jeudi 26 septembre 2019

Pour rendre service à nos amis qui écrivent

Des décennies de travail à la revue Pour la Science, notamment comme éditeur et comme rédacteur en chef, m’ont montré que les fautes d’écriture sont majoritairement les suivantes.
C'est très encourageant : il suffit de les corriger pour écrire mieux que la très grande majorité de deux qui doivent prendre la plume !

Des questions de correction intellectuelle

Pas d'adjectif : c'est du baratin (remplacer par la réponse à  la question "Combien?"
Idem pour les adverbes.
D'ailleurs, éviter les adverbes, c’est le commencement du style : recherche systématique de "ment", et suppression des adverbes inutiles.
Attention à la différence entre « technologie » et « technique » (et « science »).
Les chiffres sont-ils tous bien significatifs?
Les métaphores compliquent parfois plus qu'elles n'expliquent.
A-t-on annoncé la couleur : dans chaque début de paragraphe, a-t-on dit ce que l'on allait trouver dans le paragraphe ?
Avant tous les intertitres, y a-t-il une phrase disant pourquoi on passe au passage suivant ?
Ne pas craindre les répétitions naïvement
Un point suivi de "en effet" peut être avantageusement remplacé par deux points.

Des questions de grammaire qui pourrissent la lecture :
Un infinitif ou un participe présent doivent avoir le même sujet que celui de la principale. Chercher (fonction recherche) systématiquement les "ant" et les "er".
"Après que" est suivi de l'indicatif.

Des questions de mots qui sont gênants ou fautifs :
Chercher les "rendre" plus adjectif : "rendre possible" = "permettre" : recherche systématique de "rend".
Remplacer "semble probable" par "est probable" (pléonasme).
De même, « faire obstacle », c’est « gêner » ; etc.
Les "ils" impersonnels poussent à la faute : "il semble qu'il fasse" = "il semble faire" : recherche systématique de "il semble", etc.
Pas de "mais" ni de conjonction de coordination (et, ou , car ...) en début de phrase : rechercher les ".Mais", " .Car", ".Et", ".Ou" et remplacer par des ", mais", ", car",  ", et", ", ou".
Attention à l’inflation des "très" ; on peut généralement les éliminer.
Rechercher le verbe pouvoir et chercher à l'éliminer. Remplacer systématiquement (ou presque) les "a pu" montrer, observer, etc. par « a montré, observé, etc » ; "pour pouvoir comparer" : pour comparer.
Attention à "impliquer" (contamination de « to imply »).
« Sophistiqué » signifie « frelaté », mais pas « complexe » ni « évolué ».
« Brutalement » n'est pas « brusquement ».
Attention à "véritable" (« véritable révolution » !).
Attention à « influer » sur et « influencer ».
Attention aux anglicismes ; les plus fréquents sont : « se baser sur », « des douzaines », « réaliser » n'est pas « comprendre » ; remplacer « contrôler » par « commander »  ou « déterminer » (contrôler, c’est faire une vérification), « compléter » n'est pas « achever » ;  rechercher « développer »  au sens de « mettre au point » ; idem pour « développement ».
Remplacer « par contre » par « en revanche ».
Attention aux usages exagérés de « permettre ».
Rechercher « suggérer » : normalement, la suggestion, c’est l’hypnose.
Rechercher « affecter ».
Rechercher « processus » : un processus n’est une réaction, ni une série de réactions.
Rechercher " induire" parce qu'il est souvent utilisé fautivement.
Rechercher emmener/emporter.
Ne pas chercher la rallonge : "dans lequel" peut souvent devenir "où".
On ne dit pas "débute" mais "commence" (sauf au théâtre).
On ne dit pas "en dessous de ", mais "au-dessous de.
On dit plutôt "chaque fois" que "à chaque fois".
Éviter "au niveau de" et, très généralement, faire attention au mot « niveau » (recherche automatique).
Quand on rencontre "entre eux", "entre elles", vérifier que c'est utile ; de même, « les uns des autres », « les uns aux autres », etc. sont souvent inutiles.
« ceci » annonce alors que « cela » se rapporte à ce qui a déjà été énoncé (le plus souvent, on peut se débarrasser de ces mots faibles).
Des chevilles comme "en fait", "en réalité", "effectivement", "du coup" sont rarement utiles.
« plus petit »  est « inférieur », « plus grand » ou "plus élevé" est « supérieur »
« très inférieur »  est fautif (« bien inférieur ») ; de même pour « très supérieur".
« être différent » donne « différer » ;
Utiliser "second" (pour deux possibilités seulement) et "deuxième"  pour plus de deux.
Examiner si les "simples", "compliqués", "facile" sont indispensables.
Souvent remplacer « appelé » par « nommé ».
Les verbes présenter et constituer peuvent souvent  être remplacés par être ou avoir.
Attention : "plus important" doit signifier qu'il y a une importance plus grande ; souvent on doit le remplacer par supérieur.
Attention à la signification des mots (pas impact mais effet / répartition et distribution; méthode/technique).
Le mot "significatif" ne signifie pas notable (et vice versa).
La "littérature", c'est la littérature, pas des publications.
Le mot "important" est un mot assez pourri.
étalonnage n'est pas calibration, et référence n'est pas standard.
une matière séchée n'est pas une matière sèche.
Remplacer les mots "faibles" ou "convenus" par du contenu réel (le mot "introduction" est moins bien que la question posée).

