jeudi 20 décembre 2018

Je suis partagé

Récemment, lors d'une rencontre scientifique, j'ai entendu des enchaînements de mots de plus de trois syllabes où les termes d'excellence, de multi-échelles ou de champs thématiques se tiraient la bourre avec des communautés de travail, des impactages environnementaux, bien sûr des durabilités et des forts potentiels, sans compter les positionnements, des plus-values de regroupement ou des intégration des données assorties de couplages... Quel jargon !

Pour autant, que l'on me comprenne bien : je milite pour une terminologie scientifique précise, et c'est de ce point de vue que je propose de parler plutôt de "traitement thermique en phase aqueuse" que de cuisson de bouillons, de parler de tissus végétaux ou animaux que de légumes, fruits, viandes ou poissons... En science, chaque terme utilisé doit s'adresser à l'ensemble de la communauté, sans ambiguïté. Oui, on peut parler de torréfaction, mais à condition d'avoir dit ce dont il s'agissait. Oui, on peut utiliser des acronymes, mais à condition de les avoir définis.

Mais alors, le jargon que j'avais entendu lors de la rencontre était-il justifié ? Je ne crois pas, car, en réalité, la communauté ne s'entend pas sur des terminologies telles qu'"effet de matrice", ou de "multi-échelles" : il y a autant d'acception que de chercheurs, et cela ajoute à la confusion. Ce qui me fait penser à la terminologie du goût, avec cette "flaveur" que j'ai souvent dénoncée, pour ne désigner que le goût, ces confusions -jusque chez les "spécialistes" !- entre la saveur, le goût, l'odeur, l'arôme et les autres... sensations ou perceptions ? Je pose exprès la question... parce que le travail scientifique doit être si précis que l'un des deux termes seulement peut être légitimement utilisé !


samedi 15 décembre 2018

En chimiste, pas en tant que chimiste !

Un étudiant m'interroge sur ma tenue vestimentaire : pourquoi toujours des chemises à col officier, et pourquoi suis-je en blouse sur la photo de mon blog ?

A vrai dire, je n'ai guère de coquetterie, et le fait d'avoir toujours les mêmes vêtements est surtout une façon de gagner du temps, de ne pas avoir à choisir, de ne pas me préoccuper de ce que considère (je parle pour moi, en mettant dans la balance la question du temps consacré aux travaux scientifiques) comme des futilités.
Jadis, le choix s'est fait, parce que je n'avais pas envie de porter de cravate. Aujourd'hui, personne ne porte plus cela, sauf dans des cercles très particuliers, et j'ai conservé mes chemises. Rien de très intéressant pour mes amis. 

Ce qui mérite plus d'attention, c'est le port de la blouse. Car c'est un fait que, au laboratoire, à savoir l'un des plus beaux endroits du monde, j'ai toujours une blouse, dans mon bureau, et notamment parce que la propreté du lieu n'est pas absolue, ou parce qu'il ne fait pas si chaud. Mais, surtout, c'est l'habit où je me sens bien... parce que je suis chimiste, j'ai une passion pour la chimie, et j'aimerai que nous soyons encore plus nombreux à comprendre que cette science est merveilleuse (elle l'est, faites moi confiance).
Les jésuites disent : "il faut se comporter en chrétien, et non pas en tant que chrétien". Je transpose : il faut se comporter en chimiste, pas en tant que chimiste.
En tant que chimiste ? Cela signifierait porter une blouse pour ceux qui nous regardent... mais, dans mon cas, j'ai toujours une blouse, qu'il y ait des visiteurs ou pas ! Je vous ai dit que je me sentais bien au laboratoire, avec ma blouse : ce n'est pas pour autrui que je la porte, mais pour moi-même. Et ma passion pour cette science est si grande que j'en ai fait un livre, qui interroge notre manière de vivre notre science. Ce n'est pas mon meilleur livre, mais j'y explique pourquoi la chimie est une science si extraordinaire.





Oui, décidément, je ne joue pas à porter une blouse ; je la porte, parce que c'est l'habit de ma passion.

A propos du mouvement brownien : il ne s'agit pas de pollen

Je m'aperçois que j'ai transmis des idées fausses, et je présente des excuses : comme trop d'autres, j'ai expliqué que Robert Brown avait découvert le mouvement brownien en observant des grains de pollen : c'est vrai... et faux, comme je l'explique maintenant.

On raconte qu'en 1828, le botaniste britannique Robert Brown (1773–1858) publia le manuscrit  A brief account of microscopical observations made in the months of June, July and August, 1827, on the particles contained in the pollen of plants; and on the general existence of active molecules in organic and inorganic bodies.
Cela est exact : l'article fut publié par le Edinburgh new Philosophical Journal : https://sciweb.nybg.org/science2/pdfs/dws/Brownian.pdf.


