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dimanche 9 septembre 2018

À propos de science et de technologie


La distinction entre les sciences de la nature et la technologie est subtile, et c'est d'ailleurs un exercice merveilleux que de bien les distinguer.
Ainsi un ami qui a beaucoup d'enthousiasme pour les sciences de la nature me dit être intéressé à l'interaction de la lumière et des tissus vivants. A priori, les mécanismes sont quand même classiques, et la probabilité identifier des phénomènes nouveaux n'est pas considérable... car il y a tous les jours des interactions de la lumière et des tissus vivants, sauf peut-être quand la longueur d'onde est telle qu'elle peut promouvoir des réactions, ou quand l'intensité est telle que du chauffage a lieu. Stratégiquement je ne suis pas certain (mais il faut que j'y pense mieux, en connaissant mieux le champ) que cette partie du monde soit la plus féconde... car c'est quand même la question : il s'agit d'aller dans une direction où l'on ait quelques chances de faire une belle découverte.

Surtout, mon ami voudrait utiliser de la lumière pour agir sur les cellules, ce qui est bien le propre de la technologie. Le champ de base peut être le même que celui de la science, mais la finalité est bien différente, raison pour laquelle certaines institutions scientifques (je dis bien "scientifiques", puisque c'est leur affichage) me semblent avoir tort d'insister auprès de leurs chercheurs pour que ces derniers se préoccupent des applications de leurs travaux : c'est vouloir faire faire aux scientifiques un autre travail que celui qui leur est dévolu.
On comprend bien la motivation : montrer aux citoyens contribuables que l'on fait quelque chose d'"utile"... mais n'est-ce pas suffisamment utile de découvrir l'induction électromagnétique, la relativité, le boson de Higgs? On rappelle utilement la réponse de Michael Faraday à l'homme politique venu visiter son laboratoire après la découverte de l'induction électromagnétique et lui demandant à quoi cet effet servait, et Faraday de lui répondre : "Je ne sais pas, mais je peux vous assurer que, un jour, vous le taxerez".

Bref, la science part d'un champ avec l'espoir que les explorations nous mèreront à tout autre chose, alors que, pour la technologie, on n'a pas l'ambition de s'écarter, mais de bien comprendre en vue de bien utiliser... ou de permettre à d'autres de bien utiliser, selon que l'on est plus ou moins proche des applications.
Et la différence est si subtile - mais si importante pour notre fonctionnement social- que j'invite la plupart des étudiants qui me font l'honneur de venir à mes côtés à s'orienter vers la technologie, l'industrie, qui a des postes à pourvoir, pour des individus de talents qui contribueront à l'amélioration matérielle de notre monde : médicaments, peintures, aliments, détergents...

vendredi 24 août 2018

Quelle ambition pour AgroParisTech ?

Alors que l'AgroParisTech s'agite à propos du déménagement de certaines de ses composantes vers Saclay, du regroupement de certains laboratoires, de demandes ministérielles d'accueillir plus d'étudiants, alors que la rentrée des étudiants approche, il n'est pas interdit de penser que les questions de forme ne valent pas les questions de contenu, et, quand je lève le nez de ma paillasse de chimiste (façon de parler : je suis sans cesse en train de calculer ou de rédiger), je me souviens que les deux question essentielles pour une école d'ingénieur sont les suivantes : (1) quel enseignement dispense-t-on ? (2) quelle recherche scientifique et technologique fait-on ? Comment suis-je à ma place ou pas dans cette école ? Ma présence est-elle légitime ? Bien sûr, cette question ne m'est pas réservée : elle se pose à toute personne qui contribue à faire progresser ce superbe "Institut des sciences et industries du vivant et de l'environnement", qui  a résulté de la fusion de plusieurs écoles, avec des objectifs communs et des spécificités.

Pour une école d'ingénieurs telle qu'AgroParisTech, il y a des études (je me refuse, on le sait, à parler d'enseignement) et de la recherche. Et comme nous sommes dans une école d'ingénieur, cette recherche peut légitimement être scientifique ou technologique. Il y a là deux piliers, qui font l'école, et j'ai l'impression que tout le reste est accessoire. Pour mieux faire ma mission, je me propose, jour après jour, de réfléchir publiquement à ces questions, dans l'espoir que mes réflexions susciteront de fructueuses discussions amicales : la construction du savoir, la transmission...  Cela ne fait-il pas un enthousiasmant projet ?