Des questions de typographie  :
Ne pas sauter de ligne, sauf 2 avant un intertitre, et 1 après celui-ci (pour faire simple).
Les quantités sont en italiques, ainsi que de très rares mots ou expressions (noms de bateau, titre de livre...).
Pas de souligné : c'était quand on n'avait pas d'italiques.
Quand on cite des gens, on doit citer le premier et le  plus récent, pas arbitrairement au milieu.
Partout des virgules décimales, pas des points.
Cf s'écrit  "cf.", pas Cf
Pas de maquette quand on écrit (ça vient après).
Dans un nom propre, seul le premier substantif est en majuscule, sauf si adjectif avant : "Seconde Guerre mondiale"




Ce ne sont là que des fautes statistiquement courantes. Bien d'autre sont signalées dans les Difficultés de la langue française, qu'il n'est pas inutile de (re)lire.
Plus généralement, celui qui écrit devrait avoir quatre outils : un ordinateur équipé d’un traitement de texte avec correction orthographique, un dictionnaire (pour le vocabulaire, les Difficultés de la langue française (pour la grammaire), le Gradus (pour la rhétorique).

Et je termine en signalant que je suis certainement imparfait. Je me soigne, mais c'est long ! Et, ici, je ne fais le censeur, mais j'essaie de rendre service à mes amis.

mercredi 25 septembre 2019

L'effet pastis


Lors d'une récente discussion avec des collègues, ils m'ennuyaient à me parler d'institution, de programmes, d'administration, d'organisation... de sorte que je leur ai répondu que là n'était pas la question ! La question, c'est l'émerveillement pour des phénomènes extraordinaires, pour des questions posées, pour des mesures, pour des calculs, pour des concepts, pour des théories...
Par exemple, partons d'un simple verre d'eau, et, d'autre part, d'une goutte d'huile. Si nous la déposons sur l'eau, elle flotte à la surface, mais si nous la diluons dans de l'alcool, alors la solution d'huile dans l'éthanol, versée sur l'eau, forme un trouble blanc, parce que l'éthanol va sans doute se diluer dans l'eau, laissant des myriades de gouttelettes de taille à peine supérieure à la longueur d'onde de la lumière visible.
De l'éthanol reste-t-il dans les gouttelettes ? Comment est l'interface eau-huile ? De l'éthanol s'y trouve-t-il ?
Et mieux encore : quand on attend un peu, le trouble blanc descend... alors que la densité de l'huile est inférieure à celle de l'eau, et que la densité de l'éthanol est encore inférieure à celle de l'huile.
Quel merveilleux phénomène, qui mérite bien que nous nous y interessions... plus qu'aux questions administratives, n'est-ce pas ?

mardi 24 septembre 2019

Des amis !

Encore un changement
Dans des billets de ces dernières semaines, j'utilisais le mot "collègue" pour désigner cette partie des étudiants qui est inscrite dans les institutions qui délivrent de la formation. Cette dénomination me semblait s'imposer, parce que le mot "étudiant" ne convient pas pour les désigner : moi aussi, puisque j'étudie, je suis, comme de nombreux "professeurs" ou "professionnels", un étudiant. Et surtout, je maintiens qu'une personne qui a les mêmes intérêts que moi est un collègue (mon intérêt n'est pas de professer, mais de réfléchir, et, plus spécifiquement, de réfléchir à des questions de sciences de la nature).

