mercredi 12 avril 2023

Nouvelle cuisine, cuisine moléculaire, cuisine note à note...

 Nouvelle cuisine, cuisine moléculaire, cuisine note à note... 

Voilà des tendances, plus ou moins durables, des courants qui animent ou animeront la cuisine. 

Ces dernières décennies, j'en ai proposé plusieurs qui n'ont pas eu de succès, sans doute parce que les temps n'étaient pas mûrs, que la difficulté était trop grande. 

Par exemple, le constructivisme culinaire : cette affaire repose sur l'observation selon laquelle une gelée d'agrumes posée sur du saumon fumé fait un plat moins frais, en fin de dégustation que du saumon fumé posé sur une gelée d'agrumes. Observons  d'ailleurs que les nappage des gâteaux sont souvent ainsi construits, avec la gelée par-dessus. Et si c'était une erreur ? Évidemment, dans le cas des gâteaux, ce que l'on veut, c'est faire une couche brillante en surface, le nappage s'impose par-dessus, mais le goût ? 

Autre exemple, la présence de quelques brins d'un aromate tel que la ciboulette, le persil, le cerfeuil, le basilic, au-dessus d'un plat. Ces brins n'ont pas seulement une fonction décorative, et il suffit de faire l'expérience de goûter pour s'apercevoir qu'ils forcent à mastiquer longuement, et, donc, qu'ils augmentent goût. En substance, c'est cela le constructivisme culinaire : construire le plat, en vue d'effets gustatifs particuliers. 

On dira que toute la cuisine est ainsi conçue ? Non ! Le plus souvent, la cuisine n'est que l'exécution de recettes,  et l'on aurait bien intérêt à réviser toutes ces dernières selon l'idée du constructivisme culinaire. 

Une choucroute ? Ce n'est  généralement qu'une accumulation. Un cassoulet ? Idem. Pourquoi ne pas faire mieux, pourquoi ne pas conserver les éléments et construire ? Car derrière l'idée du constructivisme culinaire, il y a cette idée essentielle selon laquelle  le construit est « bon », parce qu'il signale aux mangeurs qu'on s'est préoccupé d'eux. On leur dit « je t'aime » : n'est ce pas suffisant pour qu'il pense qu'il y a de la beauté ? 

Et c'est ainsi que je propose cette  hypothèse : le beau  serait-il le construit ? Regardons maintenant autour de nous : les arbres, les rues, les moindres éléments de notre environnement... Sont-ils beaux ? En voyons nous la construction ?

mardi 11 avril 2023

J'ai (re)lu la Logique, de Condillac ?

 Pourquoi lit-on un livre ? 

Je propose la comparaison suivante : de même l'on accroche aux murs de son appartement des tableaux, qui sont une façon de se parler à soi-même, de s'entretenir d'idées exprimées par les toiles, de même on lit des livres afin de se meubler l'esprit, afin d'y loger des idées. 

Cela n'est donc pas anodin, et il faut peut-être dire plus qu'on ne le fait aujourd'hui que le choix de ses lectures est essentiel, non seulement en termes de temps passé, mais aussi en termes d'embellissement de l'esprit : il est vrai que la lecture d'une bande dessinée minable (on voit donc que je fais la distinction entre les différentes bandes dessinées, lesquelles ne sont pas toutes de la même qualité : répétons que, pour la plupart des tâches, tout est une question d'exécution, donc d'individu) empiète sur la lecture de Condillac, par exemple. 

Et il est vrai aussi que l'intérêt d'un livre se mesure aussi au nombre d'idées qu'il fait surgir. 

 

Cela étant posé, pourquoi lire Condillac ? 

 

Bien sûr, il s'agit d'un « grand auteur », il s'agit d'un de ces noms qui restent dans l'histoire... mais cela est bien insuffisant, car cela s'apparente à un argument d'autorité, ce genre de choses contre lesquelles je propose de résister. 