Dans cet article, Brown explique qu'il a mis des grains de pollen de l'espèce Clarkia pulchella dans l'eau et qu'il les a observés, les voyant emplis de particules de  5 µm de diamètre environ, et qui bougeaient.  Il lui apparut que le mouvement ne résultait ni de courants dans le liquide, comme on le voit souvent quand on vient de déposer une goutte de liquide sur une lame, ni d'évaporation, mais des particules elles-mêmes.
Là, pas d'erreur... mais le point clé, c'est que Brown a observé des particules dans les grains de pollens, et non les grains de pollen eux-mêmes.
Car les grains de pollen, eux, ne bougent pas de façon visible !

La théorie du mouvement brownien, détecté effectivement par Brown, resta inexpliquée longtemps, parce que l'on n'avait pas la notion moderne de molécules et d'atomes. C'est le mathématicien français Louis Jean-Baptiste Alphonse Bachelier (1870 – 1946) qui, le premier modélisa le mouvement brownien dans sa thèse intitulée Théorie de la spéculation, en 1900. Puis, en 1905, Albert Einstein publia sa théorie, qui fut ensuite testée par le physicien Jean Perrin. 

Mais revenons à la confusion entre les grains de pollen et les particules ("granules") à l'intérieur de ces grains. En utilisant les équations d'Einstein, on peut calculer que les grains de pollen sont trop gros pour être observés. Einstein calcula en effet la constante de diffusion D du mouvement brownien  d'une particule en fonction du rayon r de celle-ci et de la viscosité du milieu :
\displaystyle{D = \frac{k_B T}{6 \pi \eta r}}
Pour observer le mouvement brownien à l'oeil nu, il faut que la particule bouge rapidement. On calcule cela en déterminant la racine carré moyenne de la position, soit, pour un temps de 1 s, une distance de l'ordre de 10 nanomètres seulement, ce qui n'est pas visible avec les microscopes de table. Pour un temps 100 fois plus long, la distance parcourue est de l'ordre du dixième de micromètre. Pour que le déplacement, en une seconde, soit de l'ordre du rayon de la particule, on calcule un rayon de l'ordre de un micromètre... comme ce qu'a observé Brown.

Lisons bien les sources !

jeudi 13 décembre 2018

La réfutation d'une étude pourrie vient de coûter des millions aux contribuables européens !

Ce n'est pas moi qui parle de toxicologie, mais l'Inra :




Maïs OGM MON 810 et NK603 : pas d’effets détectés sur la santé et le métabolisme des rats
In : INRA, 12 décembre 2018
Un régime alimentaire à base de maïs transgénique MON 810 ou NK603 n’affecte pas la santé et le métabolisme des rats dans les conditions du projet GMO 90+1. Cette étude inédite réalisée par un consortium de recherche piloté par l’Inra implique de nombreux partenaires2 dont l’Inserm. Les travaux ont été réalisés dans le cadre du programme Risk’OGM financé par le Ministère de la transition écologique et solidaire. Pendant six mois, des rats ont été nourris avec un régime contenant soit du maïs OGM (MON 810 ou NK603) soit du maïs non OGM, à différentes concentrations. Les chercheurs, par les techniques de biologie à haut débit, n’ont identifié aucun marqueur biologique significatif lié à l’alimentation au maïs transgénique. De même, ils n’ont observé aucune altération anatomo-pathologique du foie, des reins ou de l’appareil reproducteur des rats soumis aux régimes contenant ces OGM. Ces travaux, publiés le 10 décembre 2018 dans la revue Toxicological Sciences, ne mettent pas en évidence d’effet délétère lié à la consommation de ces deux maïs OGM chez le rat même pour de longues périodes d’exposition

Soutenir une thèse

Soutenir une thèse ?

Il faut donc une "thèse", à savoir une idée que l'on propose, et dont on se propose d'établir la véracité. Par exemple, "on peut obtenir une modélisation rapide d'un coeur en préparant un maillage que l'on colle préalablement à l'image ultrasonore du coeur, puis en modifiant progressivement ce maillage, à partir des informations qui sont données".

Puis il y a la question de l'établir, de montrer comment on arrive à cette idée, et pourquoi elle est juste. Dans cette monstration, il faut tenir compte du fait que cet exercice oral de "soutenance" doit faire la preuve que le doctorant est capable de faire de l'enseignement : il doit donc être clair, d'une part, et, d'autre part, être capable de répondre à des questions que ses auditeurs pourraient avoir. Car la thèse est l'accès à l'enseignement supérieur : il faut donc montrer qu'on est capable, de ce point de vue.
On tiendra compte du fait qu'il ne faut certainement pas raconter tout ce que l'on a fait pendant les trois années qui ont précédé. D'une part, il y a trop, et, d'autre part, ce serait excessif, buissonnant... et inutile.