Mais le mot "collègue" est bien froid, et cette froideur ne tient pas compte du fait que c'est par amitié  (je ne suis pas payé pour le faire) pour nos jeunes "collègues" que je consens à prendre du temps pour partager des enthousiasmes que j'ai.  Des enthousiasmes pour des informations, pour des concepts, pour des méthodes, pour des valeurs, pour des anecdotes... Bref, pour professer.
Par amitié ? Alors les jeunes "collègues" sont d'abord des amis. Et voici le mot que je vais désormais utiliser : "amis" !

lundi 23 septembre 2019

"Si je mets trop de protéine, est-ce que je fais une catastrophe alimentaire ?"


Un ami qui veut cuisiner note à note s'interroge : "si je mets trop de protéine, est-ce que je fais une catastrophe alimentaire ?".
Il faut lui répondre rapidement, en expliquant le mieux que je peux.
D'abord, j'observe que le mot "protéine" est au singulier, alors que je l'attendrais plutôt au pluriel. En effet, les tissus végétaux ou animaux contiennent "des protéines", et plus exactement de très nombreuses molécules de très nombreuses sortes de protéines.
Mais tout cela est abstrait, et je préfère toujours dire les choses "expérimentalement". Partons d'un blanc d'oeuf : c'est un liquide transparent et jaune tirant sur le vert. Mettons-le dans un bol, et laissons-le à l'air, pendant une bonne semaine : il ne pourrit (généralement) pas, mais se résume finalement à un résidu solide d'un jaune quasi poussin, transparent. Avec un très gros microscope, on verrait que ce solide est fait d'un enchevêtrement de très nombreux "fils"  : ce sont des molécules de protéines. Et si l'on regarde bien, on voit qu'il y une vingtaine de sortes de "fils" : on dit une vingtaine de protéines particulières (mais on se souvient : des milliards et des milliards de molécules pour chaque sorte de protéines).

Les viandes, les poissons, les oeufs, mais aussi les plantes de la famille des légumineuses, contiennent beaucoup de protéines : environ 20 grammes de protéines pour 100 grammes de viande ou de poisson, environ 25 grammes de protéines pour 100 grammes de lentilles cuites, par exemple.
Est-ce grave de consommer trop de protéines ? L'Agence française de sécurité des aliments, l'Anses, dit ne pas avoir de données suffisantes pour répondre à la  question... Preuve que s'il y a un inconvénient, ce dernier n'est pas particulièrement visible.
Donc, non, ce n'est pas grave, surtout pour un repas, d'avoir beaucoup de protéines dans sa ration. Et j'ajoute que je ne réponds pas en nutritionniste ni en diététicien, puisque je ne suis ni l'un ni l'autre et que je me suis engagé à ne parler ni de nutrition ni de toxicologie.




Apprenons à discuter !


Hier, j'ai discuté les manières de se comporter aimablement dans une discussion, et j'avais  notamment stigmatisé l'ego, la prétention.

Mais je m'aperçois ce matin que jamais on ne m'a renseigné autrement que par l'exemple qu'il fallait éviter de parler de soi dans une conversation.
Certes, j'ai appris par hasard cette formule "Le moi est haïssable", dans les Pensées de Blaise Pascal, mais à propos de discussion, j'en étais réduit à deux idées explicites : d'une part,  ne jamais parler de politique, de religion ou d'armée ; et, d'autre part, j'ai appris l'existence de ces manuels de conversation où figuraient des espèce de clichés pour être à l'aise en toutes circonstances.
Mais jamais on m'a dit explicitement comment contribuer à une discussion. Et je viens de vérifier auprès de jeunes amis qu'il en avait été de même pour eux.