Alors, pourquoi lire Condillac ? Dans mon cas, je lis Condillac, parce que Lavoisier le citait. A plusieurs reprises, Lavoisier évoque Condillac afin de discuter la relation entre une langue analytique, une langue bien faite, et la pensée, et la chimie. L'idée essentielle de Lavoisier, qu'il attribue à Condillac, c'est que les phénomènes que la science quantitative explore sont manipulés, appréhendés, par des pensées, et que ces pensées correspondent à des mouvements. 

Longtemps, j'ai proposé de prendre cette idée à la lettre, concluant qu'il fallait une langue précise pour faire de la bonne science. Toutefois, Einstein et Poincaré, notamment, discutant l'origine des idées qu'ils avaient eues, ont tous deux dit qu'ils avaient des idées sans les mots, et que c'était donc un de leurs efforts que d'aller chercher des mots pour exprimer des idées qui étaient en eux. On ne peut évidemment balayer d'un revers de la main de telles déclarations ! 

 

La conclusion de cette affaire, c'est qu'il faut aller y voir de plus près... et, donc, lire Condillac. 

 

Aujourd'hui, je ne dirais plus les choses comme je les disais, mais je continue à soutenir, évidemment, que la langue que nous utilisons doit être d'une très grande précision. 

Dans la méthode scientifique, le calcul se déroule, mais, finalement, il y aura quand même son expression en langage naturel, l'affichage au monde, et à soi-même, des mécanismes des phénomènes que l'on aura explorés. 

Là, on retrouve Michael Faraday, qui introduisit des mots pour désigner des concepts nouveaux, par exemple « lignes de champ magnétique ». Ces mots s'ajoutent à ceux qui ont été introduits pour désigner des objets nouveaux : électrode, anode, cathode, ion... Des exemples récents ? Je vous invite à lire cet article merveilleux de Jean-Marie Lehn, paru en 2005, sur les dynamères. Le mot « dynamère » désigne des objets qui étaient dans les esprits, mais qui n'  « existaient » pas véritablement tant qu'ils n'avaient pas été nommés, et c'est un des mérites de cet article (un parmi bien d'autres) d'avoir introduit un mot que nous utilisons maintenant pour désigner des objets, pour échanger à leur propos, facilement 

 

La question des mots en science est passionnante, parce qu'il y a toujours l'hésitation entre l'introduction de mots creux de mots « pleins ». 

Un mot creux est un mot inutile, redondant, un mot qui n'aide pas la pensée. Un mot plein, c'est un mot qui conduit à bien identifier des objets, à les faire apparaître comme nouveaux du simple fait qu'ils ont été nommés. Des polymères dynamiques, ce n'est pas nouveau, au fond, mais des « dynamères », c'est-à-dire la même chose, cela devient une catégorie d'objets très clairement perçus, et sur laquelle nous pouvons travailler. 

Condillac ? Il fut important au siècle des Lumières par son analyse de la pensée, du langage, et c'était un philosophe qui séduisit bien des scientifiques. Sa Logique ? Elle est certes intéressante, mais son intérêt principal n'est-il pas en ce que nous ferons, après sa lecture ?

lundi 10 avril 2023

Le lundi, il s'agit d'annoncer les événements à venir au cours de la semaine.

Évidemment, il ne s'agit pas de donner une fastidieuse liste détaillée de mes faits et gestes. D'une part, le moi est haïssable, et, d'autre part,  cela n'aurait pas beaucoup d'intérêt. 

Non, ils s'agit plutôt d'envisager  les actions à venir. Pas toutes, mais seulement celles qui sont porteuses de sens, celles qui ont un enjeu. 

Cette semaine, je dois m'occuper des publications par des  étudiants du mastère européen FIPDes, et je profite de l'occasion pour expliquer ce qu'est de ce merveilleux mastère. 

C'est un mastère européen, un mastère « Erasmus Mundus », soutenu par la Communauté européenne, construit avec des collègues des universités de Dublin, en Irlande, de Lund, en Suède, de Naples, en Italie... plus des collègues isolés qui acceptent de venir enseigner. 

Dans ce mastère, en deuxième année, il y a un module transversal de gastronomie moléculaire, qui trouve parfaitement sa place dans cet enseignement dont l'acronyme FIPDes signifie « food innovation and product design ». Innovations alimentaires et conceptions de produits.  