Commençons par la question de l'enseignement. AgroParisTech se nomme en réalité « Institut des sciences et industries du vivant et de l'ennvironnement ». Certes, j'aurais préféré « Institut des sciences et technologies du vivant et de l'environnement », mais c'est un détail, et il y a surtout lieu de s'interroger sur les compétences que les ingénieurs (AgroParisTech est une école d'ingénieurs!) doivent avoir dans ces champs du vivant et de l'environnement, ce qui se dit autrement : alimentation, agronomie, environnement.
Ces compétences que nos élèves doivent obtenir, lors de leur passage dans l'école, doivent être modernes, et  si, effectivement, des connaissances classiques du vivant méritent d'être connues (faunes, flore, micro-organismes…),  par exemple, ce ne sont sans doute pas elles qui conduiront principalement vers l'innovation industrielle, si importante pour notre pays... comme on l'observe à l'envi.
D'autre part, j'ai une fâcheuse tendance à penser que la question de l'alimentation est centrale : s'il y a de l'agriculture, c'est parce que l'on doit produire des ingrédients ; et l'agriculture et l'élevage posent des questions d'environenement. Bien sûr, je n'oublie pas les valorisations non alimentaires de l'agriculture (le bois des forêts, la production de biocarburants, la chimie verte...) ni les questions non alimentaires de l'environnement, mais je vois quand même que, depuis sa création, l'Institut d'agronomie qui est devenu à ce jour AgroParisTech s'est toujours préoccupé d'alimentation, du point de vue de l'enseignement et du point de vue de la recherche.
Plus généralement, je nous vois une mission de former  des ingénieurs bien équipés pour gérer les problèmes de leur temps. Les solutions qui peuvent être apportées, soit en termes de science, soit en termes de technologie, sont toujours des solutions qui reposent sur les avancées les plus récentes des sciences. Or je me souviens d'une conclusion que j'avais publiée il y a plusieurs années : pour former des ingénieurs, j'ai  proposé que nous les rendions capables de  (1) chercher l'information scientifique la plus récente et la plus pertinente, puis (2) de conmprendre à fond ces avancées, (3) avant de les transférer soit dans l'industrie, soit dans la science. Bien sûr nos élèves ingénieurs devront recevoir des notions d'éthique, d'économie, de gestion, d'administration, etc. sans oublier qu'ils devront maîtiriser des langues (anglais, chinois, espagnol…). Mais le fond demeure : il faut des connaissances scientifiques solides, à jour.

Se pose donc une question de méthode : comment rendre nos élèves capables au mieux d'assurer ces trois tâches de recherche de l'information, de sélection de cette information et de transfert scientifique ou technologique ? Et se pose en corollaire une question d'identification des champs scientifiques modernes.
En matière de biologie, il est devenu certain que les avancées sont de nature « moléculaire ». En nutrition, par exemple,  la révolution du microbiote est venue du séquencage génétique. En matière de technologies du vivant, les techniques de découpe précise de l'ADN ont fait une révolution, aussi bien dans le domaine animal que dans le domaine végétal. Dans tous les champs, on observe que la biologie, qui donc est devenue moléculaire, s'est rapprochée de la chimie et de la physique. Mais pas de la chimie ou de la physique du 19e siècle,  non ! De la chimie et de la physique modernes.
Que sont ces dernières ? En physique, la question de la matière molle a été une vague de fond qui n'est pas éteinte. En chimie, la mécanique quantique et le numérique se sont imposés, au point qu'IBM propose depuis quelques jours un site gratuit où chacun peut tester des réactions chimiques in silico : on est loin de cette méthode chimique du « lasso » que j'ai subie au début de mes études et qui  consistait à entourer un atome d'oxygène et deux atomes d'hydrogène  dans des molécules voisines, afin de prévoir (en se trompant généralement) la production d'une molécule d'eau et la condensation des molécules privées de ces atomes partis sous la forme d'eau. Non, l'ordinateur a considérablement modifié les choses, dans tous ces champs. Se sont imposées des modélisations, de la dynamique moléculaire, des calculs orbitalaires...
On observera aussi que, dans  beaucoup de travaux effectués dans les champs qui concernent notre école, l'analyse chimique est prépondérante, ce qui nous fait retrouver une vision proposée par Charles Adolphe Würtz, un des créateurs d'AgroParisTech : ce dernier avait bien compris que la chimie était la question essentielle de l'agronomie, à son époque où les engrais étaient le nerf de la guerre. Aujourd'hui, alors que l'on cherche à réduire les intrants pour des questions de durabilité et d'environnement, il y a lieu de sélectionner des plantes capables de produire des aliments qui consomment le moins d'eau possible, qui supportent le réchauffement climatique, qui ont besoin de peu  d'engrais, qui résistent aux agresseurs sans imposer l'emploi de trop de pesticides… Mais il ne faut pas non plus tomber dans de l'écologisme naïf : il y a également lieu de chercher des méthodes modernes de lutte chimique, par exemple, avec des pesticides aussi sélectifs que possible, sans oublier les méthodes de biocontrôle, par exemple… ce qui impose encore la bonne connaissance des réseaux hormonaux, par exemple.

