout cela avec un œuf poché ? Et une mayonnaise dans laquelle il y aura donc du jaune d' œuf, du vinaigre de l'huile ? Et du sel, et du poivre... Dailleurs, ne pourrait-on pas y mettre du sucre, du piment ? Se limiter à deux ingrédients, c'est bien faible et sans intérêt a priori, car je le répète pourquoi vouloir associer deux ingrédients et deux seulement alors que ce n'est jamais cela que l'on fait en cuisine ?

11. Tout cela me fait souvenir d'un cuisinier qui prétendait faire du beau en mettant toujours dans l'assiette trois éléments  : règle simplissime, simpliste, car pourquoi trois, et pas deux (le yin et le yang), et pas quatre (la beauté du carré), et pas cinq comme le voudrait la pensée coréenne, et pas six, comme l'étoile à 6 branches... Décidément les règles de valent pas grand-chose en matière artistique.

12. Et c'est d'ailleurs leur contestation qui fait grandir l'art. Suivre une règle condamne presque l'oeuvre : les artistes n'ont cessé de dérogé... mais cela est au delà des capacités de beaucoup, car il y a quand même de la règle de base, de la technique. Pour être Jean-Sébastien Bach, qui utilise l'accord du diable, il faut en être capable. Pour jouer avec la perspective, dans un tableau, il faut en maîtriser les règles. Les artistes sont d'excellents techniciens !

13. Et derrière les oeuvres d'art, il y a beaucoup de travail : derrière les oeuvres de Bach, il y a une virtuosité fondée sur d'interminables travaux. Derrière les toiles de Rembrandt, il y a toute la maîtrise technique de la peinture. Flaubert travaillait jour et nuit pour ne produire que sept phrases par jour !

14. J'alerte donc mes amis : ne vous laissez pas piéger par le "food pairing" (qui n'existe pas !).

Je rigole, mais c'est pathétique


Dans un journal, un article sur la mayonnaise, et sa "chimie", à savoir que les gouttes d'huile seraient dispersées dans l'eau apportée par le jaune d'oeuf, grâce à des molécules "tensioactives", qui seraient des protéines nommées "lécithine".
Pour quelqu'un qui ignore la chose, cela fait savant, et c'est plausible... mais c'est parfaitement faux ! Expliquons, pour démasquer les faux savants, qui abusent les rédacteurs en chef, tout comme les lecteurs.

Oui, lors de la confection d'une mayonnaise, on part effectivement de jaune d'oeuf, et oui, le jaune d'oeuf est fait d'environ 50 pour cent d'eau, de 15 pour cent de protéines, et de 35 pour cent de matière grasse, notamment des "phospholipides", dont les lécithines (il y en a plusieurs).
Et, d'ailleurs, il faut ajouter que la sauce mayonnaise se fait aussi avec du vinaigre, qui apporte plus de 90 pour cent d'eau. L'eau se mélangeant bien à l'eau, le jaune d'oeuf se mélange sans difficulté au vinaigre.

Puis, si l'on ajoute de l'huile, on voit que cette dernière flotte à la surface. Il faut donner de l'énergie, pour que le fouet divise la gouttelettes d'huile en deux, et en deux, et ainsi de suite jusqu'à atteindre des tailles microscopiques. Et les protéines, tout comme les phospholipides, sont alors essentiels pour cette division, parce que ces composés se placent à la limite des gouttelettes, une partie dans l'huile et une partie dans l'eau.

Les protéines ? Ce sont comme des fils microscopiques, en pelote, qui se déroulent quand on fouette la mayonnaise. Et certains segments se placent dans l'huile, et d'autres dans l'eau, formant une sorte de couche chevelue.
Les phospolipides ? Rien à voir chimiquement : ce sont de petites molécules, de la famille des lipides, avec une "tête" phosphate, très soluble dans l'eau.
Et ce sont bien principalement les protéines qui assurent l'émulsion.

La faute faite par la personne qui écrit dans le journal est-elle grave ? Je vous laisse juger, mais je trouve bizarre que quelqu'un qui n'est pas scientifique se pique d'expliquer la science de la cuisine... en se mélangeant les pinceaux. Imposture ?

jeudi 9 avril 2020

Ma recette de Lammala

Il est temps de s'entraîner, puisque Pâques arrive !

