lundi 3 septembre 2018

L'écriture d'articles scientifiques


Je sais bien que certains professeurs d'anglais, dans les grandes écoles ou dans les universités, proposent que nous écrivions les articles directement en anglais, quand ils doivent être produits dans cette langue. Et, en conséquence, je rencontre des étudiants qui s'efforcent de faire ainsi, comme moi naguère.
Mais ils ont bien du mal, tout comme j'avais bien du mal, et c'est un témoignage que je donne ainsi : j'ai pris, il y a déjà un certain temps, de ne certainement pas faire les rédactions en anglais, mais bien en français, avec une traduction en fin de travail. Pourquoi ?
Parce que l'expérience m'a montré que penser en anglais, pour la structure des articles, pour le choix de l'argumentation, jusqu'au détail des diverses sections, est une gêne : désolé, chers collègues qui enseignez l'anglais, mais moi qui parle couramment, qui fait toutes mes conférences, mes correspondances en anglais, sans difficulté, sans chercher mes mots, parfois même trop vite (au point que la grammaire peut en souffrir), j'ai du mal à penser aussi bien en anglais qu'en français.

Or ce qui m'importe, d'abord, c'est que le contenu soit bon. La langue viendra après.

Et c'est ainsi que je rédige mes textes scientifiques en français, avant de les traduire !



PS. Un ami alsacien me signale  :
"Concernant la langue, on oublie que bien des Alsaciens qui ont suivi une scolarité allemande durant la deuxième guerre dans des établissements comme le lycée ou l'université, ont par la suite pour leurs discours notamment (un exemple d'un parent très proche) toujours pensé en premier en allemand puis rédigé en français.
Sans passer par une première rédaction en allemand, leur réflexion sur le contenu et les formulations se faisaient en allemand dans leur tête, et enfin la rédaction en français."

dimanche 2 septembre 2018

Je vous présente l'acide tartrique

L'acide tartrique ? On connaît Louis Pasteur pour sa découverte des micro-organismes et la mise au point des premiers vaccins, mais on ne sait pas assez qu'il se rendit d'abord célèbre par une superbe découverte de chimie, à propos d'un composé nommé "acide tartrique". Pasteur était chimiste, et c'est la saine application de la méthode scientifique qui lui permit tout aussi bien de faire cette découverte initiale de chimie que les découvertes ultérieures de microbiologie.

Quand Pasteur commença ses travaux de chimie, on savait qu'il y avait des composés qui agissaient sur la lumière. Tout avait commencé avec Rasmus Bartholin (1625-1698), qui publia en 1669 ses observations des propriétés optiques du spath d'Islande : un rayon réfracté par un tel cristal produisait deux rayons : c'est la découverte de la biréfringence. Puis Étienne-Louis Malus (1775-1812) observa en 1809 que la lumière du soleil couchant observée après réflexion, puis à travers un cristal biréfringent, changeait d'intensité avec la rotation du cristal.  Et c'est ainsi que Jean-Baptiste Biot en vint à mettre au point un appareil pour mesurer de combien des solutions (par exemple, du glucose en solution dans l'eau) agissent sur la lumière. On savait que certains composés faisaient tourner la « polarisation » de lumière dans le sens des aiguilles d'une montre, ou dans le sens inverse (vers la gauche, ou vers la droite).
Or il était apparu que les solutions de tartrate préparées au laboratoire différaient de celles que l'on obtenait en dissolvant de ces cristaux que l'on trouve au fond des tonneaux de vin... alors que, chimiquement, ces composés semblaient être les mêmes !
Pasteur observa ces cristaux au microscope, et découvrit qu'il y avait des cristaux de deux sortes, un peu comme des mains gauches et des mains droites : les cristaux étaient identiques… mais pas superposables ! Et il observa, de surcroît, que le mélange de chaque sorte faisait tourner la polarisation de la lumière différemment, mais que le mélange des deux cristaux en quantités égales rendait la solution du mélange inactive sur la lumière. Et c'est ainsi qu'il fut conduit à imaginer que ces deux types de cristaux étaient dus à organisation d' « atomes »  (en réalité, des molécules; souvenons-nous que nous sommes bien avant les idées claires sur ce que nous nommons aujourd'hui atomes ou molécules). 
Il y a des témoignages de ce que Biot, mandaté par l'Académie des sciences pour vérifier la découverte de Pasteur, reproduisit avec ce dernier ses expériences...et se mit à pleurer de joie de voir ses théories si bien établies et prolongées : « Mon cher enfant, j’ai tant aimé les sciences dans ma vie que cela me fait battre le cœur. »  Et la publication de ce résultat dans les Comptes-rendus de l'Académie des sciences fut un grand événement scientifique de l'époque.