Bref, il faut des connaissances fondamentales solides, à partir desquelles nos élèves bâtiront leur socle unique… et utile à la collectivité.

samedi 28 juillet 2018

Les rapports de stage : la preuve !

Dans des billets précédents, je me suis expliqué à propos des rapports de stage : en réalité, il ne s'agit pas de comptes rendus des travaux, mais d'exercices écrits que les étudiants sont invités à faire, les travaux du stage servant de support à cet exercice.
Et c'est à ce titre que le rapport de stage n'est pas noté par les maîtres de stage, mais par les enseignants, qui ne doivent donc pas noter le travail effectué (lequel a déjà été évalué par le maître de stage), mais seulement la façon dont  le rapport est écrit.

Il faut que la commande soit claire pour que les étudiants puissent bien faire

Pour un tel exercice écrit, il faut donc que les choses soient claires, et il ne suffit pas que l'on ait dit aux étudiants de faire dix pages maximum, ou bien de faire une table des matières, par exemple : c'est la teneur du rapport qui doit être bien explicitée, car veut-on que l'étudiant explique son travail à un spécialiste, ou à un scientifique qui n'a pas de connaissance particulière du sujet, ou bien à leurs camarades, ou bien à...  Cela doit être clair.

Cela étant, stage après stage, je vois bien que les étudiants cherchent plutôt à montrer ce qu'ils ont fait que de faire un rapport selon les consignes données, et c'est donc la preuve que l'exercice qu'on leur propose est bon. On les voit râler de devoir consacrer plusieurs pages à des questions de sécurité, quand ils manquent de place pour présenter les résultats ; on les voit accumuler des annexes même quand il a été stipulé que le nombre de pages annexes comprises était limité ; on les voit faire des textes de publication, alors qu'on leur demande plutôt de faire un "rapport de stage", stage qui ne se limite pas à la conduite d'un projet, mais à la transformation de connaissances en compétences en situation professionnelle...
Surtout, nos amis oublient que l'exercice est une préparation au maniement de l'écrit, tout comme la soutenance sera une préparation au maniement de l'oral. On sait, et l'on déplore depuis au moins Platon, que certains manient si bien le langage écrit ou oral qu'ils embobinent les autres : ce sont les Rhéteurs. Raison de plus pour ne pas laisser désarmés nos futurs ingénieurs, qui devront se confronter : dans l'entreprise, ou à l'extérieur. En réalité, ces rapports de stage sont, je crois, des exercices tout à fait formels, parfaitement rhétorique, et c'est cela qui en fait la difficulté... et l'intérêt.

Et la preuve de cet intérêt est, je le rappelle, le fait que les étudiants se fourvoient si souvent dans la production de ces rapports !

dimanche 29 avril 2018

Ma proposition affinée

Après environ deux ans de billets dispersés à propos de ce que je refuse désormais de nommer "enseignement", au profit d'"études", je crois qu'il est bon de faire une synthèse, car ces nombreux billets ont été parfois hésitants, voire contradictoires : quand je les ai produits,  je n'avais pas encore analysé complètement la question et je n'étais pas arrivé à la proposition parfaitement claire à laquelle je suis arrivé.

Tout part du constat que personne ne peut apprendre à la place d'un étudiant. Chaque étudiant ne peut apprendre qu'en étudiant, et puisque nos systèmes d'études supérieures (les autres aussi) visent à faire que les étudiants apprennent, il faut donc mettre les étudiants au coeur du dispositif, et déduire les caractéristiques de celui-ci de l'objectif très clair que je viens d'énoncer : les étudiants doivent apprendre.