Car il ne s'agit pas seulement éviter de parler de soi, mais aussi de savoir quoi dire. Et c'est là où il y a une difficulté : le "quoi dire" se fonde sur tout le travail qu'on aura fait avant la discussion, dans les heures, jours, mois, années...  Et je retrouve ici mon concept des belles personnes, celles  que nous connaissons parfaitement mais qui nous surprennent à chaque discussion, avec de nouvelles idées. Celles qui savent apporter sur la table du festin intellectuel les mets les plus délicats, les mieux choisis. Autre chose que des sandwichs vite faits. Non,  des produits leur travail, de leur réflexion, de leurs soins, de leur intelligence. Ces personnes ne se laissent pas aller à délivrer des pensées immédiates, médiocres, qui montreraient leur médiocrité, mais elles veulent au contraire  délivrer des objets bien finis, fignolés...

Oui, décidément, je crois que tous les parents et l'école devraient enseigner aux enfants  comment participer à une discussion.

dimanche 22 septembre 2019

Des discussions passionnantes, parce que sans ego


Je sors d'une discussion pénible : mes interlocuteurs ne cessaient de parler d'eux, de ce qu'ils avaient fait, de qui ils connaissaient de connu, de la taille de leur voiture, de leurs maisons, de leur succès...
Bien sûr, on sait qu' "un égoïste, c'est quelqu'un qui ne pense pas à moi", mais, quand même, si l'on dépasse cela, il n'en reste pas moins que la discussion était sans intérêt, parce que mes interlocuteurs ne cherchaient pas à faire grandir notre petite communauté, mais à  s'établir prétentieusement, comme des coqs. 

Plus positivement, cette discussion pénible permet de mieux comprendre comment nous devons nous comporter dans une discussion : éviter le moi, qui est haïssable, éviter le moi qui est haïssable, etc. et, surtout, apporter sur la table du  festin intellectuel les plus beaux mets. Ces émerveillements qui nous illuminent le coeur et l'esprit, ces idées puissantes qui ont été glanées auprès des plus grands esprits. C'est dans cet esprit que je partageais, il y a peu, ces idées de Marcel Mule, à propos de l'apprentissage de la musique, en renvoyant vers une merveilleuse vidéo où ce monsieur âgé était si dérangé qu'on lui parle de lui qu'il bottait en touche, minimisait modestement ses apports.
Tiens, cela me fait penser que, un jour, j'ai retrouvé dans la rue un de mes amis qui lisait : interrogé, il me dit qu'il apprenait une poésie qu'il apporterait à ses amis avec lesquels il avait prévu une marche en forêt. Voilà ce que j'aime !

Oui, évertuons-nous, efforçons-nous de contribuer à l'éclairement de nos amis !

Les réactions les plus importantes en cuisine ? Pourquoi pas la beta élimination des pectines et la coagulation des protéines

Les enfants sont souvent fautifs par manichéisme : "Tu préfères quoi : les fraises ou les framboises ?" ; à quoi je réponds "les cassis". Sans compter que les choix sont changeants, et souvent non transitifs : on peut parfaitement préférer les framboises aux fraises, les cassis aux framboises, mais les fraises aux cassis !
Mais récemment, ce sont des adultes qui m'ont posée une de ces questions pas toujours judicieuses : "Quelles sont les réactions les plus importantes en cuisine ?". Et là, mon petit "radar interne" m'alerte aussitôt, à entendre le mot "important". D'abord, c'est un adjectif, et, d'autre part, il y a ce sens du mot qui veut faire croire qu'il y a quelque chose d'essentiel... mais de quel point de vue ? Important : fréquent ? par ses conséquences ? par son histoire ? Dans mon laboratoire, nous avons l'interdiction d'utiliser les adjectifs, et nous devons répondre à  la question "combien ?".

Mais tout cela étant dit, cela n'est pas inutile de signaler que, puisque nous consommons principalement des tissus animaux ou végétaux, les modifications de ces tissus sont les plus fréquentes. Or, quand on cuit une viande, les protéines de l'intérieur des fibres musculaires coagulent, puis le tissu collagénique se dégrade. Et quand on cuit une carotte, elle s'amollit parce que les pectines sont "hydrolysées", dégradées, ce qui amollit le tissu végétal.  Cette hydrolyse particulière a pour nom "bêta élimination".
Bref, la coagulation des protéines et la dégradation des pectines seraient les réactions les plus "importantes, en cuisine.

Et là, c 'est assez pour aujourd'hui, car à haute dose, comme disait mon ami Jean Jacques, la chimie devient... empoisonnante (pour certains, seulement pour certains).