Mais nous sommes allés vite en besogne, car, en réalité, dans les tonneaux de vin, c'est moins de l'acide tartrique que des sels de ce dernier, que l'on trouve. Dans une solution d'un tartrate, il y a l'ion tartrate, qui est de l'acide tartrique auquel il manque un atome d'hydrogène, et des ions minéraux, tel le sodium ou l'ammonium.
C'est un détail, et une chimie extrêmement simple permet d'obtenir l'acide tartrique à partir du tartrate : en 1769,  le chimiste suédois Carl Wilhelm Scheele fit bouillir du tartre (bitartrate de potassium) avec de la craie et décomposa le produit en présence d’acide sulfurique.
L'acide tartrique, gauche ou droit, est acide, mais cela n'est pas une évidence, car on connaît d'autres composés, qui, selon qu'ils sont gauche ou droit, engendrent d'autres perceptions. Par exemple, la carvone  donne  une odeur de menthe ou de carvi,  selon qu'elle est  gauche ou droit. Et le pire cas est celui de la thalidomide, qui a engendré des malformations du système génital chez les descendantes de femmes qui ont pris ce médicament, quand il n'était pas de la bonne configuration.

Mais revenons encore à l'acide tartrique. En cuisine, on peut s'en procurer sous la forme d'une poudre blanche, cristallisée, comme du sucre, mais dont on verra facilement la saveur, si l'on en goûte : c'est une saveur acide, mais ce n'est pas la saveur de l'acide acétique du vinaigre, ni la saveur de l'acide citrique du citron, ni celle de l'acide lactique des yaourts.
C'est une saveur particulière, que je trouve très élégante, et c'est pourquoi j'ai proposé de l'acide tartrique en cuisine : sur la table, un poivrier, une salière et une tartrière. Puisque tous n'ont pas le même goût pour le sucre, le sel, ou l'acidité, pourquoi ne pas donner à chacun la possibilité d'amender le plat qui est servi ? Bien sûr, on ne ferait pas cela pour les plats de mon ami Pierre Gagnaire, puisqu'il a bien répondu que, pour lui, le sel n'est pas un curseur mais un instrument de l'orchestre, et le fait est qu'on ne demande pas à Debussy d'enlever ou d'ajouter des violons dans ses œuvres, mais au quotidien, je ne vois guère d'inconvénient à ce que nous puissions avoir les aliments à notre goût, surtout quand, dans les familles, les goûts diffèrent et qu'il est de toute importance d'éviter les casus belli.

Utilisons l'acide tartrique !





samedi 1 septembre 2018

De l'eau dans le beurre

Je raconte là des choses très anciennes, puisqu'elles figurent même dans les Ateliers expérimentaux du goût, introduits dans l'Education nationale par le Ministre d'alors, en 2001. Et les expériences correspondantes datent sans doute des années 1992-1993. On trouvera des répercussions de tout cela dans des travaux proposés à Pierre Gagnaire, qu'il s'agisse de pâte feuilletée ou de ce que j'ai introduit sous le nom de beurre chantilly
Mais répétons-nous pour que tous aient facilement les informations. La question, c'est celle de l'eau et du beurre. Mais présentons les protagonistes.


Le beurre

Le beurre, c'est du beurre, et l'on comprend mieux sa constitution quand on part du lait. Le lait, c'est de l'eau avec, dedans, des composés variés dissous, et des gouttes de matière grasse dispersées. C'est donc une "émulsion".
Comme la matière grasse est moins dense que l'eau et, a fortiori, que l'eau où sont dissous des composés (on parle de "solution aqueuse"), les gouttelettes de matière grasse montent s'accumuler en surface quand le lait repose. Et c'est ainsi que la crème est une émulsion, comme le lait, mais plus concentrée en gouttelettes de matière grasse.
Si l'on bat la crème, alors les gouttelettes de matière grasse fusionnent, formant un réseau de graisse dans lequel l'eau et ses composés dissous reste un peu dispersée : c'est le beurre, dont la formation s'accompagne de la libération d'une partie de l'eau, et cette partie  aqueuse qui n'est pas dans le beurre est le babeurre.
Une précision pour terminer  : selon la loi, qui veut éviter que des fabricants ne vendent pour du beurre qu'une matière contenant trop peu de matière grasse, le beurre ne peut pas contenir plus de 18 pour cent d'eau (environ un cinquième, donc)...  mais je dis cela pour vous laisser pressentir la suite.


L'"eau"

Bien sûr, l'eau, c'est l'eau : une matière dont toutes les molécules sont identiques, dont toutes les molécules sont faites d'un atome d'oxygène et de deux atomes d'hydrogène. L'eau est liquide, parce que les molécules bougent en tous sens, comme des billes agitées, et l'on comprend que si l'on incline le récipient, les billes qui bougent puissent passer par dessus le bord. Enfin l'eau à la température ambiante est inodore, insipide, incolore, et bien sûr liquide, donc.
Les solutions aqueuses sont de l'eau où d'autres composés sont dissous. Par exemple, si l'on dissout du sel dans l'eau, ou du sucre, on obtient respectivement des solutions salées ou sucrées. Mais il y a d'infinies façons de faire des solutions aqueuses, et c'est ainsi que le vin, le thé, le café, les infusions, les bouillons (de viande, de légumes), les jus de fruits, les fumets, les essences, et jusqu'aux glaces et demi glaces sont des solutions aqueuses. Plus ou moins concentrées, mais toujours des solutions aqueuses.