Il y a donc l'étudiant qui doit étudier, et le système universitaire (j'y mets les grandes écoles d'ingénieur, indispensables dans le paysage français, parce qu'il y est admis de sélectionner les compétences) qui doit créer les conditions d'études efficaces.
Ces connaissances peuvent être "pures" (comprendre pour comprendre mieux le monde où l'on vit), car il y a de la vertu à apprendre pour apprendre (je passe sur de longues discussions à ce propos), mais j'observe (sans prendre parti, sans juger) que les systèmes universitaires se modifient depuis quelques décennies en vue de former à des activités professionnelles, en vue de l'exercice de métiers, de sorte que  l'université semble aujourd'hui avoir à organiser l'attribution de diplômes qui reconnaissent aux étudiants un niveau de connaissances et de compétences, de savoir-faire, de savoir-être clairement définis, qui garantissent donc à des sociétés qu'elles pourront embaucher des personnels qualifiés.
A ce stade, nous voyons donc deux facettes :
 - d'abord, l'organisation de l'apprentissage (le substantif correspondant au verbe "apprendre"),
 - et, ensuite, l'organisation de l'évaluation, la « diplomation ».
Évidemment il y a une relation entre les deux, car c'est l'apprentissage des savoirs et des compétences décidés pour chaque niveau d'études que l'université doit organiser et reconnaître.
Autrement dit, dans la logique universitaire actuelle, il y a donc lieu de commencer par établir des référentiels d'évaluation, qui se fondent sur les métiers vers lesquels les étudiants se dirigeront. Cela signifie dresser une liste des savoirs, des compétences, des savoir-faire et des savoir-être qui seront évalués en vue de l'attribution des diplômes.


Tous les savoirs et les savoir faire énoncés dans le référentiel associé à un diplôme particulier (licence, maîtrise) doivent être obtenus par les élèves qui prétendent à ce diplôme, et je suis très mécontent quand on impose les circonstances particulières d'apprentissage -des obligations de moyens-  pour reconnaître l’obtention de ces savoir et compétences, ce qui correspond à une obligation de résultat. Je réclame l'entière liberté des moyens, et un stricte application de l'obligation de résultats (sans quoi nous dévalorisons les diplômes).
D'autre part, je ne vois pas de raison de limiter dans le temps l'apprentissage des éléments des référentiels :  pourquoi les étudiants ne pourraient-ils pas obtenir leur diplôme le jour - et seulement ce jour là- où ils ont validé tous les savoirs, compétences, savoir-faire et savoir-être qui sont requis ? Pourquoi n'iraient-ils pas à leur rythme ? En revanche, ce "droit", cette liberté associée à la suppression de l'obligation de moyens, me semble devoir aller avec une obligation de résultats : un étudiant doit pouvoir valider un savoir ou un savoir faire  à tout moment, mais c'est seulement le jour où l’ensemble des savoirs et compétences du référentiel est obtenu que le diplôme est délivré.

Soient donc des objectifs d'étude fixés, venons en aux études elles-mêmes.
Les nombreux billets que j'ai précédemment consacrés à ces dernières convergent vers une proposition qui tient essentiellement dans ce que je ne crois pas bon que les encadrants de nos étudiants soient des « enseignants » ; on verra, en revanche, que je ne crois pas mauvais que nos systèmes d'études incluent des "professeurs". En effet, il est bien inutile d'enseigner quelque chose à quelqu'un qui ne l'apprend pas, et ma proposition se focalise sur l'apprenant, l’étudiant, qui doit donc étudier.
Que doit-il étudier ? Les éléments du référentiel. Comment ? Comme il veut, car  il a une obligation de résultats, et non une obligation de moyens. En revanche, on imagine bien que le personnel universitaire puisse avoir pour mission de faciliter l'accès à ces savoirs et compétences. Il doit donc être présent aux côtés des étudiants pour les guider, leur signaler des ensembles de données mieux faits que d'autres, diviser le chemin en petites étapes.
Je vois que cette métaphore du chemin est vraiment bonne, et, clairement, il y a lieu de dessiner de tels chemins, c'est-à-dire d'identifier les étapes nécessaires pour arriver à un point particulier, mais je me répète : il n'y a qu'une obligation de résultats, et si des étudiants particuliers sont en retard sur le référentiel, s'ils n'ont pas des notions particulières qui se révèlent indispensables pour comprendre un savoir ou un savoir-faire conformément au chemin déterminé, alors on comprend que la mission universitaire soit d'indiquer à ces étudiants  des études particulières qu'ils doivent faire. Mieux encore, puisque les études supérieures doivent conduire à des professionnels autonomes à la fin de la seconde année de mastère, on comprend aussi que le personnel universitaire ne doit pas bercer les étudiants dans leur lit, mais les entraîner à apprendre, à apprendre par eux-mêmes, voire à tracer leur propre chemin. Je crois que c'est un mauvais conseil que de pallier cette incapacité… d'autant que la chose est très simple. Je vois bien le professeur comme un tuteur qui indique aux étudiants des cours de bonne qualité, qui peut en faire lui-même (des cours parfaitement facultatifs, puisque l'étudiant n'a qu'une obligation de résultats), qui débloque un étudiant à qui il manque une notion indispensable, qui orchestre la transformation des savoirs en compétences, discutant la résolution des exercices, des problèmes… En conclusion de cette première partie, on voit que c'est bien l’identification des savoirs et compétences requis qui doit faire l'objet du travail du personnel universitaire (expression un peu longue mais qui ne préjuge pas de la suite, où je discute la différence entre professeurs et enseignants).