Bien sûr, il y a aussi la question générale d'un exposé oral, qui doit être clair, organisé, intéressant, intelligent. Et c'est là la plus grande difficulté : faire preuve d'intelligence, cela ne signifie certainement pas multiplier les effets graphiques (on n'est pas dans de la téléréalité minable), mais bien plutôt proposer des idées, des formulations intéressantes, paradoxales, fécondes... On n'oubliera pas que, normalement, le jury est composé de personnalités qui s'intéressent beaucoup aux sciences et aux technologies, de sorte que toute étincelle est bienvenue si elle est de ce point de vue. Il y a des gens -il faut le dire- qui s'émerveillent, tels des enfants devant des joujoux le jour de  Noël, face à une belle démonstration, à une belle formule, à une belle équation. C'est donc cela qu'il faut faire : leur faire briller les yeux avec des idées scientifiquement "intéressantes". Le reste n'est que transpiration secondaire... expliqué par ailleurs.








mardi 11 décembre 2018

La cuisine note à note recrée-t-elle des aliments à partir de produits chimiques ? La réponse est non

Hier soir, un groupe d'étudiantes intéressées par la cuisine note à note, qui proposaient comme définition  :

La cuisine note à note recrée-t-elle des aliments à partir de produits chimiques.

Est-ce cela ? Non, mais l'erreur est vénielle, et, d'autre part, on peut toujours d'un petit mal un grand bien, à savoir donner des éclaircissements.

Et puis, c'est une méthode toute simple : il s'agit seulement de se demander ce que signifient les mots.
La cuisine ? C'est la préparation des aliments à partir d'ingrédients. Et si la cuisine note à note a été nommée ainsi, c'est bien que c'est de la cuisine. Les ingrédients sont seulement différents de la cuisine classique ou même de la cuisine moléculaire.

La cuisine note à note "recrée" des aliments ? Non, elle crée des aliments : à  partir d'ingrédients, on construit des aliments, des mets, des plats. Bref, on cuisine.
Derrière cette petite erreur, il y a peut-être l'idée que l'on va faire de la carotte sans carotte, ou de la viande sans viande... mais cela n'est pas le cas. Le croire serait céder à un fantasme indu.
Non, on crée, et l'on évite d'ailleurs de reproduire des carottes, des pommes ou des viandes... car cela n'aucun intérêt : on a déjà les carottes, pommes ou viandes.

La cuisine note à note a pour ingrédients des "composés chimiques" ? Là encore, il y a une erreur... parce que l'expression "composé chimique" est souvent mal comprise.
Je pars d'un exemple : l'eau. L'eau parfaitement pure est un "composé", à savoir qu'elle est faite de molécules toutes identiques, et faites chacune d'un atome d'oxygène et de deux atomes d'hydrogène.
Quand cette eau vient du ciel, ce n'est pas un composé chimique, mais un composé naturel.
Mais si un chimiste qui étudie l'eau la synthétise (je faisais cela à l'âge de six ans), alors elle devient un composé "chimique", ce qu'il serait plus intelligent de nommer un composé de synthèse.
Oui, il y a des composés synthétisé par des chimistes, et des composés extraits du monde naturel. Cela étant, l'eau synthétisée peut être exactement la même que l'eau de la pluie.
Passons à plus compliqué : le sucre de table, ou saccharose. Il est extrait dans des usines à partir de betteraves. Là, on râpe les betteraves, on les chauffe dans l'eau, on concentre les jus en évaporant l'eau. Ce n'est pas un travail scientifique, pas un travail de chimiste, mais un simple travail technique. Le sucre n'est pas un composé chimique, mais un  composé extrait de produits naturels.
Mais le sucre a mauvaise presse, aujourd'hui, parce que des idéologues critiquent les "sucres ajoutés" : prenons donc un autre exemple, à savoir le sel, que l'on obtient en concentrant de l'eau de mer. Le sel n'est pas synthétisé, mais extrait.... Ah mais, pardon, le sel a également mauvaise presse.
Passons donc à l'huile, qui est faite de "triglycérides" (et non pas d'acides gras, comme le croient des ignorants qui causent trop de ce qu'ils ne comprennent pas toujours). Ces triglycérides ne sont pas synthétisés ; ce ne sont pas des composés chimiques... mais seulement des produits du pressage de graines ou de fruits (olives, noix, tournesol...).
La gélatine ? C'est un mélange de composés extraits de viande. Pas synthétiques, pas chimiques, donc.
L'acide citrique, vendu comme additif ? Il est obtenu par fermentation, comme l'est la choucroute. Ce n'est donc pas un produit chimique.