J'ai assez répété que la gastronomie moléculaire n'était pas de la technologie, mais de la science, pour que l'on comprenne que  la gastronomie moléculaire  est bien éloignée de l'innovation alimentaire et de la conception de produits. 

Toutefois, ces deux  types d'activités technologiques gagnent absolument à se fonder sur de la science quantitative, et, là,  la gastronomie moléculaire est véritablement à sa place, puisque,  explorant  les mécanismes des transformations culinaires, elle permet ensuite d'utiliser ces résultats. 

Je crois que l'on ne répétera jamais assez  qu'il faut faire la différence entre la science quantitative et la technologie, entre les sciences de la nature et la technique, et même entre la technologie et la technique. 

Les enseignements qui seront dispensés seront l'occasion de le répéter, pour ce qui me concerne, et de l'entendre (sans doute pour la première fois) pour ce qui concerne les étudiants de  notre merveilleux mastère FIPDes. 

Au fait : rendez vous le 8 septembre pour une matinée, où nous montreront des résultats scientifiques et technologiques obtenus par les étudiants.

dimanche 9 avril 2023

Des séminaires, depuis 23 ans !

 Ma passion publique pour les extraordinaires phénomènes qui se produisent lors des transformations culinaires me  conduit  à recevoir de nombreux messages par courriel, et, souvent, on me pose des questions sur la cuisine. Parfois,  mais parfois seulement,  j'affiche ces  questions sur le blog « gastronomie moléculaire » et je donne la réponse.

 Toutefois, pour une réponse que j'ai, il y a des millions de questions ouvertes.  Voilà notamment pourquoi nous n'avons aucune difficulté à nous réunir chaque mois depuis maintenant plus de plus de 23 ans,  à l'Ecole supérieure de cuisine française, à Paris, pour nos séminaires de gastronomie moléculaire. 

 

Dans chaque séminaire, nous considérons une question, une seulement, nous l'analysons, et nous faisons des expériences pour l'explorer.  Les comptes rendus de ces séminaires sont donnés sur le site https://icmpg.hub.inrae.fr/travaux-en-francais/seminaires, notamment. 

 

Toutefois, nous sommes amenés à sélectionner très durement les questions que nous explorons au cours des séminaires, car certaines questions sont très « locales ». Pas inintéressantes, mais locales. Par là, je veux dire que leur  étude risque  de ne pas apporter grand-chose à notre connaissance, ou, du moins, de ne pas faire effondrer un très grand pan de la montagne de notre ignorance.

 

Par exemple, on me dit que la présence de feuilles de figuier dans une daube permet d'attendrir la viande. Est-ce vrai ? 

Je n'en sais rien, et j'en doute. Oui,  le suc du figuier  contient des enzymes protéolytiques, des protéases, qui attaquent les protéines de la viande, et attendrissent cette dernière. C'est d'ailleurs pour cette même raison que certaines populations enveloppent les viandes dans des feuilles de papaye, ces dernières libérant une enzyme protéolytique, une protéase, la papaïne. 

Toutefois,  les enzymes sont elles-mêmes des protéines, c'est-à-dire comme des fils repliés sur eux-mêmes. Or l'activité  protéolytique des protéases, comme l'activité enzymatique des autres enzymes,  dépend de ce repliement. Ce repliement  très spécifique est perdu lors du chauffage,  et c'est la raison pour laquelle je doute  que des protéases puissent conserver leur action protéolytique lors d'une cuisson. 

Bien sûr le mot « chauffage » n'a guère de sens, car sortir un poulet du congélateur, c'est déjà le chauffer. Il est donc essentiel de spécifier une température de chauffage. 

Dans une daube, si l'on atteint le frémissement, la température est d'au moins 80 degrés, une température à laquelle la majorité des  enzymes sont dénaturées, perdant leur activité. Et   voilà pourquoi je veux une action protéolytique des feuilles de figuier. 