Vient donc maintenant la raison pour laquelle je récuse la notion d'enseignant, et, de ce fait, pourquoi je propose celle de professeur.
Classiquement, dans une vision périmée et mauvaise des études, les cours oraux sont des discours qui occupent la totalité du temps des étudiants. Ces cours sont inutiles pour de nombreuses raisons, la première étant que tous les étudiants ne comprennent pas au même rythme, de sorte que ce rythme est nécessairement soit trop rapide, soit trop lent ; s'il est trop rapide, les étudiants décrochent, mais s'il est trop lent, ils décrochent aussi, par ennui. Bref, l'étudiant est mieux avisé d'étudier dans des supports écrits, ou dans des supports vidéo pré enregistrés. Aujourd'hui, le numérique a périmé l'idée classique de l'enseignement.
Cela étant, les cours classiques des bons professeurs ont des caractéristiques qu'il est bon de bien analyser. Notamment on peut observer qu'ils contiennent -explicitement ou non-  des informations, des notions et des concepts, des méthodes, des anecdotes, des valeurs. Les informations ? On peut le trouver n'importe où, de sorte que professer, ce n'est certainement pas emplir des cruches avec des informations. Les notions et concepts ? Ils ne s'imposent, dans un cours, que si ce cours est l'endroit unique où l'on peut les trouver facilement : c'est ainsi qu'Emile Borel faisait sa recherche pendant ses cours, confiant à des étudiants le soin de consigner les avancées du travail, en vue de faire des livres qu'il consignait avec ses étudiants.
Aujourd'hui, les étudiants feront mieux de trouver en ligne ces données chez des professeurs qui sont peut-être à l'autre bout du monde. Et là, j'insiste un peu : pourquoi se limiter aux professeurs -pas tous excellents- que nous avons physiquement sous la main, alors qu'il s'en trouve de meilleurs ailleurs, rendus accessibles par le numérique ? Idem pour les méthodes, qui sont, à mon avis, le coeur des études. Enfin, les valeurs : là, c'est bien la marque d'un bon professeur que de donner cet enthousiasme qui conduit les étudiants à apprendre. Et comme la moralité ne passe pas, on peut donner à ces dernières un peu de chair, les enchâsser dans des anecdotes. De même pour les méthodes, dont la transmission explicite est bien rare, et qui méritent d'être incarnées.

Cette grille d’analyse montre bien la proposition que je fais pour l’orchestration des études. Pour la France, on aura raison d'observer que nous sommes retardataires par rapport à certains pays scandinaves dont l'efficacité est meilleure que la nôtre. Ici, nous bourrons les emploi du temps au lieu de donner du temps pour étudier par soi-même, nous couvons au lieu de promouvoir l'autonomie...

dimanche 11 mars 2018

Pourquoi le chocolat Chantilly et les mousses au chocolat sont-ils stables ?

Beaucoup d'étudiants qui préparent des TPE ou des TIPE s'intéressent aux mousses au chocolat. Trop, dirais-je, car comment vont-ils pouvoir établir qu'ils n'ont pas pris leurs résultats sur internet, dans des sites créés par des étudiants qui les ont précédés ? Je crois que, indépendamment du sujet et de sa complexité, c'est cela l'écueil principal qu'ils rencontrent. Et, en effet, je trouve 345 000 pages sur le thème "travaux personnels encadrés", et 32500 pages de ce groupe consacrées aux mousses au chocolat !

Mais bon, je ne peux pas faire le bien de mes interlocuteurs malgré eux. Je me contente donc de répondre ici à la question qui m'est posée ce matin :

Pourquoi le chocolat et les mousses au chocolat tiennent-ils ? Quelles sont les réactions chimiques responsables de cette stabilité ?