Et ainsi de suite !

Donc finalement, non, la cuisine note à note ne recrée pas les aliments à partir de composés chimiques. C'est une cuisine qui crée des aliments à partir de composés qui sont le plus souvent extraits des produits de l'agriculture.

Je vous présente le carotène bêta


Nous allons voir, aujourd'hui, combien il est difficile de présenter un composé, en l'occurrence le carotène bêta.

Partons d'une carotte que l'on broie à l'extracteur  à jus.



On récupère une pulpe, d'une part, et, d'autre part, un liquide un peu visqueux et orange, d'une belle couleur orange. La pulpe est blanche ; mettons-la de côté puisque elle ne renferme certainement pas la matière colorante de la carotte. En revanche, gardons le liquide orange et faisons une expérience de "chromatographie" :  cela signifie tout simplement de prendre une sorte de papier, comme du buvard, de faire une petite tache sur un bord avec le liquide orange, puis à faire tremper ce papier dans un liquide, en plaçant la tache légèrement au-dessus du niveau du liquide. Ce dernier progressivement par "capillarité", entraînant avec lui, à des vitesses plus ou moins rapides, les composés qui se trouvaient mélangés dans la tâche.


Et c'est ainsi que l'on obtient une succession de taches jaunes, orange, rouges. L'une de ces tâches orange est particulièrement prépondérante, et c'est le composé qui la constitue qui a été nommé carotène bêta.



À l'époque de sa découverte, les chimistes ont voulu savoir de quoi il s'agissait, et il ont effectué ce que l'on nomme des analyses élémentaires, c'est-à-dire que l'on a carbonisé le composé pour récupérer divers gaz. Puis, par mesure de l'eau et du dioxyde de carbone formés, on a identifié qu'il s'agissait d'un "hydrocarbure",  composé seulement de carbone et d'hydrogène. Puis, les chimistes ont fait réagir le composé de différentes façons, en essayant d'y greffer d'autres composé, en essayant de le couper, en cherchant par des réactions caractéristiques comment la molécule était construite, et c'est ainsi que l'on a découvert qu'il existe plusieurs de plusieurs sortes de carotène. Celui qui est le plus abondant dans la carotte a été nommé carotène bêta.



Progressivement, on a donc compris que le carotène bêta était fait d'objets tous identiques, ce que l'on appelle des molécules ; chacune de ces molécule est parfaitement identique aux autres, composée d'atomes de carbone et d'atomes d'hydrogène organisés d'une façon bien spécifique.
Puis on a isolé le carotène bêta pur, à savoir que l'on a appris à séparer une fraction parfaitement pure, qui a toutes les propriétés de ce composé. Par exemple si on le dissout, on obtient la couleur orange. Si on l'éclaire par des rayonnements particuliers, on obtient toujours la même réaction. Bref, on a des propriétés physiques et chimiques constantes.


 A  quoi bon tout cela pour le travail culinaire ?

Disons que le carotène bêta, que certains industriels extraient maintenant par tonnes me semble être tout à fait analogue au sucre de table, le saccharose, ou encore à tant d'autres composés que l'on peut se procurer maintenant à l'état pur. Pensons au sel, à la gélatine, mais aussi à l'acide tartrique, par exemple.
Évidemment, quand mes amis entendent une telle proposition, dans le climat de grande angoisse alimentaire où nous vivons aujourd'hui à cause de marchand de cauchemars, ils me demandent si l'utilisation du carotène bêta pur est parfaitement saine... et c'est mon devoir de répondre honnêtement, par exemple en disant que se pose d'abord la question du "parfaitement pur" :  le parfaitement pur n'existe pas, car dans tous composés, dans tous les produits, il y a ceux que l'on vise, mais il y a aussi des "impuretés". Ce qui ne signifie pas que ces dernières sont toxiques pour autant. Dans du bêta-carotène vendu comme pur, on peut très bien trouver de l'eau, ou des traces d'un autre composé de la carotte tel l'astaxanthine ou la violaxanthine ou la lutéine... On peut aussi trouver, dans certains produits moins bien préparés, des métaux lourds, des résidus de pesticides. Ou on peut aussi trouver des composés non pas défavorables, mais au  contraire favorables, telles des vitamines, mais qui n'en sont pas moins des "impuretés".



Bref, quand on achète un cheval, il y a lieu de lui regarder les dents, et, de même, quand on achète un composé, un produit, il y a lieu de s'interroger sur sa qualité... en se souvenant de ce que disaient les Tontons Flingueurs : "le prix s'oublie, la qualité reste".