Bien sûr,  il pourrait y avoir des actions d'autres sortes, en raison d'un contenu en composés phénoliques, par exemple. On peut tout imaginer,  mais si l'on peut tout imaginer, pourquoi imaginer plutôt une action qu'une absence d'action  ? Il y a une infinité d'actions possibles et une infinité d'actions impossibles. Faut-il perdre du temps à aller explorer d'abord le très improbable ? 

C'est là une question de stratégie, et aussi de circonstances, et  c'est seulement  au cas où la précision culinaire qui m'est indiquée  aurait une importance particulière que je crois  devoir me résoudre à y passer du temps. Pour les feuilles de figuier et les daubes,  la précision n'a été donné qu'une fois, et je ne l'ai pas trouvé en dans les sources écrites. 

L'imagination humaine étant infinie, je crains  devoir ne pas m'intéresser expérimentalement à cette question. Et vous ?

samedi 8 avril 2023

Qu'est-ce qu'un bon produit ?

En cuisine, qu'est-ce q'un "bon produit" ? 

 

Ce n'est pas une question rhétorique,  et je suis même allé jusqu'à organiser un débat public  entre des cuisiniers étoilés, des journalistes, des gastronomes... Nous étions des centaines dans la salle, preuve que cette question est essentielle. 

Oui, qu'est-ce qu'un bon produit ? 

Le débat fut l'occasion de comprendre qu'une viande à griller peut se manger crue ou grillée : dans les deux cas, elle est très tendre, au point que certains cuisiniers reconnaissent cette qualité en pinçant la viande entre les doigts  ; si les doigts s'enfoncent comme dans du beurre, alors la viande est tendre. 

Pourquoi les doigts pourraient-ils enfoncer ? Parce que la viande est composée de très fins tuyaux nommés fibres musculaires, lesquels contiennent de l'eau et des protéines, comme du blanc d'œuf, très tendres donc. Ces tuyaux  sont groupés en faisceaux par ce que l'on nomme le tissu collagénique, et qui est ferme, puisque ce même tissu sert à retendre la peau des visages âgés qui ne se supportent pas avec des rides. 

Dans les viandes très tendres, il y a très peu de tissu collagénique, de sorte qu'il n'est pas difficile de séparer les fibres. Quand on cuit  une telle viande, il est inutile de chauffer beaucoup : il suffit de faire une légère croûte en surface, de faire brunir la viande pour lui donner du goût. 

 

Au contraire, une viande de l'avant, par exemple du collier de bœuf en est une viande en plutôt dure, à braiser plutôt qu'à griller. 

 

Si l'on se place du point de vue de la grillade, une telle viande n'est pas un bon produit. 

Inversement, ces viandes à braiser  qui contiennent  beaucoup de tissu collagénique peuvent aussi libérer beaucoup  d'acides aminés sapides lors d'un braisage, ce qui conduit à des  bouillons d'un goût extraordinaire. 

Autrement dit,  une viande à griller n'est pas un bon produit pour le braisage et, inversement une viande à braiser n'est pas un bon produit pour la grillade. 

 

Il n'y aurait donc pas de bons produits dans l'absolu, mais relativement à un usage que l'on en fait. 

 

Cela semble être une idée saine, applicable dans d'autres champs : un marteau n'est pas le bon outil pour le vissage, et un tournevis n'est pas un bon produit pour planter des clous. 

Mais ces tomates extraordinaires que nous avons mangées sur les marchés durant l'été ? Mais ces premiers petits pois ? Mais ces haricots verts  de début de saison ? Et ces mûres bien mûres de fin de saison cette fois ? Mais ces raisins qui  poussent dans une parcelle bien déterminée, avec une exposition spécifique, un sol spécifique, une ouverture de paysage particulière ? 

 

Un minimum d'honnêteté intellectuelle doit nous conduire à reconnaître qu'il existe bien de « beaux ingrédients ». Ces ingrédients  nous plaisent alors qu'ils ne nécessitent qu'un minimum de travail. Les tomates parfaites peuvent être mangées à la croque-au-sel, les petits pois tendres ne nécessitent quelques moments de cuisson, les mûres bien mûres ne se suffisent à elles-mêmes et, lors d'une transformation culinaire de tous ces produits, on en conserve les qualités... si l'on n'est pas l'Attila de la cuisine. 