Commençons par analyser les systèmes qui nous intéressent.
Une mousse "au" chocolat, c'est une mousse, avec du chocolat ajouté. Par exemple, pour la mousse, on peut imaginer de la crème fouettée, de la crème chantilly (la précédente, mais sucrée), un sabayon, du blanc en neige, du blanc en neige sucré (appareil à meringue), une meringue suisse (du blanc battu et sucré en chauffant), une meringue italienne (du blanc en neige additionné d'un sirop très chaud), etc. A cette mousse, on peut donc ajouter soit du chocolat fondu, soit un mélange de chocolat, de jaune d'oeufs, de beurre.
Et il est vrai que de telles mousses peuvent être assez stables... mais elles le seraient parfois sans le chocolat !

Pour le chocolat chantilly, que j'ai inventé en 1995 (et je vois des chefs malhonnêtes se l'attribuer !), il s'agit de foisonner une émulsion de chocolat dans de l'eau. Et il est vrai que c'est stable...
Enfin, stable... Tout dépend de la température : car le chocolat solidifie aux températures inférieures à 36 degrés environ, et c'est seulement à ces températures que l'on obtient un chocolat chantilly stable : les bulles sont emprisonnées dans une matrice de chocolat qui solidifie, emprisonnant également l'eau présente.

Ce qui donne la clé de la stabilité des mousses au chocolat : là encore, le chocolat peut former un réseau solidifié, en raison de la cristallisation du chocolat.
 
Pas de modifications "chimiques", dans cette affaire ; seulement des changements de phase pour les triglycérides du chocolat ! 












Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)   


vendredi 8 décembre 2017

Je reçois des fiches d'évaluation d'étudiants en stage dans notre groupe. On me demande de noter la ponctualité, présentation, tenue, connaissances...

Faut-il répondre?

De mon côté, j'ai répondu la chose suivante, que j'appelle tous mes collègues à commenter :



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Cher Collègue

je me souviens avec fureur de mes cours de gymnastique, où le professeur mettait les élèves en rang, donnait le signal du départ, et notait 20 le premier, 19 le deuxième, et ainsi de suite jusqu'au dernier, qui avait 0.

Cet enseignant était minable pour de nombreuses raisons, mais notamment parce que c'est l'apprentissage qui doit être évalué, d'une part, et, d'autre part, c'est l'usage fait des informations données par le professeur qui doit être évalué. En gros, le professeur aurait dû enseigner comment courir, et noter l'évolution des élèves au cours de l'année.

J'ai retrouvé cette façon d'évaluer détestable quand j'étais élève d'une grande école, où l'on était noté sur le rendement des synthèses organiques, et, récemment, j'ai proposé un changement des notations des séances de TP.


Tout cela pour vous expliquer que les fiches d'évaluation que vous me proposez de remplir ne me vont pas.

1. présentation : tous les goûts vestimentaires étant dans la nature, ce n'est pas à moi de décider si la "présentation" est "bonne" ou "excellente", d'autant que, dans un laboratoire, il faut avoir une blouse ; de surcroît, je préfère une bonne "tenue intellectuelle" à une tenue vestimentaire

2. ponctualité, assiduité : je me suis donné comme objectif de passionner les étudiants qui viennent travailler dans l'équipe, et j'ai construit le modus vivendi de façon que chacun ait très envie de venir ; autrement dit, un étudiant qui ne serai pas ponctuel ou assidu me renverrait à mes insuffisances. Autrement dit, c'est moi que je noterais, dans cette case!

3. aptitude au travail d'équipe : notre travail, au laboratoire, est d'équipe... mais individuel ; je veux mettre chacun en face de ses responsabilités, de son travail, de ses résultats. Autrement dit, une case impossible à noter.

4. dynamisme : travaillons activement... dans le calme.

5. clarté d'expression : supposons qu'on restreigne la question aux sciences, puisque c'est ce qui nous réunit au laboratoire, mon propos, c'est que les étudiants apprennent ; un mois, c'est peu, et nous aurons le temps de poursuivre au cours de la deuxième période

6. sociabilité : notre structure réunit l'équipe sans cesse... et toute personne asociale serait virée

7. conscience professionnelle : idem 6!

8. efficacité dans le travail : non, il faudrait noter la progression de l'efficacité dans le travail

9. faculté d'adaptation : je ne vois pas bien, mais là encore, c'est la progression qui m'intéresse, et, là encore, je risque de me noter moi-même. Or vous comprendrez que, sous peine de ne pas être modeste, je ne peux pas me noter correctement!