Et les deux ensemble

Partons maintenant de beurre, et battons-le en ajoutant une solution aqueuse, tel du café : on voit le café s'intégrer au beurre... et voilà pourquoi j'évoquais la législation. Lors de la production, on peut mettre dans le beurre bien plus que 18 pour cent d'eau ou de solutions aqueuses. Combien ? Je suis allé jusqu'à plus de deux fois la masse de beurre en solution aqueuse intégrée progressivement, en battant.
Bien sûr, la matière produite est bien plus molle, mais elle a l'avantage que l'on peut lui donner beaucoup de goût. Je vous recommande l'ajout de jus de citron, d'orange, une infusion de verveine, du persil broyé avec de l'ail... Et, en version sucrée, du jus d'abricot, de framboise, etc.

Mais il y a une autre façon de faire, à savoir de partir du beurre, de produire du beurre clarifié, sans eau, donc.
Partons du beurre clarifié, que nous ajoutons à un liquide, en chauffant : par exemple, nous avons un bouillon concentré, et nous ajoutons le beurre clarifié en fouettant comme pour une mayonnaise. On obtient une émulsion, préparation qui a la consistance d'une mayonnaise, et qui est faite de gouttelettes d'eau dispersées dans du beurre.
Mais on peut aussi partir du beurre clarifié refroidi, où l 'on ajoute l'"eau" en battant comme pour la "crème au beurre" précédente. Et on a cette fois un système physique différent. On dit que l'on a dans le premier cas une émulsion de type huile dans eau, et dans le second une émulsion de type eau dans l'huile.
Une précision utile : ici, puisqu'il est question d'émulsion, il n'y a pas de bulle d'air, pas de mousse, pas de foisonnement. Je répète qu'une émulsion, c'est le lait, la crème, la mayonnaise... alors que la mousse, c'est... la mousse, à savoir des bulles d'air dispersées dans une matière, liquide ou solide. Et pas de place pour de prétendues "espumas" : les mousses se nomment des mousses, en français.

 Pour terminer

 Oui, pas d'air dans les émulsions... mais on peut faire des émulsions foisonnées, et c'est ainsi que je vous propose mon "beurre chantilly". Ce n'est pas de la crème chantilly avec du beurre, non. C'est une préparation qui a la consistance d'une chantilly, et que l'on obtient de la façon suivante :
 - on part d'une solution aqueuse, dans une casserole (parfois, il faut avoir dissous de la gélatine)
- on ajoute du beurre en chauffant et en fouettant
 - on pose la casserole sur des glaçons ou dans de l'eau froide et l'on fouette pour foisonner, comme pour une chantilly
Et hop, on obtient une préparation comme une chantilly, mais au goût de la solution aqueuse : par exemple, du jus de citron, d'orange, etc.
C'est cela, le beurre chantilly, que j'ai inventé vers 1995. 





Education et instruction

Cela fait déjà un certain temps que je tourne autour des mots "éducation" et "instruction".  La question terminologique est difficile, parce que les acceptions sont nombreuses et que ces deux mots ont été un peu ballottés cours des siècles.
Voici ce que j'ai glané de mieux dans les dictionnaires :

Education : art de former une personne, spécialement un enfant ou un adolescent, en développant ses qualités physiques, intellectuelles et morales, de façon à lui permettre d'affronter sa vie personnelle et sociale avec une personnalité suffisamment épanouie. Empr. au latin classique educatio « action d'élever (des animaux et des plantes); éducation, instruction, formation de l'esprit »
 

Instruction : action d'instruire quelqu'un; résultat de cette action. Action de former l'esprit, la personnalité de quelqu'un par une somme de connaissances liées à l'expérience, à la vie, aux événements; résultat de cette action. Étymologie et Histoire 1. a) 1320 « ordre, directive donnés par un supérieur à ses subordonnés »

Toutefois je crois finalement que l'on peut retenir des définitions issues de l'étymologie, à savoir qu'éducation, c'est faire "sortir du chemin", alors que l'instruction a eu initialement le sens d'ordres  donnés aux ambassadeurs.
Oui l'éducation fait sortir du chemin : elle fait sortir l'enfant du chemin de son naturel vers le chemin culturel, l'équipant des codes de la vie en société. L'instruction transmet des informations, connaissance ou compétences, savoir être. De sorte que, si l'on admet ces acceptions, il semble raisonnable de penser que l'éducation revient aux parents et l'instruction au système d'études.
Et c'est un bien grave débat politique que d'accepter de nommer éducation ce que nous attribuons à l'école, au collège, à l'université, car cela suppose que les parents soient désaisis de leur autorité au profit de la collectivité. Je ne me prononce pas ici sur le bien ou le mal  fondé de cette possibilité, et je me contente de l'évoquer, car tous les sujets qui fâchent doit être discutés ouvertement, sur la base les avantages et les inconvénients que l'on trouvera dans les différentes options que l'on discute.