 

Je propose l'image suivante : l'ingrédient sera représenté par un carré ; la transformation culinaire sera représentée par une déformation. Et l'on aboutira donc à une forme différente, plus ou moins, de la forme initiale. Le « bon » correspondra à un jugement esthétique sur cette forme. Parfois, la physiologie guidera notre jugement  : un mets trop salé n'est pas admissible, pas plus qu'une viande trop dure. 

 

Tout semble donc réglé : c'est l'usage que nous faisons des produits qui détermine si nous les jugeons bons. À cela près que, parfois, quand  nous mangeons une crème venue  d'une de ces fermes auberges des Vosges, sans rien savoir initialement du produit, nous fermons tous  les yeux de bonheur et nous nous exclamons « Ah, c'est bon... »

vendredi 7 avril 2023

La beauté est dans l'oeil

 Hier soir, j'ai grillé des cubes d'agneau qui avaient été trempés dans une sauce tandoori. Une sauce tandoori ?  C'est un mélange d'épices avec  paprika, cannelle, sel, cumin, piment, coriandre … La liste est longue, je m'arrête là. Les morceaux de viande avaient donc été trempés dans du yaourt où  l'on avait dispersé cette poudre ; ils étaient enrobés de cette préparation, posés sur une plaque et mis directement sous le gril. Après  quelques minutes,  une odeur agréable a empli la cuisine, alors que les morceaux de viande avaient bruni... et qu'ils avaient les pieds dans du liquide. Pourquoi ce liquide ? 

 

Bien sûr, le yaourt, c'est essentiellement de l'eau, puisque c'est du lait qui a été gélifié, et que le lait est principalement composé d'eau. Le yaourt peut être dégradé par la chaleur, relâchant son eau. 

Est-ce la vraie raison ? Pour le savoir, il faudrait faire l'expérience avec des morceaux d'agneau, sans yaourt, et...  l'expérience n'a plus rien de comparable, puisque  les morceaux de viande  ne sont alors plus cuits dans les même conditions  ! 

Nous avons là un exemple typique de la difficulté de concevoir des expériences qui puissent être identiques en tous points, à l'exception d'un seul paramètre. Passons, et supposons que nous trouvions une expérience convenable ;  il est vraisemblable que nous verrons à nouveau ce liquide, parce que l'on sait par ailleurs que les viandes chauffées se contractent. Pourquoi les viandes chauffées se contractent-elles ? Les viandes sont des faisceaux de fibres nommées fibres musculaires, reliées entre elles par du tissu collagénique. Les viandes qui contiennent beaucoup de ce tissu collagénique se contractent plus à la cuisson et celles qui en contiennent moins, et la pesée d'eau où l'on a chauffé une viande très collagénique montre bien que cette viande se contracte et expulse du jus : la viande pèse moins après cuisson, et le "bouillon" pèse plus. 

Mais pourquoi cette contraction tissu collagénique ? Le tissu collagénique est un assemblage en de petites fibrilles, du collagène, lequel est un assemblage de brins polypeptidiques, un mot à rallonge pour dire que la molécule est un enchaînement de résidus d'acides aminés. Comment, lors du chauffage, ces arrangements sont-ils perturbés ? Je m'arrête là, parce que la discussion serait très longue, dépassant de beaucoup le cadre d'un petit billet de blog. 

C'est à cela que je voulais arriver  : partant d'une observation quasi insignifiante, l'esprit curieux se lance immédiatement  dans une immense promenade au royaume des mécanismes, de la science quantitative. Tout tient dans « l'esprit curieux » : la beauté est dans l'oeil de celui qui regarde, et la curiosité est dans l'esprit de celui qui contemple les phénomènes du monde, également. Et si l'on n'est pas curieux ? Alors je propose de s'entraîner à simplement décrire les phénomènes, comme le stipule la méthode des sciences quantitatives. On observe une transformation, on la décrit, avec des mots, et l'on discute ensuite ces mots. Ce « travail nous conduira immanquablement à nous interroger sur  le fonctionnement du monde. 