10. ouverture d'esprit : idem

11. esprit d'initiative : ici, tout est discuté avant de faire, de sorte que c'est le groupe et son organisation qui seraient évalués

12. méthode, organisation : le but de ce groupe, c'est que les étudiants apprennent que, avant toute action, il y a une méthode à trouver.

13. connaissances techniques : techniques? alors que nous faisons de la recherche scientifique? ne voulez vous pas plutôt dire "connaissances scientifiques"?




Bref, je suis bien embarrassé. J'ai demandé à chaque étudiant de se noter lui-même, et j'ai demandé aux étudiants plus âgés qui les encadraient directement de confronter leurs idées... mais là encore, c'est très idiosyncratiques.

Ce que je peux dire :
Les étudiants sont arrivés avec des défauts et des qualités.
Ils ont été des membres actifs de l'équipe, et j'espère surtout qu'ils ont beaucoup appris.
Ils ont été mis le plus possible en situation d'autonomie, et ils ont appris des tas de choses, j'espère, du technique, du scientifique, du méthodologique, de la culture, du "mode de vie"...
J'espère surtout qu'ils ont appris que la méthode est essentielle dans le travail.

Croyez bien que je suis désolé de si mal vous répondre... mais je crois en réalité que vos fiches ne sont pas adaptées, comme indiqué plus haut.
_________________________________________________________________________


Voilà. Je suis bien conscient que cette réponse ne doit pas faire l'affaire de mes interlocuteurs... mais leur fiche, qui me faisait juge et partie, ne faisait pas mon affaire.

A noter qu'un collègue me signale qu'il existe des différences de capacités entre les étudiants. A quoi je réponds que l'institution qui les envoie doit savoir déjà cela, et que ce n'est peut-être pas le rôle qui m'a été confié, que de répondre à cette question.

A moins que je me trompe gravement sur toute la ligne?

Help : sortez moi de mon erreur!







Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

samedi 22 avril 2017

Des listes de connaissances et de compétences

Dans notre Groupe de gastronomie moléculaire, nous avons analysé la question des "stages", et la consultation des sources officielles (site des ministères, journal officiel, universités...) a bien montré que les stages sont des périodes de formation pendant lesquelles les étudiants doivent notamment transformer des connaissances en compétences.
Si l'on suit cette définition, alors ce ne sont pas des périodes pendant lesquelles les étudiants doivent obtenir de nouvelles connaissances... mais l'expérience prouve qu'ils en ont quand même besoin. Tout comme ils ont besoin d'apprendre de la méthode, tant il est vrai que les établissements d'études supérieures (on voit que j'ai bannis le mot "enseignement" de mon vocabulaire, pour des raisons expliquées ailleurs) sont très déficients de ce point de vue.
C'est d'ailleurs la raison pour laquelle notre groupe met à disposition des étudiants des documents intitulés "Comment faire", qui discutent les méthodes efficaces pour être en mesure d'exécuter correctement les divers travaux qui sont confiés aux personnels de recherche (scientifique, technologique ou technique) : dans le désordre, comment peser, comment faire un stage, comment faire une présentation orale, comment déterminer des chiffres significatifs, comment saluer un collègue, comment obtenir des résultats de qualité, comment interpréter des résultats, comment mettre en oeuvre la méthode des sciences de la nature, comment organiser son travail, comment ne rien oublier, comment tenir un cahier de laboratoire au 21e siècle...

Tout cela étant dit, notre Groupe de gastronomie moléculaire propose également à ceux qui le constituent d'envoyer chaque soir un email (structuré) qui récapitule ce qui a été fait dans la journée : je passe sur les détails, mais il s'agit de faire une réflexion structurée, qui permet de prendre du recul.
Dans ce tableau, qui est extrait du cahier de laboratoire, il y a des entrées "connaissances nouvelles" et "compétences nouvelles", pour lesquelles nous faisons une liste commentée.
Puis, le vendredi, chacun d'entre nous prépare une synthèse hebdomadaire, qui est également partagée. Enfin, lorsque les stages s'achèvent, il est proposé aux étudiants de joindre à leur rapport une liste des connaissances et compétences obtenues.
C'est cette liste qui m'intéresse ici.