Voici ma recette (éprouvée) de Lammara :




Lammala (ou Lamala)  de Pâques :
Pour 1 agneau, il vous faut :
– 60 g de farine tamisé type 45
– 90 g de sucre semoule (60 et 30)
– 1 sachet de sucre vanillé
– Le zeste d’un demi-citron
– 4 blancs d’œufs (3 s'ils sont gros)
– 4 jaunes d’œufs (3 s'ils sont gros)
- de l'eau de fleur d'oranger
Un moule en terre cuite
– une noix de beurre fondu dans  le moule
– Environ 20 g de farine tamisée Type 45

La fabrication :
1. Dans un premier temps, préparer le moule : déposer une noix de beurre dans chaque moitié, et mettre les deux moitiés dans le four que l'on préchauffe.
2. Quand le beurre est fondu, en badigeonner bien tout le moule, puis farine ; éliminer l'excès
3. Séparer les 4 jaunes des 4 blancs d’œufs (3 s'ils sont gros)
4. Faire blanchir les jaunes d’œufs avec 60 g de sucre semoule et le sucre vanillé : il faut battre TRES longtemps, pour que ce soit parfaitement blanc et ferme.
5. Puis ajouter le zeste de citron très finement râpé det l'eau de fleur d'oranger
4. Monter les œufs en neige très ferme, et les serrer encore avec 30 g de sucre semoule et 1 pincée de sel.
6. Mélanger les blancs en neige au premier mélange délicatement.
7. Ajouter 60 g à 100 g de farine et 50 g de beurre fondu à l'ensemble et incorporer à la spatule avec un minimum de mouvement, pour ne pas faire retomber la préparation
8. Puis fermer le moule avec le crochet et y verser la pâte.
9.  Enfourner le Lammala à 170°C pendant 35 à 40 minutes.
10. Une fois la cuisson finie, patientez 5 minutes avant de le démouler.
11. Saupoudrez le Lammala de sucre glace

Cessons de parler des "laits végétaux" et de proposer qu'ils soient "naturels"


Je ne cesse de m'étonner du conservatisme de mon entourage. Quand je dis "entourage",  cela signifie jusqu'à mes collègues scientifiques,  et j'en vois encore un exemple ce matin alors que je suis en train éditer un texte pour le prochain Handbook of molecular gastronomy.

Le manuscrit de mon collègue discute la question des systèmes émulsionnés (qu'il confond avec des émulsions, preuve qu'il est imprécis), et il en cite des exemples : la mayonnaise, qui est bien une dispersion d'huile dans l'eau du jaune d' œuf et du vinaigre, ou encore le lait, qui contient effectivement des gouttelettes de matière grasse dispersées dans de l'eau.

Puis mon collègue évoque ces liquides blancs, qui ressemblent à du lait et sont extraits des végétaux et qui, comme le lait, contiennent des matières grasses émulsionnées. Il les nomme des "laits végétaux", mais je lui fais remarquer que cette dénomination est contestable, car le lait est le lait ;  ces émulsions  ne sont pas du lait, et je lui fais valoir que nous aurions intérêt, collectivement, à leur refuser le nom de lait, car des végétariens le confondent avec du lait au point de mettre de jeunes enfants en danger de mort. Ne pourrait-on pas parler d'émulsions végétales ?

De surcroît, je critique énergiquement son emploi du mot "naturel", à propos de ces produits :  ces produits ne sont pas naturels, puisque ils ont  été extraits ; or la définition du naturel, c'est ce qui n'a pas fait l'objet d'interventions par un être humain.
Mon collègue répond que la d'élimination lait végétal est acceptée,  et que, comme ces produits se trouvent les graines, ils sont bien naturels.

Soit il n'a rien compris à mon argumentation,  soit il s'enferme dans une erreur nuisible, car susceptible de créer des confusions. Le mot "naturel" tout d'abord, est à l'origine de nombre d'interminables débats publics, et ces débats naissent de l'utilisation du mot dans une acception gauchie, donc erronée, parfois fautive.
D'autre part, des accidents, dans les familles végétariennes, seraient évités si l'expression "lait végétal était interdite (ma proposition).

Mais, surtout, je ne vois pas ce que mon collègue perdrait en changeant ses habitudes de langage. Pourquoi reste-t-il collé à des idées anciennes : la paresse, des intérêts idéologiques ou commerciaux, de l'incompréhension ?

Pourrez-vous m'aider à comprendre sa position et les avantages qu'elle aurait ?
Pour moi, je termine en rappelant cette utile citation d'Antoine Laurent de Lavoisier :

"C’est en m’occupant de ce travail, que j’ai mieux senti que je ne l’avois, encore fait jusqu’alors, l’évidence des principes qui ont été posés par l’Abbé de Condillac dans sa logique, & dans quelques autres de ses ouvrages. Il y établit que nous ne pensons qu’avec le secours des mots ; que les langues sont de véritables méthodes analytiques ; que l’algèbre la plus simple, la plus exacte & la mieux adaptée à son objet de toutes les manières de s’énoncer, est à-la-fois une langue & une méthode [iij] analytique ; enfin que l’art de raisonner se réduit à une langue bien faite.  [...]  L'impossibilité d'isoler la nomenclature de la science, et la science de la nomenclature, tient à ce que toute science physique est nécessairement fondée sur trois choses : la série des faits qui constituent la science, les idées qui les rappellent, les mots qui les expriment (...) Comme ce sont les mots qui conservent les idées, et qui les transmettent, il en résulte qu'on ne peut perfectionner les langues sans perfectionner la science, ni la science sans le langage ».





Et celle de Condillac :

« Nous ne pensons qu'avec le secours des mots. L'art de raisonner se réduit à une langue bien faite »