 

NB : des revues scientifiques viennent de publier que l'exercice de la science était corrélé à de la moralité supérieure à la moyenne. Voilà qui devrait répondre aux reproches que certains ont fait, lors des débats éthiques, et voici ce qui devrait satisfaire Faraday, qui disait que l'exercice de la science quantitative améliorait l'esprit.

jeudi 6 avril 2023

Couramment, les cuisiniers ajoutent de la crème à un liquide, puis font réduire. Pourquoi ?

 La pratique a de quoi choquer : quel belle odeur, au dessus de la casserole ! Pour le physico-chimiste, qui voit le monde microscopique avec les yeux de l’esprit, c’est du gâchis : pensons à toutes ces belles molécules odorantes qui sont perdues, et finissent dans les hottes aspirantes, au mieux dans les cuisines. Ne vaudrait-il pas mieux qu’elles finissent dans les assiettes ? 

 

La crème est une de ses meilleures armes, pour y parvenir. Oui, la crème, car elle contient de la matière grasse et de l’eau. L’eau dissout les molécules sapides, et la matière grasse dissout les molécules odorantes. Autrement dit, tout ce qui accompagne la crème, lors d’une cuisson où elle est présente, a des chances de rester piégé, à condition qu’il y ait un couvercle. 

 Considérons le cas des champignons, par exemple. La cuisson classique, dite en cassolette, est d’une remarquable intelligence empirique, car, quand on chauffe à couvert des champignons,  du champagne, de la crème, sel et poivre, alors les champignons libèrent des molécules odorantes qui vont se dissoudre dans la matière grasse de la crème ; ils libèrent aussi des molécules sapides, qui, elles, vont se dissoudre dans la « phase aqueuse » faite par le mélange du champagne et de l’eau de la crème. 

Bref, tout ce qui sort des champignons  est retenu… à condition que l’on n’ait pas chauffé et que l’on ait ajouté un couvercle ! Oui, un couvercle, contre lequel les vapeurs viennent se refroidir, et, se recondensant, remettre dans le liquide les molécules qui auraient été éliminées par l’évaporation. 

 

D’où la règle très importante à ajouter pour ce type de cuisson : il faut cuire dans la crème, sous un couvercle. 

 

Le hic, c’est la réduction ! Oui, parce que, alors, l’eau de la préparation est évaporée. Or l’évaporation de l’eau entraîne avec la vapeur les molécules odorantes. C’est même un procédé ancien de la parfumerie que l’extraction des huiles essentielles à la vapeur d’eau. Si on veut faire chic, on peut dire « hydrodistillation », mais c’est la même chose (évidemment, on recondense les vapeurs, pour récupérer une huile essentielle qui flotte sur l’eau recondensée). 

 

Alors, comment faire pour avoir une sauce liée, quand on veut crémer ? Cela paraît tout à fait évident : puisque la réduction fait partir les molécules odorantes, une première solution consiste à distiller, disons simplement à récupérer les vapeurs de la réduction, puis à remettre dans la casserole la partie « huile » qui a été récupérée : ce sont des odeurs à l’état pur ! Pas pratique pour les petites quantités. 

Alors je  propose l’analyse suivante : la réduction permet d’éviter qu’il y ait trop d’eau dans la préparation, ce qui force à réduire. Or la crème apporte de l’eau au jus ou au produit initial, ce qui force à réduire. 

Pourquoi ne pas réduire la crème par avance, doucement, en grande quantité, comme on fait pour le beurre clarifié, afin d’obtenir un produit concentré en matière grasse de la crème, que l’on ajouterait au produit ou au jus. Un couvercle, un petit chauffage qui n’élimine pas l’eau, et le tour serait alors joué ! 

 

Enfin, pourquoi ne pas imaginer que les cuisiniers réclament aux fabricants des crèmes déjà réduites, qu’il suffirait d’ajouter aux préparations, afin d’éviter les réductions ?