 {{Une liste de connaissances, une liste de compétences}}

A quoi bon faire une telle liste ? Evidemment, cela permet aux étudiants de montrer à leurs tuteurs, à leurs institutions, qu'il n'ont pas chômé. J'aime assez la position du bon élève qui n'a rien à cacher, au contraire, qui, mieux encore, à tout à gagner à montrer tout ce qu'il a fait : rien n'est mieux qu'être son propre évaluateur, car cela permet d'éviter cette "lutte des classes" que je déteste (parce que je crois qu'elle ne peut pas être la base d'une vie en société harmonieuse).
Cela étant, agir par rapport aux autres n'est pas un objectif suffisant, et j'aime assez l'idée d'agir par rapport à soi. A quoi sert-il de savoir que l'on sait quelque chose ? C'est là le point essentiel : à le savoir mieux !
Si je sais que la force de Stockes est égale à 6 π η v r, alors je sais que je peux mettre en oeuvre cette force, dans des calculs variés, par exemple. Mais, mieux que cela, je peux alors me poser la question : est-ce que je sais vraiment ce qu'est la force de Stockes ? Sais-je assez bien ce qu'elle est, comment on l'a trouvée, quelles sont les limites de l'application de la formule précédente, pourquoi elle a été nommée ainsi, etc ? Bref, faire une liste des connaissances permet de s'interroger sur ces dernières.
Pour les compétences, c'est un peu la même chose, mais en plus important, parce que j'ai le postulat que l'on est ce que l'on fait : savoir, c'est bien, mais c'est un peu stérile ; utiliser le savoir pour de l'action me semble bien mieux. Cette action, d'ailleurs, peut être technique, technologique, scientifique, sociale, politique... A chacun de faire son miel des connaissances pour contribuer à l'avancement du monde, notamment en repoussant le Ragnarok  !
Et puis, viendra bien le moment où les étudiants chercheront du travail, et ils pourront montrer aux employeurs potientiels l'étendue de leurs... compétences.


Plus généralement, ces listes sont une façon d'éviter la mauvaise foi qui nous menace constamment. Au lieu de mettre sous le tapis notre ignorance, la contemplation de ces listes nous montre en creux ce que nous devons encore apprendre, ce que nous devons apprendre à faire.{{ Ce n'est pas de la flagellation, mais un encouragement à poursuivre nos travaux ! }}

mardi 23 avril 2013

L'évaluation des étudiants en stage

Avec les hirondelles, le printemps. Avec les étudiants en stage, des "formulaires d'évaluation", toujours construits selon le même modèle :
- assiduité
- connaissances
- dynamisme
- autonomie
-ponctualité
- compréhension
- curiosité
- ...


Je ne suis pas bien sûr que ces "cases" soient entièrement suffisantes, pertinentes et utiles, car un dispositif pédagogique doit nécessairement conduire à une "progression" des étudiants. Cette progression peut être de toutes sortes de nature : compréhension du milieu où s'effectue le stage, compréhension d'un sujet, mise en pratique de connaissances, compréhension "politique" d'un système (science, technologie, technique...). 
Bref, ce qui compte, ce n'est pas seulement l'état, mais la progression : un professeur de gymnastique n'est pas payé pour noter les élèves en fonction de leur résultat à une course, mais plutôt pour les faire progresser, en leur enseignant comment courir (mieux). Certes, aux Jeux Olympiques, la médaille d'or ne sera pas donnée sur la progression, mais un dispositif d'enseignement n'est pas une compétition : le but est d'aider des individus à progresser dans la Connaissance et les Compétences. 
De même en chimie organique : les étudiants doivent apprendre à améliorer des synthèses, plutôt qu'à les faire, et c'est sur une répétition (avant l'acte pédagogique/après cet acte) que, par comparaison des résultats, on peut faire une évaluation.
Autrement dit,  les évaluations portent en réalité sur les capacités des encadrants, et pas seulement celles des étudiants (quand ceux-ci sont de bonne volonté). Si les étudiants ne progressent pas, c'est que les enseignants n'ont pas été bons. 
De ce fait, peut-on demander aux encadrants de se noter eux-mêmes ? 

Finalement, la question est surtout de savoir si les étudiants ont appris beaucoup. C'est mon objectif, quand j'accueille de nouveaux amis, et je les invite à  dresser une liste de tout ce qu'ils ont appris lors de ce stage, en distinguant les connaissances, d'une part, et les compétences, d'autre part.
Je crois vraiment que ce type de réflexion devrait conduire à rénover les fiches d'évaluation des établissements d'enseignement. Comment ? Je propose de raconter cela dans un prochain billet.